La coalition laïque a remporté les élections législatives tunisiennes du 26 octobre. Il faut s’en réjouir.
1/ La coalition « Nidaa Tunes », formée de membres de partis de gauche, d’autres formations laïques, de proches du syndicat UGTT, de membres de la société civile et d’anciens partisans du président Ben Ali, renversé en 2011 par ce qui fut la première révolution des « printemps arabes » (qui ont souvent tourné à l’hiver islamiste), a remporté 85 sièges au parlement tunisien contre 69 au parti islamiste Ennahda, qui avait été porté au pouvoir par les premières élections pluralistes de l’après-Ben Ali.
La participation, de 62%, a été en forte baisse par rapport au scrutin précédent (un million de votants en moins).
Le scrutin a été jugé honnête par les observateurs étrangers. Le parti Ennahda a reconnu sa défaite.
Ce bon fonctionnement de la démocratie tunisienne est suffisamment rare en Afrique et dans le monde arabe pour devoir être souligné, d’autant que la vie politique du pays n’a pas été un fleuve tranquille depuis trois ans, avec, en particulier, de nombreux crimes de personnalités laïques perpétrés par les salafistes (islamistes radicaux violents).
2/ Le chef de la coalition laïque, M. Essebsi, vétéran de la politique tunisienne (il fut ministre de Ben Ali), 87 ans, est bien placé pour emporter l’élection présidentielle, prévue pour le 28 novembre.
3/ On attribue la défaite islamiste à la mauvaise situation économique (notamment le tourisme, du fait de la montée de l’insécurité et de l’intolérance vis-à-vis du mode de vie occidental), à la prétention des islamistes au pouvoir d’imposer leur conception bornée de la société à ceux qui ne la partagent pas (tentative, avortée, d’introduire la « charia » dans la constitution et la justice) et à leur faiblesse face à la subversion de l’islamisme radical (exactions anti-laïques peu réprimées, incapacité à réduire les maquis islamistes dans l’ouest du pays).
4/ On ne peut que se réjouir du sursaut des forces laïques de Tunisie. Les laïques qui ont participé à la Révolution de 2011 ont compris que l’ennemi principal n’était pas l’ancien régime, mais l’obscurantisme religieux. Le régime de Ben Ali n’était évidemment pas exempt de reproches (manque de liberté politique ou de l’information, corruption et accaparement des richesses du pays par le clan Ben Ali), mais que, en revanche, pouvaient être mis à son actif la croissance économique et la protection des Tunisiens, notamment les femmes, vis-à-vis de l’obscurantisme religieux.
Le relatif haut degré d’éducation (le meilleur d’Afrique et du monde arabe) de la population est à mettre à l’actif de la Tunisie et explique la réticence de la plupart des Tunisiens à accepter des conceptions de la vie issues du moyen-âge et des régimes les plus rétrogrades du Moyen Orient. Cette situation appréciable est l’œuvre continue des dirigeants de ce pays depuis l’indépendance obtenue en 1955 : Bourguiba d’abord, Ben Ali ensuite. La Tunisie s’est dotée, en complément à son haut niveau d’éducation, des lois les plus progressistes du monde arabe en ce qui concerne le droit de la famille et la situation des femmes qui disposent des mêmes droits législatifs que les hommes (c’est notamment ce statut que voulait remettre en cause le parti Ennahda qui a perdu le pouvoir).
5/ Le vote islamiste après 2011 doit être vu non comme une adhésion des Tunisiens mais comme une réaction aux dérives de l’ancien régime.
Les Tunisiens semblent être revenus à un comportement plus sain et davantage en rapport avec leur histoire, tant ancienne (traditions berbères préislamiques, conception traditionnellement tolérante de l’islam maghrébin, fondé notamment sur le rite malékite, aux antipodes du wahhabisme saoudien) que moderne (depuis l’indépendance).
6/ Rien n’est évidemment définitivement acquis. S’il y a beaucoup de laïques en Tunisie, il y reste encore beaucoup d’islamistes. La pérennité de la Tunisie laïque dépendra en très grande partie de la capacité du nouveau pouvoir à rétablir la confiance des investisseurs et des touristes, mais aussi à donner aux Tunisiens une véritable identité fondée sur la démocratie et la modernité. Elle dépendra aussi de l’attitude du monde occidental et en particulier de la France vis-à-vis de ce petit et fragile pays.
A cet égard, on ne peut être malheureusement que modérément optimiste. L’Europe et la France sont en crise et il ne faudra pas attendre beaucoup de générosité ni de solidarité envers notre voisin d’outre-Méditerranée. La Tunisie est endettée et on peut craindre que les institutions financières internationales, sans imagination, ne lui fassent pas de cadeaux et lui demandent des « réformes », concept le plus souvent synonyme de davantage d’inégalités et de sacrifices mal répartis.
La situation politique et économique de la Tunisie est en outre aggravée par son environnement international. Le chaos libyen engendré par la criminelle et inconsidérée (criminelle, surtout du fait qu’elle était inconsidérée) intervention occidentale (dont Sarkozy, avec le soutien de Hollande, et quelques irresponsables, tels Bernard Henri Lévy, ont été les acteurs principaux) se répercute sur la Tunisie (et aussi sur l’Algérie et les pays du Sahel) avec un afflux de réfugiés, mais aussi de terroristes.
7/ Pourtant, le sort de la France et de l’Europe se jouent en grande partie aujourd’hui au Maghreb.
