Pour paraphraser le général de Gaulle, il faut éviter d’aller vers l’Orient compliqué avec des idées trop simples. Le Liban est à la croisée de tous les conflits et fractures qui traversent le Moyen-Orient : chrétiens/musulmans, sunnites/chiites, Israël/Palestine, Syriens de toutes obédiences, Arabie Saoudite/Iran, Etats-Unis/Russie. Saad Hariri, ex ou peut-être toujours en fonction (on ne sait s’il a vraiment démissionné) premier ministre du « pays des Cèdres », sera demain en France où il va peut-être trouver refuge, comme l’avait fait en son temps le général Aoun, actuel président de la république. Cela me permet de vous parler du Liban, petit par la taille mais grand par l’histoire, ce pays des antiques Phéniciens où fut inventé l’alphabet, quasi dernier refuge des chrétiens d’Orient (qui étaient là bien avant les musulmans), terre de forte tradition francophile, berceau de la renaissance culturelle arabe au 19ème siècle, mais aussi terre de quelques affaires sulfureuses dont les mésaventures de Hariri sont une illustration. Je connais bien ce bout oriental de la Méditerranée pour y être allé plusieurs fois et pour avoir fréquenté nombre de ses ressortissants.
1/ Je suis allé au Liban pour la première fois en 1963 (pour les plus jeunes, du temps de la « préhistoire » !). J’y ai découvert à Baalbek la musique traditionnelle arabe, que j’écoute souvent volontiers depuis (mais pas en France, je n’aime pas les invasions !). J’y ai vu aussi, en cette époque où les chrétiens maronites régnaient encore sans partage sur ce pays que ses détracteurs accusent d’être une création française (la France a administré le Liban et la Syrie voisine entre 1923 et 1943), des groupes maronites qui nous y accueillaient (j’y étais avec un groupe de jeunes marseillais) en rivalité entre eux et ne se retrouvant qu’en s’opposant aux musulmans, qu’ils appelaient avec un certain mépris les « muses ». J’avais touché du doigt les germes de ce qui allait donner quelques années plus tard des guerres civiles à répétition. Au cours du même voyage, nous étions allés en Syrie et nous nous y sommes trouvés le jour du coup d’état qui porta au pouvoir le parti Baas, qui y est encore, celui du clan Assad. Encore jeune à l’époque, c’était la première fois que je voyais des tanks dans les rues (j’en ai vu d’autres en 1968 à Prague). Notre voyage nous avait ensuite menés en Jordanie, en Palestine arabe, y compris Jérusalem, pas encore occupée par Israël, puis en Israël même. S’il est vrai que les voyages forment la jeunesse, c’est aussi une occasion, si l’on a l’esprit ouvert, de s’initier concrètement à la géopolitique et c’est vrai que ce voyage m’a aidé à mieux comprendre cette région.
2/ Le Liban est à peine plus grand que la Corse mais bien plus peuplé, avec plus de 6 millions d’habitants, y compris au moins un million de réfugiés syriens et un demi-million, peut-être plus, de Palestiniens, eux aussi réfugiés.
Situé sur la côte orientale de la Méditerranée, coincé entre Israël et Syrie, le Liban a quelques affinités avec la Côte d’Azur, avec un climat et des paysages comparables. Le littoral, de part et d’autre de Beyrouth, est fortement urbanisé et la montagne est juste au-dessus (on monte à 1000m en dix kilomètres et, en hiver, la neige n’est pas rare ; la montagne est la terre des cèdres – il y en a beaucoup moins qu’autrefois – arbre culte dont le dessin figure sur le drapeau du pays).
Cette montagne est le berceau des maronites, communauté, issue des premiers chrétiens, qui s’est formée au 5ème siècle autour de Saint Maron (ou Maroun) et qui s’est ensuite repliée sur les hauteurs pour échapper aux invasions musulmanes. Depuis le temps des croisades, les maronites ont été les protégés des rois de France (protection officialisée ensuite sous l’empire ottoman) et ont formé l’ossature du Liban indépendant après la seconde guerre mondiale. Les maronites sont catholiques en ce sens qu’ils reconnaissent l’autorité du pape, mais ils ont une liturgie spécifique qui a toujours utilisé l’arabe plutôt que le latin. La protection historique de la France explique que les chrétiens maronites libanais sont presque tous bilingues ; pour eux le français n’est pas une langue étrangère mais aussi, avec l’arabe, leur langue usuelle (sans doute moins qu’avant, mais cela reste une réalité : dans les quartiers chrétiens de Beyrouth et des autres localités, les inscriptions, par exemple des commerçants, sont souvent majoritairement en français, un peu comme cela continue de se voir au Maghreb où le français n’est pas, non plus, une langue étrangère).
