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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 13:31

En portant à la tête de leur pays par un véritable vote plébiscitaire (les trois-quarts des suffrages) un jeune comédien sans expérience politique et sans programme autre que la « lutte contre la corruption » (sans indiquer comment), les Ukrainiens ont surtout voulu chasser du pouvoir un président déconsidéré tant du fait de la corruption généralisée et de la situation économique catastrophique que de sa politique suicidaire antirusse (attisée par les Américains). Ce faisant, ils se lancent dans l’inconnue (d’autant qu’il faudra attendre, en principe cet automne, la prochaine élection du parlement, détenteur du véritable pouvoir, et que le nouveau président n’a aucun parti organisé derrière lui) : inconnue à l’intérieur (quelle politique pour faire face à la crise économique et morale du pays et à sa fracture géographique et sociologique?) et inconnue à l’extérieur (l’Ukraine, qui doit faire face à des mouvements séparatistes dans l’est du pays, sortira-t-elle de l’impasse dans laquelle ses dirigeants, à la légitimité contestable, l’ont  fourvoyée, poussés par les Américains et leurs alliés et satellites européens dont l’objectif absurde et quasi unique, au-delà de quelques promesses fallacieuses d’aide économique à Kiev qu’ils seront incapables de tenir, est de contrer, à ses portes, la réémergence de la Russie sur la scène internationale en tant que grande puissance. Des réponses qu’apportera le nouveau pouvoir, s’il en est capable, dépendra l’avenir de ce vaste et peuplé pays (quasiment la taille de la France), mais aussi la stabilité de l’Europe et la baisse ou au contraire l’exaspération des tensions Est-Ouest.

1/ L’Ukraine est l’un des plus grands pays d’Europe : 577 000 km2, 42 millions d’habitants, mais un PIB de seulement 126 milliards de dollars (il a chuté de moitié depuis dix ans, du fait de la crise et de l’effondrement de la monnaie). La langue ukrainienne est proche tant du russe que du polonais ; ces langues sont largement mutuellement compréhensibles ; la moitié de la population l’a comme langue maternelle ; ceux qui la parlent connaissent aussi le russe (sous l’URSS, les deux langues étaient officielles mais le russe dominait) ; parmi les autres, les plus jeunes sont plus à l’aise en ukrainien que leurs ainés grâce à son enseignement obligatoire.      

L’Ukraine, l’une des anciennes républiques soviétiques, n’avait jamais eu de souveraineté internationale avant l’éclatement de l’URSS en 1991. C’est pourtant une vieille nation, mais jamais totalement différenciée de sa voisine russe. Les nations slaves (et leurs langues, encore aujourd’hui voisines) n’ont commencé à se différencier qu’au milieu du moyen-âge : le premier pouvoir autochtone chrétien, le « Rous » (mot généralement traduit par « principauté ») de Kiev, formé au 9ème siècle, constitue l’origine de la nation ukrainienne, mais il est aussi considéré ailleurs comme l’embryon de ce qui deviendra plus tard l’empire russe. Rapidement en déclin, ce « Rous » passa dès le 12ème siècle dans le giron des pouvoirs tataro-mongols, puis ottomans. La reconquête chrétienne (parallèle à la « reconquista » espagnole sur les musulmans), s’échelonna sur plusieurs siècles entre les 14ème et 19ème siècles (le nom « Ukraine » signifie « marche » dans les langues slaves) et s’opéra, pour partie par la Pologne (une grande puissance médiévale) et pour une autre partie par la Russie (épopée des « cosaques », guerriers évangélisateurs), l’empire russe supplantant le pouvoir polonais au 16ème siècle.                

Il est indispensable de connaitre ces faits historiques car ils expliquent le clivage qui existe aujourd’hui encore en Ukraine entre sa partie nord-occidentale (régions entre Kiev et Lviv), fief du nationalisme ukrainien, longtemps réticente vis-à-vis de l’URSS (on y trouva des « colllabos » de l’Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale), où la langue maternelle est majoritairement l’ukrainien, où on trouve une minorité « uniate » (intermédiaire entre orthodoxes et catholiques) et qui, depuis 1991, vote majoritairement pour la droite antirusse ; et ses parties orientale et méridionale, où le russe est langue maternelle (ce sont des Ukrainiens et non des immigrants russes, présents mais très minoritaires ; un peu comme on peut être Breton sans parler breton tout en étant d’authentiques Bretons), souvent soviéto-nostalgique, qui votent à gauche (gauche/droite étant des concepts approximatifs à l’Est) et qui se sent beaucoup d’affinités avec la Russie. Le clivage passe aussi par la religion : depuis le moyen-âge, les orthodoxes ukrainiens reconnaissaient la suprématie du patriarche de Moscou ; ce n’est que très récemment, qu’une Eglise autocéphale ukrainienne a été constituée mais elle ne réunit qu’une minorité (la plus nationaliste) des pratiquants du pays (où il y a aussi beaucoup de sans religion).

