Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 18:45

L’Algérie est le pays des apparences : apparence de démocratie, apparence de multipartisme, apparence de pouvoir présidentiel, apparence de liberté de la presse. Ce n’est pas pour autant son contraire : il y a bien plus de pluralisme et de liberté d’expression que dans la plupart des pays arabes. Mais c’est une démocratie limitée, autant par le pouvoir en place que par l’autocensure que s’impose une population que le traumatisme de la guerre civile des années 1990 générée par la subversion islamiste incite à la prudence et à la retenue. Ce n’est pas la première fois que des manifestations se produisent dans le pays. Celles en cours visent à protester contre l’intention (en fait celle du pouvoir occulte de la hiérarchie militaire) du président Bouteflika, infirme incapable de gouverner, de se présenter à un cinquième mandat (avec un résultat connu d’avance tant les élections, « arrangées », ne sont qu’une formalité en Algérie). Il est difficile de prédire l’ampleur et la tournure que prendra cette agitation qui ne devrait pourtant qu’être un épisode de plus qui ne modifiera rien dans ce pays qui semble voué à l’immobilisme institutionnel, ce qui n’empêche pourtant pas la société d’évoluer, société entre deux : entre pauvreté et développement, entre démocratie et dictature, entre pression conservatrice de l’islam et expression laïque moins conformiste. Pour comprendre ce pays, pourtant proche, il faut se munir de « grilles de lecture ». Même les « spécialistes » ne les maitrisent pas toutes.

1/ Le régime politique algérien tire sa source dans la guerre de libération (1954-62) qui a débouché sur la « république algérienne démocratique et populaire » qui, fondamentalement, n’a pas vraiment changé depuis l’indépendance bien que le multipartisme ait officiellement remplacé le régime de parti unique en 1989 (en même temps que dans les anciens pays communistes de l’Europe de l’Est, aux système politiques partiellement comparables).

Le système actuel est celui d’un pluralisme avec parti dominant, le FLN (Front de Libération Nationale, qui avait mené la lutte pour l’indépendance), parfois concurrencé (ou associé avec lui) par le RND (Rassemblement National Démocratique), son avatar en fait à peine différent (un peu moins nationaliste historique, un peu plus laïque).

L’ensemble de l’éventail politique est représenté en Algérie depuis l’extrême gauche trotskiste, des socialistes plus classiques (FFS, bien implanté en Kabylie), des laïques (RCD, parti surtout kabyle lui aussi, concurrent du FFS) jusqu’aux islamistes plus ou moins modérés : tous ont des élus et participent parfois aux gouvernements. Ils ont leurs propres journaux (nombreux titres, la moitié francophones et l’autre moitié arabophones – le kabyle est moins écrit -) et des radios privées (seule la télévision d’Etat est monolithique). La liberté d’expression est assez grande (mais on se garde de parler religion et, en fait, on ne remet rien en cause : ce sont plus des querelles de personnes que d’idées). Cette liberté peut parfois être trompeuse : lorsque les critiques envers le président se font virulentes, presque injurieuses, elles peuvent venir tout simplement de clans militaires émanation des « services » qui, ainsi, « avertissent » le pouvoir civil des lignes rouges à ne pas franchir. En un mot, on ne sait jamais en Algérie qui est qui et même l’opposition peut cacher une portion du « pouvoir ».           

Il y a une grande continuité dans le pouvoir. Le président Abdelaziz Bouteflika (qui avait été ministre des affaires étrangères de 1963 à 1979, avant de tomber en disgrâce et de s’exiler de 1981 à 1987, avant de revenir) a été élu pour la première fois en 1999. Il brigue un cinquième mandat. Ahmed Ouyahia, est à nouveau Premier Ministre depuis 2017 ; il l’avait été auparavant plusieurs fois depuis 1995. Bouteflika, qui avait participé à la lutte de libération (il est aujourd’hui âgé de 82 ans), est originaire de l’Ouest (l’origine régionale est importante en Algérie : on a souvent la constitution au pouvoir de « clans » de même origine géographique). Ouyahia (66 ans) est un ancien de l’ENA algérienne, ancien haut fonctionnaire, ancien diplomate, kabyle (mais pas du tout autonomiste et donc considéré par le mouvement kabyle et les partis kabyles comme une sorte de traitre). Ce sont des civils qui gouvernent à côté de militaires qu’on ne voit pas.  

2/ Le régime algérien peut être considéré comme mixte entre civil et militaire. La hiérarchie militaire issue de la guerre de libération a toujours eu une influence prépondérante sur le pouvoir politique mais elle ne l’a jamais exercé directement. Son fonctionnement et les rapports de force en son sein sont particulièrement opaques, comme l’est la réalité du pouvoir en Algérie (les civils sont-ils totalement sous la coupe des militaires, qui, d’évidence, jouent un rôle fondamental dans la désignation des dirigeants civils, mais ceux-ci, une fois au pouvoir, continuent-ils d’en n’être que les courroies de transmission ou acquièrent-ils une légitimité propre et donc un pouvoir propre ? La réponse est probablement entre les deux : dépendance pour l’élection et la réélection mais davantage d’autonomie entre elles).

L’armée est loin d’être monolithique dans ses aspirations et la réalité du pouvoir. Il y existe des clans divers (à base régionale – le clan de l’Ouest, ou le clan « Chaoui », des Berbères des montagnes du sud-est, notamment -, idéologique – tous sont laïques, mais avec des nuances – ou tout simplement d’intérêts – la présence en haut de la hiérarchie procure de grands avantages économiques, avec une corruption endémique – le pétrole mais aussi le phénomène de la « mafia des conteneurs » en allusion aux pourcentages touchés sur les importations de biens).

Au sein de l’armée, encore plus opaque, le pouvoir de la DRS (Direction du Renseignement et de la Sécurité ; elle s’appelle désormais, depuis 2016, la direction des services de sécurité – DSS – mais tout le monde continue à dire DRS), autrement dit les services de renseignement, sorte de KGB qui interfère sur la politique et l’administration (la DRS a son mot à dire pour l’avancement des fonctionnaires avec un droit de véto). Mais ces services sont eux-mêmes divers et cloisonnés de sorte qu’on a affaire davantage à un écheveau de structures, parfois concurrentes, qu’à un système monolithique. [Sans trahir de secret – j’ai été en poste diplomatique à Alger – je peux dire que même nos propres services de renseignement, pourtant infiltrés partout jusqu’au sommet de l’Etat algérien, n’avaient – je doute que cela ait changé – jamais aucune certitude quant aux décisions et à leurs auteurs ; ils n’étaient pas les seuls : le système est si cloisonné et multiple que les responsables algériens eux-mêmes, y compris au sein des services de renseignement, n’ont pas plus de certitude pour la raison évidente que les « services » actionnent des structures qui parfois leur échappent : à titre d’exemple, on ne saura jamais qui a commandité l’assassinat des moines français de Tibhirine en 1996 : islamistes de leur propre chef ou manipulés par la DRS ou francs-tireurs incontrôlés?].

3/ Il semble néanmoins que Bouteflika avait acquis une autorité propre et que, avant son AVS qui, désormais, l’empêche d’exercer normalement son mandat (il alterne les périodes de lucidité et d’incapacité et passe souvent plus de temps dans les hôpitaux suisses ou français que dans son palais), il exerçait la réalité du pouvoir.

Sauf chez les Kabyles (entrés en dissidence en 2001, ce qui se traduisit par une insurrection pendant plusieurs mois et par de grandes manifestations à Alger, mais la conjonction avec l’opposition démocratique arabophone ne put se réaliser ; pas davantage, d’ailleurs, en 2011-12, où le « printemps arabe » a fait « pschitt » à Alger) « Boutef », comme on dit familièrement, jouit (ou plutôt jouissait) du respect de la majorité des Algériens et d’une certaine popularité.

On lui sait grès  d’avoir ramené la paix après les « années de braise », cette décennie noire 1990 qui vit la subversion islamiste tenter de prendre le pouvoir et d’établir un régime obscurantiste, faisant plus de 200 000 morts. L’armée et les laïques ont réussi à les en empêcher, parfois au prix de méthodes qui pourraient paraitre contestables (mais face à des sauvages, les armes « civilisées » ne sont pas les plus efficaces) : les irresponsables « bienpensants » ignorants de chez nous qui ont critiqué les généraux algériens « violeurs des droits de l’homme » (les mêmes qui, aujourd’hui, critiquent Bachar el Assad) auraient-ils préféré voir s’installer à Alger la même barbarie que celle de Daesh?

