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1 juillet 2014 2 01 /07 /juillet /2014 22:13

Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, est en « garde à vue » depuis ce matin. Il est en effet détenu dans les locaux de la police judiciaire pour y être entendu par un juge d’instruction. Il peut y rester quarante-huit heures, délai légal maximum avant mise éventuelle en examen ou remis en liberté.

1/ Rappelons que la garde à vue est une procédure assez courante en France dans une instruction judicaire (400 000 chaque année). Elle est destinée soit à empêcher un prévenu de s’enfuir, soit à le priver du moyen de se concerter avec des personnes à l’extérieur, soit à  faire pression pour obtenir des aveux. Garde à vue ne signifie pas mise en examen (le juge la prononce lorsqu’il a la conviction qu’il existe des charges graves et concordantes) et mise en examen ne signifie pas condamnation. Une garde à vue peut très bien ne pas être suivie d’une procédure et celle-ci peut se terminer par un « non-lieu ». Dans ce dernier cas, la procédure s’arrête et il n’y a pas de procès.

Il faut donc être prudent lorsqu’on évoque les évènements en cours. La présomption d’innocence doit être respectée (tant qu’une personne n’est pas condamnée elle est présumée innocente).

2/ Mais cette « affaire »-là, si affaire il y a, prend un relief particulier compte tenue de la personnalité de ceux qui sont gardés à vue depuis ce matin : outre Nicola Sarkozy, son avocat et un magistrat.

C’est la première fois dans l’histoire de France qu’un ancien président de la République est ainsi privé de liberté. Le fait est suffisamment exceptionnel pour être relevé.

3/ Cette garde à vue se place dans le cadre d’une instruction judiciaire menée depuis plusieurs mois concernant l’affaire Bettencourt. Madame Bettencourt, âgée de plus de 90 ans, qui ne jouit plus de la totalité de ses facultés intellectuelles (sa fille a enclenché une procédure pour la déclarer « incapable »), est l’héritière des fondateurs de la firme L’Oréal, l’une des principales entreprises de cosmétiques au monde (peut-être même la première). Elle est la plus grosse fortune privée de France. Une procédure judiciaire avait été menée contre elle, contre Nicolas Sarkozy et contre un ancien ministre et trésorier de parti (Eric Woerth) pour financement illégal de parti politique. L’ancien président avait été interrogé pendant plus de dix heures (sans garde à vue) il y a plusieurs mois sur cette affaire. Il était ressorti du juge d’instruction avec un non-lieu, c’est-à-dire qu’aucune charge n’avait pu être retenue contre lui.

Cette fois, il est inquiété, en annexe en quelque sorte à l’affaire Bettencourt, pour « trafic d’influence et violation du secret de l’instruction ». Placées sur écoute téléphonique, les conversations de Sarkozy auraient donné des éléments au juge pour le convaincre que l’ancien président aurait été informé du déroulement de l’enquête par un magistrat en échange d’une promotion professionnelle.

4/ Ce n’est pas la seule « affaire » qui rôde autour Nicolas Sarkozy depuis qu’il n’est plus président, soit depuis mai 2012 (un président en exercice jouit de l’immunité judiciaire pendant toute la durée de son mandat, mais une fois celui-ci terminé il redevient un justiciable ordinaire, y compris pour des affaires s’étant produite en cours de mandat, dans la mesure toutefois où celles-ci ne sont pas liées directement à la fonction).

Plusieurs instructions sont en cours pour lesquelles le nom de Sarkozy ou de ses proches collaborateurs sont cités (sans que, toutefois, aucune mise en examen et, encore moins, condamnation, ait été prononcée).

Elles sont d’importances diverses et concernent des faits plus ou moins anciens.

La plus ancienne est l’affaire « Karachi », constituée par des rétro-commissions possibles sur des contrats d’armements qui auraient pu financer la campagne électorale d’Edouard Balladur en 1995, dont le jeune Sarkozy a été le porte-parole. L’étau se resserre sur Balladur et son ministre de la défense, François Léotard. Sarkozy n’est pas, à ce jour, directement inquiété mais son nom est cité par la presse.

Une autre affaire concerne le financement possible de la campagne présidentielle de Sarkozy en 2007. L’ancien chef d’Etat de la Libye (assassiné en marge de l’intervention française dans le pays en 2010), le colonel Kadhafi, aurait financé cette campagne à hauteur de 50M€. Des « preuves » contestées issues des services secrets libyens tendraient à le prouver. Il ne s’agît, pour le moment que de présomptions.

