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3 avril 2013 3 03 /04 /avril /2013 14:38

 

Jérôme Cahuzac était, jusqu’à ce qu’il soit démis de ses fonctions par le Président Hollande il y a une semaine, ministre du budget, chargé en conséquence de la gestion des recettes et des dépenses de l’Etat, mais aussi, en charge de la lutte contre la fraude fiscale.

Jérôme Cahuzac a reconnu le 3 avril détenir depuis vingt ans un compte en Suisse (avec un solde créditeur de 600 000€), puis à Singapour, sur lequel il avait placé des gains, non déclarés au fisc, en relation avec des opérations liées à des groupes pharmaceutiques. Ces opérations de « lobbying » ou de conseils avaient été faites en tant que chirurgien, profession exercée par l’intéressé avant qu’il ne se lance en politique. Mais une circonstance aggravante était que ces contacts troubles avec ces entreprises avaient été pris lorsque Cahuzac avait exercé une fonction de conseiller au cabinet du ministre socialiste de la santé de l’époque.

Cet aveu est intervenu après que l’organe en ligne « médiapart » ait apporté en décembre dernier des éléments accréditant le soupçon de l’existence du compte, puis que la justice se soit saisie de l’affaire et, que, hier le «canard enchaîné » ait annoncé la diffusion de nouvelles preuves.

Depuis décembre, Jérôme Cahuzac avait réfuté avec constance les accusations de médiapart sur tous les plateaux de télévision. Pis, il avait affirmé solennellement devant l’Assemblée Nationale qu’il n’avait pas et n’avait jamais eu de compte à l’étranger. Il aurait réitéré ce mensonge en face à face dans les bureaux du Président de la République et du Premier Ministre.

Hier soir, le Premier Ministre a dénoncé à la télévision la « trahison » de Cahuzac.

Ce matin, François Hollande, dans une allocution d’une exceptionnelle fermeté prononcée à l’issue du conseil des ministres, a dénoncé le « manquement à la morale républicaine », « une faute impardonnable », un « outrage à la République » et a annoncé un certain nombre de mesures qui vont être rapidement prises : renforcement de l’indépendance de la justice, lutte contre les conflits d’intérêts privés-publics, publication obligatoire et contrôle du patrimoine des hommes politiques, interdiction à vie d’exercer un mandat public pour tout homme politique condamné pour corruption ou affaires financières.

Cet enchaînement d’évènements et les annonces du chef de l’Etat appellent de ma part les commentaires suivants :

1/ L’indignation de François Hollande n’est certainement pas feinte. Il avait insisté dans la campagne électorale présidentielle sur son intention d’instaurer une république « exemplaire ».

2/ Il est donc probable qu’il ait été « trahi ». On peut néanmoins s’interroger sur le fonctionnement de l’Etat au plus haut niveau. Cahuzac avait certes de grandes qualités, mais son passé, pour le moins, était trouble. Sans doute, le chef de l’Etat, qui ne manque pas de moyens d’investigation (mais qui, contrairement à une opinion courante chez les citoyens de base, ne sont pas illimités), aurait-t-il pu et dû, au moins depuis les révélations de médiapart, chercher à faire toute la lumière sur l’existence du compte (une enquête un peu plus approfondie sur les gains supposés de Cahuzac il y a vingt ans aurait pu en attester la vraisemblance).

3/ L’opposition insiste sur ce point. Mais elle manque singulièrement de crédibilité. D’abord parce que, avant d’être ministre du budget, Cahuzac avait été sous Sarkozy président de la commission des finances de l’Assemblée Nationale. Dans cette fonction concédée à l’opposition, il avait certes été choisi par les députés socialistes, mais le précédent gouvernement n’avait pas, lui non plus, cherché à faire la lumière sur le passé de Cahuzac. Ensuite, parce que l’ancienne majorité traine quelques « boulets » à ses pieds. L’ancien ministre du budget, Eric Worth, certes qui n’a pu être « coincé », n’était pas, non plus, très clair. Nicolas Sarkozy pas davantage : il vient d’être mis en examen pour « abus de faiblesse » de la milliardaire Madame Bettencourt, propriétaire de l’Oréal et femme la plus riche de France, soupçonnée de « cadeaux » occultes à Sarkozy. Certes, une mise en examen n’est pas une condamnation et la présomption d’innocence doit être retenue jusqu’à l’éventuel procès. Le même Sarkozy avait notoirement entravé le cours de la justice pendant son mandat concernant ce qui n’était encore que l’ « affaire Bettencourt ». Les cris d’Orfraie de la droite dénonçant la « naïveté » de Hollande et même sa complicité, manquent donc singulièrement de crédibilité.

4/ Dans cette affaire, la justice suisse s’est montrée très coopérative. Ce sont ses investigations qui ont convaincu Cahuzac qu’il n’avait plus d’autre solution que de passer aux aveux.

5/ L’intervention de François Hollande aujourd’hui était certes forte mais peut-être pas à la hauteur des attentes des Français : une intervention de deux minutes, c’est un peu court et choisir une déclaration enregistrée (même si elle l’a été dans les minutes qui ont précédé la prise de parole) manque de naturel.

Quant aux mesures annoncées, elles apparaissent tellement évidentes qu’on se demande pourquoi il a fallu attendre cette affaire pour les prendre. L’indépendance de la justice est déjà théorique. La réaffirmer est bien, mais pas vraiment révolutionnaire. La déclaration de patrimoine des ministres a déjà été introduite par Hollande. Annoncer des contrôles est la moindre des choses. Interdire à vie tout mandat pour les hommes politiques condamnés, cela aussi est la moindre des choses.

S’agissant maintenant de la crédibilité de la parole du chef de l’Etat, on reste sur notre faim. Certes, Hollande ne peut être accusé de complicité et son honnêteté n’est pas en cause. Mais on attendait plus. Le Président et le Premier Ministre doivent assumer les actes d’un ministre dans l’exercice de ses fonctions. Dans la vie de tous les jours, on demande des comptes à un chef, quel qu’il soit, lorsqu’un collaborateur est impliqué dans une affaire. Hollande pas coupable, mais responsable sans doute. Notamment responsable d’avoir choisi Cahuzac comme ministre. Il n’est pas question évidemment de demander la mise en examen du Président. Mais qu’il assume, oui.

6/ La France n’est pas en bonne santé aujourd’hui, et elle n’est pas la seule dans ce cas. L’individualisme et le fric sont trop puissants dans nos sociétés. On met trop en exergue la réussite individuelle. On n’est pas assez regardant sur les modalités de l’exercice du pouvoir ou de l’enrichissement. C’est le principe du « pas vu, pas pris ». On peut être une crapule, un filou. Si on est assez malin pour ne pas se faire prendre, c’est bien et cela suffit. En d’autres termes, nos sociétés souffrent d’un déficit de moralité publique et privée. N’ayant plus de projet collectif, nos sociétés sont devenues le règne du chacun pour soi, de la débrouille individuelle. On se recroqueville sur sa petite sphère privée et la tentation de l’argent vite et mal gagné est grande. Tant que la société capitaliste, c’est-à-dire la société de la suprématie du capital, donc du fric, existera, je suis très pessimiste sur les chances de changer les comportements. Même en risquant gros, trop de gens seront tentés de « faire du fric » ou d’exercer le pouvoir par tous les moyens. Moraliser la vie publique, et privée, me parait en conséquence un préalable. Il faut mettre d’autres valeurs en tête que celles qui sont encensées aujourd’hui par les médias et les publicités. Il faut drastiquement réduire les inégalités scandaleuses de revenus et plus encore de patrimoines qui font de plus en plus ressembler nos sociétés à celles de l’ancien régime (avant la Révolution de 1789 lorsque la noblesse avait des privilèges légaux).

7/ Je pratique beaucoup depuis trente ans nos hommes politiques. L’argent n’est pas, de loin, leur motivation principale. On ne fait pas de politique pour l’argent (diriger une grande entreprise est bien plus « rentable »). On la fait pas passion, par goût du pouvoir, par souci d’imprimer sa marque personnelle à la société (cela va du petit équipement dans un village aux grandes réformes à la tête de l’Etat). On ne fait donc pas de politique pour gagner de l’argent. Mais, en faisant de la politique, on a beaucoup d’occasions d’en gagner. C’est une tentation constante, même si elle n’est pas le but de l’engagement. Et je ne dis pas que la majorité des politiques succombent à la tentation. Il s’agit sans doute d’une minorité.  

Il faut donc des lois et des contrôles de patrimoines. Il faut aussi une justice indépendante et des médias libres, même et surtout lorsqu’ils dérangent (à condition aussi, de contrôler la déontologie de ces médias, pas souvent « indépendants », eux).

Trop d’hommes politiques se croient invulnérables. Soit parce qu’ils pensent être protégés, soit parce qu’ils sont convaincus de leur « bonne étoile », soit parce qu’ils pensent être plus intelligents et plus rusés que les autres, soit, tout simplement parce qu’ils ont perdu le contact avec les réalités. Toute loi tendant à renforcer les contrôles ira dans le bon sens.

8/ Changer du tout au tout la société est nécessaire. Mais je ne rêve pas. Le grand soir n’est pas encore pour demain, ni même après-demain.

On peut en revanche améliorer grandement les choses en sanctionnant le parjure. Je ne suis pas un fanatique des Etats-Unis, mais sur ce point-là, je pense qu’on devrait s’inspirer de ce qui se fait là-bas.

Il faut considérer le mensonge comme une infraction gravissime passible de sanctions lourdes. Ceci pour tout le monde. Dans le cas d’un forfait comme vient de commettre Cahuzac, la sanction devrait être maximale parce qu’il a menti sciemment devant la représentation nationale.

Je ne préconise pas ces séances publiques de repentir telles qu’on les pratiques outre-Atlantique. Je les trouve ridicules et manquant, le plus souvent, de sincérité. Je ne dis pas non plus que chacun devrait tout dire sur tout. Certaines vérités ne sont pas bonnes à dire et chacun a droit à la discrétion. Mais mentir cyniquement cela est grave. On devrait inculquer (et sanctionner) cela dès l’école maternelle.

Or, notre système juridique ne va pas dans ce sens. Une crapule peut aujourd’hui mentir quasiment en toute impunité. Seules les preuves matérielles comptent. On va condamner quelqu’un parce qu’il a commis un acte, mais qu’il ait menti ou non est peu pris en compte.

Si on introduisait enfin le mensonge comme acte susceptible d’être lourdement sanctionné, cela pourrait avoir des conséquences positives sur la vie de tous les jours. On a tous eu affaire à des exemples de bureaucratie stupide où, pour remplir un dossier, il faut produire tel papier dans les formes prévues (par exemple l’original et non la copie, un document vieux de pas plus trois mois, etc). Le fonctionnaire (ou l’administratif, car, souvent dans le privé c’est pire) est tout à fait imperméable à la notion de bonne foi, parfois évidente, de celui qui est en face. Lorsque vous vous heurtez à un tel mur, il ne sert à rien de proposer d’écrire noir sur blanc en joignant la pièce au dossier que vous affirmez sur l’honneur la vérité de vos affirmations ou que vous vous engagez à régulariser. Peine perdue : pas de papier, pas de preuve dans les formes requises, pas de réalité et surtout pas de confiance (la question n’est même pas posée).

Si le mensonge était lourdement puni, on pourrait enfin envisager de simplifier bien des démarches. On pourrait faire confiance à priori, sachant que si cette confiance est trahie, la sanction sera lourde.

Si cette affaire Cahuzac peut entraîner une réflexion pas seulement sur les hommes politiques mais aussi sur le fonctionnement, enfin moral, de nos sociétés, elle aura été utile./.

                                                                                                          Yves Barelli  , 3 avril 2013                                                       

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13 mars 2013 3 13 /03 /mars /2013 16:10

Un nouvel épisode neigeux s’est abattu sur la France le 12 mars. 40 centimètres sur la Normandie, 20 sur le Nord, la Picardie et l’Ile de France. Les trains bloqués, les bus à l’arrêt, l’autoroute A1 paralysée, plusieurs centaines de « naufragés ». Et, comme d’habitude, la polémique. Mais que fait le gouvernement ?

Les témoignages entendus à la télé sont édifiants : « une pareille situation en 2013, quel scandale ! », « Ah, pauvre France, 5 cm de neige et c’est le chaos. Au Canada ou en Allemagne, avec dix fois plus, tout fonctionne normalement ! », « Nous sommes restés coincés toute la nuit et ils ne nous ont même pas apporté de l’eau ! » (Faut-il instaurer un droit constitutionnel à recevoir café et croissants ?), etc, etc.

C’est chaque fois la même chanson. Toutes les fois que la neige s’abat sur le pays, les mêmes qui, probablement, se plaignent en permanence de payer trop d’impôts et qui pensent qu’il y a trop de fonctionnaires, râlent cette fois parce qu’il n’y a pas assez de moyens de déblaiement et qu’ « ils » nous laissent tomber. Comme d’habitude aussi, les productivistes de tous poils, surtout quand ce sont eux qui touchent des dividendes, déplorent la perte de journées de travail, alors que, c’est bien connu, la neige n’est jamais un obstacle ailleurs (pour Singapour et Rio de Janeiro, ils ont raison !).

Quant aux médias, c’est l’aubaine. Les envoyés spéciaux, couverts de neige (cette mode nous est venue depuis quelques années des Etats-Unis : il faut faire de la téléréalité : les pieds dans l’eau quand il pleut, le front en sueur quand il fait chaud, etc), constatent, sur l’autoroute, que ça ne roule plus (on pourrait, aussi bien, sortir des images d’archive. Ça coûterait moins cher : ce sont toujours les mêmes !) et, panneaux de gares à l’appui, que les trains sont en retard. Ça meuble les journaux télévisés et ça fait de l’audience (c’est vrai qu’il est utile de savoir ce qui se passe, ne serait-ce que pour dire « j’y étais » ou, au contraire, « j’ai de la chance de ne pas y être »). Ça change un peu de la mort de Chavez ou du dernier règlement de comptes à Marseille et c’est un petit entracte dans l’élection du pape (on aura quand même droit à la fumée noire de la Chapelle Sixtine).

Trêve de plaisanterie. Certains disent déjà, se tournant vers moi : « il peut gloser, s’il était coincé lui-même, il réagirait autrement » (ça m’est arrivé il y a quelques années. C’est vrai que passer la nuit dans une voiture sur une autoroute sans bouger et sans savoir quand on va repartir, c’est pas rigolo).

D’ailleurs, je ne dis pas qu’il n’y a rien à faire. Les pouvoirs publics ont des responsabilités. Mais les citoyens aussi.

Météo-France a bien fait son travail. L’alerte neige a été donnée la veille et tout le monde était censé savoir à quoi s’en tenir. Les préfets et leurs services ont pris les bonnes mesures et les cantonniers ont fait leur travail. Le Premier Ministre a présidé une cellule de crise. Rien à dire. Ils ont fait avec les moyens dont ils disposent.

