Donald Trump, plus fin politicien que ce que nos médias, juges et parties, présentent, aime surprendre. On l’attendait sur un repli protectionniste et voilà qu’il commence à intervenir aux quatre coins du monde : en moins d’une semaine, il a fait tirer 59 missiles sur une base aérienne syrienne, une méga-bombe sur une zone djihadiste d’Afghanistan et il a donné l’ordre à un porte-avion de se positionner à proximité des eaux territoriales nord-coréennes. Cette agitation, sans aucun intérêt militaire, est purement politique ; elle est destinée à son opinion publique interne pour lui montrer qu’il est à la hauteur de sa charge et qu’il n’est pas l’otage de Moscou et au monde pour rappeler que les Etats-Unis, dont les dépenses militaires représentent à elles seules 40% du total des budgets mondiaux d’armements, peuvent frapper quand et où ils le veulent. Mais même si le président américain sait certainement jusqu’où il peut aller et jusqu’où il ne le peut pas (s’il ne le sait pas, ses conseillers le savent), son jeu en Asie est dangereux. Moscou et Pékin le lui ont déjà dit. Plutôt que de s’en prendre maladroitement au mur envisagé à la frontière mexicaine où à la suspension de visas pour des pays dangereux, légitimes car ne relevant que de la seule souveraineté américaine, les alliés européens des Etats-Unis seraient bien avisés, eux aussi, d’alerter Washington sur les risques d’une confrontation en Asie.
1/ Les missiles tirés, avec précaution, sur la Syrie (on rappelle que Washington avait eu le soin de prévenir à l’avance les membres permanents du Conseil de sécurité et, via la Russie, la Syrie, voir mon article du 7 avril : « frappes américaine sur Syrie ») étaient certes destinés avant tout à l’opinion américaine pour couper l’herbe sous le pied d’une enquête du FBI, sans doute partiale car le président n’a pas encore eu le temps de « faire le ménage » à la tête de cette institution qui lui est jusque-là hostile, visant à exhumer des soit disant « preuves » de la collusion de son équipe avec les présumées interférences russes dans la campagne présidentielle de novembre dernier. Il n’empêche que les conséquences internationales sont mauvaises car elles jettent un froid sur les relations américano-russes à un moment où, au contraire, jamais une alliance internationale contre l’islamisme (dont les actions terroristes frappent partout) n’a été aussi nécessaire.
La méga-bombe lancée sur une zone montagneuse d’Afghanistan destinée, parait-il, à frapper les djihadistes jusque dans les grottes où ils trouvent refuge, en serait presque comique si des vies humaines n’étaient pas en jeu.
Elles accréditent en tout cas la conviction (ce n’est pas nouveau) que les Etats-Unis s’arrogent le droit de faire ce qu’ils veulent sans aucune considération pour le droit international. Envoyer des bombes sur un Etat souverain sans déclaration de guerre et sans même chercher à se couvrir par une résolution, même vague, du Conseil de Sécurité, ce n’est tout de même pas rien. Même Bush s’appuyait sur des résolutions de l’ONU ! On en est revenu à la politique de la « canonnière ». On est en pleine loi de la jungle et en plein cynisme. Nos médias, auxquels les gens sensés ne font plus confiance depuis longtemps, si prompts à dénoncer l’annexion « arbitraire » de la Crimée par la Russie alors que cette terre est évidemment russe et que sa population a été consultée par plébiscite et a approuvé à plus de 90% le rattachement à la Russie, n’ont jamais aucun état d’âme à couvrir les multiples violations du droit international et tout simplement du droit des gens dès lors qu’elles viennent de leurs maitres américains. Ces médias (et nos politiciens encore au pouvoir à Paris) du « système » ont certes été désarçonnés par l’entrée à la Maison Blanche d’un « populiste » présenté comme aussi dangereux que Le Pen ou les artisans du « Brexit ». Ils avaient évidemment tous misé sur Hilary Clinton, cette grande « démocrate » et « humaniste », pourtant vendue aux intérêts des grands groupes capitalistes américains du « complexe militaro-industriel ».
Soudain, à leurs yeux, Trump redevient fréquentable. Même Hollande, Merkel et Junker ne le critiquent plus. C’est dire ! Ils risquent néanmoins d’être déçus lorsque le président mettra en œuvre la politique interne pour laquelle il a été élu : protéger l’économie et les travailleurs américains de la concurrence extérieure déloyale et en finir avec l’accueil inconsidéré de « migrants », notamment musulmans, main d’œuvre et consommateurs qui nourrissent les bénéfices des capitalistes, exercent une pression à la baisse des salaires et empoisonnent le quotidien des Américains.