Autre affaire de financement, plus récente celle-là, l’affaire Bygmalion (voir mon article du 7 juin : « Politique française, après les européennes, une nouvelle donne »). Il s’agit de surfacturations d’une société organisatrice d’évènements politiques tenue par des proches de Jean-François Copé, ex secrétaire général de l’UMP, récemment contraint à la démission à cause de cette affaire. Ces surfacturations auraient permis (de l’aveu même de ses protagonistes) de financer illégalement à hauteur de 10M€ la campagne de Sarkozy en 2012. Cette affaire est certainement la plus gênante pour Sarkozy car elle l’atteint directement. Il n’est toutefois pas encore avéré si Sarkozy était au courant de cette manipulation ou si seuls ses proches le savaient. Il n’est pas impossible qu’ils aient laissé volontairement Sarkozy en dehors de cela. Mais il est peu vraisemblable que l’ancien président n’ait pas remarqué que sa campagne coûtait beaucoup plus cher que prévu (le Conseil Constitutionnel a déjà condamné l’ancien président à ne pas être remboursé de ses frais pour dépassement de campagne, mais pour une somme bien inférieure à ce qui circule aujourd’hui. L’information judicaire sur cette affaire n’en est qu’à ses débuts.

Il y a encore deux affaires qui sont en cours. D’abord, l’arbitrage en faveur de Bernard Tapie, homme d’affaires (c’est le cas de le dire !) et ancien politique (ministre de Mitterrand avant de rejoindre Sarkozy) qui s’est vu restituer 430M€ dans son litige contre la banque nationale Crédit Lyonnais. Une interférence politique en faveur de Tapie est soupçonnée. Claude Guéant, ancien secrétaire général de l’Elysée (de fait, numéro deux du régime) et proche de Sarkozy, est cité. Certains estiment que l’ancien président aurait joué un rôle personnel en faveur de Tapie. Là aussi, l’instruction n’en est qu’à ses débuts.

Il y a enfin une affaire, plus minime : des sondages commandés par l’Elysée (plus de 300) à un proche de l’ancien président sans appel d’offre.

5/ Ces affaires interviennent au moment où l’ancien président ne cache plus son intention de revenir sur le devant de la scène. Il est candidat pour diriger l’UMP dès cet été et il ne fait pas mystère de son intention d’être à nouveau candidat à la présidence de la république en 2017. L’effondrement de Hollande dans les sondages et la guerre des prétendants à l’UMP, par ailleurs en pleine crise, lui font espérer apparaitre comme le « sauveur ».

La complexité et la durée des procédures judiciaires en France permettent de penser que ces affaires resteront d’actualité jusqu’en 2017. Cela pourrait gêner Sarkozy dans son entreprise de retour, d’autant que la magistrature, qui, rappelons-le, est indépendante en France du pouvoir politique (du moins les juges d’instruction, pas ceux du « parquet » -représentants du gouvernement, donc de la société, dans les procès -), est très « remontée » contre l’ancien président qui ne l’a jamais ménagée (à force d’humilier, il s’est fait beaucoup d’ennemis, pas seulement chez les magistrats).

6/ Mais, en sens inverse, Nicolas Sarkozy peut utiliser ce rôle de « victime » d’un acharnement judicaire.

Si les procédures débouchent sur des mises en examen et des condamnations, cela arrêtera évidemment définitivement la carrière de l’ancien président. En revanche, si rien de très concret ne peut être trouvé ou si cela ne concerne que des faits estimés, à tort ou à raison, comme anodins ou courants dans la classe politique (telle une « violation du secret de l’instruction », dont les journaux sont régulièrement pleins) et, surtout, s’il n’y a pas de condamnation (notamment avec interdiction de se présenter aux élections), Sarkozy, dont on ne saurait nier le talent de « débatteur » peut retourner la situation à son avantage, surtout si, pour diverses raisons, c’est l’ensemble de la classe politique qui sort affaiblie par les « affaires ». « Sarko » pourrait alors être, pour de nombreux militants de droite, le « sauveur » et il pourrait alors l’emporter, surtout, s’il se retrouve au deuxième tour de la présidentielle seul face à Marine Le Pen.

Je ne crois pas que Sarkozy pourra revenir. Il a trop d’ennemis, à commencer dans son « camp » et les affaires qu’ils trainent laisseront de toute façon des traces.

Mais un retour n’est toutefois pas impossible. La situation politique de la France est si instable que tout est possible.

7/ Tout est possible parce que notre pays est en crise économique, sociale, politique et, surtout, morale, et nul ne voit comment on pourrait s’en sortir. Tant que la France sera dans l’union européenne, elle ne sera pas maitresse de son destin et elle ne pourra que subir une situation économique qu’elle ne contrôle plus.

La politique française est devenue un théâtre de marionnettes qui intéresse de moins en moins le public, c’est-à-dire le peuple français.

Aujourd’hui, le pouvoir socialiste et le président Hollande sont si déconsidérés qu’on voit mal comment ils pourraient redresser la situation d’ici 2017.

L’opposition de droite n’est pas dans un meilleur état. Sarkozy veut revenir. On vient de voir quels sont ses problèmes. Fillon, son ancien premier ministre, est sur les rangs. Juppé, ancien premier ministre de Chirac, aussi, et quelques autres (chaque semaine apporte son lot de nouveaux candidats). Leur problème, Sarkozy compris, est qu’on ne sait pas ce qu’ils veulent, en dehors d’être au pouvoir. Mais au pouvoir pour en faire quoi ? Leur « programme » varie tous les jours. Une fois, on veut gouverner au centre, une autre fois, on flatte l’électorat du Front National, un jour on se déclare « européen » et le lendemain on trouve tous les défauts à cette Europe de Bruxelles et on menace de quitter Schengen.

