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3 novembre 2012 6 03 /11 /novembre /2012 17:01

L’interpellation le 1er novembre dans les Pyrénées Atlantiques de la militante basque Aurore Martin et son extradition immédiate vers l’Espagne est non seulement scandaleuse mais elle constitue une faute politique.

 

Que reproche-t-on à Aurore Martin, citoyenne française ? En France, rien. Elle est membre d’un parti politique, Batasuna, qui est légal. Elle n’a commis ni crime ni délit.

 

Alors pourquoi l’extrader vers l’Espagne ? Parce qu’elle est accusée par les autorités espagnoles d’être membre d’un parti politique interdit en Espagne depuis 2003, le même parti Batasuna autorisé en France. « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Le problème, en l’occurrence, est lorsque l’erreur espagnole transforme la vérité française en erreur du fait de règles européennes sans doute justifiées en d’autres circonstances mais pas du tout adaptées au cas d’espèce, celui d’un Pays Basque qui a un contentieux historique avec l’Espagne et où les règles élémentaires de la démocratie ne sont pas toujours respectées par le gouvernement de Madrid, ce qui suscite des critiques en Espagne même, et pas seulement au Pays basque.

 

Pourquoi a-t-on interdit Batasuna en Espagne en 2003 ? Il était reproché à ce parti d’être la « vitrine » légale de l’organisation « terroriste » ETA qui menait, à cette époque, une lutte armée contre l’Etat espagnol. Pourtant, rien de concret ne pouvait être reproché à Batasuna qui militait pour le droit à l’autodétermination du peuple basque et pour l’amnistie des militants incarcérés. Certains avaient vu derrière cette interdiction une manœuvre pour casser l’expression politique du séparatisme, probablement majoritaire dans l’opinion publique basque. Cette manœuvre s’était avérée payante à court terme puisque lors des élections au parlement basque de 2009, les partis « espagnolistes » (qui refusent l’identité basque) avaient pu l’emporter grâce à la forte abstention générée par l’interdiction des candidatures de Batasuna ou de proches de ce parti.

 

La situation a maintenant radicalement changé au Pays basque espagnol (voir mon article du 21 octobre dans ce blog). Depuis 2011, ETA a renoncé à la lutte armée, ce qui a permis de détendre l’atmosphère. Les indépendantistes, débarrassés de la suspicion de couvrir les actes terroristes, se sont réorganisés. Les élections qui viennent de se dérouler en Euskadi se sont traduites par une forte poussée indépendantiste. Les héritiers de Batasuna et la droite nationaliste ont remporté les deux-tiers des sièges et Euskadi est à nouveau dirigée par un gouvernement nationaliste basque.

 

Certes, les actions d’ETA étaient devenues inadmissibles. Trop d’innocents ont été assassinés par des criminels irresponsables qui, finalement, n’ont pas servi la cause qu’ils prétendaient promouvoir. Mais cette lutte armée, qui n’était plus justifiée, avait une explication tant historique que juridique : le Pays Basque avait souffert de la barbarie franquiste et on lui refuse le droit à l’autodétermination. Qu’on se souvienne de Gernika, localité sacrée pour les Basques, qui avait été bombardée par l’aviation de l’Allemagne nazie, principal soutien à la subversion fasciste de Franco, que le célèbre tableau de Picasso avait immortalisé. La répression ensuite avait été terrible. Cela n’excuse certes pas les crimes de l’ETA commis dans une Espagne en principe démocratique mais dont toutes les séquelles du passé n’ont pas encore été effacées, en particulier en Euskadi. La question juridique du statut du Pays Basque subsiste. On a voté au Québec sur une éventuelle indépendance. On va le faire en Ecosse. Les républiques ex soviétiques et ex yougoslaves sont indépendantes. Pourquoi refuse-t-on ce droit aux Basques, détenteurs de l’une des cultures les plus anciennes et originales de notre continent?

 

Sans doute le gouvernement français aurait-il été inspiré de prendre en considération ce qui précède et de réfléchir aux conséquences de sa décision d’extrader. Il est en soi scandaleux que, pour la première fois, un citoyen français n’ayant commis aucun acte illicite prévu dans le code pénal français, soit remis à des autorités étrangères. Etre membre d’un parti interdit à l’étranger mais légal en France et avoir participé à des conférences de presse pacifiques en territoire étranger justifie-t-il une extradition, même en vertu d’un « mandat d’arrêt européen » ? Je ne le pense pas.

