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18 mars 2013 1 18 /03 /mars /2013 19:10

La France vient d’annoncer son intention, conjointement avec la Grande Bretagne, de livrer des armées aux rebelles syriens. Ce choix, cohérent avec la posture française sur le conflit syrien depuis le début du mandat du président Hollande, me parait relever d’une erreur stratégique grave qui trahit une analyse erronée de la situation.

J’ai déjà indiqué dans ce même blog (« Syrie, pourquoi ce parti-pris systématique ? », 15 octobre 2012) que je ne sous-estimais en aucune façon les crimes inexcusables de Bachar el Assad (pas plus que ceux, encore pires, de son père Hafez el Assad) mais que la situation était beaucoup plus complexe que ce que nos dirigeants disaient.

Le conflit syrien ne saurait se réduire à la révolte, forcément légitime, de tout un peuple contre un tyran, forcément illégitime.

Il s’agit bel et bien d’une guerre civile en grande partie communautaire et idéologique. D’un côté, la minorité alaouite (religion d’origine musulmane en marge tant du chiisme que du sunnite et qui se caractérise par une pratique de type laïque), de l’ordre de 15% des Syriens et qui constitue l’armature du parti Baas d’Assad, renforcé par la quasi-totalité des Chrétiens (de l’ordre de 15% aussi), des Druzes, des Chiites, de diverses minorités ethniques dont les Kurdes et d’une partie des Sunnites (pour faire simple : ceux qui ont profité du régime et de la croissance économique de la Syrie). Cette coalition a des aspirations laïques et plutôt socialisantes. Traditionnellement, elle avait le soutien de l’URSS, dont la Russie a pris la succession. Il n’y avait pas d’élections libres, mais les résultats économiques et sociaux, sans être exceptionnels, n’étaient pas trop mauvais et les diverses minorités religieuses et ethniques étaient protégées.

De l’autre côté, la majorité de la communauté sunnite, majoritaire dans le pays. Cette majorité fournit l’ossature de l’opposition au régime. En son sein, les islamistes, et, parmi eux, les salafistes (islamistes radicaux), jouent les premiers rôles dans la rébellion armée qui se développe contre le gouvernement depuis deux ans. Leur seul programme politique est la charia.

Globalement, le rapport de forces est de l’ordre de 50/50. C’est pourquoi le conflit continue.  

Bien que l’opposition armée ait été incapable de former un gouvernement provisoire, parce que trop divisée, la France et d’autre pays occidentaux ont reconnu cette opposition comme étant la représentante légitime du peuple syrien. C’est la France qui est montée en première ligne. Le Royaume-Uni l’a rejoint. Les Etats-Unis appuient cette initiative, mais en trainant les pieds. L’administration Obama s’est notamment refusée, jusqu’à présent, à armer les rebelles ; elle se contente d’un appui logistique. Israël, de son côté est très prudent : l’Etat hébreu a toujours ménagé, de fait, son ennemi syrien avec lequel il a toujours évité une confrontation directe.

La Russie et la Chine fournissent des armes à la Syrie. Mais, de l’autre côté, les rebelles sont loin d’être démunis. La Turquie leur est favorable. L’Arabie saoudite et, plus encore, le Qatar, leur fournissent des moyens financiers considérables destinés, d’une part, à « retourner » des dirigeants militaires et politiques syriens (avec un succès très limité jusqu’à présent) et à acheter des armes. Aujourd’hui, les rebelles sont bien armés. Ils manquent toutefois de moyens aériens et anti-aériens. C’est ce qu’ils voudraient que la France leur livre.

Sur le terrain, les rebelles se sont emparés de plusieurs bastions de la région d’Alep, à forte population sunnite, mais peinent à progresser davantage.

Les droits de l’homme sont hélas violés sur une grande échelle des deux côtés et les crimes de guerre sont monnaie courante. L’armée régulière et les milices pro Assad tuent et torturent. Même les médecins de la Croix Rouge sont pris pour cibles. Les rebelles ne sont pas en reste. Ces derniers ont érigé le terrorisme urbain en stratégie. Ils ont fait exploser dans le centre de Damas plusieurs voitures piégées activées par des kamikazes qui ont fait plusieurs centaines de victimes civiles innocentes.

Curieusement, les médias parlent abondamment des crimes gouvernementaux mais mentionnent à peine ceux des rebelles. Ils se contentent de reprendre les communiqués du soit disant « observatoire syrien des droits de l’homme », officine montée par l’opposition et financée par les monarchies du Golfe. La plupart des reportages qu’on voit sur les télévisions occidentales sont réalisés auprès des rebelles et leur servent de faire-valoir. Sans doute les rédactions sont-elles en phase avec le parti-pris initial de leurs commanditaires. Sans doute aussi, le gouvernement d’Assad, qui n’a jamais eu un goût immodéré pour l’ouverture, a-t-il une piètre politique de communication.

Il n’empêche que la vision que nous avons en France de ce conflit est biaisée.

François Hollande a-t-il voulu se rendre « populaire » en venant au secours de ce « pauvre peuple syrien sous la férule du sanguinaire dictateur » ? A-t-il voulu rééditer un « coup » analogue à celui de son prédécesseur sur la Libye ? A-t-il voulu plaire à ses amis Qataris ?  