En fait, les politiques du pouvoir socialiste et de l’ancienne (et future majorité ?) sont peu différentes, tout simplement parce que la France, par choix volontaire, n’est plus vraiment un pays souverain.

Les dissidents, déclarés ou potentiels, à cette politique sont de plus en plus nombreux à gauche comme à droite. A gauche, Montebourg attend son heure (voir mon article du 23 juin : « Arnaud Montebourg, chantre du patriotisme économique »). A droite, d’autres prennent leurs distances avec la politique suivie depuis dix ans : Laurent Wauquiez, mais aussi Henri Guénot et même Rachida Dati, se démarquent du suivisme vis-à-vis de Bruxelles (et de Berlin) et commencent à se mettre sur les rangs pour préparer une alternative encore floue qui finira par arriver.

Le PS et l’UMP sont démonétisés. Le Front de Gauche et les Verts sont trop faibles. Le Centre, encore plus européiste, n’est pas une alternative. 

Et le Front National ? Tant que Marine Le Pen n’aura pas fait le ménage dans ses rangs de tous les nostalgiques de l’idéologie d’extrême droite, à commencer par son père, le FN ne sera pas une alternative. Il a encore trop d’ennemis et aucun allié.

On a de plus en plus l’impression que nous sommes à la fin d’un cycle, à la fin d’un régime.

La Vème République, instaurée par le général de Gaulle en 1958, a eu une utilité historique. Elle a assuré la stabilité des institutions et son régime à tendance présidentialiste (en théorie mixte, mais présidentiel de fait) a été utile, notamment pour la politique étrangère de la France et sa place dans le monde.

Mais aujourd’hui, les inconvénients de ce régime l’emportent désormais sur les avantages.

Parmi ces inconvénients, il en est deux qui sautent aux yeux. Le premier est que ce régime  ne représente plus vraiment les citoyens. L’UMP et le PS, qui se sont partagé le pouvoir depuis cinquante ans, ne représentent plus, ensemble, qu’une minorité de citoyens. A l’Assemblée Nationale, les 20 à 25% des électeurs qui votent pour le Front National et les 10% de ceux qui choisissent le Centre, ne sont respectivement représentés que par 2 et 1 députés. Cela devient intenable.

Le second inconvénient explique les « affaires » en cours. Le président de la République a la double casquette de gardien des institutions et de chef de l’exécutif. Il est juge et partie. Nicolas Sarkozy est intelligent, mais cette intelligence n’est pas complète parce qu’il s’est cru en position de tout faire sans contrôle et avec un sentiment total d’impunité. Aujourd’hui, les affaires le rattrapent (soyons prudents et objectifs, puisque, pour le moment, il n’est même pas mis en examen ; disons qu’elles semblent le rattraper).

Trop de pouvoirs entre les mains d’un seul homme, c’est trop, surtout lorsque qu’il n’a pas la carrure d’un de Gaulle ou d’un Mitterrand. Le risque d’en abuser est fort. Aucun n’y a totalement résisté, y compris et surtout de Gaulle et Mitterrand, véritables monarques dans des habits républicains.

Aujourd’hui, les Français aspirent à autre chose, sans d’ailleurs savoir exactement à quoi ils aspirent. Ils ont simplement conscience que ce régime est fini, « pourri » disent même certains.

On parle de plus en plus de VIème République, sans doute un régime parlementaire plus classique.

Cela est nécessaire. Mais ce ne sera utile que si la mise en place de nouvelles institutions s’accompagne de changements drastiques d’orientations politiques, sinon, cela ne servirait pas à grand-chose.

Nous assisterons probablement à des recompositions du paysage politique français. J’ai essayé de les imaginer dans mes articles précédents (les deux que j’ai cités plus haut).

Il faudra sans doute attendre encore plusieurs années avant que le processus ne s’enclenche. A moins d’une brusque détérioration de la situation économique et sociale.

Les Français paraissent totalement passifs aujourd’hui, abattus qu’ils sont par un contexte qu’ils ont la conviction de ne pas pouvoir maitriser, ce qui explique leur pessimisme et leur perte de confiance dans les possibilités de leur pays.

Mais l’histoire a montré que les Français étaient parfois capables de se surpasser et de vaincre leur principal ennemi, ce qu’ils croient être leur faiblesse.

Un peu comme une équipe de foot qui se remet à gagner lorsqu’elle reprend confiance en elle-même alors que, auparavant, nul n’aurait parié un centime d’euro sur ses chances.

La France peut se relever si les Français le veulent. Pour le moment elle est à terre.

Comme un ex président ko debout qui dort ce soir dans une cellule…

 

                                               Yves Barelli, 1er juillet 2014         

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commentaires

G
"Tant que la France sera dans l’union européenne, elle ne sera pas maitresse de son destin et elle ne pourra que subir une situation économique qu’elle ne contrôle plus".<br /> Tu es partisan d'une sortie de l'Union européenne ? Ce n'est pas très clair dans ce texte…
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