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8 novembre 2012 4 08 /11 /novembre /2012 00:58

Je n’avais pas initialement l’intention de commenter la réélection de Barack Obama à la tête des Etats-Unis d’Amérique. Mais des amis me pressent de m’exprimer. Alors je m’exécute.

  

Quelques remarques : 1/ Le système électoral américain est démocratique puisque le peuple s’exprime et qu’il le fait non seulement sur la personne du Président et des représentants mais aussi sur tout un ensemble de questions locales et sur quelques décisions importantes au niveau des Etats telles la peine de mort (maintenue en Californie), la légalisation de l’usage du cannabis (Colorado) ou le mariage des homosexuels (Maryland). Mais c’est une démocratie incomplète car soumise au pouvoir de l’argent : seuls les deux grands partis peuvent, dans les faits, prétendre à l’élection. Des sommes colossales sont dépensées              (6 milliard de dollars, dit-on) pour mobiliser les citoyens avec, entre autres, les spots payants à la télévision sans lesquels les électeurs ne savent même pas qui est candidat (il y en avait cette fois plusieurs autres mais peu le savaient ; c’est un peu comme l’auteur d’un livre qui ne serait pas distribué en librairie ou par internet : aucune chance d’être lu !) et pour faire connaître les programmes. Aux Etats-Unis, tout se paye ; il n’y a pas d’accès gratuit à la télévision dans le cadre d’une campagne organisée par les pouvoirs publics comme c’est le cas en Europe. De plus, il n’y a ni règle ni limite aux campagnes publicitaires ; diffamations grossières et gabegie garanties !

 

2/ Le système est compliqué. On vote dans chaque Etat, parfois sous des modalités variées, pour désigner les grands électeurs par listes bloquées par Etat (le parti qui est majoritaire emporte tous les grands électeurs de l’Etat). Le candidat élu est celui qui a le plus de grands électeurs, même s’il n’est pas majoritaire en voix (cas de l’élection de Georges Bush). Les résultats dans les Etats où le vote est serré sont souvent connus avec retard (Floride par exemple). En fait, dès que l’un des candidats atteint la majorité des grands électeurs, on perd tout intérêt pour les résultats non encore connus. On connait ainsi le nom du vainqueur mais pas souvent les voix obtenues et encore moins ce que cela représente par rapport aux votants et aux inscrits.

 

3/Un tel système aurait peu de chance d’être accepté en Europe, mais aux Etats-Unis, il fonctionne parce que les règles du jeu sont à peu près immuables et acceptées par tous. C’est sa principale force et, pour cela, il serait dangereux de vouloir le changer. D’ailleurs nul ne le demande.

 

Pourquoi Obama a gagné ? Essentiellement parce que le programme de son adversaire a fait peur. Obama avait un bilan objectivement faible. Certes, il a sauvé l’industrie automobile (par un plan d’aide colossal) et a eu la peau de Ben Laden. Mais, pour le reste, le bilan économique est médiocre, le bilan social proche de la catastrophe (on a tous vu à la télévision ces milliers de gens expulsés de maisons qu’ils ne pouvaient plus payer et ces millions de personnes ruinées parce que les fonds de pension auxquels ils cotisaient depuis qu’ils travaillaient avaient fait faillite). Obama n’a pratiquement rien fait pour eux, soit qu’il n’a pas voulu soit qu’il n’a pas pu. Quant aux  grandes réformes attendues, c’est à peine mieux. Celle sur les banques et la mise au pas de la spéculation financière n’a jamais vu le jour. Celle du système de santé partait d’une meilleure intention. Mais engagée trop tard, elle s’est heurtée à la majorité républicaine de la Chambre des représentants et a été édulcorée. Sur la politique étrangère, quasiment rien. Le vide.

 

Le programme de Mitt Romney était à la fois inconsistant, peu clair (il s’est souvent contredit) et a donné l’impression d’être franchement réactionnaire. Il a effrayé les femmes, les jeunes et les minorités, toutes catégories d’électeurs souvent déçus par Obama mais qui ont quand même voté pour éviter la victoire de son adversaire.

 

Faut-il se réjouir de la victoire d’Obama ? Oui, bien sûr et, là-dessus, je partage l’opinion des 90% de Français qui souhaitaient la réélection d’Obama.

 

Qu’attendre du second mandat ? C’est l’inconnue. Parfois, les seconds mandats sont meilleurs que les premiers car, délivré de l’hypothèque de la réélection, le Président peut se monter plus audacieux. Ce sera peut-être le cas d’Obama. Il devra toutefois gouverner avec un Congrès hostile. Le risque de blocage est grand. Seul un changement de majorité dans deux ans lui donnerait les coudées plus franches. A voir. En attendant, il y a une forte probabilité pour que l’immobilisme l’emporte sur les grandes réformes. A l’intérieur comme en politique étrangère.

 

Ce bilan médiocre dans un contexte de morosité économique et d’absence d’alternative républicaine sérieuse tient-il à la personne d’Obama ou au déclin américain ? Sans doute un peu aux deux.

 

Attardons-nous sur ce « déclin » américain. Il est de bon ton d’écrire sur la montée irréversible de la Chine et de l’Asie et sur le déclin du monde occidental. Relativisons. Les progrès de la Chine sont spectaculaires et sans doute l’ « empire du milieu » a-t-il de fortes chances de faire jeu égal avec les Etats-Unis d’ici une décennie ou deux. Mais il faut se méfier des projections un peu trop rapide dans l’avenir à partir des courbes du présent. Il y a trente ans, on présentait le Japon comme une puissance à l’ascension quasi sans limite. On voit ce qu’il en est advenu : le Japon est en pleine crise et n’est plus qu’une puissance marginale comparé à la Chine. Cette dernière a certes de meilleures perspectives, mais aussi beaucoup de faiblesses. La pauvreté, la surpopulation, la pollution, le risque d’éclatement de la bulle immobilière sont des réalités. Pour le moment, le pays est plutôt bien tenu mais qu’en sera-t-il dans l’avenir ?