Mais doit-on équiper la ville de Paris de 500 chasse-neiges pour les utiliser une à deux fois par an (et encore pas chaque année) ? Faut-il équiper Marseille en moyens identiques pour la chute de neige qui frappe la cité phocéenne une à deux fois par décennie ? Ce serait coûteux et le rapport prix-avantage serait exorbitant. Ridicule, comme le sont ceux qui protestent (et, répétons-le, qui protestent aussi, souvent, contre les impôts). Seraient-ils d’accord pour payer une nouvelle taxe locale « intempéries » ?

Quant aux journées de travail « perdues », s’il vous plait, arrêtez de dire n’importe quoi. Une journée de moins est presque toujours rattrapée par un peu plus d’intensité dans le travail les journées suivantes afin de rattraper le retard. C’est comme le sommeil : après une nuit blanche, on rattrape. Et les 11% de chômeurs que nous avons, ça représente combien de journées perdues et de manque à gagner pour l’économie ?

Question responsabilités, j’en vois surtout deux.

Je n’ai pas tous les éléments pour apporter un jugement définitif, mais j’ai l’impression que la société qui exploite l’autoroute A1 (Paris-Lille) n’est pas exempte de critiques. Elle n’aurait pas dû laisser entrer les milliers de camions qui ont bloqué les voies et empêché les chasse-neiges de passer. J’avais eu le même problème il y a quelques années dans la vallée du Rhône. En plaine, la neige, même abondante, n’est pas un obstacle rédhibitoire pour une voiture normalement conduite (l’incompétence de nombreux conducteurs est, en revanche, un problème). Par contre, au premier raidillon, le poids-lourd se met en travers et bloque tout. C’est ce que j’avais constaté du côté de Montélimar.

Les autoroutes françaises sont parmi les plus chères au monde et les sociétés distribuent des dividendes juteux à leurs actionnaires. Avec ces sociétés, l’usager est en droit d’être exigent. Elles ont largement les moyens de déneiger car elles touchent, de fait, cette taxe-intempérie que j’évoquais plus haut.

La deuxième catégorie de responsables me parait être les usagers eux-mêmes, du moins certains d’entre eux. Les préfets ont signalé de nombreux camions qui ont circulé en dépit des interdictions. La course au profit de certains patrons les poussent à faire prendre des risques à leurs chauffeurs (et à la collectivité). Certains préfèrent risquer une forte amende plutôt que d’immobiliser leurs camions. Il faudrait peut-être un peu plus sévir. Les considérations économiques ne devraient pas primer sur tout. Quant aux automobilistes ordinaires, certains, « plus forts que les autres », commencent à doubler n’importe comment dès que la circulation est plus difficile. Ils contribuent ensuite fortement au chaos.  

En temps normal, déjà, nos autoroutes sont saturées du fait de poids-lourds qui se suivent à la queue-le-leu. On comprend que, en cas, d’intempérie, la situation vire au cauchemar. C’est notamment le cas de la A1. On touche là du doigt le sous-produit de cette mondialisation imbécile qui transporte d’un bout à l’autre de la planète ce qui pourrait très bien être produit près de chez nous. Encore faudrait-il décourager ces transports écologiquement néfastes et économiquement inutiles. Ce n’est, hélas, la tendance ni de l’UE, ni de l’OMC.  

Et les citoyens ? Sans vouloir me citer en exemple, je note que j’ai toujours dans ma voiture, même lorsque je ne sors pas de Paris, au moins une couverture (même en été, ce peut être utile, par exemple pour arrêter un début d’incendie) et une bouteille d’eau. Lorsque je sors de Paris, en voiture comme en train, j’ai, en outre, au moins un sandwich en réserve.

Je suis frappé de l’inconscience de nombreux automobilistes, y compris voyageant avec des jeunes enfants, qui ne prennent rigoureusement aucune précaution. Se comportant comme des montons, ils attendent simplement qu’on s’occupe de tout à leur place. J’entendais ce matin à la radio que les Anglais sont, à cet égard, davantage responsabilisés que les Français. Quand on prend la route avec un risque de neige, il faut assumer.

Ces inconscients sont évidemment fautifs. Mais les pouvoirs publics aussi, d’une certaine façon. Il faudrait faire beaucoup plus de prévention (d’une façon générale, sur la route, on ne raisonne que par sanctions : parce qu’on n’a pas le gilet fluorescent réglementaire, parce qu’on est en excès de vitesse, etc). En France l’information et la prévention sont déficientes. Les seuls « spots » de la prévention routière tendent davantage à culpabiliser l’automobiliste (en montrant, par exemple, les conséquences affreuses d’un accident) qu’à l’éduquer. C'est dommage. Inciter à rouler toujours plus lentement, ça ne suffit pas. 

Je propose que toute publicité à la télévision pour des produits liés à la route (en particulier ces pubs incessantes pour faire acheter des voitures) soit assortie d’une taxe (représentant, mettons, 10% du prix payé) afin de diffuser, sur les mêmes antennes et aux mêmes heures, une véritable information de l’automobiliste. Par exemple, la conduite sur neige ne s’improvise pas. Il y a quelques petits « trucs » que les automobilistes de pays plus froids connaissent et que ne connait pas forcément le Parisien moyen. La télévision et internet seraient un moyen adéquat de l’éduquer.

Un mot, enfin, sur notre pays, « au-dessous de tout » dès le premier flocon. Ceux qui le disent n’ont, ça se voit, jamais vécu à l’étranger. En Allemagne, les autoroutes sont dégagées, mais plusieurs heures seulement après la fin d’une forte chute de neige. Simplement, parce qu’il n’y a pas de miracle. La neige peut s’accumuler très vite et, à moins d’avoir un chasse-neige par kilomètre, on n‘a tout simplement pas le temps de déblayer au fur et à mesure. Hier, l’aéroport de Francfort, a été fermé. En Allemagne, pas plus qu’ailleurs, il n’y a de miracle. Sans doute, une meilleure discipline des usagers permet-elle d’atténuer les inconvénients mais elle ne les supprime pas.

J’ai vécu aux Etats-Unis : New-York, et même Washington, sont régulièrement paralysés par la neige. Même au Canada, où les citoyens acceptent de payer de lourds impôts pour financer un matériel, qui, lui, sert souvent, il arrive que routes et aéroports soient bloqués.

Je crois qu’il faudrait enfin revenir à une idée simple : la nature est la nature. On peut atténuer ses effets, on peut minimiser par la prévention et l’information, les pertes en vies humaines. Mais, on ne peut s’en affranchir. Les constructeurs en zone d’avalanche ou inondables l’ont appris à leurs dépens (ou, plutôt, aux dépens  de ceux qui y habitent).

Alors, respectons la nature et ses contraintes. Une chute de neige devrait être un moment festif pour les enfants (et pour les adultes) et ne pas être considérée comme une catastrophe nationale, « faisant perdre un jour de travail » et entravant notre « compétitivité ». Profitons des paysages, sortons les luges et faisons des concours du plus beau bonhomme de neige. Dans un siècle, lorsque le réchauffement climatique aura fait son effet, nos descendants regretteront cet heureux temps.

Je propose que toute alerte neige soit aussi l’occasion pour les pouvoirs publics de demander aux usagers des routes comme des transports en commun (hier, la SNCF aurait peut-être pu mieux faire, notamment en information, mais là non plus, il ne peut pas y avoir de miracle) de s’abstenir de sortir sauf nécessité absolue. Si l'incitation est insuffisante, la loi pourra s'en charger. Des entreprises et des écoles fermées trois à quatre jours par an, ce n’est pas la fin du monde. Laissons, ces jours-là, la chaussée aux services de secours du SAMU et des pompiers, aux services de voirie et aux seuls travailleurs des services publics (à titre d’exemple, les retards d’avions à Roissy sont davantage dus à l’impossibilité pour les personnels au sol de rejoindre l’aéroport, du fait des embouteillages exceptionnels, qu’aux problèmes techniques sur les avions du fait de la neige).

Et pour les autres, ces jours de congés supplémentaires seront l’occasion de dormir, de se retrouver en famille ou…, comme moi, d’écrire sur son blog. Les RTT, ça existe. Quant au dégagement de la neige, ceux qui pestent contre l’ « absence lamentable de service public, alors qu’on paye des impôts », feraient mieux de prendre une pelle et de dégager chaussées et trottoirs (obligatoire pour les riverains, mais combien le font ?) devant chez eux, plutôt que d’attendre qu’on fasse tout à leur place !

Bonnes vacances de neige…chez vous à Paris (et ailleurs) !

                                                                                  Yves Barelli, 13 mars 2013                                                        

 

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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 16:50

La question du mariage pour tous, c’est-à-dire y compris pour les couples homosexuels, est la grande affaire du moment en France. Dans ce pays miné par la crise économique, le chômage, la précarité, la croissance nulle, les délocalisations, dans ce pays où des milliers de sans-abris dorment dans les rues, où des millions de personnes n’arrivent plus à boucler les fins de mois, où de plus en plus de gens ne se font plus soigner parce qu’ils n’en ont plus les moyens, dans ce pays où explosent la délinquance, la violence et les communautarismes agressifs, dans ce pays où quelques nantis riches à millions ont le droit de résider en Belgique ou en Suisse pour y payer moins d’impôts tout en gagnant de l’argent en France et en bénéficiant de tous les autres avantages d’être Français (y compris, bientôt, le droit de se marier s’ils sont homos), la grande question, celle qui agite les politiques et les éditorialistes, qui divise les Français et qui fait descendre des cortèges opposés dans les rues, c’est donc le droit des homosexuels à passer devant Monsieur le Maire et à avoir des enfants par procréation assistée.

On croit rêver !

Qu’on me comprenne bien : je n’ai absolument rien contre l’homosexualité. C’est le droit de chacun de vivre comme il l’entend et d’avoir la vie sexuelle qui lui convient. J’irai même plus loin. Je n’ai rien contre la vie en communauté échangiste, la polygamie, la polyandrie et toute autre forme de vie solitaire, en couple ou partagée dans la mesure où ceux qui, conjointement, choisissent quelque mode de vie que ce soit, le font en toute liberté et connaissance de cause et sans contrainte.

De ce point de vue, la France est l’un des pays les plus libres de la terre. On peut vivre en concubinage sans aucun problème, cohabiter avec qui on veut et même changer de partenaire(s) tous les soirs. Cela est même vrai pour ceux qui ont une fonction officielle. On peut être préfet, ambassadeur et même président de la république sans être obligé de s’afficher avec une épouse ou un époux dument estampillé par la République. J’apprécie beaucoup que François Hollande ne soit pas marié et je me suis senti fier d’être Français, ressortissant de la patrie des droits de l’homme (même si, hélas, dans les domaines non conjugaux, la pratique n’est pas toujours en conformité avec les principes affichés) lorsque l’épouse « légitime » et la compagne non officielle (je n’emploie jamais ce mot infamant de « maitresse ») de François Mitterrand l’accompagnèrent de concert vers sa dernière demeure. Une telle liberté est impensable dans la plupart des pays, y compris ceux, tels les Etats-Unis (complètement paranoïaques dès qu’il s’agit de sexe), qui se prétendent des démocraties. J’ai eu des amis diplomates européens qui ont été contraints de se marier pour régulariser une relation, sans quoi, ils n’avaient aucune chance (leur ministère le leur avait clairement dit) de devenir ambassadeur. Ce n’est, heureusement, pas le cas chez nous.

En France, depuis de nombreuses années, on ne fait plus la différence entre les enfants nés dans le mariage et ceux en dehors (le sale mot d’ « enfant naturel » est heureusement banni de notre vocabulaire !). Ils ont exactement les mêmes droits et, dans les établissements scolaires, on ne se préoccupe pas du statut matrimonial des parents. Ils exercent chacun l’autorité parentale, mariés ou non, pacsés ou non, simplement concubins, ou vivant chacun de son côté, seul ou accompagné.

Le PACS (pacte civil de solidarité) a constitué dans notre pays une avancée remarquable. Il établit un lien officiel entre deux personnes, de sexes différents ou de même sexe. Il apporte un peu plus de sécurité et de stabilité dans la relation par rapport aux concubins. Il est très souple, aussi facile à établir qu’à rompre. Il n’est pas vraiment nécessaire, le concubinage étant de fait reconnu, mais, pour ceux qui veulent avoir un « papier » sans passer par le mariage, plus compliqué à célébrer et surtout bien plus compliqué à rompre, cela apporte une certaine satisfaction dont ils se sentiraient autrement frustrés.

Sans doute y a-t-il encore quelques améliorations à apporter à la législation française (notamment en ce qui concerne la fiscalité ou l’acquisition de nationalité, qui avantagent encore indument les couples mariés par rapport aux autres), mais telle qu’elle est, la situation dans l’hexagone est, globalement, bien meilleure que dans la plupart des pays du monde, y compris européens, du moins tant qu’il s’agit de former des unions, officielles ou officieuses. Pour ce qui est des ruptures de ces unions, c’est un autre problème. J’en parlerai un peu plus loin.

Alors pourquoi ce grand tralala actuel sur le « mariage pour tous » et surtout ces affrontements auxquels il donne lieu ?

La France a de grandes qualités. Je l’ai écrit plus haut. Elle a aussi quelques défauts. L’incapacité presque congénitale à trouver des compromis est hélas l’une de ses plus grandes tares. On semble se complaire dans ce pays dans les affrontements : on s’invective, on jette en face de l’autre ses arguments définitifs en refusant de même écouter la différence et on conclue selon les rapports de forces. Il doit y avoir, par principe, un vainqueur rayonnant et un vaincu humilié. Comme nous sommes devenus « civilisés », on ne s’affronte plus beaucoup dans la rue à coup de poings ou de barres de fer (cela arrive encore, mais ce n’est pas le plus fréquent). On a trouvé mieux : le suffrage universel, complété par les sondages d’opinions. A 51%, on a raison. Cela donne le droit d’imposer son point de vue aux 49% qui n’ont droit à rien, si ce n’est de se taire jusqu’au prochain scrutin avec l’espoir de franchir la fatidique barre des 50%.

Je trouve cela navrant. Je ne dis pas que la confrontation doit être évitée à tout prix. Un mauvais compromis est souvent pire que l’affrontement car il ne fait que reculer l’échéance. Un gouvernement doit en certaines circonstances prendre ses responsabilités et imposer sa solution lorsque celle-ci est indispensable à la cohérence de l’ensemble de sa politique.

Mais, en l’occurrence, ce n’est pas le cas. Il n’y a aucun impératif autre qu’idéologique à passer en force pour imposer ce « mariage pour tous » vis-à-vis duquel une partie de l’opinion est réservée. Les couples homosexuels peuvent déjà vivre ensemble, avec ou sans PACS. Le mariage ne leur apportera rien de fondamental de plus. Quant aux opposants pour motifs religieux, qu’ils laissent vivre les gens comme ils l’entendent ! Il s’agit là du mariage civil. Libre à eux de continuer à honorer le mariage religieux dont nul (ou très peu) ne demande l’élargissement aux personnes de même sexe.