2/ L’Ukraine n’a pas de tradition démocratique bien ancrée. Deux camps apparemment irréconciliables s’y affrontent, ceux qui regardent vers Moscou, et ceux qui lui sont hostiles. Les élections ne sont qu’un moyen parmi d’autres de gagner. La rue, la violence, la corruption, tous les coups bas en sont d’autres.  

Jusqu’en 2013, les élections n’ont donné aucune majorité nette. Elles ont surtout consacré jusqu’à la caricature le clivage entre l’est prorusse et l’ouest antirusse. La « révolution » du Maidan (nom de la place principale de Kiev), largement fomentée par les plus anticommunistes souvent nostalgiques de la période nazie et attisée par les Etats-Unis (il est avéré que la CIA et l’ambassade américaine ont dépensé beaucoup d’argent pour convaincre nombre d’Ukrainiens – surtout à Kiev, ailleurs, ils ont peu bougé – de descendre dans la rue pour se débarrasser du président prorusse élu en 2010 ; certes, il était corrompu, mais si vous me trouvez un politicien ukrainien qui ne l’est pas, vous aurez découvert l’oiseau rare !) a débouché sur la constitution d’un pouvoir pro-occidental à la légitimité contestable et, en réaction au nouveau pouvoir, à la sécession de deux provinces très peuplées du Donbass (Donetsk et Louhansk, tout à fait à l’est ; là où on ne parle que russe) et à celle de Crimée (la péninsule, peuplée de Russes – et non d’Ukrainiens russophones -, qui avait été rattachée à la république soviétique d’Ukraine par le président – ukrainien – Krouchtchev, ce qui n’avait pas eu d’incidence puisque Russie et Ukraine appartenaient à l’URSS et que la Crimée jouissait d’une large autonomie), ensuite rattachée à la Fédération de Russie par un plébiscite qui recueillit 90% de oui). Depuis cette date, les antirusses sont majoritaires aux élections puisque nombre d’opposants (à l’Est) ne peuvent voter.

3/ Le président sortant Porochenko (élu en 2014 avec 51% d’abstentions dans la partie non séparatiste ; et sans élection dans les républiques séparatistes en guerre avec le pouvoir central) a mené une politique agressive vis-à-vis de Moscou et une guerre meurtrière dans les zones contestées du Donbass.

La situation économique, déjà mauvaise auparavant, n’a fait qu’empirer au cours de son mandat. La guerre dans le Donbass coûte cher. La Russie, qui livrait du gaz à un prix avantageux, a interrompu ses livraisons avant de les reprendre à un tarif bien plus élevé. Le commerce, plus général, avec la Russie s’est également fortement contracté, privant l’industrie et l’agriculture ukrainiennes de leurs débouchés traditionnels.

Le pouvoir pro-occidental a fait le pari, perdu jusqu’à maintenant, que l’Union européenne pourrait se substituer à la Russie. Il a même rêvé d’une adhésion à l’UE. Mais pour cette dernière, en pleine crise, il est évidement hors de question d’incorporer l’Ukraine, à la fois parce que cette adhésion serait loin de recueillir l’unanimité requise et parce qu’une telle incorporation coûterait très cher : pour l’heure, l’UE a d’autres chats à fouetter (crise des migrants, crises de l’euro à répétition, Brexit, montée des « populismes »). L’UE s’est contentée de signer un accord d’association, de déverser quelques crédits (qui ont surtout servi à alimenter la corruption) et d’accueillir des immigrants ukrainiens (dont nombre de clandestins) qui remplacent eux-mêmes les Polonais ou Roumains partis plus à l’ouest à la recherche de meilleurs salaires). Nos télévisions ont montré avec complaisance les drapeaux de l’UE agités par quelques activistes. Mauvais calcul sans doute : il n’est jamais bon de donner de faux espoirs (la « manne » de l’UE) à des gens qui risquent ensuite de se retourner contre vous car déçus.                          