En tout cas, les évènements » se sont terminés par une loi d’amnistie et un compromis (une certaine islamisation de la société – à titre d’exemple, il est plus difficile de se faire servir du vin dans un restaurant qu’avant et, plus grave, les programmes scolaires font la part un peu trop belle aux « valeurs » de l’islam) qu’on peut regretter mais qui était sans doute la moins mauvaise issue. Face à la révolte kabyle, des concessions ont également été faites : désormais le « tamazight » (berbère) est co-langue officielle et le kabyle est entré à l’école et dans les médias.

4/ Les compromis généralisés ont un revers à la médaille. Pour éviter les conflits (ce qui est sain), on s’oblige en général à l’autocensure (ce qui l’est moins). Ce faisant, on entre en fait dans le moule de la quasi-totalité des sociétés musulmanes, presque toutes fondées sur le non-dit, le semblant, en fait l’hypocrisie : beaucoup sont réfractaires à l’islam (on a plutôt moins de femmes voilées qu’en Seine-Saint-Denis) mais on ne le dit pas (le grand chanteur kabyle Lounès Matoub, une icône, a été assassiné pour s’être déclaré athée), les femmes sont souvent libres (on a révisé le code de la famille dans un sens plus égalitaire : fort heureusement, l’Algérie n’est pas l’Arabie saoudite !) mais elles ne le montrent pas. Bref, c’est la civilisation du « faire semblant ».

La conséquence est que, ne voulant s’attaquer à aucun tabou, la vie culturelle et intellectuelle algérienne est tristement vide. Lorsqu’on est écrivain, chanteur ou journaliste, c’est souvent à Paris qu’on s’installe et qu’on publie (à titre d’exemple, le caricaturiste Dilem qui fait les magnifiques dessins très décapants qui font la une du journal « Liberté », les envoie tous les jours depuis Paris. Sans exagérer, on peut dire que la capitale intellectuelle de l’Algérie est à Paris (au moins pour ceux des Algériens, la moitié, qui se réfèrent aux valeurs de démocratie, de laïcité, de culture et de francophonie – une proportion sans doute supérieure à ce qu’on trouve chez les Algériens de France, trop souvent tentés par la régression islamiste -, les autres, adeptes des chaines arabophones de TV sur satellite, sont plus tournés vers Doubaï et Doha).

5/ Conformisme, respect des tabous, absence d’illusion sur l’honnêteté de ceux qui les gouvernent (ou aspirent à les gouverner), les Algériens se détournent massivement de la politique. Ils savent que les élections sont notoirement truquées (on donne juste ce qu’il faut de sièges aux partis d’opposition pour qu’ils aient un os à ronger ; en Kabylie, on n’essaie même pas de truquer : quasiment tous les élus sont d’opposition, mais cette région est démographiquement très minoritaire). Bouteflika sera certainement « largement » réélu (à moins que, au dernier moment, la hiérarchie militaire se mette enfin d’accord sur le nom du successeur ; c’est parce qu’elle n’y est pas parvenue jusqu’ici, qu’on prolonge le président-infirme qui n’est même plus capable de prendre la parole en public : c’est pour protester contre cette tragi-comédie qu’on descend dans la rue depuis une semaine). On déclarera alors, comme d’habitude, légèrement plus de 50% de votants (alors que la réalité doit se situer entre un quart et un tiers, au mieux) et on concèdera des scores honorables à quelques opposants « institutionnels » (toujours les mêmes, certains ont une carrière d’opposant aussi longue et aussi rémunératrice que celle de « Boutef » au pouvoir).

Je n’exclue pas que, cette fois, la protestation soit un peu plus forte et durable que d’habitude. Mais je ne crois pas que le phénomène soit durable (je peux évidemment me tromper car, parfois, les évènements s’enchainent au-delà des prévisions).

6/ Pourquoi cette passivité de la population ?

Pour la raison évoquée plus haut : le traumatisme de la guerre civile des années 1990.

Mais pas seulement.

Pour des raisons objectives aussi. L’Algérie est un pays « émergent », c’est-à-dire pas riche mais pas vraiment pauvre non plus. Certes, l’économie et le niveau de vie ont fluctué en fonction des cours du pétrole et du gaz, quasiment les seules productions du pays. Lorsque les cours ont été très élevés, il y a une dizaine d’années, les dirigeants ont eu l’intelligence d’accumuler des réserves importantes de devises. Celles-ci, mais aussi ce qui reste du régime « socialiste » d’antan (par exemple, l’essentiel du parc immobilier dans les grandes villes est municipal), permettent un certain « filet » social qui atténue la pauvreté et le chômage. Un effort (après des décennies d’abandon) a également été fait pour les infrastructures (par exemple les autoroutes – celle qui va du Maroc à la Tunisie, construite par les Chinois, est presque terminée – ou encore le téléphone portable). L’éducation et la santé sont déficientes mais, comparées aux standards africains moyens, c’est mieux.

Et puis, il y a la soupape de l’émigration. Grâce aux regroupements familiaux et aux régulations massives (dont on parle peu en France ; on estime que 10% de ceux qui reçoivent un visa de court séjour ne rentrent pas), le trop-plein de l’Algérie (où la natalité continue à être importante) a pu se déverser sur la France. Il y a d’ailleurs un va-et-vient parmi les centaines de milliers de binationaux (outre ceux de France, 200 000 résideraient en Algérie : n’ayant pas besoin de visas, ils voyagent beaucoup d’une rive à l’autre de la Méditerranée et font un trafic – ce qu’on appelle le « trabendo » -, de toutes sortes de produits, parfois à grande échelle – il suffit de rémunérer les douaniers d’Alger - ; le commerce marseillais profite en grande partie de ce système ; ceux qui n’ont pas la nationalité française vont plutôt faire leurs emplettes à Istanbul ou à Dubaï).

Malheureusement pour l’Algérie mais aussi pour la France, certains parmi les plus qualifiés s’exilent non en France mais au Canada (l’ambassade canadienne à Alger a ses « chasseurs de tête » et le titre de séjour québécois est très convoité).

Ainsi vit, ou survit, je serais tenté de dire « vivote », l’Algérie : pays de la débrouille, pays où on se recroqueville sur la famille – la grande ; il y a encore un tiers de consanguinité dans les mariages -, pays du semblant, pays, finalement, de la médiocrité au jour le jour (les ambitieux sont partis à Montréal et les délinquants d’ « envergure » se rencontrent plus souvent à Aubervilliers et dans les quartiers nord de Marseille qu’à Bab-el-Oued ou Oran.

Jusqu’à quand ? Parfois, le provisoire dure, dure, dure longtemps et on apprend à ne pas être pressé. Il a fallu plus de vingt ans entre le début de percement d’une première galerie du métro d’Alger (j’y étais descendu lorsqu’on m’avait fait visiter le chantier) et son inauguration. J’ai un copain député habitant au cinquième étage dans l’un des plus beaux immeubles d’Alger – construit du temps de la France – qui est resté plus d’un an sans ascenseur avant qu’on se décide à le réparer.

Alors, « Boutef » ou un autre ! Maintenant ou plus tard : inch’Allah!

Yves Barelli, 1er mars 2019                                                                                  

Partager cet article
Repost0
16 septembre 2018 7 16 /09 /septembre /2018 17:46

Je soutiens à 100% le geste du président Macron qui a rendu visite à Josette Audin pour demander pardon, au nom de l’Etat français, pour le meurtre, précédé de tortures, par l’armée française en Algérie en 1957, de Maurice Audin. En le faisant, hélas trop longtemps après les faits (mais il vaut mieux tard que jamais), la France a fait un pas important supplémentaire vers la reconnaissance totale de ses crimes pendant la guerre de libération de l’Algérie. Ce faisant, elle est allée plus loin que l’Algérie qui s’honorerait, elle aussi, de faire toute la lumière sur les zones d’ombre qui restent encore dans son histoire, à commencer par les crimes commis vis-à-vis de ses propres citoyens. Les crimes des résistants ne sont certes pas à mettre sur le même plan que ceux du pouvoir colonial, mais une cause juste l’est davantage encore lorsqu’elle reconnait ses propres erreurs, voire ses crimes.

1/ Maurice Audin était un jeune mathématicien français communiste qui vivait en Algérie et qui a pris le parti de la juste cause de ceux qui se sont soulevés contre le pouvoir colonial français. Arrêté par l’armée française, il a été sauvagement torturé et exécuté en 1957. Son corps n’a jamais été retrouvé.