 

Inversement ceux qui enterrent avec précipitation l’Amérique vont un peu trop vite en besogne. Son avance technologique est considérable. Apple, Google, Microsoft et autres Facebook sont toujours là-bas et ne sont pas près d’en sortir. Si Washington décidait de bloquer internet ou le GPS, le monde serait aussitôt paralysé. Quant à la suprématie militaire, il faudra encore beaucoup de temps à la Chine pour l’égaler. Et que dire de l’hégémonie culturelle, linguistique, cinématographique, télévisuelle ou sportive ? Ouvrir un journal télévisé, même en dehors des périodes électorales américaines, ou aller au cinéma, c’est répondre. La domination « yankee » est totale.

 

Pourtant, les Etats-Unis ne se portent pas bien. Mais qu’en est-il des autres ? Pour la Chine et le Japon, voit plus haut. Quant à l’Europe, je n’aurai pas la cruauté d’insister. L’usine à gaz qui s’appelle l’Union européenne n’a d’existence que négative. Elle brime les peuples et les Etats en leur imposant des politiques suicidaires d’austérité. Elle est inexistante politiquement mais, pis, elle empêche les Etats-Nations d’exister (sauf l’Angleterre qui s’en affranchit). A l’extérieur du vieux continent, on ne parle presque plus des pays européens. Sans doute, les enterre-t-on un peu vite, mais, tels qu’ils sont, on ne les prend plus beaucoup en considération. Rien, notamment dans la campagne électorale US.

 

Et les puissances émergentes ? Là-aussi, relativisons. L’Inde mettra très longtemps avant d’être au niveau. Le Brésil ? Son PIB n’a pas encore rattrapé celui de la France et il suffit de passer quelques jours dans ce géant austral pour réaliser de visu l’ampleur des problèmes : pauvreté, violence, destruction de la nature, infrastructures souvent dans un état lamentable.

L’Afrique ? Depuis les années 1960, elle est « mal partie » (René Dumont) et n’est pas prête d’arriver. Quant au monde arabe, en pleine paranoïa, je renvoie mes lecteurs à ce que j’ai écrit sur lui.

 

Suis-je exagérément pessimiste sur le monde ? Non, dans la mesure où l’humanité a la chance d’avoir accompli des progrès techniques fantastiques et que c’est loin d’être terminé. L’ordinateur, la robotique nous offrent de magnifiques perspectives. Les progrès de la médecine nous ont permis en peu de temps de doubler notre espérance de vie. Celui des transports nous permet d’aller facilement à l’autre bout du monde (au moins pour les peuples non soumis à visas !) et bientôt au-delà. Nous avons les possibilités d’une libération et d’un épanouissement de l’humanité. Mais nous n’y parvenons pas.

 

Le problème tient à autre chose, bien plus grave. La crise des Etats-Unis, celle de l’Europe, celle du monde en fait, tiennent à l’organisation, ou plutôt, à la désorganisation de la planète. Le capitalisme effréné qui résulte des dérégulations, des déréglementations, de l’absence de contrôle de la spéculation financière et de la mondialisation crée les conditions d’un chaos généralisé à brève échéance si rien n’est fait pour y remédier. On a tellement supprimé les frontières que quand ça va mal quelque part, la contagion est immédiate. Nous sommes un bateau fou sans cloisons étanches internes. Que la coque soit touchée n’importe où et c’est l’ensemble du navire qui coule !  

 

Nous sommes en train de détruire la planète du fait de tous les dégâts écologiques qui résultent des activités humaines non maîtrisées. Ce système ivre a engendré non seulement gaspillages et destructions irréversibles, mais aussi des inégalités croissantes. Celles-ci sont scandaleuses. Elles sont aussi anti économiques. Marx l’avait déjà montré au 19ème siècle : lorsque la richesse se concentre toujours plus, créant son corollaire, la pauvreté des autres, le système se bloque. Ford voulait payer correctement ses salariés pour qu’ils lui achètent ses voitures. Dans le système actuel, on veut, au contraire, comprimer les salaires. En France, en Chine, partout. Le salarié est l’ennemi, le fonctionnaire un parasite, la sécurité sociale une horreur comptable. Le mot d’ordre est à la compétitivité : produire toujours plus au moindre coût, avec plus de travail et moins de revenu pour celui qui ne vit que de son travail. Pour vendre à qui ? Aux Martiens ?

 

Me suis-je trop éloigné du sujet initial, l’élection américaine ? Non, parce que le cœur de la  crise du capitalisme et de la mondialisation se trouve évidemment à Washington et à Wall Street. La crise de gouvernance des Etats-Unis est liée à l’incapacité de son pouvoir politique à dominer celui de la finance et à celui du peuple d’envisager, ne serait-ce qu’un quart de seconde, un autre système. On se prend parfois à rêver, mais le rêve est vite rattrapé par la réalité.

 

De ce point de vue, le problème américain est bien évidemment aussi le nôtre.

 

Il n’est peut-être pas trop tard pour réagir. Mais il est grand temps !

 

                                                                                  Yves Barelli, 7 novembre 2012                                      

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