Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 avril 2013 3 03 /04 /avril /2013 14:38

 

Jérôme Cahuzac était, jusqu’à ce qu’il soit démis de ses fonctions par le Président Hollande il y a une semaine, ministre du budget, chargé en conséquence de la gestion des recettes et des dépenses de l’Etat, mais aussi, en charge de la lutte contre la fraude fiscale.

Jérôme Cahuzac a reconnu le 3 avril détenir depuis vingt ans un compte en Suisse (avec un solde créditeur de 600 000€), puis à Singapour, sur lequel il avait placé des gains, non déclarés au fisc, en relation avec des opérations liées à des groupes pharmaceutiques. Ces opérations de « lobbying » ou de conseils avaient été faites en tant que chirurgien, profession exercée par l’intéressé avant qu’il ne se lance en politique. Mais une circonstance aggravante était que ces contacts troubles avec ces entreprises avaient été pris lorsque Cahuzac avait exercé une fonction de conseiller au cabinet du ministre socialiste de la santé de l’époque.

Cet aveu est intervenu après que l’organe en ligne « médiapart » ait apporté en décembre dernier des éléments accréditant le soupçon de l’existence du compte, puis que la justice se soit saisie de l’affaire et, que, hier le «canard enchaîné » ait annoncé la diffusion de nouvelles preuves.

Depuis décembre, Jérôme Cahuzac avait réfuté avec constance les accusations de médiapart sur tous les plateaux de télévision. Pis, il avait affirmé solennellement devant l’Assemblée Nationale qu’il n’avait pas et n’avait jamais eu de compte à l’étranger. Il aurait réitéré ce mensonge en face à face dans les bureaux du Président de la République et du Premier Ministre.

Hier soir, le Premier Ministre a dénoncé à la télévision la « trahison » de Cahuzac.

Ce matin, François Hollande, dans une allocution d’une exceptionnelle fermeté prononcée à l’issue du conseil des ministres, a dénoncé le « manquement à la morale républicaine », « une faute impardonnable », un « outrage à la République » et a annoncé un certain nombre de mesures qui vont être rapidement prises : renforcement de l’indépendance de la justice, lutte contre les conflits d’intérêts privés-publics, publication obligatoire et contrôle du patrimoine des hommes politiques, interdiction à vie d’exercer un mandat public pour tout homme politique condamné pour corruption ou affaires financières.

Cet enchaînement d’évènements et les annonces du chef de l’Etat appellent de ma part les commentaires suivants :

1/ L’indignation de François Hollande n’est certainement pas feinte. Il avait insisté dans la campagne électorale présidentielle sur son intention d’instaurer une république « exemplaire ».

2/ Il est donc probable qu’il ait été « trahi ». On peut néanmoins s’interroger sur le fonctionnement de l’Etat au plus haut niveau. Cahuzac avait certes de grandes qualités, mais son passé, pour le moins, était trouble. Sans doute, le chef de l’Etat, qui ne manque pas de moyens d’investigation (mais qui, contrairement à une opinion courante chez les citoyens de base, ne sont pas illimités), aurait-t-il pu et dû, au moins depuis les révélations de médiapart, chercher à faire toute la lumière sur l’existence du compte (une enquête un peu plus approfondie sur les gains supposés de Cahuzac il y a vingt ans aurait pu en attester la vraisemblance).

3/ L’opposition insiste sur ce point. Mais elle manque singulièrement de crédibilité. D’abord parce que, avant d’être ministre du budget, Cahuzac avait été sous Sarkozy président de la commission des finances de l’Assemblée Nationale. Dans cette fonction concédée à l’opposition, il avait certes été choisi par les députés socialistes, mais le précédent gouvernement n’avait pas, lui non plus, cherché à faire la lumière sur le passé de Cahuzac. Ensuite, parce que l’ancienne majorité traine quelques « boulets » à ses pieds. L’ancien ministre du budget, Eric Worth, certes qui n’a pu être « coincé », n’était pas, non plus, très clair. Nicolas Sarkozy pas davantage : il vient d’être mis en examen pour « abus de faiblesse » de la milliardaire Madame Bettencourt, propriétaire de l’Oréal et femme la plus riche de France, soupçonnée de « cadeaux » occultes à Sarkozy. Certes, une mise en examen n’est pas une condamnation et la présomption d’innocence doit être retenue jusqu’à l’éventuel procès. Le même Sarkozy avait notoirement entravé le cours de la justice pendant son mandat concernant ce qui n’était encore que l’ « affaire Bettencourt ». Les cris d’Orfraie de la droite dénonçant la « naïveté » de Hollande et même sa complicité, manquent donc singulièrement de crédibilité.