Les maronites ont non seulement formé le Liban moderne mais, dans la tradition des Phéniciens, ils ont essaimé tout autour de la Méditerranée et au-delà. A Marseille, les Syro-libanais (on ne fait pas toujours la différence car les maronites sont aussi une communauté constitutive de Syrie) ne sont pas très nombreux mais ont donné quelques grandes familles d’armateurs (la plus grande compagnie mondiale de bateaux transporteurs de containeurs, la CGM-CMA, qui a son siège à Marseille, est une création de telles familles) : leurs membres n’habitent pas les cités des « quartiers nord », mais plutôt des villas cossues sur la Corniche. C’est une marque des Libanais chrétiens (et, parfois aussi, mais moins, de sunnites, comme les Hariri) de s’être souvent enrichis par le commerce. On les retrouve sur tous les continents. Il y aurait ainsi 10 millions de Brésiliens d’origine maronite ; en Afrique occidentale ils sont souvent propriétaires de superettes et même des supermarchés ; à Dubaï, ils sont souvent cadres moyens et, aussi à l’aise en français et en anglais qu’en arabe, ils font la liaison entre les dirigeants émiratis et les expatriés occidentaux.
Lorsque le Liban a été créé, il l’a été autour de la communauté maronite. Mais du fait de l’émigration et d’une natalité moins forte que celle des musulmans, les chrétiens sont maintenant minoritaires au Liban.
La constitution libanaise identifie 19 « communautés » en général à base religieuse. Ce système est hérité de l’empire ottoman qui reconnaissait des « communautés » diverses (sous la direction des musulmans sunnites). Au Liban, l’appartenance communautaire est inscrite sur la carte d’identité et chaque communauté a son propre code civil. On ne se marie pas, on n’hérite pas et on n’est pas jugé de la même façon selon qu’on est « maronite », orthodoxe, catholique « grec » (ce n’est pas la nationalité mais le rite, différent de celui des maronites), arménien, ou encore musulman sunnite, musulman chiite, alaouite (une sorte de variété de chiites, plus présents en Syrie, où ils forment l’ossature du pouvoir, qu’au Liban), druze (une religion très particulière, en marge de l’islam), plus quelques autres groupes moins nombreux, sans compter ceux qui sont d’origine étrangère, comme les Palestiniens.
La constitution libanaise stipule que le président de la république est obligatoirement chrétien maronite, le premier ministre sunnite et le président du parlement chiite.
Longtemps, les maronites ont tenu le haut du pavé, dominant à la fois la politique et l’économie du Liban. Ils étaient associés à la bourgeoise sunnite tandis que les chiites, les plus pauvres, étaient tenus à l’écart.
Aujourd’hui, les chiites sont majoritaires (majorité relative), de l’ordre de 40% ; les chrétiens sont désormais moins d’un tiers et le reste surtout sunnite. Des quotas sont réservés au parlement, au gouvernement et dans la fonction publique pour chaque communauté.
Les conflits internes qui ont secoué le Liban entre 1975 et 1990 (avec des coalitions intercommunautaires changeantes : c’est une vue de l’esprit de dire qu’on a eu les chrétiens contre des musulmans ; la réalité est bien plus compliquée, sans oublier le « jeu » des Palestiniens, des Israéliens et des Syriens). La Syrie a fini par établir une sorte de protectorat sur le Liban et ses forces, longtemps présentes sur le territoire, ont joué le rôle d’une police qui a réussi à séparer les belligérants de toutes communautés. A sein de chacune des communautés, il y a eu des jeux subtils. Ainsi, une partie des chrétiens s’est opposée aux Syriens mais une autre partie a collaboré. Idem chez les sunnites (les druzes ont aussi joué un rôle essentiel dont je ne parle pas ici pour simplifier). Les chiites, pour leur part, très bien organisés autour du Hezbollah, dont la milice est aussi puissante que l’armée libanaise officielle (et même sans doute plus) a acquis un grand prestige en s’opposant, quasiment seule, avec un certain succès, à l’invasion israélienne de 2006. Aujourd’hui, le Hezbollah est partie prenante du conflit syrien dans le camp du gouvernement (Bachar-el-Assad).