 

Pis, c’est une faute politique de l’avoir fait alors que la situation n’est plus à la confrontation au Pays basque espagnol. Je ne suis même pas sûr que ce cadeau empoisonné soit réellement apprécié par le gouvernement espagnol, confronté à une crise économique et sociale gravissime, mais aussi à la montée du sentiment séparatiste en Catalogne et au maintien de ce qu’on peut appeler une « paix des esprits » fragile au Pays Basque où les élections du 21 octobre montrent que les Basques veulent, plus que jamais, réparer l’injustice historique qu’ils subissent depuis trop longtemps. L’extradition d’Aurore Martin n’est certainement pas de nature à calmer les esprits.

 

Il se pourrait aussi que cette décision irresponsable relance le mécontentement au Pays basque français. Rappelons que la création d’un département basque (un département tout simple, sans statut particulier, sans, évidemment, langue locale officialisée : nous sommes loin du statut basque espagnol !) figurait déjà dans les promesses électorales du candidat François Mitterrand en 1981. Les Basques attendent toujours sa mise en œuvre.

 

Au-delà, le gouvernement français serait bien inspiré de moins traquer les militants basques et de s’intéresser un peu plus au terrorisme islamiste. J’entendais récemment sur France-Info un responsable syndical de la police nationale qui disait que dans le Sud-Ouest de la France les services de renseignement sont mobilisés depuis des années sur l’ETA et leurs sympathisants et que cela, compte tenu des affectifs, se faisait au détriment du reste. Il expliquait ainsi les cafouillages dans la surveillance de Mérah, auteur à Toulouse de cinq crimes très médiatisés en mai de cette année.

 

Je ne sais qui a pris cette décision irréfléchie d’extrader. Est-ce à un niveau assez bas en application mécanique d’un texte européen ? Ce serait grave. Le rôle d’un politique est d’apprécier l’opportunité – politique – d’une décision. Est-ce au niveau de Manuel Valls, ministre de l’intérieur, originaire, comme on le sait, de Catalogne espagnole et qui, devant la crainte d’être accusé de laxisme, voire de complicité avec les indépendantistes, en a fait « un peu trop » ? Si c’est le cas, je lui dirais : attention à ne pas gâcher la plutôt bonne image que vous aviez dans l’opinion. Un peu plus de moyens SVP pour lutter contre les truands marseillais qui gangrènent notre ville ! Ne perdez plus votre temps et votre énergie à lutter contre des Basques qui ne font que demander à exercer un droit fondamental, celui de choisir librement leur destin. Par cette humiliation supplémentaire des Basques, de tous les Basques, y compris ceux qui sont attachés à la France, vous ne faites que donner des armes supplémentaires à ceux qui dénoncent ce qu’ils appellent le « colonialisme » espagnol et français. Si la décision a été prise au niveau du Président Hollande, c’est encore plus grave. A-t-il été aveuglé par son dogmatisme européiste ou est-ce une nouvelle preuve de ce que la droite considère comme de l’ « amateurisme » ? Dans le cas d’espèce, Sarkozy et Guéant avaient été plus subtils. Ils n’avaient pas extradé, eux, Aurore Martin ni aucun autre militant indépendantiste basque. Il est navrant que le gouvernement socialiste l’ait fait.

 

Nous aimerions recevoir des explications de nos responsables./.

 

                                                                                  Yves Barelli, 3 novembre 2012

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commentaires

F
Entièrement d'accord sur la faute politique et trouve également totalement inadmissible cette arrestation dans un pays de droit qu'est la France. Par contre, sur le fond, j'ai quelques réserves par<br /> rapport à la question des moyens affectés là et pas ailleurs. Surtout, je vois poindre l'idée "du texte européen" qui serait en cause. Or, certes à la base, il y a la question d'un texte européen<br /> pour faciliter la lutte contre la criminalité (notamment les mafias) et extrader entre pays européen plus facilement, mais l'arrestation reste bien du fait d'une police nationale justement. Et,<br /> j'ajoute que finalement le seul recours qui aurait pu juridiquement aider Aurore (et qui lui restait) était la Cour de justice européenne.
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