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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 12:17

Hier soir, dans mon quartier de Marseille, plus exactement au pied de l’immeuble où j’ai un appartement, un marchand de journaux-PMU a été tué à coups de couteau au cours d’un braquage qui a mal tourné. Le butin est dérisoire. L’émotion dans ce quartier tranquille de classes moyennes est grande. Je connaissais ce brave homme, un petit commerçant qui ne roulait pas sur l’or.

 

Je n’ai pas l’habitude sur ce blog de commenter les faits divers. Si je le fais, c’est parce que ce crime, qui est loin d’être exceptionnel dans cette ville, devrait nous interpeler. Il y a toujours eu des crimes et des criminels et, sans doute, est-il impossible de les empêcher totalement, quels que soient la société ou le pays où l’on vit. Mais lorsque la délinquance et le mépris de la vie humaine deviennent si habituels, ce sont des phénomènes de société qui doivent nous interpeler. A une telle échelle, il n’y a pas de fatalité. Il y a une société qui a perdu ses repères et qui ne sait plus se défendre.

 

Marseille n’a jamais été une ville facile. Les petits et gros malfrats ont hélas toujours fait partie du paysage. On subissait, comme les marins en mer subissent les tempêtes.

 

Mais depuis quelques années, la délinquance a explosé dans la cité phocéenne. Pas seulement celle des caïds de la drogue qui règlent leurs comptes à coup de kalachnikovs. Tant qu’ils se tuent entre eux, ce n’est pas le plus grave, encore que nul n’est à l’abri d’une balle perdue. Désormais, les meurtres ne se limitent plus aux pieds des barres HLM des quartiers nord. Ils viennent tuer n’importe où, là où se trouvent leurs victimes. Dernièrement, à un carrefour très fréquenté de mon quartier, décidément sous le feu de l’actualité, c’est le cas de la dire. Selon la police, les délinquants, petits et grands, y sont « de passage à 95% »).

 

Désormais, le banditisme a essaimé dans toute la ville. Les braquages de petits commerçants sont quotidiens, les vols à l’arrachée, notamment de colliers en or, idem (30 par jour entre juin et août : il y en a moins parce que les Marseillaises ont renoncé à porter quelque bijou que ce soit). Passé 20 heures, les rues peu fréquentées sont devenues dangereuses. Les cambriolages d’appartements et les vols de voitures font également partie des risques quotidiens.

 

Cette situation est évidemment liée à la dégradation de la situation économique et à la montée du chômage. Mais pas seulement. Nous avons affaire à un nombre alarmant de personnes qui ont perdu toute notion des valeurs, et en particulier de la vie humaine. On s’attaque aux plus faibles, de préférence aux personnes âgées, aux femmes isolées ou aux petits commerçants. On le fait avec des couteaux, l’arme du pauvre, ou avec des armes de guerre lorsqu’on est plus haut dans la hiérarchie de la délinquance.

 

J’ai écrit récemment sur la crise qui frappe Marseille (« Marseille, une crise de plus », mis en ligne le 7 octobre dernier). Je ne vais pas y revenir. Je voudrais en élargir la problématique.

 

Ce qui frappe Marseille aujourd’hui est facilement médiatisé par son côté spectaculaire qui transforme n’importe quel fait divers en film noir sur fond d’une ville qui adore se mettre en scène : Plus belle la vie, plus horrible la mort !

 

Mais ce qui frappe cette ville va rapidement frapper l’ensemble de la France. Marseille n’est que l’image actuelle de ce que seront demain Lyon, Paris, Lille ou n’importe quel bourg si notre société ne réagit pas très vite.

 

La délinquance est liée à deux choses : la perte des valeurs et le laxisme face à elle.

 

Lorsqu’il n’y a plus d’autorité, lorsque la télévision nous renvoie l’image de l’égoïsme, du chacun pour soi, de ceux qui gagnent en un jour ce que d’autres mettent des années à toucher, des riches qui s’exilent fiscalement avec une partie de la classe politique qui trouve cela normal, mais aussi de moins lotis qui ont le spectacle de l’argent facile, celui des caïds de la drogue qui roulent en 4x4 dans leur cité, et celui des gamins qui reçoivent un billet de 100 euros pour faire le guet à l’entrée de la cité, lorsque celui qui veut travailler ne trouve pas de travail et celui qui vole le fait en toute impunité, dans cette société-là, on perd tout repère, il n’y a plus de valeur et la vie humaine devient quantité négligeable.

 

J’avais écrit l’année dernière dans ce blog quelque chose sur les incivilités (« combattre les incivilités », 8 octobre 2011). J’avais noté que celles-ci devenaient de plus en plus nombreuses et qu’elles empoisonnaient la vie quotidienne.

 

L’incivilité, c’est lorsque on jette par terre des papiers ou des canettes de bière, lorsqu’on laisse son chien aboyer sans se soucier des voisins, lorsqu’on le laisse faire ses crottes sur le trottoir, lorsqu’on laisse sa voiture en double file ou devant une entrée de parking simplement parce que c’est moins fatiguant que d’aller se garer un peu plus loin. L’incivilité, c’est aussi lorsqu’on répond à une remarque justifiée par un « je t’em… » tonitruant ou lorsqu’un élève manque de respect envers son professeur.