Le Liban est actuellement dominé par une alliance qui réunit le Hezbollah chiite et une partie des chrétiens et des sunnites. Le pays fait donc partie, de fait, de l’ « arc chiite » qui lie l’Iran, la majorité de l’Irak, la Syrie (gouvernementale), le Liban et d’autres minorités chiites au Moyen-Orient. Cet « arc chiite » est opposé à l’islam sunnite dirigé principalement par l’Arabie saoudite et la Turquie.
Cette situation met mal à l’aise la bourgeoisie sunnite libanaise mais aussi les dirigeants chrétiens. Les sunnites devraient être les alliés naturels de l’Arabie saoudite et les chrétiens des Occidentaux, tous deux en conflit avec la Syrie de Bachar et avec l’Iran, mais ils sont dans le même temps dépendants de la Syrie et du Hezbollah. [Pour le moment, Israël se contente d’observer la situation tant en Syrie qu’au Liban, avec un dilemme : empêcher la domination de l’Iran, son plus grand ennemi, mais ne pas favoriser non plus l’établissement de régimes islamistes sunnites dans les deux pays voisins, d’où sa neutralité dans le conflit syrien, neutralité de fait qui n’exclurait pas une intervention militaire directe d’Israël si ce pays décidait que c’est son intérêt].
Les considérations précédentes m’amènent à aborder le cas Saad Hariri.
3/ La famille Hariri a connu un destin exceptionnel dans un environnement souvent sulfureux. Le père de Saad Hariri (attendu à Paris demain), Rafic Hariri, est parti de rien. Musulman sunnite, fils d’ouvrier agricole, il obtient un diplôme de commerce de l’université de Beyrouth en 1964 et part à l’âge de 18 ans en Arabie saoudite. Il perce dans la promotion immobilière et pétrolière et devient un proche du roi Khaled. Ses affaires et ses amitiés lui permettent d’accumuler rapidement une fortune (celle de la famille est estimée aujourd’hui plus de 10 milliards de dollars). En 1977, il construit le palais royal de Taïf et, en 1979, rachète une société française d’ingénierie. Présent à Ryad, comme à Paris et Beyrouth, il est souvent, dans la tradition libanaise, un intermédiaire incontournable. Sur la scène libanaise, il sait naviguer entre tous les camps et parvient à être considéré comme l’homme des Saoudiens et des Français (il est alors très lié à Jacques Chirac : aujourd’hui encore, les Chirac sont logés gratuitement à Paris dans un immeuble du quai Voltaire qui appartient à la famille Hariri ; je pense qu’ils y sont encore ; en tout cas, s’ils en sont partis, il n’y a pas longtemps) tout en étant en bon terme (au moins en apparence) avec les Syriens.
Rafic Hariri est le sunnite idéal pour diriger les gouvernements libanais (rappelons que le premier ministre est obligatoirement sunnite) dans l’après-guerre civile. Il occupe le poste de 1992 à 2004. C’est une période où intérêts privés et publics sont si étroitement entremêlés que la situation en devient surréaliste : c’est la société immobilière de Hariri qui est chargé de la reconstruction du centre de Beyrouth et ses amis, notamment saoudiens et, dans une moindre mesure, français, se voient confier des contrats juteux. Mais il y deux façons de porter un jugement : on peut considérer que cette collusion est scandaleuse ; on peut aussi estimer que, sans Hariri et ses amis, qui certes n’ont pas travaillé bénévolement, la Liban, décimé et ruiné par la guerre, n’aurait jamais pu trouver les investisseurs que le premier ministre a pu amener.
Rafic Hariri avait, jusque-là, effectué un parcours sans faute. Il en commet une lorsqu’il s’oppose au président de la république Emile Lahoud en 2004. Lahoud avait été un candidat de compromis (maronite et militaire de carrière respecté pour avoir tenu, tant bien que mal l’armée libanaise en dehors du long conflit civil de 1975-1990). A la fin de son mandat, aucun nouveau candidat de compromis n’avait pu être trouvé et le parlement libanais vota une prolongation du mandat de Lahoud en dépit de l’opposition des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite, de la France (nous n’avions jamais pardonné l’assassinat de notre ambassadeur Louis Delamarre en 1981 probablement par les services secrets syriens) et d’une partie des Libanais qui pensaient le moment favorable pour se débarrasser de l’encombrante présence syrienne. Hariri prit alors la direction de l’opposition, bien décidé, poussé par les Saoudiens, les Occidentaux et quelques clans locaux, à obtenir le départ tant de Lahoud que des Syriens (dont l’armée était toujours présente dans le pays). Cela signa l’arrêt de mort de Rafic Hariri, assassiné en 2005 sur le front de mer de Beyrouth par une charge d’explosifs si puissante et placée de manière si professionnelle que la signature des services secrets syriens était probable (on n’aura, évidement, jamais aucune preuve).