Nous sommes en fait en présence de deux dogmatismes qui se font face.

D’un côté, celui des associations les plus militantes d’homosexuels, soutenues par quelques jusqu’au boutistes d’une laïcité mal comprise et d’un ultra-gauchisme qui se cantonne hélas à ce type de question (je préfèrerais les voir se battre contre les communautarismes et en faveur d’une société réellement socialiste débarrassée de l’exploitation capitaliste). Je suis surpris de constater que des homosexuels, qui ont le courage d’assumer leur différence (et il en faut !), donc qui, à première vue ne devraient pas être les béni-oui-oui des « valeurs » bourgeoises, revendiquent par un conformisme aberrant ce droit au « mariage pour tous », se coulant complaisamment dans ce moule qu’ils devraient au contraire combattre. Ils ont été victimes de l’intolérance de la bienpensance et ils veulent, comme les autres, se passer la bague au doigt, se déguiser en tenue blanche de marié et consommer la pièce-montée exactement comme le font tous les petits-bourgeois de la terre ! Moi, j’y vois une contradiction.

Dans le camp d’en face, on trouve les mêmes nostalgiques d’une France chrétienne intégriste (qui marchent en l’occurrence la main dans la main avec les islamistes intégristes) pour lesquels, le mariage est une institution si sacrée qu’elle ne saurait être polluée par la présence de « gays », ces êtres marginaux, asociaux et blasphémateurs, passibles de la peine de mort en Arabie saoudite, qu’on veut bien tolérer en France, mais à condition qu’ils se cachent et surtout qu’ils n’aient pas droit au maria     ge. Je respecte ces convictions, dans la mesure où ceux qui les ont respectent ceux qui n’ont pas les mêmes convictions qu’eux.

En France, pays laïque, la religion est du domaine de la vie privée. Le seul mariage officiel est le mariage civil. Ceux qui, en outre, veulent un mariage religieux, sont libres de le faire. Dans le projet gouvernemental, le « mariage pour tous » concerne le mariage civil. Point. La question du mariage religieux est l’affaire des pratiquants des religions. Nul ne demande de modifier celui-ci. Eux continueront à se marier exactement comme avant, devant Monsieur le Maire et, s’ils le souhaitent, devant Monsieur le Curé. En quoi, se sentent-ils lésés si le mariage civil est ouvert aussi aux homosexuels ? Cela ne devrait pas les regarder.

Le plus scandaleux est la prétention de l’Eglise catholique de France de se saisir de la question. Une fois de plus cette vénérable institution veut mener un combat d’arrière-garde après avoir perdu tous les autres : celui du divorce, celui de la contraception et celui de l’avortement. C’est parfaitement le droit (et peut-être même le devoir) de l’Eglise de France de rappeler sa doctrine et de l’imposer à ceux qui se proclament catholiques. Elle est dans son rôle et cela ne me choque pas. En revanche, elle prend une initiative dangereuse en voulant utiliser les écoles privées catholiques pour faire passer sa propagande. D’abord parce qu’il est un peu ridicule de parler à des adolescents de questions qui ne sont pas de leur âge. Ensuite et surtout, parce que l’enseignement privé catholique est sous contrat avec l’Etat dont il constitue une partie du service public d’éducation. L’école privée scolarise une partie des élèves avec les mêmes programmes que le public et avec des enseignants qui sont rémunérés par l’Etat, c’est-à-dire avec les impôts des Français, dont la majorité a voté pour les députés qui s’apprêtent à adopter la loi sur le mariage pour tous. La liberté d’expression dans le cadre d’un service public a une limite, celle du respect de la majorité et celle du respect de la loi. Toute tentative de l’Eglise de peser sur le débat par l’intermédiaire des écoles catholiques ne saurait en conséquence être admise.

Les manœuvres de l’Eglise sur cette question sont dangereuses en ce sens qu’elles risquent de réveiller la querelle scolaire, jamais totalement éteinte dans notre pays. Je fais partie des Français qui n’ont jamais intellectuellement accepté le recul du gouvernement socialiste en 1983 qui dut renoncer à son projet de nationalisation de l’enseignement privé à la suite des manifestations organisées par la hiérarchie catholique dans un contexte de faiblesse du gouvernement du fait de la situation économique de l’époque.

L’existence même, aujourd’hui, d’un enseignement privé presque totalement subventionné par l’Etat constitue à mes yeux un scandale. Et je ne suis pas le seul, de loin, à avoir cette conviction. Alors que nous vivons un contexte de pénurie budgétaire, l’enseignement catholique reçoit des sommes considérables du budget de l’Etat (la totalité de la masse salariale des professeurs). Or, cet enseignement scolarise principalement (pas seulement, mais, pour l’essentiel, statistiquement, c’est le cas) des enfants de classes sociales aisées ou moyennes qui mettent leur progéniture dans ces écoles, non par conviction religieuse (seulement une minorité) mais parce que ces enfants sont assurés de ne pas être mélangés aux enfants des quartiers « difficiles » (euphémisme pour parler des zones à majorité ethnique maghrébine ou africaine), de sorte que nombre d’écoles publiques de ces zones se retrouvent avec les enfants les plus difficiles (souvent les plus violents aussi), les enfants « normaux » étant parfois contraints de quitter ces établissements et de se « réfugier » dans le privé où ils rejoignent les plus avisés, qui les avaient précédé.

Utiliser l’enseignement catholique pour tenter de s’opposer au mariage pour tous, c’est prendre le risque de susciter une réaction en retour pour exiger la nationalisation de l’enseignement privé. Je ne serai pas le dernier dans ce mouvement.

Et puisqu’on parle de mariage, pourquoi ne pas parler de son corolaire, le divorce ?

On divorce en France et dans la plupart des pays européens plus facilement qu’autrefois. Le droit a évolué. La jurisprudence aussi. L’adultère ou l’abandon de domicile conjugal ne sont plus considérés, le plus souvent (la jurisprudence peut varier d’un tribunal à l’autre) comme des « fautes » susceptibles de divorce au tort de l’un des conjoints. Si un conjoint demande le divorce, l’autre, en pratique, ne peut s’y opposer. C’est déjà ça de gagné.  

Toutefois, la procédure du divorce demeure lourde et coûteuse. Il est aberrant qu’on se marie par un acte effectué en mairie et qu’on divorce par un jugement de tribunal. Si le premier se fait simplement, le second est compliqué. Il y a procès avec défense par avocats, jugement par un juge. Cela est souvent traumatisant, même en cas de consentement mutuel. Les intéressés ont l’impression d’être jugés comme des délinquants.

Cela me parait être une atteinte grave à la liberté individuelle. On se marie parce que deux personnes ont envie de le faire. Par contre, si ces deux personnes n’ont plus envie de vivre ensemble (en France, plus de la moitié des mariages se terminent par un divorce), elles ne sont pas libres de le faire. Scorie d’un autre temps, il faut un premier jugement qui « autorise » les époux à ne plus cohabiter (même s’il y a longtemps qu’ils ne sont plus ensemble et qu’ils vivent déjà avec un autre ; nous sommes en pleine hypocrisie), puis un deuxième qui fixe toutes les modalités de la rupture.

Ce dernier aspect est le plus scandaleux. Si par malheur, l’un des deux conjoints est tombé sur un(e) calculateur (trice) cynique, s’il est seul à travailler ou si ses revenus sont nettement supérieurs à ceux de l’autre (est-ce une faute de travailler plus ou d’avoir fait des études plus longues ?), il sera contraint de verser une pension ou un capital au conjoint afin de permettre à celui-ci de garder le même train de vie. Notons au passage que cela concerne les revenus du travail, les propriétés héritées n’étant pas supposées appartenir à la « communauté ». Là comme ailleurs, le capital est toujours mieux protégé que le travail. La presse se fait parfois l’écho de situations scandaleuses où l’un des conjoints (le plus souvent le mari (on aimerait entendre les remarques des « féministes » sur cette question) doit continuer à verser une rente à vie alors qu’il a perdu son emploi et qu’il ne peut plus payer. S’il décède, cette rente passe même aux héritiers ! En l’occurrence, la jurisprudence insensée est que la femme (il s’agit le plus souvent d’elle), sous prétexte qu’elle a fait un « beau mariage » (comme on dit chez les bourgeois) en épousant un « riche », ou simplement quelqu’un qui travaille beaucoup, a droit toute sa vie au même train de vie qu’elle avait du temps de son mariage. Exemple : elle épouse un artiste connu, un joueur de tennis, un écrivain à succès, etc, et quand elle divorce, elle a toujours droit au même niveau de vie. Mais quel mérite a-t-elle ? Pourquoi cette injustice ?

Je crois qu’un débat de société devrait avoir lieu sur la question du divorce, ses aberrations et ses injustices. Cela me paraitrait bien plus urgent que de permettre aux homosexuels de se marier, alors qu’ils peuvent tout à fait vivre leur différence sans mariage. En attendant que ce débat ait lieu, on ne saurait trop conseiller aux jeunes, homos ou hétéro) de ne pas se marier, ou, s’ils le souhaitent vraiment, de le faire avec un contrat de mariage qui précise que les gains de chacun restent sa propriété (sans ce contrat, toute somme gagnée par l’un est forcément réputée propriété des deux ; cela concerne notamment les biens immobiliers, même si un seul conjoint a des revenus). Malheureusement, les plus idéalistes d’entre eux refusent ce contrat, sous prétexte qu’ils « aiment » leur partenaire. Lorsqu’ils s’aperçoivent de cette erreur de jeunesse, il est souvent trop tard et leur honnêteté n’est pas récompensée car ils sont contraints de payer à l’infini au profit d’un partenaire dont ils découvrent un peu plus tard la malhonnêteté.   

Personnellement, je suis devenu définitivement hostile à la notion même de mariage. J’estime que la vie en couple (ou à plusieurs) est un choix personnel qui ne regarde pas la société. A cet égard, le fait que les épouses ne soient plus obligées de prendre le nom du mari, est déjà un progrès, certes insuffisant. Idem pour le fait que désormais il n’y a que des « madame » et plus de « mademoiselle » : on n’a pas à savoir si une femme est mariée ou non. Cela ne devrait regarder qu’elle (que les ultra-traditionnalistes se rassurent : dans un pays aussi catholique et conservateur que la Pologne, il y a déjà très longtemps que le vocabulaire local a oublié le mot « mademoiselle »). On devrait aller plus loin et éviter, désormais, dans les formulaires officiels de poser la question du statut matrimonial. Cela devrait être aussi confidentiel que la religion, l’opinion politique ou l’orientation sexuelle. Cela n’empêcherait pas de défendre les enfants. C’est déjà prévu : l’autorité parentale est indépendante du statut matrimonial.

Voilà quelques pistes de débats utiles. Débats si possible sans préjugés religieux ou partisans. Le monde a évolué. Autrefois, le mariage était un contrat, dans des sociétés où l’Etat ne protégeait pas, entre un homme qui assurait la protection de la femme et le revenu en échange de la disponibilité de la femme pour les tâches ménagères et pour les enfants. Accessoirement (ou principalement), le mariage était un pacte entre deux familles. Ces temps sont révolus. Désormais, deux personnes, le plus souvent matériellement indépendantes, décident de vivre ensemble…jusqu’au jour où elles décident de se séparer.

Il faut repenser tant le mariage que le divorce en conformité avec l’évolution de la société. Le faire, c’est en finir avec des archaïsmes hors du temps, c’est en finir aussi avec les injustices. C’est, finalement, garantir la liberté des individus.

C’est beaucoup plus important qu’un mariage suranné « pour tous » !

                                                                                  Yves Barelli, 6 janvier 2012                                                                

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8 décembre 2012 6 08 /12 /décembre /2012 17:13

Oscar Niemeyer vient de mourir à l’âge de 104 ans. Avec lui disparait l’un des plus grands architectes de tous les temps. Avec lui se referme aussi un long chapitre de l’histoire du Brésil, de l’histoire du monde que ce grand internationaliste révolutionnaire et romantique a vécu et a, à maints égards, contribué à façonner.

Oscar Niemeyer est né à Rio de Janeiro, cité mythique construite dans l’un des plus beaux sites du monde. Il appartenait à une famille bourgeoise très catholique et au teint clair, d’ascendance européenne comme la majorité de ses compatriotes. Il aurait pu rester dans ce monde confortable, bien-pensant, conformiste, sûr de ses valeurs et insensible à la misère des favelas qui dominent la baie de Rio, à portée de regard du luxe de Copacabana.

Niemeyer a eu le mérite de s’échapper de ce ghetto intellectuel et matériel de riches. Il n’a pas accepté le fossé d’inégalités qui caractérise encore son pays et qui le caractérisait bien plus encore en son temps. Il s’est insurgé contre l’hypocrisie de ses proches. Il a refusé de considérer la misère et l’injustice comme des fatalités.

Niemeyer a voulu changer le monde, faire de son pays un laboratoire pour édifier une société meilleure, changer les esprits…et pour commencer changer l’architecture.

Niemeyer était un réaliste. Il était en même temps optimiste. Il a voulu faire de sa vie un rêve, et de son rêve une réalité, pour lui, pour ses compatriotes, pour la terre entière.

Son optimisme, c’est dans la beauté qu’il le puisait. La beauté de la nature, la beauté de sa ville, la beauté des femmes. Son génie a été de matérialiser cette beauté par la « ligne sensuelle », par l’usage de la courbe dans le dessin, dans la sculpture et dans l’architecture. Cette courbe sensuelle, il l’a trouvée dans l’arrondi de la baie de Copacabana, le va et vient des vagues qui s’étalent sur la grève, le galbe du corps d’une femme allongée sur la plage, la ligne du Pain de Sucre ou la forme des nuages éclairés par le coucher de soleil tropical sur l’océan.

Cette magie de la courbe et de l’arabesque, Niemeyer l’a utilisée dans ses œuvres architecturales. Il en a fait plus de 600 dans sa longue vie. On retrouve l’utilisation de la ligne courbe dans presque toutes.

L’une des plus connues est la cathédrale de Brasilia, structure en forme de cercle à la base dont le sommet semble s’envoler vers le ciel en une hyperbole infinie. D’autres courbes, plus régulières, ou au contraire asymétriques ou renversées sont visibles sur d’autres monuments, tels le parlement de Brasilia avec ses deux soucoupes inversées, le magnifique ministère des affaires étrangères du Brésil avec ses arcades se reflétant dans un bassin, ou le dôme de l’assemblée générale du siège de l’ONU à New-York, ou, dans le même style, celui du siège du parti communiste français Place du Colonel Fabien à Paris. Dans presque tous les cas, ces courbes sont mises en valeur en les juxtaposant à des structures plus classiques, comme l’immeuble de 38 étages du secrétariat des Nations-Unis, qui fait corps avec le dôme mentionné plus haut, les deux structures se mettant mutuellement en valeur.

Niemeyer s’est donné à fond dans la participation à la construction de Brasilia, dont la cathédrale, le parlement et l’Itamaraty sont les monuments les plus emblématiques, mais qui sont loin d’être les seuls.