4/ Dans cette affaire, la justice suisse s’est montrée très coopérative. Ce sont ses investigations qui ont convaincu Cahuzac qu’il n’avait plus d’autre solution que de passer aux aveux.

5/ L’intervention de François Hollande aujourd’hui était certes forte mais peut-être pas à la hauteur des attentes des Français : une intervention de deux minutes, c’est un peu court et choisir une déclaration enregistrée (même si elle l’a été dans les minutes qui ont précédé la prise de parole) manque de naturel.

Quant aux mesures annoncées, elles apparaissent tellement évidentes qu’on se demande pourquoi il a fallu attendre cette affaire pour les prendre. L’indépendance de la justice est déjà théorique. La réaffirmer est bien, mais pas vraiment révolutionnaire. La déclaration de patrimoine des ministres a déjà été introduite par Hollande. Annoncer des contrôles est la moindre des choses. Interdire à vie tout mandat pour les hommes politiques condamnés, cela aussi est la moindre des choses.

S’agissant maintenant de la crédibilité de la parole du chef de l’Etat, on reste sur notre faim. Certes, Hollande ne peut être accusé de complicité et son honnêteté n’est pas en cause. Mais on attendait plus. Le Président et le Premier Ministre doivent assumer les actes d’un ministre dans l’exercice de ses fonctions. Dans la vie de tous les jours, on demande des comptes à un chef, quel qu’il soit, lorsqu’un collaborateur est impliqué dans une affaire. Hollande pas coupable, mais responsable sans doute. Notamment responsable d’avoir choisi Cahuzac comme ministre. Il n’est pas question évidemment de demander la mise en examen du Président. Mais qu’il assume, oui.

6/ La France n’est pas en bonne santé aujourd’hui, et elle n’est pas la seule dans ce cas. L’individualisme et le fric sont trop puissants dans nos sociétés. On met trop en exergue la réussite individuelle. On n’est pas assez regardant sur les modalités de l’exercice du pouvoir ou de l’enrichissement. C’est le principe du « pas vu, pas pris ». On peut être une crapule, un filou. Si on est assez malin pour ne pas se faire prendre, c’est bien et cela suffit. En d’autres termes, nos sociétés souffrent d’un déficit de moralité publique et privée. N’ayant plus de projet collectif, nos sociétés sont devenues le règne du chacun pour soi, de la débrouille individuelle. On se recroqueville sur sa petite sphère privée et la tentation de l’argent vite et mal gagné est grande. Tant que la société capitaliste, c’est-à-dire la société de la suprématie du capital, donc du fric, existera, je suis très pessimiste sur les chances de changer les comportements. Même en risquant gros, trop de gens seront tentés de « faire du fric » ou d’exercer le pouvoir par tous les moyens. Moraliser la vie publique, et privée, me parait en conséquence un préalable. Il faut mettre d’autres valeurs en tête que celles qui sont encensées aujourd’hui par les médias et les publicités. Il faut drastiquement réduire les inégalités scandaleuses de revenus et plus encore de patrimoines qui font de plus en plus ressembler nos sociétés à celles de l’ancien régime (avant la Révolution de 1789 lorsque la noblesse avait des privilèges légaux).