Ce fut un tournant dans l’histoire du Liban. Les ennemis de la Syrie réussirent à faire voter une résolution à l’ONU exigeant le départ de l’armée syrienne (ce qu’elle fit). Mais, dans le même temps, le réalisme gagna du terrain, y compris chez nombre d’anti-Syriens traditionnels.
Ce revirement fut considérablement aidé par l’aveuglement israélien qui, en envahissant le Liban en 2006 (1191 tués par « Tsahal » et Beyrouth, à peine reconstruit, avec des destructions considérables) sous prétexte d’éradiquer le Hezbollah qui osait le défier, se mit à dos quasiment tous les Libanais, y compris chez la fraction des chrétiens qui avaient longtemps pensé que Tel-Aviv pouvait être un allié contre leur ennemis traditionnel syrien (et contre les Palestiniens, tentés de créer au Liban le pouvoir qu’ils n’avaient pas en Palestine). Dès lors, le Hezbollah sortit de l’agression israélienne en héros national et, en dépit du départ de l’armée syrienne, une quasi-unanimité fut trouvée pour accepter l’alliance de fait avec la Syrie.
Le symbole de ce revirement fut Michel Aoun. Cet ancien leader chrétien considéré comme jusqu’au-boutiste dans les guerres civiles des années 1980, ennemi juré, comme beaucoup d’autres maronites, de la Syrie, qui dut quitter le Liban en 1990 sous protection française et vécut quinze ans en France, d’abord à Marseille (dans une grande villa sur la Corniche), puis à Paris, avant de rentrer à Beyrouth en 2005, d’abord bien décidé, après l’assassinat de Rafic Hariri, à se débarrasser une fois pour toutes des Syriens. Mais, en 2006, après l’invasion israélienne, revirement total : Aoun se réconcilie avec le Hezbollah et la Syrie de Bachar. En octobre 2006, il est élu président de la république, concrétisant de façon spectaculaire l’entrée du Liban dans l’ « arc chiite ».
4/ Saad Hariri est le fils de Rafic Hariri. Il est né en 1970 à Riyad, où son père résidait (cf supra). Il a la double nationalité libanaise et saoudienne. Comme son père, il combine les affaires (Arabie saoudite, Liban mais aussi France) et la politique. Mais sa position n’a jamais été aussi solide que celle de son père, dont il ne semble pas avoir hérité de toutes les qualités (son père s’était fait tout seul ; lui, est surtout un « fils de » dont le principal titre de gloire est d’être à la tête d’un magot).
Il dirige d’abord la majorité parlementaire du Liban à la suite de l’assassinat de son père. En 2006, le réalisme le conduit à mettre de côté ses rancœurs contre Aoun et la Syrie et il devient premier ministre en 2009. Son gouvernement vole en éclats en 2011 ; on lui reproche d’être inféodé à l’Arabie Saoudite et de soutenir de façon inconsidérée ce pays, même lorsqu’il se prononce en faveur de sanctions contre le Liban (sous l’impulsion des Américains qui considèrent désormais la Syrie comme un ennemi).
En décembre 2016, Saad Hariri est de nouveau appelé au gouvernement. Entre temps son attitude envers l’Arabie saoudite avait quelque peu changé. Il est moins en cours auprès du nouveau roi, Salman, que de son prédécesseur. De plus, ses sociétés sont dans une passe difficile. Il préfère en conséquence se rapprocher de la majorité libanaise, bien davantage pro-iranienne et pro-syrienne que pro-saoudienne et pro-occidentale.
Cela nous conduit aux péripéties rocambolesques de ces derniers jours sur lesquelles je n’ai pas davantage d’information que les autres auditeurs de BFM ou de France-Info. Mais je peux imaginer ce qui s’est passé sans trop de risque, je crois, de me tromper.
Le 4 novembre, il y a donc deux semaines, Saad Hariri annonce depuis Ryad, où il avait « disparu » depuis plusieurs jours sans donner de nouvelles (un chef de gouvernement dont on perd la trace, ce n’est pas banal !), dans un discours empreint de mystères (sans doute intentionnels), s’en prend à l’Iran et au Hezbollah et annonce qu’il démissionne de son poste de chef de gouvernement sans donner de date de retour à Beyrouth. On soupçonne évidement fortement au Liban et ailleurs qu’il est retenu contre son grès et contraint de lire un discours préparé par d’autres.