2/ La nouvelle politique va-t’en-guerre de Trump, si elle était poursuivie (les optimistes peuvent espérer qu’elle n’est que passagère pour les raisons intérieures indiquées plus haut ; mais les pessimistes ont toutes les raisons de craindre que lorsqu’on s’habitue à jouer les « durs » en toute impunité, il n’y a aucune raison de s’arrêter), risquerait de déboucher sur de graves tensions internationales, voire sur la guerre.
En Europe, le danger parait limité. Je ne crois pas que Trump sera assez fou pour faire entrer l’Ukraine ou la Géorgie dans l’OTAN. Ce serait un quasi casus-belli avec la Russie.
L’envie de « régler son compte » à l’Iran est, lui, une réalité. Le président américain y est fortement encouragé par son nouveau grand ami israélien Netanyahou et par les monarchies arabes les plus proches de l’islamisme sunnite radical. Taper sur Téhéran ne pourrait que plaire au « lobby » juif américain (qui fait la pluie et le beau temps au Congrès et dans les médias) et à une bonne partie de l’opinion américaine qui n’a pas oublié l’humiliation de la prise de l’ambassade américaine de Téhéran par les hommes de main de Khomeini. Il est clair que si Trump passait à l’acte, soit directement, soit en donnant son aval à une action israélienne, les conséquences risqueraient d’en être importantes. Les Iraniens sont capables de se défendre et de mener des actions de rétorsion et, surtout, une telle action ne laisserait pas Poutine sans réagir. Attention danger !
3/ Mais cela n’est rien comparé aux menaces qui pèsent sur la paix mondiale en Asie.
La Corée du Nord est un petit pays. On peut penser ce que l’on veut de son régime, sans doute moins épouvantable que ce qu’en disent nos médias (je ne connais pas suffisamment ce pays pour avoir une opinion personnelle définitive), mais certainement loin de l’idéal. Je note au passage que, écrivant cela, je suis moi-même conditionné par la propagande ambiante : lorsqu’on parle de Poutine, de Bachar, de Chavez et, évidemment, de Kim Jong Il, il faudrait sans cesse s’excuser de ne pas condamner sans appel ces « régimes », alors que les pires dictatures assassines (comme celle de Ryad) peuvent être ménagées dès lors qu’elles sont nos « amies » !
Toujours est-il que la Corée du Nord dispose de l’arme nucléaire et cela fait toute la différence avec l’Iran (dont j’ai toujours pensé qu’il a droit lui aussi à sa « bombe », ne serait-ce que pour le protéger des menaces d’Israël qui, lui, l’a. Pourquoi l’un et pas l’autre ?).
Puisque le leader du « régime » nord-coréen est présenté comme un fou sanguinaire pire que Néron, les Américains savent, ou devraient savoir, qu’il est susceptible d’utiliser l’arme nucléaire contre un éventuel agresseur. C’est le principe de la dissuasion : même avec une seule petite bombe atomique, on peut faire très mal à celui qui en possède des milliers. Cela devrait donner à réfléchir et inciter à la prudence.
4/ Mais il y a plus que la Corée du Nord, il y a la Chine (et sans doute aussi la Russie et d’autres puissances asiatiques, notamment l’Inde).
La Chine est la seconde puissance économique mondiale, en passe de rattraper les Etats-Unis, et la première masse démographique de la planète. L’ « empire du milieu » procède par étapes dans sa montée en puissance. D’abord, l’économie et le commerce. Ensuite, la conquête des hautes technologies, notamment le spatial.
La prochaine étape sera l’expansion territoriale et l’établissement d’une zone d’hégémonie exclusive. Cela a déjà commencé par le contrôle méthodique de tous les îlots inhabités et à la souveraineté contestée de la mer de Chine et par le renforcement des liens économiques et commerciaux avec un nombre croissant de pays d’Asie, au moins avec ceux qui ne sont pas directement contrôlés par les Etats-Unis.
A terme (et cela est proche), la Chine fera comme toutes les grandes puissances l’ont toujours fait : elle ne tolérera plus de régimes hostiles à ses portes.