7/ Je pratique beaucoup depuis trente ans nos hommes politiques. L’argent n’est pas, de loin, leur motivation principale. On ne fait pas de politique pour l’argent (diriger une grande entreprise est bien plus « rentable »). On la fait pas passion, par goût du pouvoir, par souci d’imprimer sa marque personnelle à la société (cela va du petit équipement dans un village aux grandes réformes à la tête de l’Etat). On ne fait donc pas de politique pour gagner de l’argent. Mais, en faisant de la politique, on a beaucoup d’occasions d’en gagner. C’est une tentation constante, même si elle n’est pas le but de l’engagement. Et je ne dis pas que la majorité des politiques succombent à la tentation. Il s’agit sans doute d’une minorité.  

Il faut donc des lois et des contrôles de patrimoines. Il faut aussi une justice indépendante et des médias libres, même et surtout lorsqu’ils dérangent (à condition aussi, de contrôler la déontologie de ces médias, pas souvent « indépendants », eux).

Trop d’hommes politiques se croient invulnérables. Soit parce qu’ils pensent être protégés, soit parce qu’ils sont convaincus de leur « bonne étoile », soit parce qu’ils pensent être plus intelligents et plus rusés que les autres, soit, tout simplement parce qu’ils ont perdu le contact avec les réalités. Toute loi tendant à renforcer les contrôles ira dans le bon sens.

8/ Changer du tout au tout la société est nécessaire. Mais je ne rêve pas. Le grand soir n’est pas encore pour demain, ni même après-demain.

On peut en revanche améliorer grandement les choses en sanctionnant le parjure. Je ne suis pas un fanatique des Etats-Unis, mais sur ce point-là, je pense qu’on devrait s’inspirer de ce qui se fait là-bas.

Il faut considérer le mensonge comme une infraction gravissime passible de sanctions lourdes. Ceci pour tout le monde. Dans le cas d’un forfait comme vient de commettre Cahuzac, la sanction devrait être maximale parce qu’il a menti sciemment devant la représentation nationale.

Je ne préconise pas ces séances publiques de repentir telles qu’on les pratiques outre-Atlantique. Je les trouve ridicules et manquant, le plus souvent, de sincérité. Je ne dis pas non plus que chacun devrait tout dire sur tout. Certaines vérités ne sont pas bonnes à dire et chacun a droit à la discrétion. Mais mentir cyniquement cela est grave. On devrait inculquer (et sanctionner) cela dès l’école maternelle.

Or, notre système juridique ne va pas dans ce sens. Une crapule peut aujourd’hui mentir quasiment en toute impunité. Seules les preuves matérielles comptent. On va condamner quelqu’un parce qu’il a commis un acte, mais qu’il ait menti ou non est peu pris en compte.

Si on introduisait enfin le mensonge comme acte susceptible d’être lourdement sanctionné, cela pourrait avoir des conséquences positives sur la vie de tous les jours. On a tous eu affaire à des exemples de bureaucratie stupide où, pour remplir un dossier, il faut produire tel papier dans les formes prévues (par exemple l’original et non la copie, un document vieux de pas plus trois mois, etc). Le fonctionnaire (ou l’administratif, car, souvent dans le privé c’est pire) est tout à fait imperméable à la notion de bonne foi, parfois évidente, de celui qui est en face. Lorsque vous vous heurtez à un tel mur, il ne sert à rien de proposer d’écrire noir sur blanc en joignant la pièce au dossier que vous affirmez sur l’honneur la vérité de vos affirmations ou que vous vous engagez à régulariser. Peine perdue : pas de papier, pas de preuve dans les formes requises, pas de réalité et surtout pas de confiance (la question n’est même pas posée).

Si le mensonge était lourdement puni, on pourrait enfin envisager de simplifier bien des démarches. On pourrait faire confiance à priori, sachant que si cette confiance est trahie, la sanction sera lourde.

Si cette affaire Cahuzac peut entraîner une réflexion pas seulement sur les hommes politiques mais aussi sur le fonctionnement, enfin moral, de nos sociétés, elle aura été utile./.

                                                                                                          Yves Barelli  , 3 avril 2013                                                       

Partager cet article
Repost0

commentaires

Recherche