Ce courageux résistant est devenu un symbole à la fois du combat pour la liberté du peuple algérien et de ceux, parmi les Français, qui ont sauvé l’honneur de la France en s’élevant contre l’injustice et les crimes perpétrés par la France en Algérie. Une place importante d’Alger, en bas de l’ancienne rue d’Isly, porte aujourd’hui le nom de Maurice Audin.

2/ Depuis une vingtaine d’années, la France a pris des initiatives positives en direction de la reconnaissance totale de ses crimes en Algérie. Cela est à son honneur car il n’est jamais aisé pour une nation de reconnaitre les crimes qu’elle a commis envers un autre peuple. Les Allemands l’ont fait vis-à-vis des Français. Il est normal que la France le fasse vis-à-vis de l’Algérie.

Par petites touches ou grands pas, on est passé du déni à la reconnaissance. Cela a été notamment le cas lorsque j’étais moi-même diplomate à l’ambassade de France en Algérie, entre 1999 et 2001. Nous avons alors reconnu les tortures de l’armée, puis le caractère de guerre de ce qui était à l’époque des faits nommé par euphémisme « évènements », enfin (j’ai été le premier à le dire dans un discours public) le massacre de masse opéré le 8 mai 1945 dans la région de Sétif, le jour même où la France fêtait sa libération.

Désormais, nous avons reconnu à peu près l’intégralité de nos crimes en Algérie et cela a été fait publiquement par les présidents français successifs au cours de leurs déplacements outre-Méditerranée. Il reste sans doute à exploiter mieux les archives militaires afin de tenter (mais cela sera difficile et, dans certains cas, impossible, car les criminels ont généralement effacé toute trace de leurs crimes) d’élucider ce que sont devenus les centaines de disparus et ce qu’on a fait des corps, jamais retrouvés, de résistants tués par l’armée française, tels Maurice Audin et d’autres (je pense notamment au corps du père de mon ami Tarik Mira, ancien vice-président de l’Assemblée Nationale Populaire algérienne : son père fut tué en Kabylie, dont il était le responsable de la résistance pour la région – je me suis rendu en compagnie de Tarik sur les lieux et en ai rendu compte dans ce blog).

Il me paraitrait utile qu’un président de la République français se rende à Alger au monument des martyrs et demande pardon au peuple algérien au nom de la France. Cela, je crois, mettrait un terme définitif à ce triste épisode de la guerre d’Algérie, douloureux pour les Algériens, douloureux aussi pour les Français d’Algérie (la grande majorité était composée de gens ordinaires qui n’étaient pas là pour « faire suer le burnous », comme on dit, mais pour travailler, souvent dur, afin d’édifier ce qu’on leur avait dit être un morceau de France), douloureux pour nos soldats du « contingent », dont certains ne sont jamais revenus, et douloureux, davantage encore, pour ceux qu’on a appelé les « harkis », ces Algériens qui ont pris le parti de la France, pour la plupart pas parce qu’ils étaient des traitres, mais parce que, comme aux Pieds Noirs, on avait dit que, eux aussi, étaient des « Français à part entière », et qui, pourtant, ont été lâchement abandonnés en 1962 par ce qu’ils croyaient être leur mère-patrie.

Il ne s’agit certes pas de revenir sur le passé, de chercher des coupables et de poursuivre une succession de vengeances que les Algériens eux-mêmes ne demandent pas. En 1962, une amnistie générale a été décidée par la France envers tous les criminels, de quelque côté qu’ils aient été. Cela a été une bonne chose. Restons-en là. Le geste de demande de pardon au monument des martyrs serait uniquement symbolique. Je note d’ailleurs que les Algériens ne le demandent même pas.

3/ Et s’ils ne le demandent pas, c’est que, entre-temps, bien d ‘autres crimes ont été commis en Algérie par les Algériens eux-mêmes. Ceux de la décennie des « années de braise », dans les années 1990, ont été particulièrement horribles. On estime à au moins 100 000 les morts de ces années, du fait principalement de la sauvagerie des fous islamistes qui prétendent établir le pouvoir de l’islam sur la terre entière et qui commencent, paradoxalement, à tuer des musulmans avant même de s’attaquer aux « Roumis ». L’idéologie islamiste est un mal absolu. Les Algériens ont réussi à empêcher la subversion de prendre le pouvoir chez eux. Cela ne m’empêche pas de regretter que cette idéologie pathologique progresse à nouveau comme un cancer dans la société algérienne ou au sein de l’immigration qui en est issue en Europe.

4/ Sans doute les Algériens seraient-ils bien inspirés s’ils faisaient preuve de davantage d’introspection sur eux-mêmes et sur leur société.

D’abord s’agissant de la guerre de libération, les choses n’ont pas été aussi simples que ce qui est dit officiellement à Alger. Le FLN a commis des crimes envers des résistants d’autres obédiences, notamment ceux du MNA, qui menaient pourtant eux aussi un combat contre les Français. Il y a eu aussi, et surtout, la liquidation de résistants suspectés à tort d’être des traitres (notamment lors de ce qu’on a appelé la « bleuite », en Kabylie, du fait que les Français avaient fait croire que certains les avaient rejoints afin de diviser l’adversaire), atrocement torturés avant d’être exécutés. La lumière devrait être faite aussi sur les désaccords internes à la résistance, notamment entre ceux qui prônaient une Algérie laïque et culturellement diverse et ceux qui ont voulu imposer une Algérie arabe et musulmane.

La liquidation sur une grande échelle des « harkis » a été un autre épisode noir de la guerre de libération. A la fois parce que tuer des gens sans défense alors que la guerre est déjà finie est inadmissible, mais aussi parce que des innocents, qui n’avaient jamais collaboré avec les Français, ont également été liquidés.

5/ Et puis il y a ce qu’est devenue l’Algérie officielle. Nombre de ceux qui ont pris les armes contre la France auraient souhaité édifier une société pluraliste et laïque (beaucoup d’Algériens, notamment ceux qui ont eu à lutter contre la barbarie islamiste, continuent à le souhaiter).

A l’arrivée, ils ont eu à subir l’hégémonie de l’arabisme (d’où les maquis kabyles d’Hocine Aït Ahmed en 1962, puis, plus tard, le « Printemps berbère » et la révolte kabyle de 2001 dont j’ai été le témoin lorsque j’habitais à Alger) doublé de l’islam obligatoire.

Cet islam obligatoire a entrainé la marginalisation, lorsque cela n’a pas été l’élimination, de cet important courant, dont faisait partie Maurice Audin, qui avait pour point de repère le quotidien « Alger Républicain », rapidement interdit par l’Algérie indépendante.

Les non-musulmans, chrétiens, juifs ou athées, qui, parmi les Pieds Noirs, avaient pris le parti de la lutte algérienne pour la Liberté, qui souhaitaient travailler avec les autres Algériens à l’édification d’une Algérie indépendante, ont malheureusement dû assez vite déchanter. C’est ce qui les a conduits à quitter, eux aussi, l’Algérie, alors qu’ils voulaient en faire leur patrie.

Josette Audin a été de ceux-là. Elle pensait, qu’elle et son mari, avaient fait suffisamment pour l’Algérie, Maurice en payant le prix fort, pour y être chez eux. C’est parce qu’elle s’est rendue compte que cela n’était pas possible que Josette Audin s’est résolue à émigrer en France.

La France a demandé pardon à Josette Audin pour l’assassinat de Maurice. L’Algérie lui exprimera-t-elle des regrets pour l’avoir contrainte à quitter le sol du pays qu’elle a contribué à libérer ?

Je ne suis pas pour revenir sans arrêt sur le passé. Je ne suis pas non plus partisan des actes de contrition à sens unique. La France a commis des crimes abominables en Algérie. Même si ceux de l’Algérie ont été quantitativement moins nombreux, cette dernière s’honorerait en reconnaissant, aussi, les siens.

Quant aux trop nombreux « Français » issus de l’immigration algérienne, qui continuent à privilégier de manière invraisemblable leur « algérianité » (s’ils ne se sentent pas Français, pourquoi restent-t-ils chez nous ?) et qui rabâchent, comme un let-motif, qu’ils sont des « victimes », qu’ils balaient d’abord devant leur porte avant de nous donner des leçons. Je veux bien demander pardon, mais je ne tendrai pas une autre joue pour recevoir la même claque que sur la première. Or, aujourd’hui, les claques, ce sont des musulmans qui les donnent et des Occidentaux qui les reçoivent. La nécessité de repentance a changé de camp./.

