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30 mars 2013 6 30 /03 /mars /2013 22:48

La crise qui frappe Chypre depuis deux semaines est révélatrice des dysfonctionnements de la zone euro et de l’Union européenne et elle est une illustration, jusqu’à l’absurde, des dégâts qui peuvent résulter de décisions unilatérales purement dogmatiques.

S’agissant de ces dégâts dus à l’aveuglement dogmatique, Chypre est un véritable cas d’école tant elle cumule les erreurs à soubassement idéologique.

L’euro, monnaie commune et unique, est un dogme pour ses partisans. Comme tout dogme, il s’impose, prétendent-t-il, sans discussion car il s’agit d’une vérité « révélée ». Pour eux, on a créé cette monnaie artificielle une bonne fois pour toutes. Pas question de revenir en arrière. Et lorsque, de toute évidence, le système ne fonctionne pas quelque part, c’est forcément la faute aux peuples et aux gouvernements qu’ils ont choisi. Ceux-ci se sont enfermés dans la « facilité », au lieu d’adopter les « réformes » qui s’imposent. Ces réformes, soit dit en passant, vont toujours dans le même sens : davantage pour les possédants et les « marchés », plus de sacrifices pour les travailleurs, qui coûtent « trop cher » et qui refusent les efforts sans lesquels il n’y a pas de compétitivité.

Après l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, voici venu le tour de Chypre. Les déficits se sont creusés, la compétitivité s’est émoussée, le gouvernement a tardé à prendre les « bonnes » décisions » (c’est-à-dire davantage d’austérité et de sacrifices pour le plus grand nombre) et le peuple a vécu « au-dessus de ses moyens ».

Conséquence : sans jamais s’interroger sur le bien-fondé de mesures qui pourtant ne marchent nulle part, les représentants des gouvernements des pays membres de la zone euro et la « troïka », constituée du triumvirat commission-banque centrale européenne-FMI, « on » a décidé, à la place du gouvernement et de la population chypriote, qu’il fallait prendre des « mesures » pour rétablir l’équilibre des comptes en échange d’une « aide » à l’île.

Habituellement, les « mesures » consistent en privatisations du patrimoine public national (ports, voies ferrées, entreprises les plus rentables) vendu en urgence au plus offrant, en baisse des retraites et des salaires des fonctionnaires. Dans le cas de Chypre, on a voulu innover : cette fois, on se propose de taxer les comptes en banque. Original ! Une première, en effet.

Mais, en s’attaquant au capital plutôt qu’aux revenus du travail, on a ouvert la boite de Pandore. On s’est aperçu que cela pouvait miner la confiance non seulement dans Chypre, mais aussi dans l’euro. On a donc fait partiellement machine arrière. Mais le mal est fait. Que la taxe touche plus les oligarques russes que le petit peuple, peu importe finalement. Qui aura encore confiance dans un pays où on n’est pas sûr de retrouver l’argent qu’on y a placé ?

De toute façon, cette mesure, comme toutes celles qui ont été prises dans d’autres pays de la zone euro, ne fonctionnera pas parce qu’on refuse de voir, par pur dogmatisme, pourquoi le système se grippe, maintenant à Chypre, demain ailleurs.

La véritable raison des dysfonctionnements est pourtant simple : une monnaie n’est pas une fin en soi, mais le reflet d’une situation économique. Quand celle-ci entraine un manque de compétitivité, la monnaie devient trop forte par rapport aux possibilités de cette économie (un peu comme un braquet trop petit sur un vélo en côte ne convient pas à celui qui n’a pas les muscles suffisamment solides). Il faut donc dévaluer (comme le cycliste passe un braquet plus en rapport avec ses possibilités). Mais avec l’euro, c’est impossible.

Les aboyeurs de la pensée unique nous martèlent alors à coup de « débats » télévisés (où la plupart des invités sont d’accord sur tout, sauf le marginal de circonstance, invité pour donner l’illusion de la pluralité, qui, lui, est « déraisonnable », presque « demeuré », pour tout dire, le mot est vite lâché, « populiste ») que cette pauvre île de Chypre, si par malheur elle sortait de l’euro, s’ « effondrerait » aussitôt. Dans ces conditions, les « mesures » imposées à Chypre, « pour son bien » sont un moindre mal et la potion amère « nécessaire ».