Brasilia a été l’un des chantiers les plus ambitieux et les plus gigantesques du 20ème siècle. Le Brésil, géant encore potentiel, voulait se doter d’une nouvelle capitale, plus centrale, à l’écart du littoral, en retrait du Brésil européen, en perspective avec cette Nation américaine des grands espaces et des grands desseins que la génération de l’après-seconde guerre mondiale voulait édifier. On était encore à une époque où le rêve avait sa place, où on voulait changer le monde, une époque où même un pays encore largement sous-développé pouvait vouloir changer son destin, une époque où l’on n’était pas prisonnier, comme le sont devenus les Européens, de règles budgétaires annihilant toute volonté d’entreprendre.  

Ce pays pauvre eut le courage de ses projeter dans un avenir meilleur et plus grandiose. Il décida de construire de toutes pièces une capitale au milieu de nulle part, sur un plateau pelé, à des jours de pistes de la « civilisation ». Niemeyer participa avec enthousiasme à l’aventure. Lui qui voulait changer la vie et les rapports sociaux, se mêla aux ouvriers pour vivre pendant trois ans dans des conditions matérielles difficiles ce chantier du siècle.

Pour quel résultat ? Brasilia a été présentée au moment de son inauguration en 1960 comme la cité de l’avenir, la ville du 21ème siècle. J’ai visité récemment Brasilia. Je dois dire que la ville a mal vieilli. Le béton, trop hâtivement construit, s’est détérioré. Beaucoup de bâtiments doivent être restaurés, voire reconstruits. Cette ville est déjà une ville du passé, celle du tout-automobile (y marcher et y traverser une avenue relève de l’aventure et de l’horreur). Les magnifiques œuvres architecturales de Niemeyer et des autres semblent perdues au milieu d’espaces démesurés (la cathédrale de Niemeyer, pourtant pas petite, parait minuscule, au bord d’une avenue trop large). Les architectes n’y sont pour rien, la faute est à l’urbanisme : les perspectives débouchent sur des monuments trop bas (y compris le parlement malgré ses tours) pour être mis en valeur et les immeubles semblent avoir été posés à terre sans véritable plan d’ensemble. Il fallait en fait construire très vite pour terminer avant la fin du mandat de son inspirateur, le président Kubitschek : on a sacrifié l’avenir au présent, ce qui est un comble pour une ville du futur ! On voulait construire une nouvelle société, mais bien vite les inégalités se sont reconstituées et des favelas ont entouré Brasilia. La ville, aujourd’hui, a grandi trop vite. Construite pour un demi-million d’habitants, elle en abrite six fois plus.

Oscar Niemeyer reconnaitra plus tard que la vision qu’il avait eue de Brasilia ne s’était pas concrétisée. Le romantisme avait laissé place aux réalités. Le rêve allait tourner au cauchemar quatre ans après l’édification de Brasilia lorsque les militaires prirent le pouvoir par un putsch. Le Brésil allait vivre pendant 20 ans sous la botte de l’une des pires dictatures sanguinaires de l’histoire de l’Amérique latine, qui pourtant en compta beaucoup.

Niemeyer lutta comme il put contre la face hideuse du fascisme. Il dut se résoudre à se réfugier à l’étranger. C’est la fierté de la France de l’avoir accueilli, en un temps où, sans doute, on était moins frileux pour exprimer une solidarité active aux victimes de l’injustice. Le général de Gaulle, qui pourtant n’était pas un homme de gauche, accueillit ce communiste militant, ami d’André Malraux. Niemeyer obtint l’autorisation exceptionnelle de travailler en France. Il le fit d’abord pour le Parti Communiste qui l’avait aidé dans son exil. Il le remercia en construisant son nouveau siège et en édifiant la maison de la culture du Havre, à municipalité communiste. Niemeyer fit quelques autres œuvres chez nous. Par elles, Niemeyer est un peu français aussi. Il est en fait universel. Voici la véritable « mondialisation » : celle de la culture et de l’esprit, pas celle des marchés financiers et des capitalistes.

Niemeyer a concrétisé, et c’est le miracle de l’architecture que de laisser une trace dans la pierre, un monde, une idée, un espoir. Celui de faire une société plus juste et plus solidaire.

Aujourd’hui, le Brésil est une grande démocratie et ce pays sera très vite une très grande puissance économique, mais aussi intellectuelle (car l’homme ne vit pas seulement de pain). Il y a encore trop de pauvres, mais moins qu’avant. Son socialisme est moins romantique que celui de Chavez. Tout n’est pas parfait, loin de là : pauvreté, violence, corruption, massacre de la nature font partie du tableau quotidien. Mais les Brésiliens sont optimistes. Ils ont quelques raisons de l’être quand on connait le chemin qu’ils ont parcouru depuis 1960, depuis l’inauguration de cette capitale qui devait changer la vie mais qui n’y parvint pas complètement.

Cette capitale n’a pas changé grand-chose. Des erreurs ont été faites. Cela appelle à la modestie. Niemeyer le savait sur la fin de sa vie.

Les plus jeunes vivent aujourd’hui dans un monde qui, en Europe surtout, leur apparait comme celui de la régression, de l’absence d’idéal, de la précarité, du chômage souvent, du recul du niveau de vie pour la plupart. Le communisme est mort en Union soviétique, Castro est un vieillard finissant et l’ombre de Mao règne sur des affairistes sans foi ni loi ni humanité. Ils ont tué une grande espérance.  

Le monde de Niemeyer n’est certes plus le monde des plus jeunes. Sans doute ont-ils quelques difficultés à le comprendre, à l’imaginer même.

Mais ils auraient tort de s’en tenir à ce trop de réalisme qu’on leur inculque, à cette résignation qu’on voudrait les obliger à faire leur.

L’homme a besoin d’un idéal. Oscar Niemeyer en avait un. C’est bien. Il s’est battu pour le faire triompher. C’est encore mieux.

Comme les flèches de la cathédrale de Brasilia élancées vers le ciel, vers la perfection, il nous appartient d’aspirer à édifier un monde meilleur. Changer la vie, voilà un slogan qu’il convient de réhabiliter. La Révolution, elle doit d’abord être dans notre tête et je plains ceux qui n’en ont même pas les prémisses.

La Révolution, c’est l’aspiration au Mieux. C’est aussi l’aspiration au Beau. Ce n’est sans doute pas aussi direct qu’une ligne droite. Mais Niemeyer nous a montré que la courbe pouvait nous y mener, courbe sensuelle comme celles des femmes qu’il a aimées, comme celle de la cité « carioca » qui l’a vu naître.

                                                                                             Yves Barelli, 8 décembre 2012                                                 

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 12:17

Hier soir, dans mon quartier de Marseille, plus exactement au pied de l’immeuble où j’ai un appartement, un marchand de journaux-PMU a été tué à coups de couteau au cours d’un braquage qui a mal tourné. Le butin est dérisoire. L’émotion dans ce quartier tranquille de classes moyennes est grande. Je connaissais ce brave homme, un petit commerçant qui ne roulait pas sur l’or.

 

Je n’ai pas l’habitude sur ce blog de commenter les faits divers. Si je le fais, c’est parce que ce crime, qui est loin d’être exceptionnel dans cette ville, devrait nous interpeler. Il y a toujours eu des crimes et des criminels et, sans doute, est-il impossible de les empêcher totalement, quels que soient la société ou le pays où l’on vit. Mais lorsque la délinquance et le mépris de la vie humaine deviennent si habituels, ce sont des phénomènes de société qui doivent nous interpeler. A une telle échelle, il n’y a pas de fatalité. Il y a une société qui a perdu ses repères et qui ne sait plus se défendre.

 

Marseille n’a jamais été une ville facile. Les petits et gros malfrats ont hélas toujours fait partie du paysage. On subissait, comme les marins en mer subissent les tempêtes.

 

Mais depuis quelques années, la délinquance a explosé dans la cité phocéenne. Pas seulement celle des caïds de la drogue qui règlent leurs comptes à coup de kalachnikovs. Tant qu’ils se tuent entre eux, ce n’est pas le plus grave, encore que nul n’est à l’abri d’une balle perdue. Désormais, les meurtres ne se limitent plus aux pieds des barres HLM des quartiers nord. Ils viennent tuer n’importe où, là où se trouvent leurs victimes. Dernièrement, à un carrefour très fréquenté de mon quartier, décidément sous le feu de l’actualité, c’est le cas de la dire. Selon la police, les délinquants, petits et grands, y sont « de passage à 95% »).

 

Désormais, le banditisme a essaimé dans toute la ville. Les braquages de petits commerçants sont quotidiens, les vols à l’arrachée, notamment de colliers en or, idem (30 par jour entre juin et août : il y en a moins parce que les Marseillaises ont renoncé à porter quelque bijou que ce soit). Passé 20 heures, les rues peu fréquentées sont devenues dangereuses. Les cambriolages d’appartements et les vols de voitures font également partie des risques quotidiens.

 

Cette situation est évidemment liée à la dégradation de la situation économique et à la montée du chômage. Mais pas seulement. Nous avons affaire à un nombre alarmant de personnes qui ont perdu toute notion des valeurs, et en particulier de la vie humaine. On s’attaque aux plus faibles, de préférence aux personnes âgées, aux femmes isolées ou aux petits commerçants. On le fait avec des couteaux, l’arme du pauvre, ou avec des armes de guerre lorsqu’on est plus haut dans la hiérarchie de la délinquance.

 

J’ai écrit récemment sur la crise qui frappe Marseille (« Marseille, une crise de plus », mis en ligne le 7 octobre dernier). Je ne vais pas y revenir. Je voudrais en élargir la problématique.

 

Ce qui frappe Marseille aujourd’hui est facilement médiatisé par son côté spectaculaire qui transforme n’importe quel fait divers en film noir sur fond d’une ville qui adore se mettre en scène : Plus belle la vie, plus horrible la mort !

 

Mais ce qui frappe cette ville va rapidement frapper l’ensemble de la France. Marseille n’est que l’image actuelle de ce que seront demain Lyon, Paris, Lille ou n’importe quel bourg si notre société ne réagit pas très vite.

 

La délinquance est liée à deux choses : la perte des valeurs et le laxisme face à elle.

 

Lorsqu’il n’y a plus d’autorité, lorsque la télévision nous renvoie l’image de l’égoïsme, du chacun pour soi, de ceux qui gagnent en un jour ce que d’autres mettent des années à toucher, des riches qui s’exilent fiscalement avec une partie de la classe politique qui trouve cela normal, mais aussi de moins lotis qui ont le spectacle de l’argent facile, celui des caïds de la drogue qui roulent en 4x4 dans leur cité, et celui des gamins qui reçoivent un billet de 100 euros pour faire le guet à l’entrée de la cité, lorsque celui qui veut travailler ne trouve pas de travail et celui qui vole le fait en toute impunité, dans cette société-là, on perd tout repère, il n’y a plus de valeur et la vie humaine devient quantité négligeable.

 

J’avais écrit l’année dernière dans ce blog quelque chose sur les incivilités (« combattre les incivilités », 8 octobre 2011). J’avais noté que celles-ci devenaient de plus en plus nombreuses et qu’elles empoisonnaient la vie quotidienne.

 

L’incivilité, c’est lorsque on jette par terre des papiers ou des canettes de bière, lorsqu’on laisse son chien aboyer sans se soucier des voisins, lorsqu’on le laisse faire ses crottes sur le trottoir, lorsqu’on laisse sa voiture en double file ou devant une entrée de parking simplement parce que c’est moins fatiguant que d’aller se garer un peu plus loin. L’incivilité, c’est aussi lorsqu’on répond à une remarque justifiée par un « je t’em… » tonitruant ou lorsqu’un élève manque de respect envers son professeur.

 

En soi, les incivilités sont graves parce qu’elles rendent la vie difficile et qu’une agressivité des gens s’ensuit.

 

Mais elles sont plus graves encore car, pour beaucoup, c’est le début d’un engrenage. On commence à perturber une classe en primaire en toute impunité, puis on intimide ses petits camarades et on devient ce qu’on appelle à Marseille un « càcou », autrement dit un moins que rien qui roule les mécaniques et qui se croit tout permis parce qu’il ne rencontre aucune résistance. La suite logique, c’est la petite délinquance : on vole pour améliorer l’ordinaire et quand on vole ainsi dans l’impunité, on peut passer à la vitesse supérieure : la délinquance organisée moyenne puis grande. Le stade ultime est le grand banditisme.

 

Il est clair que si rien n’est fait très tôt pour casser cette chaine, non seulement les inciviques deviennent des petits puis des grands délinquants, mais ils font des émules. Pourquoi aller me garer plus loin si je peux faire comme les autres, n’importe où ? Pourquoi chercher une poubelle si tout le monde jette par terre avec cet argument en béton, si c’est pas moi, ce sera un autre ? Pourquoi travailler si je peux gagner facilement du fric en volant ou en dealant ? Je ne suis pas plus bête qu’eux, disent-t-il. Les BM, pas seulement pour eux, pour moi aussi !

 

Lorsque la délinquance explose en toute impunité, il n’y a aucune raison qu’elle ne se généralise pas. On a tous vu à la télévision, dans les reportages sur le travail de la police, ce spectacle lamentable offert par des fonctionnaires de police qui n’en peuvent mais lorsqu’ils amènent des petits délinquants arrogants en garde à vue en leur disant : « tu connais le chemin, c’est pas la première fois ». Effectivement, pour les délinquants les plus dangereux, ce n’est pas la première fois. Lorsque des multirécidivistes trainent des casiers judiciaires avec plus de dix petites condamnations à des peine de prisons soit avec sursis soit non effectuées parce qu’il n’y a pas de place en prison, on se pose des questions sur le fonctionnement de la justice. On a en fait un sentiment d’injustice. Parfois les peines sont excessives, mais le plus souvent on est stupéfait devant la clémence exprimée pour des gens qui ne la méritent pas et surtout qui ne la comprennent pas. Il y a chez la plupart des délinquants, un sentiment de totale impunité qui se traduit par le mépris de la police et d’une façon générale de la société. Cela est très grave.

 

Je ne vais pas proposer des solutions précises. Je ne suis pas spécialiste de la question et les « y a qu’à » ne sont pas toujours adaptés. Mais je crois qu’il faudrait enfin mener une véritable réflexion sur ce qu’est devenue notre société et surtout sur ce à quoi elle tend si on laisse faire sans réagir. La situation de Marseille pourrait être celle de l’ensemble de la France à brève échéance.

 

Il y a deux manières de s’attaquer à la violence. La prévention et la répression. La première s’appelle l’éducation. Réapprendre aux enfants le respect des adultes et en premier lieu des enseignants, leur inculquer les valeurs de la République et les règles élémentaires de la vie en société. A cet égard, la suppression du service militaire a été une faute. La prévention c’est aussi de créer des emplois. C’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Dans les zones de non droit qui se sont créées dans nos banlieues, les emplois seuls ne suffiront pas si dans le même temps on peut gagner beaucoup plus sans travailler et en toute impunité.