Yves Barelli, 15 septembre 2018                                                                    

Partager cet article
Repost0
9 mai 2015 6 09 /05 /mai /2015 23:01

Le 8 mai 1945, tandis que la France et le monde fêtaient la fin de la seconde guerre mondiale, des manifestations nationalistes algériennes ont été sauvagement réprimées à Sétif et à Guelma, dans le Constantinois alors français. Ce massacre de masse a non seulement été un crime, mais une faute politique car il est à l’origine de la guerre de libération qui débutera neuf ans plus tard en 1954 et qui se terminera par l’indépendance de l’Algérie en 1962.

1/ Au départ des évènements, l’assassinat délibéré de deux porteurs de drapeaux algériens par les forces de l’ « ordre » françaises (en l’occurrence, du désordre). La réaction de la foule, sur le moment et dans les jours qui suivirent, se traduisit par l’assassinat d’une centaine d’ « Européens » (nom qu’on donnait à l’époque aux « Pieds Noirs », par opposition aux « Français musulmans », curieuse appellation dans un pays en principe laïc). La répression qui s’ensuivit fut féroce : entre 8 000 (évaluation la plus basse) et 50 000 morts Algériens (chiffre communément donné en Algérie, sans doute très exagéré).

Si de tels affrontements ont pu avoir lieu, d’une part entre Français d’Algérie et Algériens, et entre ceux-ci et les forces de l’ « ordre », c’est que le climat était très tendu. La société algérienne était une société coloniale divisée entre « Européens » qui disposaient des leviers de commande et qui s’étaient attribué les meilleures terres par conquête, et autochtones, au statut inférieur et cantonnés aux fonctions les plus subalternes de la société. Les inégalités en termes de niveau de vie, de propriété, d’éducation, de santé, mais aussi de statut juridique (ce n’est que plus tard que les autochtones ont pu bénéficier de la pleine nationalité française et, en principe, mais pas dans les faits, de l’égalité par rapport aux habitants d’origine européenne) étaient criantes.

Le ressentiment était d’autant plus grand que les Algériens (Pieds Noirs comme autochtones) avaient apporté une contribution décisive à la libération de la France en formant l’ossature de l’armée qui débarqua en Provence en 1944 (voir mon article du 16 aout 2014 « commémoration du débarquement de Provence »).

Les revendications de plus d’égalité et de justice étaient pourtant de plus en plus insistantes. Ferhat Abbas, futur président du GPRA, ne demandait pourtant, à cette époque, que d’être un Français « à part entière ». Mais, en 1945 et dans les années suivantes, la France avait d’autres préoccupations, à savoir la reconstruction du pays et le règlement des propres problèmes de la métropole. Quant aux Français d’Algérie, si beaucoup vivaient en bonne intelligence avec les Algériens, d’autres, les « grands colons » continuaient à se comporter comme si le monde n’avait pas évolué depuis 1830.

Le comportement, en tout cas, des autorités françaises sur place n’a été ni juste ni glorieux. Pour tout dire, criminel et surtout stupide, car le massacre de Sétif a marqué une rupture psychologique. Un nombre croissant d’Algériens a alors estimé qu’il n’y avait plus qu’une solution, la lutte armée. Ce sera la « guerre d’Algérie », localement appelée « guerre de libération » (je préfère ce terme), avec ses centaines de milliers de morts, qui se terminera par la libération de 1962, le massacre des harkis abandonnés par la France (autre crime impardonnable) et l’exode des Pieds Noirs.

L’Algérie aurait pu avoir un autre destin, peut-être l’intégration dans la France, que certains appelaient de leurs vœux, et dont nombre d’Algériens, au vu de l’histoire contemporaine de leurs pays, estiment avoir été une occasion ratée.

Mais on ne refait pas l’histoire. Il faut l’assumer en reconnaissant crimes et erreurs.

2/ Pendant longtemps, la France a eu du mal à assumer ses actions. La guerre, elle-même, qui opposa pourtant à partir de 1954 deux armées, ne fut longtemps nommée que « évènements ». Les crimes de guerre et les tortures systématiques furent longtemps niés.

Ce n’est que dans les années 1990, les « années de braise » marquées par la guerre civile algérienne du fait de la subversion islamiste (sans doute 100 000 morts), qu’on commença à aborder plus sereinement la question de la guerre d’Algérie. Les horreurs du moment permettaient aux Algériens, pris par une autre urgence, de quelque peu relativiser le conflit passé qui commençait à entrer dans l’histoire. Du côté français, avec l’intégration des Pieds Noirs dans la société française, les blessures du passé étaient en pratique cicatrisées. La génération qui avait connu personnellement cette guerre atteignait désormais l’âge de la retraite.

On pouvait alors laisser la place aux historiens, à des gens comme Benjamin Stora, né en Algérie et en sympathie avec ce pays, pour qu’ils fassent un travail sérieux de mémoire. Côté algérien aussi, on voyait désormais les choses en étant moins prisonnier de l’idéologie et de l’histoire officielle. On commençait à parler de sujets longtemps tabous, comme celui des harkis ou les massacres d’Algériens résistants par d’autres Algériens. La lutte entre FLN et MNA, accompagnée de crimes, commençait à être évoquée, de même que les « bavures » des résistants (comme ces règlements de compte injustes dans le cadre de la triste affaire de la « bleuite » de la wilaya IV dans laquelle les services français avaient réussi à faire éliminer des résistants par d’autres résistants en les faisant passer pour leurs collaborateurs).

Je me trouvais à Alger, en poste à l’ambassade de France, entre 1999 et 2001, lorsque les choses commencèrent à se débloquer réellement. La coopération reprenait sur une grande échelle après les années d’insécurité, plusieurs déplacements importants eurent lieu, des ministres, le maire de Marseille, puis Jacques Chirac, qui alla se recueillir devant le monument des Martyrs d’Alger. Le président Bouteflika, de son côté, commença à parler des rapports franco-algériens en s’écartant de la langue de bois habituelle. On envisagea même un voyage d’Enrico Macias, né à Constantine et interprète du « malouf », cette musique arabe locale, mais, finalement, le projet avorta (du fait de réticences d’intégristes locaux, mais aussi par le manque de nuance de l’entourage du chanteur).

La France fit un grand pas en reconnaissant officiellement la réalité des tortures de masse pendant la guerre d’Algérie et en les condamnant.

3/ Restait à reconnaitre la réalité du massacre de Sétif et, surtout, à le condamner.

Vers 1999-2000, on commença, côté français, à en parler de manière encore non officielle.

J’en pris l’initiative le 8 mai 2001 lorsque, en l’absence de l’ambassadeur, il me revint de prendre la parole au cours de la prise d’armes, effectuée au sein de l’ambassade comme chaque année par le petit détachement militaire français qui assure la sécurité de notre mission diplomatique. Comme chaque année, les attachés militaires des pays ayant participé à la seconde guerre mondiale avec les alliés étaient invités, de même que ceux des pays ex français ayant fourni des troupes à notre armée, en particulier le marocain et le tunisien. J’ai alors estimé qu’il ne me serait pas moralement possible d’évoquer le 8 mai 1945 en faisant semblant de ne pas savoir ce qui s’était passé sur le sol du pays où j’étais en poste. J’y ai donc fait allusion, ce qui me valut les remerciements de plusieurs attachés étrangers et, officieusement, des autorités algériennes.

L’année suivante (j’avais déjà quitté l’Algérie), l’ambassadeur de France reçut, cette fois officiellement, l’instruction du président Chirac de se rendre à Sétif et de rendre hommage aux victimes des évènements.

Lors de son voyage d’Etat en Algérie en décembre 2012 (voir mon article « Hollande en Algérie : un pas en avant mais… », du 21 décembre 2012), le président Hollande est allé aussi loin que possible. Il a qualifié le système colonial français de « profondément injuste et brutal », il s’est explicitement référé aux évènements de Sétif et a dénoncé les « injustices, massacres et tortures » perpétrées par la France en Algérie.

4/ Cette période de la colonisation de l’Algérie et de la guerre de libération n’est certes pas encore totalement soldée. Personnellement, j’estime qu’il serait juste qu’un président français demande pardon au peuple algérien devant le monument des martyrs comme le chancelier Kohl le fit à Verdun au nom de l’Allemagne. Mais les Algériens ne le demandent plus. Ce n’est donc plus d’actualité.

L’actualité est marquée par bien d’autres problèmes. La montée de l’islamisme en Algérie, mais aussi chez nombre de Français issus de l’immigration algérienne, est devenue le problème numéro un.