Je n’en sais rien et peu importe. Je constate simplement que la posture française sur la Syrie est irresponsable.

A qui allons-nous livrer des armes, si nous le faisons (on ne peut exclure de la part du gouvernement un simple effet de communication non suivi d’actes) ? Il n’y a pas vraiment de commandement unifié des rebelles. Parmi ceux-ci, les groupes salafistes sont les plus en pointe.

Peut-être le gouvernement français pense-t-il favoriser les rebelles « démocrates » au détriment des islamistes ? Dans ce cas, l’aide occidentale aurait pour but de tenter d’infléchir la ligne majoritaire des rebelles.

Pure illusion. L’essentiel de l’aide actuelle et à venir vient des monarchies wahhabites du Golfe, Arabie saoudite et Qatar en premier lieu. Je note au passage l’aspect cocasse d’une aide destinée à instaurer la démocratie en Syrie venant de pays obscurantistes où il n’y a pas d’élections, pas de partis, pas de syndicats, où l’alcool, le cinéma, la musique profane sont interdits, où la peine de mort pour motifs religieux est appliquée à grande échelle et où les femmes sont réduites à une situation d’infériorité (en Arabie saoudite, elles n’ont même pas le droit de conduire une voiture).

Si les intentions franco-britanniques sont mises à exécution, le danger est triple :

1/ Le risque de dissémination des armes. Comme pour la Libye, les armes livrées et, plus encore, si les rebelles prenaient le pouvoir, celles résultant de l’arsenal syrien, auraient une forte probabilité d’alimenter la subversion islamiste en Afrique et ailleurs. Va-t-on bientôt trouver au Mali, utilisées contre nos soldats, des armes, notamment des missiles sol-air, que nous aurions livrées aux rebelles syriens ?

 2/ La déstabilisation du moyen orient. C’est une chose de savoir qui on élimine. C’est autre chose de prévoir qui on met à la place. Les précédents irakien et libyen, malheureusement, ne rendent pas optimistes. En Irak et en Libye, c’est le chaos et la chasse aux minorités, notamment chrétiennes. Ces pays sont devenus des supermarchés des armes de toutes catégories et jamais les droits de l’homme n’y ont été aussi violés. Veut-on la même chose en Syrie ?

3/ Si les islamistes gagnent en Syrie contre un régime qui, en dépit de ses défauts et de ses crimes, reste d’inspiration laïque, les salafistes de tous poils se trouveront encouragés à intervenir sur de nouveaux terrains, les banlieues françaises n’étant pas le moindre.

Je constate avec satisfaction que l’initiative du président Hollande est largement dénoncée en France même. J’entendais ce matin encore à la radio une analyse très sensée d’Hervé Morin, ancien ministre de la défense de droite. La plupart des dirigeants de l’UMP (mais pas tous, hélas, notamment pas Nicolas Sarkozy, que son opposition épidermique à Hollande lui fait dire n’importe quoi), Jean-Luc Mélenchon, du Parti de Gauche, mais aussi Marine Le Pen, dénoncent l’irresponsabilité du président Hollande. Ils ont raison.

En intervenant au Mali, Hollande a eu une attitude intelligente et courageuse.

C’est bien de se battre contre la subversion islamiste au Mali. Mais cela ne servirait pas à grand-chose si une analyse d’ensemble n’était faite. On ne peut combattre les salafistes à Tombouctou et les aider à Alep. On ne peut pas, non plus, faire la chasse, chez nous, aux émules de l’assassin Mérah (auxquels nos médias font la part trop belle) et, dans le même temps, entretenir des relations plus qu’étroites avec l’Arabie saoudite et le Qatar, qui constituent le foyer de l’idéologie salafiste et la principale source d’aide aux islamistes de tous « théâtres » d’opérations.

Dans le combat qui oppose, au sein même du monde arabe, ceux qui veulent imposer la soit disant loi divine, même à ceux qui n’en ont pas la même conception, à ceux qui refusent cette paranoïa, il est de notre devoir et de notre intérêt de prendre parti pour ces derniers.  

Le régime d’Assad est certes assassin. La meilleure manière de le faire évoluer n’est pas d’armer des rebelles islamistes. On n’éteint pas l’incendie en jetant de l’huile sur le feu. Il vaudrait mieux faire une pression ordonnée sur ce régime, notamment avec l’aide de la Russie. Le départ d’Assad est évidemment un préalable à tout règlement du conflit syrien. Armer les poseurs de bombes qui tuent des civils à Damas est le plus sûr moyen de renforcer sa légitimité aux yeux de la population syrienne, du moins d’une grande partie de celle-ci. Et même si le tyran est, en fin de compte, éliminé, comme Kadhafi et Saddam Hussein, ce n’est pas en le remplaçant par des fanatiques aussi barbares que lui qu’on règlera la question.  

Il convient donc de s’y prendre autrement. Et, si possible, de ne pas être dans le même camp que les bourreaux de Ryad qui continent à décapiter en place publique des hommes et des femmes seulement accusés de ne pas vivre en conformité avec la lecture bornée wahhabite des textes sacrés de l’islam.

                                                                                  Yves Barelli, 18 mars 2013 

 

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