 

Au-delà de la prévention, il doit y avoir des sanctions adaptées. Les règles devraient suivre la logique suivante. A la première incivilité, on réagit immédiatement avec le corolaire de l’incivilité, la réparation de cette incivilité : celui qui salie le sol doit être tenu de nettoyer, celui qui dégrade doit réparer, celui qui gare sa voiture en gênant les autres doit être lui-même gêné par l’immobilisation de son véhicule pour une durée en proportion de la gêne, etc. La récidive doit être plus durement sanctionnée. Quant aux multirécidivistes, seules de lourdes peines de prison sont la solution, pas seulement pour qu’ils comprennent la gravité de leurs actes (certains ne comprendront jamais) mais surtout pour en débarrasser la société. Cela ne devrait pas empêcher des libérations anticipées, mais seulement pour ceux qui font preuve en prison sur la durée d’une conduite exemplaire.

 

Le but de la sanction devrait, dans tous les cas, être pédagogique. Comprendre que la société veut se défendre et qu’il ne saurait y avoir impunité. Pédagogie pour le délinquant. Pédagogie aussi pour ceux qui seraient tentés de suivre leur exemple.

 

Cela implique sans doute un changement de mentalités et de comportements pour l’ensemble de la société. Le spectacle de l’argent vite et mal gagné, même par des moyens légaux, doit être combattu. Notamment pour les plus riches (voir mon article du 7 septembre : « candidats à l’exil fiscal, partez ! »). Cela implique aussi plus de moyens pour la police qui doit être remotivée par l’arrêt du laxisme des condamnations. Cela implique aussi un changement de comportement de cette même police (lorsqu’il m’arrive de suivre une voiture de police qui passe devant des dizaines de voitures en double file sans s’arrêter, je dis que cela encourage l’incivilité et cela est une porte ouverte à la délinquance).

 

Notre société est en mauvais état. Réagissons !

                                                                                              Yves Barelli, 10 novembre 2012                                    

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15 octobre 2012 1 15 /10 /octobre /2012 18:24

Vincent Peillon vient de jeter sans doute involontairement un pavé dans la marre en abordant, incidemment, au cours d’une interview le 14 octobre, la question d’une éventuelle dépénalisation de l’usage du cannabis. Il l’a fait de manière prudente et, apparemment, sans intension de faire passer un message. Cela n’a pas empêché un tollé à droite et un rappel à l’ordre du Premier Ministre.

Membre du gouvernement, le ministre de l’éducation nationale n’était sans doute pas le mieux placé, compte tenu de sa fonction, pour s’exprimer sur la question. La sèche remise en place du chef du gouvernent est justifiée tant il vrai qu’un gouvernement a besoin de cohérence. Un ministre ne saurait s’exprimer « à titre personnel » (pas plus d’ailleurs qu’un fonctionnaire d’autorité ou un cadre supérieur d’une entreprise). Comme disait Jean-Pierre Chevènement, un ministre, s’il a des réserves sur la politique du gouvernement auquel il appartient, « ferme sa gueule ou démissionne ». La discrétion est encore plus de mise lorsqu’il s’agit d’un sujet qui ne relève pas directement de la compétence du ministre concerné. Peillon a aggravé son cas en s’exprimant sur un sujet sur lequel François Hollande avait déjà tranché (ce qui ne signifie qu’il ait eu raison, au contraire) lors de la campagne électorale avec des propos n’allant pas dans le sens de l’ouverture d’un débat sur la question. Peillon, qui je crois est un  homme d’une grande honnêteté intellectuelle, a compris sa bévue et a dit regretter son commentaire.

Cela étant, sur le fond, il a parfaitement raison. Il n’est d’ailleurs pas le premier à aborder le sujet. Daniel Vaillant, ancien ministre de l’intérieur de Lionel Jospin, était allé dans le même sens. Michel Baylet, dirigeant des radicaux de gauche, avait également abordé le sujet lors de la « primaire » socialiste du printemps. Autre composante de la majorité, la plupart des Verts ne font pas mystère de leur souhait de voir dépénaliser au minimum la consommation de cannabis.

Vincent Peillon fait une remarque de bon sens lorsqu’il constate l’ampleur de l’économie souterraine liée à la drogue et lorsqu’il note que cette économie profite à des trafiquants violents et que la répression, nécessaire, s’avère insuffisante pour enrayer le trafic.

J’abonde totalement dans ce sens. Nier ce qui précède est irréaliste ou de mauvaise foi. Je ne suis pas contre la répression, au contraire. Les territoires perdu de la République doivent être reconquis (cf mon article récent sur Marseille). Mais s’il y a des vendeurs de drogue, c’est qu’il y a des consommateurs et s’il y a des consommateurs, c’est qu’il y a un besoin. La consommation alimente le trafic et le trafic donne aux trafiquants de plus en plus de moyens, ce qui leur permet d’acheter la complicité et la collaboration des habitants de cités entières. En soi, c’est déjà un problème. Il est évident qu’une lutte sérieuse contre le trafic de drogue nécessiterait des moyens colossaux que manifestement le gouvernement n’est pas disposé à mettre. Il exclue en effet, à tort ou à raison, l’utilisation de l’armée et la promulgation de lois d’exception. On ne peut que constater que, dans ces conditions, il n’y a aucune perspective de remporter une victoire décisive contre le trafic de drogue. La police s’épuise à traquer des dealers. Dans ce combat inégal, elle n’est pas en mesure de l’emporter.  

Y a-t-il d’ailleurs une réelle volonté politique de mettre fin au trafic de drogue dans les cités ? On peut se poser la question tant la hantise d’une nouvelle « révolte des banlieues » (après celle de 2005) est présente dans les esprits.  

En tout cas, la situation est pathétique. Tous les reportages que l’on voit à la télévision (et ils sont nombreux) montrent que la chasse aux dealers est vouée à l’échec, du moins avec les méthodes et les moyens actuels. Dès qu’une voiture de police aborde un « quartier », des dizaines d’adolescents qui font le « chouf » (le guet) donnent l’alerte, ce qui rend impuissants les malheureux fonctionnaires de police. Face à des trafiquants et à leurs complices qui les narguent, ils perdent toute autorité. Cela est d’autant plus grave, que le problème n’est pas seulement celui du trafic de drogue. La chasse à la délinquance plus classique, mais aussi aux  incivilités (porte ouverte à la délinquance) subit le contrecoup tant de la perte d’autorité de la police que de ses moyens insuffisants. Cet aspect du problème, sous-produit, de la multiplication des territoires de non-droit, n’est pas le moindre.

Sur cette question, la droite, en dépit des coups de menton de Sarkozy, a fait la preuve de l’échec de sa politique. Il est trop tôt pour dire ce qu’il en sera de la gauche. Manuel Valls parle très bien. On le jugera aux actes.

Je suis loin d’être un spécialiste des questions de drogues. Je ne suis qu’un citoyen qui s’interroge. Sans doute, les réponses ne sont-elles pas si simples à trouver. Mais refuser le débat me parait la pire des attitudes. Il y a trop de non-dits dans ce pays, trop de sujets tabous, trop de politiquement correct, trop de pensée unique.

Je crois qu’il est nécessaire de lancer une réflexion sans à priori en se posant plusieurs questions : 1/ Faut-il dépénaliser la consommation de cannabis ? Probablement oui. Les exemples étrangers de dépénalisation semblent montrer que celle-ci n’entraine pas de hausse de la consommation (à vérifier évidemment, car on fait souvent dire ce que l’on veut aux statistiques, surtout sur un sujet où les enquêtes sont difficiles à réaliser). 2/ Faut-il légaliser  le commerce du cannabis ? Il serait hypocrite de dépénaliser la consommation sans s’occuper de la production et de l’approvisionnement. Certains mettent en avant le fait qu’en organisant l’approvisionnement, on peut mieux encadrer la consommation et la qualité des produits distribués. D’autres pensent au contraire que cela encouragerait la consommation. 3/ Doit-on considérer la distribution et la consommation de cannabis comme celle du tabac et de l’alcool, produits certes néfastes à la santé (dans l’absolu ou au-delà de certaines quantités consommées, les avis divergent) mais dont il vaut mieux encadrer la consommation plutôt que de l’interdire car l’interdiction génère le trafic. 4/ Au-delà du cannabis, quelle attitude doit-on adopter pour les autres drogues ? 5/ Quelle serait l’incidence sur l’économie souterraine, en particulier celle des banlieues, d’une éventuelle dépénalisation de la consommation et d’une organisation du commerce du cannabis (et, le cas échéant, d’autres drogues) ? Certains disent que cela couperait l’herbe sous les pieds des trafiquants. D’autres estiment le contraire. A voir.

Sauf à vouloir se voiler la face et donc continuer à faire de l’hypocrisie une méthode de gouvernement, on ne pourra éluder éternellement ces questions.

Une remarque in fine. Les responsables politiques se grandiraient en évitant d’utiliser ce sujet (et beaucoup d’autres) pour leurs petits calculs politiciens. Lorsque Jean-François Copé fait semblant d’être outré par les propos de Vincent Peillon en demandant sa démission, cela est simplement indigne de quelqu’un qui aspire aux plus hautes fonctions. C’est du même tonneau que Nathalie Kosciusko-Morizet tirant partie de la tuerie d’Echirolles pour accuser le gouvernement de laxisme, voire de complicité avec les assassins sous prétexte que la ministre de la justice a des velléités d’adoucir certaines lois du gouvernement précédent. Un peu de dignité et de responsabilité, s’il vous plait !

                                                                                  Yves Barelli, 15 octobre 2012 

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6 octobre 2012 6 06 /10 /octobre /2012 16:14

Des règlements de comptes entre caïds des cités (15 morts depuis le début 2012), des supermarchés de la drogue dans des zones où la police ne met plus les pieds, des flics ripoux (14 interpellations le 5 octobre dans la BAC des quartiers Nord), un taux de chômage de plus de 20% en moyenne (plus de 50% dans certains quartiers), des conflits sociaux plus durs qu’ailleurs, un grand banditisme qui s’installe, une petite délinquance qui explose (30 vols en moyenne de colliers en or par jour et des braquages à répétition de commerçants), des incivilités chroniques, une saleté endémique des rues, des affaires dans lesquelles trempent certains élus, des crises à n’en plus finir (pour l’OM, ça va mieux, jusqu’à quand ?), Marseille est-elle une ville maudite condamnée à la pauvreté, à la violence et au déclin ?

 

Cette ville est certes difficile. Je sais de quoi je parle. J’y suis né, y ai fait toutes mes études, y ai longtemps habité et travaillé et je n’ai jamais rompu le contact avec elle.

 

Les problèmes ne datent pas d’hier. Avant la seconde guerre mondiale, il ne faisait pas bon trainer du côté du Racàti (à deux pas de la gare Saint Charles) et le grand banditisme y avait (déjà) pignon sur rue. Face aux connexions avec la pègre, on était allé jusqu’à mettre la municipalité sous tutelle. Dans ma jeunesse (années 1960), les « blousons noirs » faisaient des victimes, la « French connexion » avait ses quartiers généraux dans la ville et les conflits de toutes natures, sociaux, politiques, intercommunautaires, étaient monnaie courante. La ville était (déjà) en crise, ayant du mal à surmonter la perte des colonies (dont elle vivait) et les fermetures des savonneries et de la réparation navale. Des fortunes s’étaient faites dans le transport maritime et les industries liées au port, mais les grandes familles avaient préféré réinvestir leurs profits ailleurs que sur les rives du Lacydon (voyez le pastis Ricard : le fondateur était autonomiste provençal et s’exprimait dans la langue de Mistral, ses petits enfants vivent à Paris, où la société a désormais son siège, et n’ont même plus l’accent marseillais !).

 

Dans cette ville rebelle, on a toujours aimé défier les lois et les règlements. De l’Antiquité à de Gaulle, en passant par Louis XIV et Napoléon III, on s’est presque toujours opposé au pouvoir central et si l’hymne national chanté pour la première fois sous la Révolution s’appelle la Marseillaise, ce n’est pas un hasard. Aujourd’hui encore, les cortèges marseillais sont toujours en tête de toute journée nationale revendicative et le vote protestataire, autrefois massivement communiste, maintenant souvent Front National (par les mêmes qui votaient communiste), est une constante de l’histoire électorale marseillaise. C’est ainsi, pour le meilleur et le pire. Manifestation de cet esprit frondeur, les arrangements avec les règles et les combines de toutes sortes ont toujours été à Marseille une seconde nature, une façon d’exister. On peut y voir, face positive, la manifestation d’un esprit d’indépendance, une forte personnalité et une recherche de dignité, face négative, c’est l’incivilité généralisée, la loi de la jungle et une ville ingérable. Sans doute, finalement, les deux.   

 

Tout cela était plus ou moins accepté, cela faisait partie du paysage, du folklore. Les lois et les pratiques de Paris n’étaient pas réellement pour nous. Dans cette ville, on ne gère pas et on ne mène pas les hommes comme ailleurs ! Il faut le savoir lorsqu’on y met les pieds et le Parisien qui y arrive avec ses préjugés apprend vite à ses dépens ce que cela veut dire. Même en politique, Marseille échappait aux règles des partis. Gaston Defferre, cacique socialiste qui régna sur la ville de 1944 (il avait dirigé la Résistance) à 1986, avait réussi à se créer un empire qui échappait au contrôle de son parti et des préfets de droite (avant même les lois de décentralisation qu’il fit voter en tant que ministre de l’intérieur). Son pouvoir s’appuyait aussi bien sur les dockers du port que sur la grande bourgeoisie locale et les médias (il était propriétaire des deux principaux journaux).  

 

Ces arrangements entre Marseillais pouvaient surprendre, voire choquer les observateurs extérieurs. Cela n’avait pourtant pas que des inconvénients. Le système D et les combines, finalement, permettaient de mettre de l’huile dans les rouages. Les municipaux qui faisaient des « gâches » une fois leur (courte) journée terminée, avaient un niveau de vie décent (mon voisin était éboueur le matin et menuisier l’après-midi), les relations personnelles permettaient de trouver un emploi au fiston et un toit en HLM aux amis par des méthodes somme toute plus humaines que les administrations aux critères trop rigides, l’expert de l’assurance qui majorait systématiquement le devis pour permettre d’échapper à la franchise de l’assurance, le fils du commissaire qui était dans ma classe en terminale du lycée et qui apportait des liasses de PV à faire sauter à son père, le copain fils de pompier qui faisait réparer gratuitement ma vieille 2CV à la caserne, tout cela, finalement, rendait la vie plus facile. Ce n’était ni de la corruption, ni vraiment du favoritisme. Simplement des échanges de services et celui qui oubliait la réciprocité, qui « manquait » donc à l’honneur, sous prétexte d’appliquer la règle, n’était pas digne de respect. Quand le piston est à ce point généralisé, il en devient un système démocratique. La nostalgie de ma jeunesse rend peut-être le passé plus attractif que ce qu’il était en réalité. Mais j’ai l’impression que la vie était plutôt plus facile que maintenant. Les incivilités étaient sans doute souvent gênantes, les caves étaient « visitées », les autoradios volés et les marchés aux voleurs pleins de ce qui « tombait du camion », mais, au moins, on ne se faisait pas insulter comme maintenant et les gens s’entraidaient facilement. Bref, on s’ « arrangeait », alors qu’aujourd’hui, on se heurte souvent au mur de l’incompréhension. 