Mais pourquoi ne dit-on pas que 66% des Chypriotes souhaitent abandonner l’euro et que, si abandon et forte dévaluation il devrait y avoir, les conséquences ne seraient pas nécessairement catastrophiques. Une monnaie dévaluée, ce sont des prix enfin compétitifs. Cela permettrait par exemple à Chypre de mieux vendre son vin, son huile d’olive, d’attirer beaucoup plus de touristes et de fournir des conditions plus favorables à l’implantation d’industries de main d’œuvre. Bref, le seul espoir de sortir de la fatalité du « pays-casino ».

Mais cela, on nous ne le dit pas. On préfère garder le dogme de l’euro envers et contre tout et tous, y compris contre le peuple chypriote qui n’en veut plus et auquel on ne demande pas son avis. Bravo la démocratie ! Le dogmatisme doit être plus fort que le peuple, car le premier ne se trompe jamais alors que le second, travaillé par les « populistes », est versatile !

Et puisque nous parlons de Chypre, voici quelques autres dogmes, qui sont autant d’erreurs historiques, qu’il n’est pas inutile de rappeler.

Chypre est une île géographiquement située en Asie, à proximité des côtes turques et libanaises (consultez un atlas, vous verrez). Un morceau d’Asie dans l’Union européenne, curieux non ? C’est vrai qu’avec la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane, on a bien un morceau d’Amérique ! Chypre est une ancienne colonie britannique qui a gardé des liens très forts avec Londres qui y détient encore deux bases militaires, 20 000 ressortissants et qui abrite en Grande Bretagne une diaspora de 200 000 Chypriotes.

Mais ce n’est pas le Royaume-Uni qui a poussé le plus pour faire entrer l’île dans l’UE. C’est la Grèce. Pourquoi ? Parce que les Chypriotes sont grecs. Enfin, au moins dans une première approche car si on creuse un peu, on s’aperçoit qu’il y a deux peuples sur la même île : des Grecs (800 000) et des Turcs (150 000).

Après une période agitée d’affrontements intercommunautaires, Chypre est devenue une république indépendante en 1960, avec la garantie conjointe du Royaume-Uni, de la Grèce et de la Turquie.

A la suite de la reprise des affrontements intercommunautaires, la Turquie, sous prétexte de protéger la minorité turque et en s’appuyant sur une clause de l’accord d’indépendance lui reconnaissant un droit de regard sur les affaires de Chypre, a occupé militairement en 1974 la partie de l’île la plus proche de son territoire (40% de la superficie), y compris la moitié de la capitale, Nicosie, et en a expulsé la population grecque. En 1983, la République Turque de Chypre a été proclamée. Seule la Turquie a reconnu cet Etat, mais celui-ci a un siège d’observateur à l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique).

L’ile et sa capitale sont restées longtemps coupées par la « ligne verte ». Les efforts de l’ONU ont permis, à la longue, une certaine normalisation. On peut passer maintenant d’une partie à l’autre de l’île, mais il y a toujours une impasse institutionnelle.

Une avancée significative  avait été obtenue en 2004 avec le plan Kofi Annan, du nom du Secrétaire général de l’ONU. Il prévoyait la réunification de l’île sur une base fédérale avec des droits spécifiques pour chacune des communautés.

Ce plan fut accepté par 65% des Chypriotes turcs mais rejeté par 75% des Chypriotes grecs.

Il faut dire que, entretemps, la république de Chypre avait déjà été acceptée comme nouveau membre de l’Union européenne sans qu’aucune condition quant à la réunification ne soit mise. Sûrs du soutien de l’UE, les Chypriotes grecs étaient encouragés à l’intransigeance. Exit le plan de réunification. Bonjour le dogmatisme.

Depuis 2004, Chypre est membre de l’UE, mais l’Etat admis, censé représenter l’ensemble de l’île, n’en contrôle que 60% du territoire. Cela ne semble pas poser problème pour Bruxelles. Pas plus que le fait que cette portion de l’UE ait servi de refuge et de blanchiment aux fonds des mafias russes. Pas plus non plus que ce curieux Etat soit une plaque tournante de tous les trafics d’armes du Moyen-Orient. Il fallait élargir l’UE tous azimuts pour la faire coïncider avec la zone de l’OTAN (ou assimilé). C’était un dogme. C’est fait. Il ne fallait pas froisser la Grèce. Autre dogme (du moins avant le déclenchement de la crise grecque : du coup, le pays paré de toutes les vertus, soudain, devint un Etat voyou ; on avait simplement changé de dogme). Ce fut fait aussi !