Les trois pays maghrébins apparaissent presque comme des havres de paix, de tranquillité et de tolérance (tout est relatif !) comparés au Moyen Orient en proie à la guerre civile et à l’obscurantisme barbare djihadiste attisé par la volonté des régimes wahhabites les plus obscurantistes (Arabie Saoudite et Qatar), la complicité des islamistes soit disant « modérés » au pouvoir, notamment en Turquie et par l’erreur (et même la faute) historique des Occidentaux qui ont systématiquement combattu depuis plus d’un demi-siècle les régimes laïques avec la complicité des monarchies obscurantistes du Golfe, et qui continuent de le faire (notamment en Syrie).
Les régimes algérien et marocain ne sont pourtant pas sans reproche, pas davantage que ceux de la Syrie ou d’Iran, mais il est aujourd’hui nécessaire de s’appuyer sur tous ceux qui combattent l’islamisme, dans le monde arabo-musulman et ailleurs (la Russie notamment).
8/ L’heure est en effet venue pour l’Occident de faire une évaluation globale de la situation et des menaces qui pèsent.
Face à ces menaces, des alliances doivent être constituées.
Or, quelle est la menace ? L’islamisme ! Je dis bien « islamisme » et non « islam ». Je dis bien aussi « islamisme » tout court, et non « islamisme radical ».
L’islam est une religion. Tout le monde est libre de professer la religion de son choix ou de n’en professer aucune et toute religion est respectable dans la mesure où ses dogmes et ses pratiques ne sont pas en contradiction avec les valeurs universelles.
L’islamisme n’est pas une religion mais une idéologie politique totalitaire qui consiste à imposer l’islam, du moins l’idée que s’en font ceux qui professent cette idéologie, à l’ensemble d’une société, l’ensemble d’une nation et, même, pour les plus radicaux, l’ensemble du monde.
Cette idéologie est contraire aux principes de Liberté, de tolérance et de laïcité. Ces principes ne sont pas seulement ceux de la République française. Ils sont ceux du monde civilisé et ils figurent dans les traités, pactes et conventions adoptés par l’ONU depuis 1948.
Il y a donc un devoir à combattre cette idéologie dangereuse, pas seulement chez nous, mais partout dans le monde car cette idéologie viole les grands principes internationaux : liberté de religion, de culte et de pensée, égalité entre hommes et femmes, interdiction des châtiments inhumains ou dégradants, etc.
Dans ce contexte, il y a lieu de bannir cette idéologie et de combattre tous ceux qui s’en réclament. Pas plus que le nazisme, le racisme ou l’antisémitisme, l’islamisme n’a sa place dans le monde civilisé.
Ce n’est donc pas seulement l’ « islamisme radical » (pléonasme car l’islamisme, par nature, est radical et radicalement mauvais) mais toutes les formes de cette idéologie perverse qui doivent être combattues, y compris le soit disant islamisme « modéré ». A fortiori, l’islamisme wahhabite, forme particulièrement obscurantiste d’islamisme, au pouvoir en Arabie saoudite, au Qatar et dans quelques autres monarchies du Golfe, doit être également éradiqué. Quant aux pays gouvernés par des partis islamistes, tels la Turquie, mais qui n’ont pas, ou pas encore, imposés la charia, il faut les mettre en demeure de préciser leur position et de s’engager à se conformer aux principes internationaux civilisés.
9/ Dans ce cadre, il y a lieu de mener une véritable guerre contre l’ « Etat Islamique en Irak et au Levant », c’est-à-dire intervenir avec des troupes au sol et ne pas s’en tenir à des frappes aériennes qui s’avèrent insuffisantes. Ceci doit être fait avec ou sans appui des pays de la région. Rechercher dans cette optique le soutien des pays où l’islamisme est au pouvoir est illusoire et même contreproductif. L’attitude, par exemple, de la Turquie est à cet égard édifiante.
Dans les pays du Moyen Orient, mais plus encore au Maghreb, qui n’a ni la même sociologie ni les mêmes traditions, il s’agit de s’appuyer sur les forces laïques et de les conforter. Ces forces sont nombreuses, les élections en Tunisie viennent de le montrer. Mais elles sont aussi fragiles car le manque de perspectives, la perte d’identité ou la fermeture de l’Europe y sont les meilleurs alliés des obscurantistes.
La situation du Maghreb doit nous interpeler nous Français au premier chef à la fois parce que cette région est en contact étroit avec nous mais aussi parce qu’une partie importante de nos compatriotes en est issue. L’affrontement entre islamistes et laïques traverse les sociétés maghrébines, il traverse aussi la France. Toute faiblesse vis-à-vis de l’islamisme en France, toute concession quant à la laïcité, est un coup porté à ceux qui là-bas ne veulent pas tomber sous sa dictature. C’est aussi du suicide pour notre pays car l’islamisme est en train de saper notre tissu social. Le problème n’est pas seulement celui du terrorisme, il est grave, mais il est, aussi et surtout, le danger de voir l’idéologie islamiste gangréner une partie de nos compatriotes.
Cette question devrait être l’une des priorités de la France dans les mois et les années à venir. Il faut lui consacrer un véritable débat national sans avoir peur de « stigmatiser » tel ou tel groupe de nos compatriotes.
A subversion globale de l’islamisme, il faut une réponse globale. Le combat doit être mené avec la même vision et la même détermination à Ryad, à Kobané, à Tunis ou à Aubervilliers.
Tout se tient.
Yves Barelli, 30 octobre 2014