Désormais, la charge de la preuve est inversée. La France a fait à peu près ce qu’elle avait à faire pour reconnaitre les crimes du passé (on aurait souhaité qu’elle le fasse plus tôt et plus solennellement, mais elle l’a fait). Les Algériens ont encore, eux, un bout de chemin à faire, notamment en reconnaissant les massacres des harkis. Cela permettrait, non de complètement cicatriser les plaies du passé, mais, au moins, de s’assurer qu’elles ne pourront plus jamais s’infecter.

Mais le plus important est de construire une nouvelle relation. Plusieurs hypothèques sont à lever. D’abord, celle du régime algérien, une démocratie limitée bien imparfaite (mais meilleure que la situation qui prévaut dans la péninsule arabique) où l’armée continue à jouer le premier rôle. Que sera l’après Bouteflika ? Pour le moment, c’est l’immobilisme. Celle de la coopération bilatérale, bridée par la lancinante question des visas, mais aussi les orientations divergentes et, à mon sens, contre-nature, de la France, prisonnière d’une intégration européenne qui me parait contraire à son intérêt national parce qu’elle l’éloigne de l’Afrique, et de l’Algérie, prisonnière de ses soit disant fondamentaux arabes (alors qu’elle est de tradition berbère) et musulmane (avec l’islam, religion d’Etat, ce qui est contraire à la démocratie) qui l’éloignent de la Méditerranée occidentale en la rapprochant d’un Moyen Orient qui ne peut rien lui apporter de bon.

Et puis, il y a l’hypothèque des Franco-algériens de France. Nombre d’entre eux sont bien intégrés, mais d’autres ne le sont pas parce qu’ils ne veulent pas l’être. Ceux-là vivent une sorte de paranoïa collective, une situation de schizophrénie. Ils se veulent souvent plus algériens que les Algériens alors qu’ils ne connaissent pas l’Algérie (c’est le cas à partir de le deuxième génération) et qu’ils sont critiqués par les Algériens. J’étais à Alger lorsqu’il y a eu le premier incident de la Marseillaise sifflée au Stade de France : de nombreux Algériens, scandalisés, m’ont dit que ces énergumènes étaient la « honte » de l’Algérie et lorsque je revois des amis algériens, à Alger, Marseille ou Paris, on me demande comment nous pouvons les supporter. Les Franco-algériens devraient être un pont entre les deux pays. Trop d’entre eux, prêts à excuser tous les crimes islamistes (alors que des millions d’Algériens ont lutté contre eux dans les années 1990, et ont gagné) sous prétexte que critiquer l’islam, c’est faire un amalgame, en sont devenus au contraire un obstacle.

XXX

La France a reconnu ses crimes. Elle a fait le ménage chez elle. Aux Algériens de le faire chez eux. Aux Franco-algériens de montrer qu’ils sont, en France, des Français comme les autres, et en Algérie, des Algériens comme les autres. Trop d’entre eux ne sont ni l’un ni l’autre. Ils rêvent d’une Algérie mythique arabo-musulmane qui serait une sorte de Dubaï aux dorures de pacotille. Ce « rêve », pour la plupart des Algériens d’Algérie, est un cauchemar car le wahhabisme, ils connaissent, ils l’ont combattu pendant la décennie noire. Des centaines d’Algériennes ont été tuées parce qu’elles refusaient de porter le voile, des milliers de démocrates sont tombés sous les coups des égorgeurs, le grand chanteur kabyle Lounes Matoub a été assassiné parce qu’il s’était publiquement déclaré incroyant.

Alors, quand ceux qui ont résisté outre-Méditerranée aux égorgeurs constatent que, en France, des gamins qui se revendiquent musulmans refusent d’être « Charlie » avant de rentrer chez eux avec leur mère voilée, en Algérie, c’est la stupeur et l’incompréhension. Alors, ils disent avec moi « que ceux qui rêvent de charia, aillent à Dubaï ou à Riyad » ! On demande aux autres d’être de vrais Français et de vrais Algériens.

Et qu’ils ne viennent plus nous enquiquiner avec leurs histoires d’amalgame, d’islamophobie et de dérogations vestimentaires ou alimentaires. Je ne suis que Français, alors qu’ils se prétendent Algériens, mais ils ne sont que des enfants gâtés qui profitent confortablement du système social français. Eux, ne connaissent ni la France ni l’Algérie et j’ai la prétention de leur dire que je suis plus algérien qu’eux.

Yves Barelli, 9 mais 2015

Partager cet article
Repost0
18 avril 2014 5 18 /04 /avril /2014 18:15

L’Algérie a voté. Le président Bouteflika vient d’être réélu sans surprise pour un quatrième mandat. On n’attendait rien de cette élection. Rien ne s’est passé. La vie continue…

Les Algériens ont toujours eu le sens de l’humour, même dans les moments les plus tragiques. Alors, comme eux, je vais dire que « Boutef » a été réélu « dans un fauteuil » (pour mes électeurs étrangers qui ne manient pas parfaitement le français, être élu « dans un fauteuil », signifie l’être très facilement). En effet, on l’a vu voter à la télévision…dans un fauteuil roulant. Cet homme, autrefois si actif, n’est plus que l’ombre de lui-même. Atteint il y a quelques mois, d’une attaque cardio-vasculaire qui l’a profondément diminué, il ne peut plus se déplacer, s’exprime avec difficulté et n’a plus la capacité de travailler normalement.

L’élection présidentielle qui vient de se dérouler est une mascarade. Un peu plus de 50% de votants selon les chiffres officiels. En réalité sans doute même pas 25%. Le candidat Bouteflika élu dès le premier tour, avec, officiellement, 81% des voix. On le savait avant de voter, on savait aussi que, de toute façon, comme d’habitude, les urnes seraient bourrées.

Ali Benflis, son principal « challenger », a été battu, avec seulement, selon les chiffres officiels (vraiment fantaisistes) 12% des suffrages exprimés. On s’y attendait aussi. Il s’y attendait. Il reste en réserve pour une prochaine fois. Benflis n’est pas un inconnu. Il était, lui aussi, il n’y a pas si longtemps, l’homme des militaires. Il a occupé les plus hautes fonctions dans l’Etat (premier ministre de Bouteflika) et au FLN (secrétaire général) avant de tomber en disgrâce. Peut-être les clans qui le soutiennent dans l’appareil militaire reprendront-ils un jour plus d’influence ? En fait, en Algérie, tout le monde s’en fiche. Plus ça change, plus c’est pareil et, aujourd’hui, comme ça ne change pas, c’est encore plus pareil !    

Abdelaziz Bouteflika est âgé de 81 ans. Président de la « République Algérienne Démocratique et Populaire » (c’est le nom officiel) depuis 1999, il détient le record de longévité d’un homme politique algérien, non seulement comme président, mais compte tenu de toutes les fonctions qu’il a exercées depuis l’indépendance. Dans le premier gouvernement de Ben Bella, en 1962, il était déjà ministre de la jeunesse et des sports. Il fut ensuite un ministre remarquable, et remarqué, des affaires étrangères, où il resta en poste de 1963 à 1979. Il contribua fortement à mettre la diplomatie algérienne sur le devant de la scène internationale. Lorsque j’ai débuté ma carrière diplomatique, aux Nations-Unies à New York, l’Algérie était l’acteur incontournable du Mouvement des Non Alignés, alors hégémonique à l’Assemblée Générale de l’ONU.

Et puis, dans la décennie suivante, l’Algérie subit d’abord une crise économique, due à la diminution des cours des hydrocarbures, ses uniques recettes, puis tomba dans le chaos de la guerre civile (100 000 morts) provoquée par la tentative des islamistes du FIS (« Front Islamique de salut ») d’imposer leurs élucubrations surannées à un peuple qui, majoritairement, n’en voulait pas. Le pays faillit sombrer dans ce drame, ces « années de braise » marquées par des assassinats horribles que les Algériens veulent aujourd’hui oublier.

Aucune élection n’a jamais été honnête ni transparente en Algérie. Pas davantage la victoire des islamistes sous Chadli (les clans militaires réglaient leurs compte entre eux et faire trébucher le clan au pouvoir fit partie de leurs calculs), que celles qui ont suivi, y compris le retour de Bouteflika, choisi en 1999 par les militaires pour tenter de redresser la situation.

Je me trouvais en poste diplomatique à l’ambassade de France à Alger lorsque le nouveau président prit ses fonctions et lorsqu’il organisa un référendum pour entériner sa politique de réconciliation. Il gagna certes haut la main ce référendum, avec, si mes souvenirs sont exacts, quelque chose comme 85 à 90% des voix. Ce résultat était évidemment « amélioré », mais on avait estimé à l’ambassade qu’il avait dû avoir tout de même 55 à 60% de votes réels en sa faveur. C’est probablement ce qu’il vient de recueillir à la présidentielle parmi les rares électeurs qui se sont dérangés.