2004 n’est d’ailleurs pas la fin de l’histoire pour l’UE, ni celle de son dogmatisme. 2007 a vu l’arrivée de la Roumanie et de la Bulgarie. On n’a pas été très regardant sur les pratiques de ces pays, notamment en matière de corruption. 2014 sera l’année de l’admission de la Croatie, pays qui s’illustra dans les nettoyages ethniques lors des conflits yougoslaves et qui n’a pas encore tiré un trait définitif sur un passé pas exempt de reproches.

Ces élargissements inconsidérés constituent autant de dogmatismes en action. Il suffit qu’un Etat soit membre de l’OTAN (tous les élargissements à l’Est ont été précédés d’admissions à l’OTAN) et donc fasse allégeance à la puissance américaine (la Roumanie et la Bulgarie, par exemple, ont abrité, et continuent peut-être de le faire, des prisons secrètes de la CIA ; quant à Chypre, le Royaume-Uni, principal allié des Etats-Unis en Europe, y a des bases militaires majeures), pour qu’on lui décerne un brevet de démocratie et de respectabilité et pour qu’il soit qualifié pour l’UE, en fait annexe européenne de l’OTAN. A quand l’entrée d’Israël dans l’UE ? L’UE donne des leçons à la terre entière (toujours parallèles aux leçons américaines), mais oublie de balayer devant sa porte !

Il est vrai que les élargissements à Chypre, à la Bulgarie et à la Roumanie avaient été précédés, dès 1981, de l’admission de la Grèce dans l’UE. On sait ce qu’il en a été de ce pays, sympathique mais pas vraiment aux normes des pays de l’Europe occidentale. Pour faire bonne mesure, la Grèce et Chypre sont membres fondateurs de la zone euro. En matière de dogmatisme, l’UE ne fait rien à moitié ! Athènes n’est-elle pas le berceau de la démocratie ? On pouvait donc lui pardonner les statistiques truquées et les évasions fiscales érigées en système. On a vu sur quoi cela a débouché (voir mes commentaires sur la crise grecque donnés sur ce blog : « aveuglements grecs », 17 février 2012). Pourtant, tout le monde savait quel était l’état réel de la Grèce dès son adhésion. Un journaliste avait eu une bonne formule : « la Grèce, c’est le Moyen-Orient, sans les mosquées ! ». Tout un programme. Mais loin des « valeurs » de l’Europe.

Quand nos dirigeants arrêteront-t-ils avec ces dogmatismes ?

Les lecteurs assidus de mon blog savent ce que je pense de l’Union européenne et de l’euro : il vaudrait mieux tout arrêter et reconstruire une coopération plus saine et plus efficace entre Etats européens (non exclusive de relations avec le reste du monde). Mon  appréciation vous parait excessive ? Je vous donne rendez-vous plus tard, après la énième crise chypriote, italienne ou espagnole, une crise qui pourrait bien être française…

Mais, à supposer que l’on garde encore un peu l’UE, au moins que ce soit en essayant d’y associer des pays suffisamment homogènes pour avoir quelque chance de mettre quelque chose en commun. Visiblement, ce n’est le cas, ni de la Grèce, ni de Chypre, ni de pays comme la Lettonie ou la Lituanie (ces morceaux de l’ancienne URSS n’ont été admis dans l’UE – et surtout dans l’OTAN – que pour contrer la Russie. Par pur dogmatisme donc).

Quant à Chypre, pour revenir à la terre qui dans l’Antiquité fut celui d’Aphrodite (autrement plus aguichante que les technocrates de la Commission de Bruxelles), son avenir n’est pas nécessairement sombre, dans la mesure où ce pays prendra le large d’une UE en crise. Cela lui permettrait de retrouver une monnaie nationale (ou d’utiliser la livre sterling, ce qui ne serait pas une mauvaise solution). Cela lui permettrait enfin d’être réunifiée et de reprendre sa place dans la région, sa région, celle de la Méditerranée orientale, si loin de Bruxelles.

Quant aux oligarques russes, ils iront vers d’autres rivages. Je pressens que ce sera vers un autre petit pays du bord de la Méditerranée. J’en connais un où il y a déjà plusieurs milliers de Russes, dont certains y ont investi beaucoup d’argent, plus ou moins blanchi, dans des casinos et des hôtels. Ce pays est à l’entrée de l’Adriatique, c’est un pays, comme la Russie et comme Chypre, à majorité orthodoxe. Un pays qui utilise l’euro (bien qu’il ne soit pas directement partie à la gestion de cette monnaie). Un pays qui n’a pas toujours été très regardant sur les trafics. Ceux qui me connaissent savent que je connais très bien ce pays. Que ceux qui l’ont reconnu se manifestent ! Je les féliciterai.