Le rôle joué par l’UE a été particulièrement négatif et, finalement, contreproductif. Pour une raison qui échappe à la raison, la France s’est montrée la plus agressive envers Moscou (l’Allemagne de Merkel est bien plus prudente : l’oléoduc  qui lui fournira du pétrole russe à travers la Baltique est presque terminé et c’est l’ancien chancelier Schroeder qui dirige le consortium) et la plus alignée sur les Etats-Unis. L’attitude cynique de ces derniers a au moins une logique : dans la compétition que se livrent les grandes puissances (je veux parler des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie, l’Europe occidentale n’étant qu’une force d’appoint à l’impérialisme américain), contrer la Russie à ses portes en y soutenant un régime hostile est stratégiquement intéressant (imaginez l’inverse : un pouvoir hostile à Washington au Canada), d’autant que cela ne leur coûte pas grand-chose : pour l’aide à l’Ukraine, c’est l’UE qui doit passer à la caisse, et les « sanctions » contre la Russie pénalisent surtout l’agriculture européenne (la française en premier lieu).

Dans ce jeu de dupes, les Européens ne font que de la figuration : la France et l’Allemagne ont signé avec la Russie les « accords » de Minsk, sensés contribuer à la pacification de l’Ukraine. Simple gesticulation. Pendant ce temps, les Américains continuent à attiser le feu à Kiev et les Russes à soutenir la sécession du Donbass (quant à la Crimée, ils ne la rendront jamais : ils y on leur base navale de Sébastopol et ils ont construit un immense pont pour relier la péninsule au reste de la Russie sans passer par l’Ukraine à laquelle ils interdisent en outre d’entrer militairement dans la mer d’Azov).

4/ Que va-t-il se passer maintenant ? Nul ne peut le dire. Le nouveau président ukrainien, l’acteur comique Volodimir Zelenski, 41 ans, élu au deuxième tour de la présidentielle du 21 avril (je n’ai pas le chiffre du taux de participation), est un inconnu en politique. Le peu qu’il s’est exprimé n’augure pas vraiment d’une grande présidence. Mais restons optimiste : parfois, la fonction fait l’homme, et il aura peut-être l’intelligence de s’entourer de conseillers compétents (et, espérons, moins corrompus que leurs prédécesseurs ; on peut rêver !). On peut avoir de bonnes surprises. En tout cas, la probabilité est que ce ne sera pas pire qu’aujourd’hui (mais, même de cela on ne peut être sûr).

Si Zelenski (son patronyme signifie « le vert ») veut mener une politique intelligente (s’il n’est pas, à son tour, acheté par les Américains), il est évident qu’il faut qu’il dialogue avec Poutine mais aussi avec les dirigeants des républiques séparatistes (les Russes répètent en boucle que ce ne sont pas eux qui sont en guerre mais les gens du Donbass). Ceci dans le triple objectif : régler le conflit du Donbass, normaliser les relations avec la Russie et, surtout, réenclencher avec elle une coopération économique indispensable pour réduire la crise économique.

Il faudrait aussi, et surtout, qu’il ait à cœur de réconcilier les Ukrainiens entre eux. La fracture est-ouest est toujours là (ainsi, si Zelenski a obtenu ce score massif pour l’ensemble du pays, dans la seule province d’Ukraine occidentale, la plus nationaliste, Porochenko a été majoritaire).

A court terme, il faudra attendre les prochaines élections législatives pour savoir si le nouveau président peut espérer un parlement (la « rada ») qui appuie sa politique.

Et la France ? Notre pays adoptera-t-il enfin une politique extérieure intelligente ? Car, ces dernières années, de la Libye à la Syrie, et même de la Corée du Nord (la France est le seul pays de l’UE avec l’Estonie à ne pas avoir de relations diplomatiques avec Pyongyang, étonnant, non ?) à la Russie, on ne peut pas dire que notre attitude brille par la perspicacité, l’humanité et tout simplement, l’intelligence.

Une remarque générale géostratégique pour terminer. Les relations internationales ne sont pas affaire de sentiments mais d’intérêts bien compris. On ne va pas impunément à l’encontre de la géographie et de l’histoire. Cuba le paye par un embargo depuis soixante ans, le Venezuela est en train de l’apprendre à ses dépens, les Coréens (du Sud comme du Nord) commencent à le réaliser. Pour l’avoir ignoré, les irresponsables criminels de Kiev ont ruiné l’Ukraine. Il est encore temps qu’ils redressent la barre en n’écoutant plus les sirènes intéressées ou inconscientes qui font souffler sur les braises ukrainiennes les vents chargés d’intempéries venus d’ouest./.     

Yves Barelli, 25 avril 2019                        

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