La vérité est que ce président, qui, enfin, parlait vrai, suscita un immense espoir dans la population. Homme de grande culture, maniant à la perfection, tant le français que l’arabe classique, il était d’un contact agréable avec nous diplomates et avec les hommes politiques étrangers. Tous voulaient alors renouer avec lui et avec l’Algérie. Nous vîmes ainsi défiler à Alger tout ce qui compte en France, et en premier lieu à Marseille, cette cité en bleu et blanc sœur d’Alger la blanche.

Bouteflika eut le courage de briser un certain nombre de tabous, par exemple la fiction de l’arabe, langue « nationale », et du français, langue « étrangère ». Il n’hésita pas à utiliser le français comme tout le monde en Algérie. Sa formule était que cette langue était un « butin de guerre » et donc qu’elle appartenait aussi aux Algériens. Il fit même la concession aux Berbères de donner un statut semi-officiel à leur langue. On pensa alors que celui qui était au départ la  «marionnette » des militaires, commençait, tel le Pinocchio de la littérature italienne, à leur échapper et à exister par lui-même. Une sorte de régime de cohabitation entre lui et l’armée sembla s’installer.

Mais, au bout de quelques mois, cela commença à se gâter. Par choix personnel, ou imposé par l’armée, le président mena une politique centriste, un coup à droite, un coup à gauche. Beaucoup de tergiversations, des relents de wahhabisme péché à Doha où il passa plusieurs années dans sa traversée du désert (dans tous les sens du terme) mêlés de laïcité et de modernisme à l’occidentale. Et surtout, beaucoup de temps consacré aux voyages internationaux, sa passion (Dilem, le grand caricaturiste de Liberté, le croquait dans son avion, faisant parfois une rapide escale à Alger-Maison Blanche avant de repartir).

Dans la révolte de la jeunesse kabyle de 2001, il ne vit rien venir. Plus de cent morts, tirés comme des lapins par des « gendarmes » dont on se demandait d’où ils prenaient les ordres. Clans de l’armée pour mettre le président en difficulté ? Ou incompétence jointe à l’envie de « bouffer » du Kabyle ? Toujours est-il que le président apparut comme un personnage lointain déjà déconnecté des réalités et des sentiments du peuple.   

Le mécontentement était tel, pas seulement au pied du Djurjura, qu’on crut que le régime algérien allait être renversé par un « Printemps », qui n’était plus seulement kabyle. On crut que les forces démocratiques et la société civile allaient, cette fois, créer les conditions pour qu’apparaisse enfin une Algérie moderne et démocratique, débarrassée de la « mafia des containers » (cette hiérarchie militaire qui empêche toute production nationale parce qu’elle prélève son pourcentage sur les importations), de cette corruption endémique, de cette « hogra » (mépris des puissants pour les « petits ») qui déshonore le pays et de tous ces conservatismes, de toutes sortes, qui paralysent l’Algérie.

Mais rien, finalement, ne se produisit. Ce « Printemps », ne fut qu’un « Printemps noir » (nom donné aux évènements tragiques de Kabylie). Tout rentra dans l’ordre. Enfin, plutôt dans le désordre moral qui caractérise maintenant ce pays.

Certes, tout n’est pas négatif dans le système algérien. Depuis quelques années, il y a tout de même une amélioration du niveau de vie grâce à l’envolée du prix du pétrole. La protection sociale, comme le niveau de vie, sont nettement au-dessus des standards du continent africain et, en tout cas, très supérieurs au niveau du voisin rival, le Maroc. On s’est même décidé à s’intéresser un peu à la vie quotidienne des gens. La première ligne du métro est enfin achevée (après 25 ans de travaux au point mort), l’aéroport d’Alger a un nouveau terminal et on est même en passe de terminer l’autoroute Est-Ouest, d’une frontière à l’autre.

Ce pays n’est pas non plus une banale dictature militaire. L’armée algérienne, issue de la guerre de libération, a des traditions démocratiques. La presse est relativement libre et la liberté d’expression, certes avec ses limites (on peut critiquer le président, mais pas la religion), est bien plus grande que partout ailleurs sur le continent africain et dans le monde arabe. Les mœurs elles-mêmes sont à des années-lumière de l’étouffement moyenâgeux qui caractérise la plupart des pays arabes. Les femmes y sont également plus libres. 

Pourtant, il y a comme une chape de plomb en Algérie. La société semble se recroqueviller sur elle-même. L’islamisme rampant poursuit sa progression. On peut toutefois être encore laïque en Algérie et boire du vin dans les restaurants (pas tous !). Beaucoup de femmes sont voilées, mais beaucoup, aussi, ne le sont pas. Fort heureusement, l’Algérie n’est ni le Qatar, ni l’Arabie saoudite. Quels que soient les reproches qu’on peut, et doit, adresser à la hiérarchie militaire, il faut reconnaitre que l’armée algérienne a sauvé l’Algérie tant d’une dictature de mollahs et autres « fous de Dieu » que du chaos dans lequel sont tombés les pays qui ont vécu les soit disant « révolutions » arabes, en fait des contre-révolutions.

La situation de l’Algérie n’est donc pas la pire du monde arabe, loin de là. Tant bien que mal, le développement économique se poursuit (du moins, tant que le cours du pétrole est haut – on ne produit quasiment rien d’autre -), la société de consommation s’installe, l’enseignement est à un relatif bon niveau.

Pourtant, le chômage est à un niveau élevé, le parc immobilier complètement obsolète, bien des hôpitaux dans un état lamentable.

Mais, le pire est que ce pays semble culturellement mort. Il ne s’y passe plus rien. Politiquement non plus, d’ailleurs. Tout ce qui compte d’écrivains, de chanteurs, d’artistes algériens a établi ses quartiers généraux à Paris. Même la télé nationale est inexistante : les gens regardent les télévisions étrangères sur les paraboles (les chaines françaises ou celles du Golfe, selon les affinités). Une immense apathie semble s’être installée dans ce pays.

Les Algériens ne sont pas contents, mais ils ont été si échaudés, si traumatisés par la guerre civile, qu’ils ne s’expriment plus, ni pour le régime, ni contre. La frondeuse Kabylie elle-même ne bouge plus. Le « mouvement kabyle », qui avait suscité tant d’espoir en 2001, n’est plus que l’ombre de lui-même. 

Jusqu’à quand ?

Difficile à dire. Pour le moment, le régime militaire continue, avec ses aspects positifs et son caractère insupportable. Les clans de la hiérarchie n’ont sans doute pas pu se mettre d’accord sur le nom du successeur de Bouteflika. Alors, ils ont reconduit à la tête du pays un vieillard impotent sans avoir peur du ridicule. C’est dire où ils en sont arrivés !

L’Algérie mérite mieux !                               

 

                                                                  Yves Barelli, 18 avril 2014    

Partager cet article
Repost0
21 décembre 2012 5 21 /12 /décembre /2012 16:56

Le voyage d’Etat du président Hollande en Algérie, qui s’est déroulé les 19 et 20 décembre, est généralement considéré par les commentateurs comme une réussite.

Les médias et les dirigeants politiques français, y compris de l’opposition, portent le plus souvent une appréciation positive sur la visite et sur les déclarations de Hollande, notamment devant le parlement algérien, même si certains regrettent l’absence d’allusion au sort des harkis (supplétifs algériens qui avaient servi l’armée française pendant la guerre de libération ; beaucoup ont été massacrés en 1962 et ceux qui se sont réfugié en France n’ont toujours pas le droit de voyager en Algérie).

Les journaux algériens (qui ont une liberté de ton qui tranche avec le reste du monde arabe, même s’il faut savoir décrypter leurs éditoriaux), pour leur part, soulignent que l’heure n’est plus, côté algérien, à la demande d’excuses, mais plutôt à des mesures concrètes, notamment en matière de visas. Al Watan, quotidien francophone en dépit de son titre (et qui passe pour refléter les vues d’une partie de la hiérarchie militaire), remarque que les grandes envolées lyriques et les projets de pacte d’amitié du temps de Chirac, avaient buté tant sur l’absence de prolongements concrets côté français que sur la frilosité du pouvoir  algérien. Ces envolées avaient été suivies par une période de gel après la loi malheureuse sur les « bienfaits de la période coloniale » votée sous le mandat de Sarkozy par la majorité de droite.