 

Quant à l’intégration des immigrés, elle n’a jamais été très facile contrairement à la légende de Marseille, soit disant ville ouverte et accueillante. Les Italiens, mais aussi les Corses, étaient jugés violents et peu fiables et les conflits étaient fréquents. Mais, au moins, dans leur grande majorité (il y avait hélas la minorité liée au grand et au petit banditisme), à la deuxième génération, l’intégration était chose acquise. Il y a toujours eu dans mes classes de lycée beaucoup de noms en « i » (dont le mien), mais aussi des Arméniens (souvent parmi les  meilleurs), des Indochinois (très travailleurs aussi) et bien d’autres venus un peu de partout, y compris, après 1962, les « Pieds-Noirs » d’Algérie. Peu d’élèves maghrébins en revanche à cette époque : les pères venaient seul pour travailler, la famille restant au bled. Ce n’est que dans les années 1970 que les regroupements familiaux ont commencé à peupler les cités de familles d’origine maghrébine, mais, le soleil et les pratiques décrites plus haut aidant, elles ne se sentaient pas vraiment dépaysées par rapport à un Maghreb encore très francisé. Tous étaient des Marseillais authentiques, fiers de l’être et aussi attachés à nôtre accent et à notre vocabulaire d’origine provençale que je le suis. Dans cette ville aux 113 villages et aux multiples origines, la diversité n’empêchait pas l’unité. Cette citation d’Henri Verneuil, grand Marseillais, résumait bien nôtre état d’esprit : « Arménien je suis et Arménien je reste, mais plus Français que moi, tu meurs ! ». On pouvait être corse, kabyle, pied-noir ou gavot (originaire de Haute Provence) et fier d’être marseillais et français.

 

Le refus d’intégration et le racisme anti-français (appelons un chat un chat !) d’une partie significative des Maghrébins de Marseille (et d’ailleurs en France) est quelque chose de récent, qui ne remonte pas à plus d’une dizaine d’années. Il est concomitant avec le repliement identitaire, véhiculé par certaines chaînes de télévision moyen-orientales, qui frappe le monde arabe et qui se traduit par une ghettoïsation de l’esprit et l’exacerbation de « valeurs » qui ne sont que caricature d’une civilisation qui fut brillante. Il n’y a pas longtemps que les femmes portent le hidjab (étranger à la tradition maghrébine) et que l’observation du jeûne du ramadan est devenue un phénomène massif. « Nos » Arabes (le plus souvent des Berbères, d’ailleurs) étaient plutôt bien intégrés, en tout cas moins mal qu’ailleurs. Ils parlaient avec le plus bel accent marseillais (alors que ceux de Gennevilliers n’ont pas l’accent parisien), étaient des supporters enthousiastes de l’OM et, lorsque la « révolte des banlieues » frappa la France en 2005, les cités de Marseille restèrent parfaitement tranquilles.

 

Aujourd’hui, les quartiers Nord et toutes les autres cités phocéennes massivement peuplées de personnes d’origine maghrébine (nous avons aussi beaucoup d’Africains, notamment des Comoriens, mais ils sont en général plus tranquilles) ont basculé, ou sont en train de le faire, dans une contre société où les lois de la République, de fait, n’ont plus court. La charia y tient lieu de droit civil, les caïds de la drogue d’employeurs et de responsables du maintien de l’ordre (leur ordre évidemment). Les jeunes des « quartiers » descendent toujours à la Porte d’Aix, au stade Vélodrome, sur la rue Saint-Ferréol ou à la plage (en été), mais ils se mêlent de moins en moins aux autres Marseillais, exclus de « leurs » territoires. Passé 20 heures, la Canebière est à eux, plus à nous. Certes, tous les Français d’origine maghrébine ne se reconnaissent pas dans cette dérive soit disant identitaire, mais ceux qui refusent cette contre-société sont désormais persona non grata dans les cités d’où ils partent dès qu’ils le peuvent. J’en connais qui sont profondément laïques, attachés à la France (et à l’Algérie, mais, de plus en plus, ils ne reconnaissent plus dans cette Algérie qu’ils ont aimé car ce n’est plus la leur) et qui souffrent de cette évolution, autant que moi-même qui ai vécu au Maghreb et qui y ai conservé des amis. Certains ont fui l’Algérie et sa société en voie d’islamisation rapide. Ils sont désemparés en constatant que, à bien des égards, la situation est maintenant pire dans certain territoires de France qu’à Alger (où les militaires n’ont pas les mêmes scrupules que nos policiers lorsqu’ils chassent la racaille).      

 

Cela est grave et constitue certainement aujourd’hui le problème majeur de Marseille. Mais ce n’est pas un problème spécifique à la cité phocéenne. Simplement, Marseille joue un rôle de précurseur. Les banlieues de toutes les villes de France, d’Argenteuil à Echirolles et d’Amiens à Villeurbanne, sont en train de subir les mêmes dérives : chômage officiel (les « emplois » dans tout ce qui touche au trafic de drogue et au recyclage des butins des vols ne sont évidemment pas comptabilisés, mais le parc automobile des cités montre que les revenus qui en sont déduits sont loin d’être négligeables et ne se limitent pas à quelques truands) de masse, violence généralisée, « codes » de comportement stéréotypés, islamisation de la société (cf l’étude de Gilles Kepel sur Clichy-sous-Bois et Montfermeil), machisme, clanisme, voire tribalisme. Même l’usage de la langue arabe progresse alors qu’il y a quelques années les enfants d’immigrés ne la parlaient presque pas (et que leurs parents, en Algérie même, avaient massivement recours au français) et cet arabe est de plus en plus moyen-orientalisé. Même la façon de dire bonjour s’est « dé-maghrébinisée » : on ne dit plus « sbah el kheir » mais « as salam ou aleïkoum ».

 

De ce point de vue-là, Marseille n’est pas un cas isolé. Simplement, comme dans cette ville, tout a tendance à être « exagéré », l’usage de la kalachnikov est plus systématique qu’ailleurs. Il ne faut toutefois pas en tirer la conclusion que la ville est devenue un nouveau Bagdad. Les règlements de compte restent circonscrits aux intéressés et il y a moins de risque de recevoir une balle perdue que d’être renversé par une voiture. Les inconvénients liés à la petite délinquance et aux incivilités, moins spectaculaires, sont autrement plus gênants pour la population non liée au trafic de drogue. Lorsque Jean-Claude Gaudin dit qu’il ne va pas pleurer sur le sort de ceux qui s’éliminent entre eux, il a objectivement raison. Je ne souhaite la mort de personne, même des malfrats, mais si ces règlements de comptes peuvent avoir un effet pédagogique sur les enfants des cités en leur montrant que « faire le chouf », ça rapporte, mais c’est dangereux, on aura peut-être un début de sagesse.

 

En tout état de cause, les territoires perdus de la République, à Marseille et ailleurs, doivent être reconquis. Cela passe par la carotte et le bâton. La carotte, c’est permettre à ceux qui ont envie de travailler et de vivre honnêtement de le faire ; le bâton, c’est sanctionner durement les délinquants. Pour le moment, malheureusement, force est de constater que, en cette période de crise et dans cette société scandaleusement inégalitaire où tous les enfants sont loin, à qualités égales, d’avoir les mêmes chances, la carotte n’a plus beaucoup de consistance ; l’ascenseur social républicain est en panne. Quant au bâton, le moins qu’on puisse dire est qu’il est émoussé et peu dissuasif. A Marseille comme ailleurs, le fait que les auteurs de crimes soient presque toujours des multirécidivistes, montre qu’ils ne séjournent pas longtemps en prison et que les peines infligées sont parfois incompréhensiblement légères (quelques mois de prison seulement pour l’un des assassins d’Echirolles qui avait auparavant tenté d’assassiner un vigile). Face à des machos violents, de telles non sanctions sont prises pour de la faiblesse et un encouragement à recommencer. Lorsque la peur est du côté des policiers et non de celui des délinquants, on peut dire qu’il y a quelque chose de déréglé dans nôtre pauvre République.

 

A ce problème, finalement commun à toute la France et à peine plus visible à Marseille qu’ailleurs, s’ajoutent les maux typiquement marseillais.

 

J’en ai donné quelques exemples en début de texte. Le laxisme généralisé est maintenant allé au-delà de l’admissible. Il touche tous les milieux : la police, mais aussi nombre de commerçants (selon France-Info de ce matin, 20% des commerçants truquent leur tiroir-caisse pour ne pas tout déclarer ; la radio ajoutait « surtout dans le sud de la France »), beaucoup de  chauffeurs de taxi (essayez d’en prendre un à la gare Saint-Charles avec un accent étranger : tour de la ville au tarif fort quasi garanti ; quant à l’aéroport, monopole des taxis de Marignane, c’est encore pire), les politiques (pas tous heureusement, mais un président de conseil général rattrapé par les affaires, ça fait tâche !) et bien d’autres secteurs. Aucun, en fait, n’est épargné. Une reprise en main est nécessaire.

 

Marseille a pourtant d’énormes atouts et beaucoup de Marseillais ont du talent. La ville est le second pôle de recherche de France, dans le domaine des activités liées à la mer, nous sommes les meilleurs et nos hôpitaux et ceux qui y travaillent ont une réputation mondiale. La musique, les arts, le cinéma regorgent de créations. L’OM tient tête à un PSG arrogant car dopé par l’argent du Qatar (que ne dirait-on pas si l’OM était financé par les Arabes ?). Ce n’est pas anecdotique car le moral de nos concitoyens en dépend.

 

Ce dont la ville a besoin, finalement, c’est de reprendre confiance en elle. Il y a un complexe marseillais, une paranoïa vis-à-vis de Paris, une sale habitude de s’en remettre à l’extérieur (tout en le critiquant) ou à la fatalité et de baisser rapidement les bras devant l’adversité avec laquelle on ruse grâce aux petites combines. Une habitude aussi de faire des « gambettes » (crocs-en-jambes) au voisin parfois par intérêt, le plus souvent par une sorte de jeu malsain. Un Marseillais peut être génial, deux Marseillais essaient de se détruire mutuellement, trois Marseillais, bonjour les combinaisons stériles. Arrêtons de jouer « perso » et soyons davantage collectif. Peut-être que l’histoire de France qui a laminé les personnalités régionales (Marseille, hélas, n’est pas Barcelone et il ne reste de nôtre culture provençale que le pastis, la pétanque et nôtre façon inimitable d’habiller la langue française d’une musique « méridionale ») a joué un rôle dans la descente de Marseille aux enfers. Pourtant, les principaux responsables du déclin, ce sont les Marseillais eux-mêmes. Ressaisissons-nous !    

 

Mais Marseille est-elle la seule à avoir perdu confiance ? N’est-ce pas le lot commun des Français et même des Européens dans leur ensemble ? Proposer aux peuples pour seul horizon la stagnation économique induite par les plans d’austérité à répétition n’est certainement pas la bonne solution.

 

Pour une ville fragile comme l’est Marseille, cette maladie européenne fait plus de dégâts encore qu’ailleurs car elle s’ajoute à des causes endogènes de crise déjà bien trop prégnantes.

 

Dans cette cité vieille de 2600 ans, nous sommes certes turbulents, souvent rebelle vis-à-vis d’un pouvoir central qui ne nous comprend pas. La situation est grave même si la réalité est moins noire que ce que montrent des médias parisiens avides de sensationnel (le dernier numéro de Mariane dépasse les bornes de l’acceptable). Elle n’est pas désespérée. Elle appelle une prise de conscience locale mais aussi de la compréhension de l’extérieur.

 

Jusqu’à présent, la première n’est pas vraiment au rendez-vous et les mesures annoncées récemment par le gouvernement (quelques renforts de police et un préfet spécifique pour une « métropole » qui n’est qu’une entité artificielle) ne sont pas à la hauteur des besoins.

 

Une consolation pour terminer : ce n’est pas la première crise que connait Marseille. Jusqu’à présent, on a toujours réussi à les surmonter.

 

Il n’y a pas de raison que le soleil ne luise pas à nouveau sur notre mer bleue…si nous le voulons./.                                 

 

                                                                                  Yves Barelli, 6 octobre 2012              

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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 17:01

abattoir.jpgLa diffusion le 17 février dans le magazine télévisé « Envoyé spécial » de France 2 d’un reportage sur les abattoirs de la région parisienne montrant que, de plus en plus, les animaux sont tués sans avoir été étourdis comme la loi le prescrit pourtant, a choqué et scandalisé de nombreuses personnes. J’en fais partie. Les animaux sont en effet égorgés vifs, de sorte que la mort n’intervient qu’après que les suppliciés aient été vidés de leur sang, ce qui prend quelques minutes pendant lesquelles l’animal souffre.

Des dérogations à la règle de l’étourdissement préalable à la mise à mort existent. Elles concernent les abattages rituels prescrits par certaines religions, l’islam et le judaïsme en particulier. La loi encadre en principe de manière stricte ces dérogations. Pourtant, l’enquête menée par les journalistes de France 2 arrive à la conclusion que dans nombre d’abattoirs français, la dérogation est devenue la règle, dans certains cas pour répondre aux demandes de consommateurs adeptes de ces religions, mais dans d’autres, les plus nombreux semble-t-il, parce que ce mode d’abattage est plus rapide et moins coûteux.

Dès le lendemain de la diffusion de l’émission, Marine Le Pen, candidate du Front national à l’élection présidentielle française, s’est saisie de la question pour dénoncer l’islamisation croissante de la société en contradiction avec les principes républicains de laïcité. Elle l’a peut-être fait en termes un peu excessifs, mais elle a abordé une question qui ne pourra éternellement être éludée.

Cette affaire met en lumière plusieurs problèmes.

Le premier est évidemment celui des interférences entre religion et vie publique. Dans un pays laïque comme la France, la religion devrait rester du domaine de la vie privée. La loi de 1905 garantit la liberté de religion mais précise que cette liberté s’arrête là où commence celle des autres. Chacun est libre de pratiquer la religion de son choix ou de n’en pratiquer aucune.