Les Etats-Unis n’ont jamais admis que Cuba ait un régime hostile. Ils ont essayé de l’éliminer par divers moyens, notamment, mais pas seulement, par l’embargo. Ils se décident aujourd’hui à relâcher la pression pour l’unique raison que l’île castriste a abandonné toute posture agressive à l’égard de son puissant voisin et toute prétention hégémonique en Amérique latine.
Pourquoi la Chine accepterait à ses portes ce que les Etats-Unis ont refusé aux leurs ? Poser la question est y répondre.
Il y a 40 000 GI stationnés en Corée du Sud, des bases militaires américaines dans une dizaine de pays proches de la Chine (Philippines, Japon, Thaïlande, Singapour, etc).
Je prends le pari que cela ne pourra être éternel. D’une façon ou d’une autre, c’est-à-dire pacifiquement ou par la guerre, cela changera. Il vaudrait mieux pour tout le monde, y compris pour les Etats-Unis, que cela ne soit pas par la guerre.
Viendra, de toute façon, un jour où l’Asie sera un continent de suprématie chinoise, comme l’Amérique est de suprématie des Etats-Unis. Cette suprématie chinoise sera sans doute partagée avec l’Inde, hyperpuissance encore potentielle, avec un scénario optimiste d’alliance entre Pékin, Delhi et Moscou (voir mon article du 4 juin 2016 : « Chine-Inde : coopération et rivalité ») et un pessimiste de confrontation. Je pense que, au moins dans un premier temps, la coopération sera la plus probable car toutes ces puissances sont pareillement menacées par l’hégémonie américaine mondiale.
Dans le jeu de go, populaire en Chine, mais aussi au Japon, le but d’une partie est de conquérir le territoire le plus vaste, non de tuer les pions de l’adversaire. Celui qui gagne est celui qui, à la fin du jeu, a le territoire le plus vaste, sachant que ses « prisonniers » viennent en déduction des territoires conquis. Un bon joueur de go évalue en permanence les rapports de force. Là où il est faible, il n’insiste pas et laisse l’adversaire s’établir, préférant pousser l’avantage là où il est déjà fort. Dans la nature, le processus est un peu comparable. Dans un combat entre mâles pour diriger un troupeau, la confrontation ne dure jamais très longtemps : le plus faible abandonne le terrain et il n’y a jamais de mort. Ce n’est peut-être pas « démocratique » ou « moral » mais c’est efficace et cela limite les dégâts. Si Napoléon et Hitler avaient été des joueurs de go, ils n’auraient jamais attaqué la Russie car le rapport de forces était en leur défaveur compte tenu du poids démographique russe (qui permet, cyniquement, de sacrifier beaucoup de soldats) et le « général hiver », allié des Russes. Si Fidel Castro avait, lui aussi, joué au go, il aurait certainement cherché un bon compromis avec Washington. La stratégie aux échecs est un peu différente mais, là aussi, il faut savoir sacrifier une pièce ou ne pas entamer une attaque suicidaire là on où n’est pas suffisamment fort en attendant de construite une meilleure attaque.
L’intelligence consisterait pour les Etats-Unis à rechercher un bon compromis tant avec Moscou que Pékin. « Titiller » la Russie sur ses marches ou Pékin en mer de Chine est un mauvais calcul. Mieux vaudrait accepter l’idée qu’il existe des zones d’influences « naturelles » et se résigner, à Washington, à ne pas être dominant partout et éternellement le gendarme du monde. Viendra un jour où l’Asie orientale, Japon compris, sera dans l’orbite chinoise. Les pays et les peuples de ce continent comprendront tôt ou tard que c’est dans leur intérêt et les Américains devront s’y résoudre.
Idem pour l’Ukraine et même les Pays baltes vis-à-vis de la Russie. Il serait bon aussi que les pays d’Europe occidentale et centrale se fassent à l’idée qu’un bon accord avec Moscou vaut mieux que la confrontation.
Toute autre considération, et en particulier nier les réalités, risque de mener à la guerre.
Nos médias feraient mieux de l’expliquer à leurs lecteurs, auditeurs et spectateurs plutôt que de présenter les faits à travers le prisme déformé de leur dogmatisme sectaire, de jeter systématiquement l’opprobre sur les pays qui entendent rétablir leur indépendance et assurer leur sécurité et jeter en permanence de l’huile sur le feu.
Espérons que Donald Trump fera preuve de réalisme. Qu’il s’occupe de rendre les emplois promis à ses électeurs plutôt que d’envoyer des porte-avions en mer de Chine. Ce sera plus utile.
Yves Barelli, 16 avril 2017