Tous, en tout cas, saluent les mots justes qu’a su trouver le président Hollande qui a qualifié le système colonial de « profondément injuste et brutal ». Ils notent la référence aux tueries de Sétif du 8 mai 1945 et aux « injustices, massacres et tortures » perpétrées par la France. Cela avait été plus ou moins dit par ses prédécesseurs, mais Hollande, en allant un peu plus loin, a fait un pas appréciable de plus. Certains journaux algériens, souvent critiques vis-à-vis de Bouteflika, minimisent néanmoins la portée de l’évènement en notant que la visite avait aussi pour but de conforter un pouvoir algérien en bute à de nombreuses critiques de l’opinion quant à sa politique économique et sociale.

L’accueil populaire a certes été bon, ce qui a inspiré un dessin de l’excellent caricaturiste  Dilem dans le quotidien algérois Liberté sur lequel on voit Hollande disant, allusion au départ de Depardieu en Belgique, « je rends mon passeport et je m’installe ici » (j’aime beaucoup le sens de l’humour des Algériens) . En Algérie, il n’est pas nécessaire d’organiser un enthousiasme « spontané », comme dans d’autres pays, pour bien accueillir le représentant de la France. La guerre d’Algérie est loin. Les massacres de la décennie 1990 (100 000 morts) qui a vu le pays faillir tomber sous la coupe d’islamistes sanguinaires, ont considérablement relativisé le conflit de 1954-1962. Il n’y a jamais eu, en dehors de certains activistes du FLN, et, plus récemment, des islamistes les plus primitifs, de sentiment profondément anti-français. Je me souviens avoir été frappé lors de mon premier déplacement en Algérie, en 1983 (j’avais traversé le pays en voiture du Maroc en Tunisie et retour via le nord du Sahara), par la sympathie spontanée manifestée par les petites gens. Vingt ans après la seconde guerre mondiale, les ressentiments à l’encontre des Allemands étaient bien plus vifs en France. Lors de mon séjour de trois ans à Alger entre 1999 et 2001 (en tant que diplomate à l’ambassade de France), cette impression avait été largement confirmée (lire mon article sur la commémoration des assassinats de 1961 et ce que j’ai écrit sur mon voyage en Kabylie). L’Algérie a connu tant d’épreuves et de désillusions depuis l’indépendance, que, et c’est triste à dire pour le démocrate anticolonialiste que je suis, nombre d’Algériens ayant lutté pour la liberté de leur pays en viennent à regretter l’Algérie française (si on votait aujourd’hui pour un tel retour, hypothèse évidemment d’école, il y aurait probablement une majorité de oui).  Le cinquantième anniversaire de l’indépendance a été célébré plutôt dans la morosité.             

Hollande pouvait-il aller plus loin ? Je ne crois pas. Les commentateurs qui prennent du recul sur l’euphorie du moment (j’essaie d’en faire partie) parlent de « service minimum » (terme bien choisi par L’Humanité) ou d’exercice réussi d’équilibriste. L’homme de la rue algérien, qui en a vu d’autres, attend de voir ce qui restera de ce voyage une fois les tapis rouges repliés.

L’enthousiasme du passé n’est plus d’actualité. Lorsque j’étais en poste à Alger, au moment où Bouteflika suscitait d’énormes espoirs au sortir des terribles « années de braise », une forte attente s’exprimait en faveur d’un partenariat franco-algérien de grande ampleur. Des projets étaient élaborés pour renforcer l’enseignement du français (Bouteflika n’hésitait pas à utiliser la langue de l’ancien colonisateur, qu’il qualifiait de « butin de guerre », dans ses discours s’adressant à ses propres compatriotes) car l’arabisation précipitée des années 1960-70 s’était traduite par un niveau catastrophique de l’enseignement (l’arabe officiel comparé aux parlers de l’Algérie est presque ce que le latin est au français ; quant aux Berbères, ils ont toujours privilégié le français à l’arabe), une aide était sollicitée pour reconstruire une administration digne de ce nom (j’ai été de ceux qui ont contribué à mettre sur pied une coopération exemplaire entre la ville d’Alger et celle de Marseille : Gaudin, maire de Marseille, mais aussi Vauzelle, président de la région Provence, et de nombreux responsables administratifs, économiques et de la société civile de la cité phocéenne s’étaient alors rendus à Alger tandis que nombre de cadres algérois avaient traversé la mer dans l’autre sens). Un voyage d’Enrico Macias à Constantine était prévu. L’Algérie envisageait de rejoindre l’Organisation Internationale de la Francophonie, réparant l’anomalie de voir le second pays francophone du monde rester en dehors.

Tout cela a capoté au bout de quelques mois. Nous n’avons pas été capables de répondre autrement qu’en paroles aux demandes algériennes. Si deux consulats ont été rouverts (Oran et Annaba) et davantage de visas accordés, le système pervers des visas n’a pas été fondamentalement modifié. Pis, à la demande de partenariat avec la France, nous n’avons répondu que par plus d’Europe (les Algériens nous disaient : « nous ne voulons pas discuter avec des bureaucrates de l’Union européenne qui ne parlent même pas un français correct. On veut parler avec vous Français. Même quand on s’engueule, on se comprend ! ») : les visas Schengen (machine à fabriquer des islamistes tant l’attraction de la France se transforme en répulsion lorsque le visa est refusé) sont européens, les programmes de coopération MEDA, absurdes et mal adaptés, sont européens. Que reste-t-il de français ?

Côté algérien, ce ne fut pas mieux. Comme le « wali » (préfet) d’Alger en a trop fait avec Marseille, Bouteflika l’a mis sur la touche, le voyage d’Enrico Macias a été annulé sous la pression des plus virulents des antisionistes (il est vrai que, voulant venir avec 200 Juifs de France, souvent engagés aux côtés d’Israël, le chanteur a manqué de tact. C’est dommage car Macias se sent aussi profondément algérien ; il parle l’arabe local et interprète admirablement la musique du Maalouf). Peu de temps après, le « Printemps noir kabyle » de 2001 et sa répression honteuse (150 morts) ont jeté un froid sur le régime algérien. Puis, l’islamisme, à nouveau, a gagné du terrain dans la population algérienne. La « fenêtre d’opportunité » était passée. Chacun retournait à ses fondamentaux. Fin de l’enthousiasme. Bonjour le réalisme froid.

Aujourd’hui qu’en est-il ?

Beaucoup d’amis de l’Algérie en France et de la France en Algérie sont plutôt désabusés. Nos peuples s’éloignent l’un de l’autre. La distance entre Marseille et Alger n’a jamais paru aussi grande (il n’y a pourtant que 800 km entre Alger la blanche et Marseille en bleu et blanc).

Côté nord, nous sommes en pleine crise, pas seulement économique et sociale mais plus encore une crise de confiance et même d’identité. Objectivement, la France (par sa faute et choix car ce n’est pas une fatalité) n’est plus un pays vraiment souverain. Sa politique économique se fait à Bruxelles et plus encore à Berlin. Symboliquement, ce choix de mettre toujours un drapeau européen à côté du français, même lorsqu’on se trouve à Alger, résume bien la situation : nous sommes devenus une province qui n’a pas beaucoup plus d’indépendance que le Québec (et on n’a jamais demandé l’avis du peuple français pour cet abandon de souveraineté ; lorsqu’on a rejeté le traité européen en 2005, on n’a pas tenu compte de notre vote). Le projet de Sarkozy d’ « Union de la Méditerranée », qui avait quelques aspects positifs (bien qu’il eut été préférable de s’en tenir à la Méditerranée occidentale), a été retoqué par Madame Merkel et transformé en « Union pour la Méditerranée » en y incluant tous les pays de l’UE (La Finlande et l’Estonie, pays « méditerranéens » !), ce qui l’a vidé de tout sens. Schengen est un système européen et lorsque Hollande dit aux Algériens qu’on va « faciliter » la délivrance des visas, ou il est de mauvaise foi, ou il ne connait pas le dossier ou, simplement, il souhaite qu’on accélère un peu les procédures (mais il faudrait pour cela recruter des agents dans les consulats, ce qui est exclu pour des raisons budgétaires). Si on voulait améliorer les visas Schengen, il faudrait l’accord de tous nos partenaires (autant dire que le système est immuable !), ou alors revenir aux visas nationaux. J’engage François Hollande et ceux qui ne connaissent pas le système Schengen, où chaque bureaucratie européenne a ajouté sa petite (ou grande) exigence quant à la multitude de justificatifs à fournir et de formulaires à remplir, à voir ce qu’est un dossier de demande de visa : une humiliation permanente (Hollande, y a fait, un peu allusion, sans doute sur les conseils de notre ambassade) et un scandale (le petit jeune de Bab-el-Oued qui voudrait aller voir ses cousins de Marseille pour s’aérer un peu se voit le plus souvent refuser le visa pour « manque de ressources » ou « travail pas assez stable » ; les 90€ qu’il a payés ne lui sont pas remboursés, visa accordé ou non). Seuls les tricheurs (les fausses vignettes de visas sont en vente sous le manteau) peuvent passer les mailles du filet. Les autres seront sans doute sensibles à la ritournelle des « barbus » qui leur expliquent qu’il n’y a rien à attendre des « roumis ». Aucun espoir de changement. Il est vrai que l’afflux d’immigrants supplémentaires en France n’est pas populaire (voir paragraphe suivant).