 

En soi, les incivilités sont graves parce qu’elles rendent la vie difficile et qu’une agressivité des gens s’ensuit.

 

Mais elles sont plus graves encore car, pour beaucoup, c’est le début d’un engrenage. On commence à perturber une classe en primaire en toute impunité, puis on intimide ses petits camarades et on devient ce qu’on appelle à Marseille un « càcou », autrement dit un moins que rien qui roule les mécaniques et qui se croit tout permis parce qu’il ne rencontre aucune résistance. La suite logique, c’est la petite délinquance : on vole pour améliorer l’ordinaire et quand on vole ainsi dans l’impunité, on peut passer à la vitesse supérieure : la délinquance organisée moyenne puis grande. Le stade ultime est le grand banditisme.

 

Il est clair que si rien n’est fait très tôt pour casser cette chaine, non seulement les inciviques deviennent des petits puis des grands délinquants, mais ils font des émules. Pourquoi aller me garer plus loin si je peux faire comme les autres, n’importe où ? Pourquoi chercher une poubelle si tout le monde jette par terre avec cet argument en béton, si c’est pas moi, ce sera un autre ? Pourquoi travailler si je peux gagner facilement du fric en volant ou en dealant ? Je ne suis pas plus bête qu’eux, disent-t-il. Les BM, pas seulement pour eux, pour moi aussi !

 

Lorsque la délinquance explose en toute impunité, il n’y a aucune raison qu’elle ne se généralise pas. On a tous vu à la télévision, dans les reportages sur le travail de la police, ce spectacle lamentable offert par des fonctionnaires de police qui n’en peuvent mais lorsqu’ils amènent des petits délinquants arrogants en garde à vue en leur disant : « tu connais le chemin, c’est pas la première fois ». Effectivement, pour les délinquants les plus dangereux, ce n’est pas la première fois. Lorsque des multirécidivistes trainent des casiers judiciaires avec plus de dix petites condamnations à des peine de prisons soit avec sursis soit non effectuées parce qu’il n’y a pas de place en prison, on se pose des questions sur le fonctionnement de la justice. On a en fait un sentiment d’injustice. Parfois les peines sont excessives, mais le plus souvent on est stupéfait devant la clémence exprimée pour des gens qui ne la méritent pas et surtout qui ne la comprennent pas. Il y a chez la plupart des délinquants, un sentiment de totale impunité qui se traduit par le mépris de la police et d’une façon générale de la société. Cela est très grave.

 

Je ne vais pas proposer des solutions précises. Je ne suis pas spécialiste de la question et les « y a qu’à » ne sont pas toujours adaptés. Mais je crois qu’il faudrait enfin mener une véritable réflexion sur ce qu’est devenue notre société et surtout sur ce à quoi elle tend si on laisse faire sans réagir. La situation de Marseille pourrait être celle de l’ensemble de la France à brève échéance.

 

Il y a deux manières de s’attaquer à la violence. La prévention et la répression. La première s’appelle l’éducation. Réapprendre aux enfants le respect des adultes et en premier lieu des enseignants, leur inculquer les valeurs de la République et les règles élémentaires de la vie en société. A cet égard, la suppression du service militaire a été une faute. La prévention c’est aussi de créer des emplois. C’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Dans les zones de non droit qui se sont créées dans nos banlieues, les emplois seuls ne suffiront pas si dans le même temps on peut gagner beaucoup plus sans travailler et en toute impunité.

 

Au-delà de la prévention, il doit y avoir des sanctions adaptées. Les règles devraient suivre la logique suivante. A la première incivilité, on réagit immédiatement avec le corolaire de l’incivilité, la réparation de cette incivilité : celui qui salie le sol doit être tenu de nettoyer, celui qui dégrade doit réparer, celui qui gare sa voiture en gênant les autres doit être lui-même gêné par l’immobilisation de son véhicule pour une durée en proportion de la gêne, etc. La récidive doit être plus durement sanctionnée. Quant aux multirécidivistes, seules de lourdes peines de prison sont la solution, pas seulement pour qu’ils comprennent la gravité de leurs actes (certains ne comprendront jamais) mais surtout pour en débarrasser la société. Cela ne devrait pas empêcher des libérations anticipées, mais seulement pour ceux qui font preuve en prison sur la durée d’une conduite exemplaire.

 

Le but de la sanction devrait, dans tous les cas, être pédagogique. Comprendre que la société veut se défendre et qu’il ne saurait y avoir impunité. Pédagogie pour le délinquant. Pédagogie aussi pour ceux qui seraient tentés de suivre leur exemple.

 

Cela implique sans doute un changement de mentalités et de comportements pour l’ensemble de la société. Le spectacle de l’argent vite et mal gagné, même par des moyens légaux, doit être combattu. Notamment pour les plus riches (voir mon article du 7 septembre : « candidats à l’exil fiscal, partez ! »). Cela implique aussi plus de moyens pour la police qui doit être remotivée par l’arrêt du laxisme des condamnations. Cela implique aussi un changement de comportement de cette même police (lorsqu’il m’arrive de suivre une voiture de police qui passe devant des dizaines de voitures en double file sans s’arrêter, je dis que cela encourage l’incivilité et cela est une porte ouverte à la délinquance).

 

Notre société est en mauvais état. Réagissons !

                                                                                              Yves Barelli, 10 novembre 2012                                    

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