Là où cela pose problème, c’est lorsque la pratique d’une religion prend la forme de manifestations publiques ou lorsque certains cultes ou certains rituels tendent à s’imposer y compris à des personnes étrangères à cette religion. Lors de l’entrée en vigueur de la loi de 1905, cela n’a pas été facile dans les régions où la pratique de la religion catholique était majoritaire, voire quasi générale. A l’époque, les autres religions pratiquées en France, protestantisme et judaïsme en particulier, ont posé moins de problèmes car ces religions avaient des pratiques plus discrètes. Des conflits très durs ont accompagnés l’instauration de la laïcité, au cours desquels les pouvoirs publics ont eu à garantir la liberté des non catholiques de ne pas suivre des pratiques qui étaient souvent traditionnelles. Aujourd’hui, s’agissant du catholicisme, les esprits sont apaisés et il n’y a plus de heurts majeurs lorsque la bonne volonté existe de part et d’autre. Les églises, chapelles ou calvaires visibles au bord des routes sont désormais considérés non seulement comme des lieux de culte mais aussi, tout simplement, comme éléments du patrimoine culturel d’une région. Les pèlerinages ou les processions traditionnelles qui traversent nos villes et nos campagnes à l’occasion de fêtes religieuses ne posent plus problème. Idem pour des manifestations ou des pratiques populaires. Par exemple, les crèches provençales de Noël sont heureusement encore assez générales et je connais beaucoup de personnes athées qui les installent chaque année chez elles parce qu’elles considèrent qu’elles font partie de l’identité régionale. Certains esprits bornés ou limités y trouvent parfois à redire. Mais ces manifestations relèvent du sectarisme et je ne m’associe pas personnellement à ces extrémistes. La culture française s’est construite sur un socle catholique et on peut être incroyant tout en se reconnaissant dans cette part essentielle de notre identité.

Les problèmes commencent lorsque certains Catholiques prétendent imposer leurs convictions à la société entière malgré les règles de la laïcité. Cela concerne notamment la législation relative au mariage, à l’homosexualité, à la contraception ou aux interruptions de grossesse. Il a fallu longtemps pour imposer la liberté dans ces domaines (la légalisation de l’avortement en France ne date que de 1974) et c’est un combat de tous les jours de garantir l’application effective de cette liberté. En sens inverse, liberté de ne pas être catholique ne devrait pas signifier liberté d’en salir les symboles. Je suis partisan, en l’occurrence, d’une retenue en matière de chanson, de théâtre, de cinéma ou d’affichage. Les croyants doivent être respectés et ils ont droit à ne pas se sentir offensés. C’est à la fois une question de respect et de décence.

Mais, de nos jours, ce n’est plus la religion catholique qui pose problème.

Dans certains milieux intégristes, la pratique du judaïsme peut tendre à contredire nos principes républicains, mais cette religion est rarement ostentatoire et elle ne prétend pas au prosélytisme. Le problème vient plus souvent des interférences politiques, notamment l’attitude vis-à-vis d’un Etat étranger, Israël en l’occurrence, privilégié par certains par rapport à la France, que de la pratique religieuse.

Le véritable problème, à la fois quantitatif et qualitatif, vient de la pratique de l’Islam, du moins d’un certain Islam (pas nécessairement représentatif de la majorité). Longtemps, celle-ci a été assez discrète en France. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Contrairement au christianisme, la pratique de l’Islam ne se limite pas à la fréquentation hebdomadaire de la mosquée. Les cinq prières quotidiennes ne posent pas problème dans la mesure où elles sont peu pratiquées par les Maghrébins et les franco-maghrébins. Le jeune du mois du ramadan peut, en revanche, poser problème chez certains individus qui n’ont pas compris les règles de laïcité et de convivialité de la France. Pour beaucoup, il s’agît d’un choix individuel respectable et souvent méritoire lorsqu’il s’accompagne d’une activité professionnelle normale.

Mais ce n’est pas le plus grave. Il y a carrément incompatibilité entre pratique (du moins une certaine conception qui est loin d’être partagée par tous les musulmans) de l’islam et convivialité républicaine lorsque certains individus refusent la mixité dans le sport, lorsque certaines femmes exigent de n’être examinées que par des médecins femmes ou lorsque certains individus prétendent s’habiller exclusivement selon ce qu’ils croient être les préceptes des écritures saintes musulmanes. Cela concerne notamment le port du hidjab dans l’enceinte scolaire (interdit par la loi, comme tout autre signe religieux ostentatoire) ou celui du voile intégral sur la voie publique, lui aussi réprimé par la loi.

On en vient maintenant aux pratiques alimentaires. Depuis quelques années en France, une exigence est apparue dans certains milieux de ne consommer que de la viande halal, c'est-à-dire de la viande d’animaux abattus selon le rite religieux, à savoir égorgé, tourné vers la Mecque et accompagné de paroles rituelles. Le problème est non seulement celui de la contradiction avec les normes sanitaires et de respect de l’animal prévus par la loi française, mais aussi du fait qu’il n’y a pas un label unique « halal » et dans ce domaine bien des contrefaçons existent.

L’exigence par certains de viandes issues d’abattages non plus dérogatoires (par exemple pour la fête de l’Aid) mais qui deviennent la norme est un problème en soi. Il est considérablement aggravé lorsque, dans certains quartiers, certains en viennent, en pratique, à interdire les viandes « normales » dans les commerces de proximité, les fast-foods et même les hypermarchés. Gilles Kepel a montré dans son enquête menée à Montfermeil et à Clichy-sous-Bois (« Banlieue de la République », publié en octobre 2011 par l’Institut Montaigne) que, désormais, ce qui était l’exception est devenu la norme. Cela est évidemment en contradiction avec la loi de 1905, mais aussi, tout simplement, avec le droit de chacun de choisir une autre alimentation que le halal.

En écrivant cela, je ne veux stigmatiser personne ni aucune religion en particulier. Je veux simplement que la loi française soir respectée. Le problème ne vient pas de la religion (capable le plus souvent de pragmatisme) mais de ceux, sans doute minoritaires mais activistes, qui refusent de se conformer aux lois. Or, en République, nul n’est au-dessus de la loi. Ceux qui ne le comprennent pas ou ne l’admettent pas, se placent dans l’illégalité.

Mais revenons aux abattoirs montrés dans le reportage de France 2. On y voit des bovins égorgés vifs. Avez-vous déjà assisté à un tel « spectacle » ? Moi, si. Ce n’est pas à la gloire de l’espèce humaine. Une société qui fait souffrir les animaux n’est pas une société civilisée. Cela ne concerne pas que l’abatage. Entrent dans la catégorie des activités sadiques les corridas et les combats de coqs. Il y en a encore en France et je me prononce personnellement pour leur interdiction comme cela vient d’être heureusement décrété en Catalogne. Au-delà de ces mises à mort non conformes avec la dignité et le respect, il y a aussi les élevages en batterie et d’autres pratiques scandaleuses.

Là, nous sommes loin des rituels religieux (pour moi pas davantage justifiés mais au moins expliqués). Lorsque l’animal n’est pas considéré comme autre chose qu’une marchandise, l’humanité se déshonore. La loi du fric ne devrait pas être la seule prise en considération. Lorsqu’on égorge un bœuf simplement parce que cela va plus vite et donc coûte moins cher, cela est indigne.

Le reportage en question a montré que cette pratique était tolérée en grande partie parce qu’il n’y a plus de personnels pour le contrôle de l’application des lois et règlements. Cela ne concerne pas seulement les abattoirs : on a taillé depuis des années dans les effectifs des inspecteurs du travail ou de l’agriculture. Pis encore, en matière sanitaire et de mise sur le marché de médicaments, de récentes affaires ont montré que la conjonction du manque de personnel de contrôle et de la collusion de certains « experts » avec les laboratoires pharmaceutiques avait eu des conséquences catastrophiques sur la santé de nos concitoyens et même avait été responsable de décès.

Ces dérives sont de même nature et cela m’amène à une conclusion quasi philosophique. Une société qui ne respecte pas l’animal est une société qui ne respecte pas davantage l’homme.

La question de l’abatage rituel mérite débat. Faut-il l’interdire dans tous les cas ? Faut-il le limiter à certaines dates précises (comme l’Aid) ? Faut-il le circonscrire à une utilisation strictement en rapport avec la pratique de certaines personnes ? Personnellement, je penche pour l’interdiction générale et absolue. Mais on peut en discuter. Il y a toujours des arguments pour et d’autres contre. On peut envisager aussi des compromis (égorgé oui, mais après avoir été étourdi).

En revanche, la remise au premier plan de l’intérêt général, qui doit primer dans tous les cas l’intérêt particulier, devrait, après trente ans de dérive d’ultracapitalisme (dont on voit à quelle catastrophe il nous a mené), être une priorité. La fin ne peut justifier les moyens. Rentabiliser à tout prix en n’ayant aucun égard pour les souffrances des animaux, mais aussi des hommes, en sacrifiant la nature et en acceptant, de fait, toutes les dérives, n’est pas la solution si on veut promouvoir un développement durable.

Voici les quelques réflexions qui me sont venues en regardant, attristé, ce reportage télévisé. Merci aux journalistes qui ont effectué ce bon travail. S’ils ont réussi à nous interpeler durablement, il aura été utile.

Yves Barelli

23 février 2012

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7 décembre 2011 3 07 /12 /décembre /2011 16:04

om.jpgAprès la qualification de l'OM en ligue des champions, je publie un article écrit après la victoire en championnat sur le PSG. Je l'avais mis en réserve et il est plus que jamais d'actualité !

La valeureuse équipe de l’Olympique de Marseille a battu dimanche dernier (27 novembre) au stade vélodrome les méchants parigots du PSG. On n’a pas fait dans le détail : 3 à 0, quelle rouste !

Je sais, quelques âmes bien pensantes issues du politiquement correct vont me dire : et alors, c’est que du foot ! Tu veux écrire quelque chose là-dessus sur ton blog ? Mais c’est idiot ! Tu n’as plus d’inspiration? Et l’euro ? Et la crise ? Et le nucléaire ? Et le camarade François ? Et le Printemps arabe ? Et le vote des étrangers ?

Oui, bien sûr, mais chez nous les étrangers votent Marseille avec les pieds sur les terrains de foot, la crise économique, ils ne connaissent pas car ils engrangent de fortes sommes en euros avec, peut-être, des rétro-commissions en dollars ou en francs suisses. Quant au Printemps arabe, à la Porte d’Aix il est permanent. Certes, l’histoire de l’OM est une succession de crises, mais surtout de crises d’ego, car, du fond de leurs Maserati et de leurs Porsche, nos joueurs « s’en croient », comme on dit chez nous !

Ces joueurs ont une qualité : ils sont le contraire de machines et donc tout à fait imprévisibles. Avec eux, les matchs faciles ne sont jamais gagnés d’avance (ni pendant d’ailleurs) et quand on les croit perdus, ils ramènent une victoire. Ça, c’est du sport et du suspense ! On ne sait jamais ce qui va se passer. Quand Federer entre sur un court de tennis, on se demande pourquoi il y a match parce qu’on sait qu’il gagne toujours. Avec l’OM, au moins, on n’est jamais sûr de rien. En son temps, Tapis avait essayé de s’affranchir de l’incertitude en achetant Valenciennes. Cela ne lui a pas réussi. À l’OM non plus. C’est pourquoi, maintenant, on s’en remet davantage au hasard et à l’inspiration de joueurs pas toujours inspirés. Pour les cardiaques, ce n’est pas bon, mais au moins, dans les bistrots de la Capelette, ça anime les conversations autour du pastis.

Mais les supporters n’acceptent pas toujours la glorieuse incertitude du sport. Ils voudraient gagner à tous les coups. C’est simple, ils en veulent pour leur argent (et comme les places sont chères, ils en veulent beaucoup) et pour leur propre ego. Quand « nous » gagnons, surtout contre les têtes de veaux des bords de Seine, nous sommes les meilleurs de la terre, mais quand les « chèvres » perdent, « ils » nous humilient ces espèces d’« estrassaires » et, ça, c’est inadmissible.

Personnellement, je ne suis pas un fana de foot et les performances de l’équipe de France me laissent totalement indifférent. Souvent, je souhaite même qu’ils perdent. Comme cela, on m’épargne les tombereaux de nationalisme primaire et ridicule qui inondent nos chaînes de télévision en pareille circonstance. C’est dire que je n’ai pas été déçu lors du mondial d’Afrique du Sud. D’ailleurs, j’étais pour les Danois ! Ils sont pas rigolos (sauf après quatre bières), mais sympas. La seule chose qui me navre, c’est qu’on ait repris ensuite dans l’équipe de France les mutins des terres australes. Moi, je les aurais volontiers enfermés au Château d’If. Mais à la réflexion, cela aurait pollué la belle rade de Marseille. Finalement, la Conciergerie de Paris aurait été plus adaptée.

Mais l’OM, c’est différent. L’OM est une institution. Là, on va au-delà du foot. On entre dans l’irrationnel. L’OM, c’est le cœur que la raison des non-Marseillais ignore. En l’occurrence, pour nous, c’est être raisonnable qui serait déraisonnable. Alors, je préfère laisser parler mon cœur, même si, parfois, il ne dit pas que des choses sensées. Le Vélodrome est un chaudron dans lequel se retrouvent tous les Marseillais, même ceux que le foot ne fait pas vibrer. Le « ballon » (terme davantage utilisé sur la Canebière que foot) est bien secondaire. Si les Parisiens savaient jouer à la pétanque, tout Marseille serait avec nos « petancaires » contre ceux de Paris. Même des joueurs de cricket (jeu auquel nul n’a jamais rien compris) estampillés OM susciteraient l’enthousiasme. Avec l’OM, oui, je vibre avec toutes mes tripes et, peuchère, je force encore mon accent marseillais que je n’ai jamais perdu et je reprends même lou biais de parla de ma poulido Prouvenço, aquelo lengo de mi reire mespresado per lei nèci de l’Ubac. (Pour les Parisiens analphabètes en occitan, je traduis : « la manière de parler de ma belle Provence, cette langue de mes ancêtres méprisée par les idiots du Nord » - nord, c'est-à-dire la moitié nord de l’hexagone, sauf les Chti, ils sont gentils).

Pourquoi ? Pour deux raisons. La première est que l’OM est signe de reconnaissance pour Marseille. Venus des « quartiers nord » ou des terres plus bourgeoises de Saint Giniez ou d’Endoume, tous les Marseillais se retrouvent au Stade Vélodrome les soirs de match et ceux qui ne peuvent y être, s’accrochent frénétiquement à leur télé ou à leur radio (Radio-France Provence donne toujours l’intégralité des matchs). Les rues, alors, se vident et les bistrots avec écran géant s’animent. Et à la fin du match quand « on » gagne, ou quand « les chèvres » perdent, alors c’est l’explosion de joie ou, au contraire, l’abattement.

L’OM est un instrument intégrateur sans équivalent. « Fiers d’être Marseillais » n’est pas une devise vaine. Vieux Marseillais de souche, « gavot » des Alpes, corse du continent, pied-noir ou jeune beur, on se sent tous solidaires autour des « minots » de l’OM. Je ne dis pas que cela gomme tous les problèmes sociaux dans la cité phocéenne, mais cela les atténue. Dans nos cités des quartiers nord, nous avons autant de personnes d’origine étrangère qu’ailleurs, et sans doute même plus, mais ils se sentent pleinement Marseillais. L’accueil des immigrés est une vieille tradition marseillaise qui remonte à l’an 600 avant Jésus-Christ lorsque Marseille fut fondée par des Ligures autochtones mêlés de Grecs débarqués.