Côté sud, la montée de l’islamisme est un phénomène qui interpelle (voir les divers textes que j’ai écrit là-dessus). La Tunisie elle-même, qui apparaissait pourtant le pays le plus « moderne » et « laïque » a voté majoritairement pour les partis islamistes. L’Algérie n’est pas épargnée. La société s’islamise lentement mais surement. Conséquence de la fermeture de la France ? Pas seulement. Si je suis critique sur notre politique des visas et notre manque de générosité, je le suis encore davantage vis-à-vis de l’évolution des sociétés dites « musulmanes ». Le pire est que ce repli sur une soi-disant identité (qui n’a jamais été celle du Maghreb) atteint aussi une partie de nos « compatriotes » (en ce sens qu’ils ont des papiers français) qui font passer leur appartenance ethnique et familiale et leurs « valeurs » avant celles de la République. Le problème, à cet égard, est celui de la « deuxième génération », celle qui n’a jamais connu le pays d’origine de la famille et qui se heurte à l’incompréhension tant de leurs parents (qui savent ce qu’ils ont laissé de misère et de « hogra » - mépris de ceux « d’en haut » envers ceux « d’en bas » -) de l’autre côté de la mer et ce qu’ils ont trouvé ici, que des Algériens d’Algérie. Ces derniers sont scandalisés par les sifflements de la Marseillaise au stade de France ou par ces déploiements insolents et ridicules de drapeaux algériens lors des mariages chez nous ponctués de « you-yous » hors de propos. Ils se demandent comment nous faisons pour tolérer de tels agissements. Je partage leur avis.

Il est clair que si le monde arabe continue sur cette voie de repliement et de non-futur, le fossé ne pourra que se creuser entre, d’un côté, la France et ceux qui ne veulent pas être prisonniers de l’obscurantisme, et, de l’autre, tous ceux, de part et d’autre de la Méditerranée, qui considèrent que le coran a tout réglé une fois pour toutes. Un ghetto intellectuel est en train de se creuser, entouré par un mur d’incompréhension. Les plus lucides, les plus « normaux » s’échappent de cette prison de l’esprit et veulent se réfugier en France. C’est à eux qu’on devrait accorder généreusement des visas plutôt que de favoriser les « regroupements familiaux » de femmes voilées qui refuseront de s’intégrer dans la société française (alors que, dans le même temps, certaines Algériennes préfèreraient se faire tuer sur place plutôt que de porter ce « hidjab » de la honte. Beaucoup ont d’ailleurs payé de leur vie ce refus dans les années 1990).

En attendant des jours meilleurs, faisons le peu qui est possible de faire. Encourageons pour la forme les autorités algériennes à revisiter le passé : si la France a fait beaucoup de progrès depuis dix ans (lorsque j’étais en poste à Alger, c’est à peine si on a commencé à reconnaitre les tortures de l’armée française pendant la guerre d’Algérie et j’ai été le premier à évoquer publiquement le massacre de Sétif du 8 mai 1945), l’Algérie, de son côté, a fait du surplace. Elle vit toujours sur ses mythes constitutifs ; les crimes de l’ALN, pas seulement vis-à-vis des harkis, mais aussi vis-à-vis de résistants (cf le triste épisode de la « bleuite », au cours duquel des centaines de patriotes ont été atrocement et injustement liquidés en Kabylie), ne sont toujours pas reconnus. Mais, compte tenu de l’environnement, il n’y a pas beaucoup à attendre dans ce domaine. Développons en revanche, dans la mesure de nos moyens limités, la coopération économique, technique, culturelle, universitaire et artistique. Il y a des possibilités. L’Algérie ne manque ni de cadres de valeurs, ni d’argent.

Dans ces conditions, l’heure n’est sans doute plus à la « repentance » (ce que je préconisais pourtant il y a dix ans). D’ailleurs, on ne nous le demande plus. L’heure n’est pas non plus, malheureusement, à l’allègement des visas : l’opinion française ne le comprendrait pas, alors que (il faut bien appeler un chat un chat) la plus grande partie de la délinquance en France est « maghrébine » et que des pans entiers du territoire français sont devenus des zones de non-droit (du moins, de non-droit républicain, cf ce que j’ai écrit récemment sur Marseille, cf aussi l’excellent rapport de Gilles Kepel sur les banlieues). On doit reconnaitre que le régime algérien (le marocain aussi), considéré encore il y a peu comme insuffisamment démocratique, a au moins la vertu de protéger de la dictature islamiste (vous avez vu à la télévision qu’aucune journaliste présente à la conférence de presse de Hollande à Alger n’était voilée. Dans les trois-quarts des pays arabes, cela ne serait plus possible). Alger et Rabat, en dépit de sociétés où l’atmosphère s’appesantit, sont encore des havres de liberté relative. Pour le moment, il est difficile d’en demander plus.

D’ailleurs, nous ne sommes plus très bien placés pour demander davantage. La France aurait pu avoir un grand dessein en Afrique où une attente considérable existait. Mais nôtre coopération s’est réduite comme peau de chagrin. On s’en remet désormais à l’Europe, paravent commode de nôtre démission. La francophonie n’est plus qu’un souvenir. L’Organisation Internationale de la Francophonie, élargie à des pays aussi peu francophones que le Monténégro ou le Qatar, n’a plus beaucoup de raison d’être. Il y a encore vingt ans, la France aurait répondu au Mali pour rétablir sa souveraineté sur son Nord (cf ce que j’ai écrit dans ce blog) : quelques centaines de militaires français auraient suffi. L’abcès est si bien fixé aujourd’hui que ce serait beaucoup plus difficile, la force « africaine » n’étant pas en mesure de le faire. La France a si bien démissionné en Afrique, que les Etats-Unis et la Chine nous ont déjà largement remplacés.

Un partenariat franco-africain, élargi aux autres pays latins (Italie, Espagne, Portugal), appelé de leurs vœux notamment pas nos amis algériens, aurait été possible, et, étendu à l’Amérique latine, prolongement de l’Espagne et du Portugal, cela aurait eu un sens. Cela aurait contribué à la réconciliation algéro-marocaine et cela nous aurait redonné la dimension internationale que nous avons perdue par abandon. Pas seulement pour « aider » ces peuples (ne soyons pas hypocrites, les relations internationales ne relèvent pas des bons sentiments et encore moins de la philanthropie), mais dans un intérêt mutuel bien compris.

A la place de ce grand dessein, nous n’avons qu’un dérisoire « projet » européen fait d’austérité pour les peuples et de grand marché pour les capitalistes. Y a-t-il seulement un début de consistance d’une politique « européenne » ? Hélas non. Pour une raison de base : depuis mille ans, il y a trois grandes puissances en Europe occidentale (France, Angleterre et Allemagne) qui sont en concurrence sur tout. L’union du continent ne pourrait venir que de la domination de l’un de ces trois pays, ce que les deux autres, mais aussi les pays de moindre importance, refusent légitiment. Napoléon et Hitler ont essayé. Modèles à ne pas suivre. La coopération européenne a permis, c’est vrai, de garantir la paix sur le continent. C’est beaucoup et c’est bien. Au-delà de cet acquis, nous sommes incapables d’aller plus loin. Le volontarisme a ses limites. Il les montre même s’agissant d’EADS ou d’Ariane, au sein desquels il est de plus en plus difficile de concilier les ambitions concurrentes de la France et de l’Allemagne. Ce sont pourtant les deux seuls exemples d’une coopération avec un projet industriel. Il n’y en a pas d’autres : les trois compagnies aériennes (Air France, Lufthansa et British Airways) sont membres d’alliances rivales, idem pour nos grandes entreprises automobiles, électroniques, sidérurgiques, etc, etc.

Tout cela est regrettable. La réalité est loin du rêve. Dans ces conditions, le voyage de Hollande était le moins mauvais possible.

Attendons des temps meilleurs…

                                                                                  Yves Barelli, 21 décembre 2012     

Partager cet article
Repost0

Recherche