                                                                                              Yves Barelli, 30 mars 2013                                                        

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commentaires

Y
Réponse aux remarques de Vincent Fabre.<br /> On ne saurait dédouaner l'Union européenne de toute responsabilité dans la crise chypriote. J'explique dans mon texte les erreurs répétées qui ont été faites sur Chypre. La première a été son<br /> admission au sein de l'UE alors que ce pays de toute évidence ne remplissait pas les conditions pour entrer dans l'Union. En premier lieu, ce pays n'en est pas vraiment un car il n'est pas<br /> réunifier et ce sont les Chypriotes grecs qui en portent la responsabilité. En outre, les conditions pour rejoindre l'euro étaient encore moins remplies compte tenu de la politique économique du<br /> pays, de son secteur bancaire anarchique et des blanchiments dont Nicosie s'est fait une spécialité.<br /> Quant au plan première mouture, il a été approuvé par les gouvernements de l'UE, aggravant encore la responsabilité lourde de cette institution.
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M
Le Montenegro....
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F
Cher Yves,<br /> Je voudrais ici apporter quelques interrogations sur cet article et quelques remarques.<br /> 1 - Le pays dont tu parles en conclusion est le Monténégro. Je l'ai traversé trois fois et je souscris à ton idée (toutefois les capitaux russes sont aussi dans bien d'autres pays... dont la France<br /> !)<br /> 2 - Ok avec toi sur l'entrée dans l'UE trop rapide (voir peu réaliste de Chypre). A l'inverse, je dirai que si nous avions eu une réactivité forte sur la Yougo lors de son explosion, nous aurions<br /> peut etre pu éviter des bains de sang.<br /> 3 - PAr contre, ton anti européanisme me semble t'amener justement à une position dogmatique sur l'analyse de la crise Chypriote. Car j'aimerai que tu m'expliques en quoi l'euro est responsable de<br /> la situation de l'état chypriote. La situation de Chypre est simple : elle dépense un budget armement colossale pour le conflit dont tu parles. En face, elle n'a quasiment pas de produits à vendre<br /> sur le marché mondial et elle n'a pas cherché à développer de production à forte valeur ajoutée pour assurer des entrées d'argent correspondantes à ses dépenses militaires. Pour compenser, Chypre a<br /> tenté le paradis fiscal (ou presque l'équivalent) en taxant peu les entreprises et en étant peu regardant sur l'origine des capitaux placés dans ses banques. Or, avec de faibles taxes, elle ne<br /> parvient pas à faire entrer suffisamment d'argent dans les caisses et de plus elle se heurte à des capitaux dans les banques dont la spécialité est de faire de l'évasion fiscale (et cela quel que<br /> soit le pays où ils sont placés !). Euros ou pas euros cela ne change rien.<br /> 4 - Le premier plan pour renflouer Chypre et qui prévoyait de taxer les épargnants quel que soit ses capitaux épargnés ne vient pas de l'UE, contrairement à ce qu'on dit nos médias. Je regrette que<br /> ta sagacité fasse l'impasse sur cette information. Ce premier plan a été proposé par le gouvernement chypriote lui même et accepté par l'UE. Donc ce n'est pas un viol des peuples. C'est simplement<br /> : un gouvernement élu et majoritaire dans son pays qui propose une mesure... qui finalement a été rejeté par le parlement. L'Ue a alors proposé un autre plan considérant qu le gouvernement était<br /> minoritaire désormais. CE plan est justement opposé à la taxaation des petits épargnants et des travailleurs chypriotes.<br /> 5 - Le plan européen est simple (et ose ce que les Etats Nations comme la France se refuse à faire) : taxer les banques et leurs actionnaires, taxer les épargnants ayant plus de 100 000 euros en<br /> banque. Une sorte d'euthanasie des rentiers comme aurait dit Keynes ! Aucun gouvernement national n'ose cela en Europe ! L'UE le fait. Ton dogmatisme t aveugle dans ton analyse économique.<br /> Je sais que tu répondras à ce post. Le débat s'annonce intéressant.
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