Au fait, vous ne connaissez pas la légende de la fondation de Marseille ? Je vais vous la dire : il était une fois un beau marin, du nom de Protis, capitaine d’un navire venu de Phocée, cité grecque d’Asie mineure. Il débarqua avec son équipage sur les rives du Lacydon, calanque entourée de pinèdes, de chênes kermès, de plantes grasses et de figuiers, dans la senteur de la farigoule (thym) et le chant des cigales. Il trouva le site magnifique avec cette colline qui ne portait pas encore la Vierge de la Garde et cet îlot d’If sans son château en face de ce qui deviendra la « Corniche ». Là vivait une peuplade pacifique appartenant à la nation ligure (contrairement à ce que racontent les livres d’histoire, nos ancêtres ne sont pas gaulois mais ligures et grecs). Le roi local voulait marier sa fille Gyptis et, selon la tradition dans ce pays de Cocagne où on respectait la femme, il revenait à la fille de choisir son mari parmi tous les hommes conviés au banquet en lui offrant un verre de vin. Comme nos ancêtres étaient ouverts et hospitaliers, les marins grecs de passage furent naturellement invités à partager l’ « aïoli monstre », comme on dit aujourd’hui, et le vin de Bandol ou de Cassis qui l’accompagnait.

La belle Gyptis offrit la coupe au beau Protis. De là naquit l’union qui fonda la cité de mes ancêtres. Belle légende, n’est-ce pas ? Autre chose que celle de la fondation de Rome où un méchant ambitieux trucide son frangin. Quant à la fondation de Paris, je ne m’en souviens plus et, en bon Marseillais, je m’en fous.

Alors, en matière d’accueil des étrangers et d’intégration, Marseille est plutôt un modèle. Les Italiens y ont élu domicile depuis longtemps, l’Arménie n’est pas en reste, les Catalans auxquels Frédéric Mistral avait dédié sa « coupo santo» (qui est l’hymne national provençal) y sont chez eux, comme le sont les Corses, les Kabyles, les Djerbi, les Maliens ou les Comoriens. Tous se sont intégrés, tous s’expriment dans l’accent local (seuls les Parigots continuent en général de parler « pointu ». Pecaire ! Ils ont du mal, ces fadas, avec l’accent tonique et avec les o et les e ouverts). Avez-vous noté que « nos » Arabes (qui sont souvent Berbères), ont chez nous l’accent marseillais alors que ceux de Clichy parlent encore comme à Ouarzazate ? Avez-vous remarqué aussi qu’en 2005, dans ce qu’on a appelé la « révolte des banlieues », celles de Marseille n’ont pas bronché ? Comme dit l’autre, la misère se supporte mieux au soleil, mais aussi personne ne se sent exclu entre le Vieux-Port et l’Estaque. L’OM en est à la fois une cause et une conséquence. Chez nous, tout le monde est fier d’être Marseillais !

Les seuls à nous critiquer, souvent, ce sont les médias hexagonaux. Sans doute sont-ils jaloux. Mais cela nous touche. Marseille a un lourd complexe de dominé et d’humilié face à Paris. Alors comprenez qu’une victoire de l’OM contre le PSG nous fasse jouir. Nous avons ainsi l’impression, le temps d’un match, d’effacer cinq siècles de colonisation. Et ça, c’est la deuxième raison pour laquelle nous sommes tous derrière l’OM.

Tout cela est sans doute exagéré et « tout ce que je dis, comme dit le chroniqueur de France Info, vous n’êtes pas obligé de le croire ». D’ailleurs, je sais que vous ne le croyez pas, indécrottables Parisiens !

Tant pis. Mais lorsque je trouve à Argenteuil ou à la Garenne-Colombes plus d’ « OM-magasine » et de « Droit au but » que de journaux à la gloire du PSG façon Qatar, cela me fait plaisir. Dans les classes des écoles de ces banlieues, il y a beaucoup plus de supporters de l’OM que du PSG. Lorsque je voyage en Afrique, dans les endroits les plus reculés, on me parle spontanément de l’OM. Ça m’apporte beaucoup de joie, d’autant plus que cela agace certains rabat-joie qui m’accompagnent.

En terminant ce récit et comme je sais les ravages causés par les temps qui courent par le politiquement correct, je veux me tourner vers mes amis Parisiens (j’en ai beaucoup, des bien plus intéressants que beaucoup de Marseillais stupides que je connais) et de la moitié nord de la France. Ne prenez pas pour argent comptant ce qui précède. D’ailleurs, avec la crise de l’euro, cet argent risque de perdre toute valeur. Je ne voudrais pas qu’on m’intente un procès pour racisme primaire et langage méprisant pour une partie de nos concitoyens qui n’ont pas eu la chance de naître au bord de la Grande Bleue. Je ne veux stigmatiser personne, c’est contraire à la loi et à mes convictions. C’est pourquoi je n’écrirai pas que les Parisiens, quand il y en a un ça va, mais c’est quand il y en a beaucoup que ça pose problème (jusqu’à onze sur un terrain, on s’en occupe, mais au-delà…). C’est vrai, c’est bien assez dur de supporter la bruine permanente de la capitale. N’ajoutons pas le mépris au malheur !

Une bonne partie de ce qui précède n’était pas très sérieuse. Je conviens. Mais une autre partie, oui. Mon étude sociologique n’est pas à rejeter en totalité. Je vous laisse faire le tri. Mais ce qui est sérieux, c’est qu’une ville, un pays, des individus ont besoin de rêver pour vivre et d’y croire pour faire des choses ensemble. Si l’OM ne servait qu’à cela, ce serait déjà positif.

Alors, je ne rougis pas de vibrer avec cette équipe.

Allez l’OM ! « Longomai » (et encore longtemps) comme on dit chez nous !

Yves Barelli, 29 novembre 2011

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29 novembre 2011 2 29 /11 /novembre /2011 22:10

 

vote3.jpgLe Parti Socialiste et les Verts ont mis à leur programme le vote, et même l’éligibilité, aux élections locales de personnes non françaises. Cette possibilité est assortie de conditions de résidence en France (10 ans). Certaines personnalités de droite, y compris Nicolas Sarkozy en 2006 ou Jean-Louis Borloo aujourd’hui s’étant prononcées en faveur de cette possibilité, tandis que d’autres, à droite comme à gauche, n’y étant pas favorables, cette question controversée dépasse les clivages politiques. Il serait sain qu’elle ne devienne pas un enjeu électoral.

 

 

La France a toujours été ouverte et les étrangers ont exactement les mêmes droits et devoirs que les citoyens français en matière de salaires, de syndicalisme, d’éducation, de santé ou de prestations sociales et familiales. Il apparait en conséquence logique à ceux qui le proposent d’étendre ces droits aux élections locales (à quand l’accès à la fonction publique des non-Français ?).

 

Une première brèche a été ouverte en accordant le droit de vote aux citoyens de l’Union européenne. Donc pourquoi pas aux autres étrangers ?

 

Il y a une logique apparente dans cette proposition. Mais apparente seulement.

 

Je ne suis pas favorable au droit de vote des étrangers, quelle que soit le type d’élection politique et quelle que soit leur nationalité, européenne ou autre.

 

Pourquoi ?

 

Le vote est un acte citoyen majeur dans une démocratie. En tant que tel, je pense qu’il faut le réserver aux citoyens, donc aux Français.

 

Certains mettent en avant l’argument selon lequel conférer le droit de vote permet une meilleure intégration.

 

Cet argument ne tient pas la route.

 

La France est l’un des pays au monde où l’acquisition de la nationalité est la plus facile. Pour quelqu’un qui est intégré, c’est-à-dire qui vit et travaille en France depuis plusieurs années, qui est francophone et qui vit comme un Français, l’acquisition de la nationalité demande quelques formalités et généralement prend moins de cinq ans. Si l’étranger est parent d’un Français (tout enfant qui nait en France est automatiquement français s’il réside de façon continue en France) ou conjoint de français, la naturalisation est encore plus facile et rapide.

 

Non seulement notre pays confère facilement la nationalité française, mais il n’émet aucune objection à ce que le naturalisé conserve sa nationalité d’origine (la France reconnait la double nationalité ; ce n’est pas le cas de nombreux autres pays. Je pourrais citer plusieurs exemples de pays où j’ai vécu où nos compatriotes, même nés dans le pays, n’ont aucune chance d’obtenir la nationalité locale s’ils ne renoncent pas à leur nationalité française) Il y a ainsi des millions de binationaux en France. Dans certains cas, le naturalisé perd sa nationalité d’origine, mais c’est du fait de la législation du pays d’origine, pas de la France, sauf, en général, si la nationalité d’origine est celle d’un pays de l’Union européenne parce que le droit communautaire s’est aligné sur celui de pays moins généreux que nous en matière de nationalité. Pour les Européens, il est donc difficile de conserver la double nationalité, sauf si elle est par filiation (mais dans ce cas, il n’y a pas acquisition de nationalité, seulement conservation de la nationalité, automatique, issue de parents de nationalités différentes). Cette restriction à la double nationalité de ressortissants communautaires est compensée par des droits supérieurs au droit commun conférés aux citoyens communautaires.

 

Dans ces conditions, si un étranger souhaite devenir Français, il a toutes les chances de le devenir effectivement en moins de dix ans, le délai de résidence minimum généralement considéré par les partisans du droit de vote des étrangers. S’il n’a pas obtenu la nationalité française malgré sa demande, c’est parce qu’on a considéré qu’il n’était pas intégré à la société française du fait, en général, de son refus d’apprendre le français ou de son mode de vie en opposition avec ce qu’on peut attendre d’un Français. Soyons clairs : cela concerne des personnes incapables de s’échapper de leur communautarisme et, en fait, ne désirant pas s’en échapper. Ils veulent devenir Français seulement « pour les papiers », comme on dit. Dans ce cas, ils ne méritent pas la nationalité française, mais pas non plus le droit de vote.

 

Actuellement, il n’y a aucune revendication notable de la part d’étrangers, individuellement ou par le biais d’associations qui pourraient les représenter, pour obtenir le droit de vote. Même les étrangers communautaires votent très peu. Le moins qu’on puisse dire est que cette initiative ne correspond ni à une demande ni à un problème pour lequel il faudrait trouver une solution urgente.

 

Mieux, ou pis, c’est selon votre appréciation, toutes les enquêtes montrent que la participation aux élections locales ou nationales des Français de fraiche date ou des binationaux issus des nationalités les plus présentes en France est plus faible que la moyenne des Français. S’il y a un problème d’intégration, il est bien là. Avant d’intégrer les étrangers, il faudrait commencer par intégrer les Français d’origine étrangère. Le seul droit de vote n’est pas le seul critère, on le sait bien. Travail et logement sont des problèmes vécus comme bien plus importants que le droit de vote.

 

Mais allons plus loin, même si la question n’est pas vraiment d’actualité (en tout cas pas encore). Un nombre important de communes, en particulier dans la banlieue parisienne, ont des populations étrangères atteignant souvent 40%, parfois plus de 50% de la population. Les enquêtes réalisées depuis plusieurs années (voir notamment l’enquête menée par Gilles Kepel à Montfermeil et Clichy-sous-Bois qui a été publiée en octobre 2011 par l’Institut Montaigne sous le titre « Banlieue de la république ») montrent qu’une proportion significative d’étrangers, et même de binationaux, se sentent totalement étrangers à la communauté française à laquelle, de fait, ils refusent de s’intégrer. Je ne dis pas une majorité, je n’en sais rien, je dis une part significative. Kepel pointe notamment non seulement une forte pratique de l’islam (ce qui est un droit reconnu dans notre République), mais une exigence intolérante des signes extérieurs de cette pratique, tels le respect général dans certaines cités du jeune du ramadan, le port du hidjab ou la consommation de produits strictement hallal.

 

S’agissant des personnes originaires des pays concernés par ces pratiques, l’instruction sérieuse des demandes de naturalisation peut permettre de faire le tri entre ceux qui ont le désir de s’intégrer à la société française et ceux qui refusent l’intégration.

 

En voulant conférer le droit de vote à tous, intégrés et refusant de s’intégrer, on prend le risque de voir émerger dans certaines communes des majorités préconisant un mode de vie qui n’est pas le nôtre. On peut anticiper les problèmes qui risquent alors de se poser face à des arrêtés municipaux pris par des municipalités d’inspiration islamiste.

 

Une fois de plus, je ne dis pas que tous les étrangers sont suspects de modes de vie incompatibles avec les lois de la République, mais le danger existe. La lecture des récents résultats électoraux des Tunisiens de France (et sans doute aussi des Marocains, dont le résultat n’est pas encore connu à l’heure où sont écrites ces lignes) doit, à cet égard, nous interpeler. Pas seulement pour le vote islamiste, dont il ne faut pas surestimer la signification (le fait de voter pour un parti islamiste ne signifie pas nécessairement une adhésion à la volonté d’imposer la charia. Il y a d’autres motivations, politiques et sociales pas nécessairement liées à la religion). Il est intéressant aussi de savoir qui a voté : le degré de participation des intéressés a été, en général, inversement proportionnel à la qualité de leur intégration en France. En d’autres termes, ce sont les moins intégrés qui ont le plus voté dans ces scrutins étrangers. Les mieux intégrés se sont sentis moins concernés, signe que le vote est un acte citoyen majeur qui ne doit pas être conféré à n’importe qui. Ceux qui veulent donner le droit de vote aux étrangers devraient faire l’effort de mieux connaitre les intéressés, mais il semble, obéissant à une sorte de dogmatisme, qu’ils aient oublié de leur demander leur avis. Il ne doit pas y avoir beaucoup de franco-maghrébins rue de Solferino ! Il se trouve que j’en connais un certain nombre parce que j’ai vécu au Maroc et en Algérie et que j’ai quelques amis binationaux. Lorsqu’on est né à Djerba et qu’on habite Paris ou Marseille depuis dix ans, si on n’a pas encore obtenu la nationalité française, c’est qu’on n’est pas intéressé par la France. Dans le cas contraire, on garde un attachement sentimental au pays d’origine, mais on sait que son destin est désormais au nord de la Méditerranée, pas au sud. Dans ce cas, on vote aux élections françaises et on se sent moins concerné par celles de Tunisie (auxquelles d’ailleurs certains de mes amis disent ne rien comprendre). Alors, parler du droit de vote des étrangers comme antidote à une soi-disant frustration ressentie, c’est la preuve qu’on parle de ce qu’on ne connait pas.

 

Je considère dans ces conditions la proposition de conférer le droit de vote aux étrangers comme inopportune (ce n’est certainement pas la priorité du moment), inutile (ceux qui sont intéressés par la France et sa vie politique, ont déjà demandé la nationalité française et, dans presque tous les cas, l’ont obtenue) et dangereuse.

 

Je suis d’accord avec ceux qui s’y opposent, quelle que soit la formation politique à laquelle ils appartiennent le cas échéant.

 

Yves Barelli, 27 novembre 2011

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