Le 11 novembre, le président français Macron est à Abou Dhabi pour inaugurer l’annexe du musée du Louvre. Au retour, il effectue une brève escale non programmée à l’aéroport de Riyad où il rencontre brièvement, hors protocole, le prince héritier Mohammed ben Salman (promu seulement en juin 2017 par le roi Salman, lui-même roi que depuis 2015) qui est en train de prendre le leadership à Riyad (avec l’aval du roi ou sans son aval, ce qui serait une sorte de révolution palais ? Le jeune prince (30 ans) veut faire le ménage dans le royaume en écartant les « corrompus » (il se peut que ce ne soit qu’un prétexte), en tout cas tous ceux qui pourraient lui faire de l’ombre.
Saad Hariri fait-il partie, en tant que Saoudien, de la charrette ou faut-il voir dans sa « démission » un épisode de la guerre entre Riyad et Téhéran ?
Autre question : Macron veut-t-il « sauver » Saad Hariri pour faire un « coup » politique à usage interne (« signe » que la France, après l’effacement de Hollande, est de nouveau aux premiers rôles) et, accessoirement, pour faire remonter le crédit gaulois, quelque peu entamé du fait de son parti-pris anti-syrien, à Beyrouth ?
Ou, au contraire, le prince héritier (ou son roi) s’étant aperçu qu’il était allé trop loin en retenant prisonnier certes un compatriote mais aussi le chef de gouvernement d’un pays membre de l’ONU, a-t-il voulu sortir d’une impasse ? Dans ce cas, en demandant à l’ « ami » français (qui n’a rien à lui refuser tant les contrats de vente d’armement sont juteux à Riyad) de l’aider à se débarrasser d’un « hôte » encombrant, on règle sans frais un imbroglio diplomatique sans perdre la face (tout en faisant passer le message à Beyrouth que Riyad est prêt à utiliser le bâton avec des Libanais, y compris sunnites, trop complaisants avec les « hérétiques » chiites).
Je crains de devoir pencher pour la deuxième possibilité car l’ « ami » Hariri, ce n’est pas vraiment un cadeau pour la France.
Il traine en effet quelques casseroles à Paris même. L’une de ses sociétés, « Saudi Oger », fondée par son père, spécialisée dans le BTP, est en difficulté depuis 2013 et elle a été déclarée en faillite en juin 2017 avec licenciement sans indemnité (et après plusieurs mois de salaires impayés) de 20 000 salariés. 260 salariés de cette entreprise en France ont saisi la justice ; il est en outre reproché à cette entreprise, toujours sur le territoire français, des arriérés de cotisations sociales et divers actes d’abus de confiance. A l’été 2017, notre ambassadeur à Riyad avait fait une démarche pour attirer l’attention des autorités saoudiennes sur cette société.
On peut penser que lorsque Saad Hariri sera en France, « à l’invitation du président Macron », nos médias s’intéresseront un peu plus à l’homme et à ses « affaires ». Cela pourrait éclabousser quelques personnes en France, y compris sans doute l’ancien président Chirac.
Quant à l’ingérence évidente du royaume wahhabite de Riyad dans les affaires libanaises et à son comportement de pirate, en dépit du « libéralisme », vanté depuis quelques semaines par nos médias complaisants, du prince héritier qui a pris la décision « révolutionnaire » d’autoriser les femmes à conduire des voitures (à condition qu’elles aient l’autorisation écrite de leur mari ou tuteur de passer le permis et de conduire !), cela confirme ce qu’est le régime de Riyad, un anachronisme barbare.
La morale de cette histoire (mais y a-t-il une morale lorsque le « fric » est le moteur presque unique de la société ?) devrait être que le mélange des affaires et de la politique n’est bon ni au Liban ni ailleurs et que, lorsqu’on est un responsable politique (ou administratif ou privé) il convient de bien savoir où on met les pieds et d’éviter des liaisons dangereuses. Chirac avait des qualités mais aussi quelques défauts, dont quelques mauvaises fréquentations n’étaient pas les moindres. S’il y est encore, va-t-il continuer à se faire héberger à Paris chez les Hariri ? A sa place, si ce n’est fait, je changerais d’adresse.
Yves Barelli, 19 novembre 2017