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4 juillet 2013 4 04 /07 /juillet /2013 14:58

Mardi 2 juillet, le président Evo Morales rentrait de Moscou, où il venait de participer à une réunion des pays producteur de gaz, pour regagner la Bolivie. Comme cela est l’usage, des autorisations de survol des espaces aériens avaient été demandées par La Paz aux pays européens, dont la France, se trouvant sur le trajet. D’après les informations, confuses, disponibles, il semble que l’autorisation ait été donnée par Paris (dès le 27 juin), mais que, au dernier moment, celle-ci ait été annulée. D’autres pays européens auraient agi de même, obligeant l’avion présidentiel, déjà en vol, à une escale technique improvisée à Vienne où le président bolivien passa treize heures dans l’aéroport avant d’obtenir, in fine, une autorisation espagnole pour une nouvelle escale technique aux Canaries, afin de lui permettre de faire le plein de carburant pour traverser l’Atlantique.

La raison de cette interdiction de survol de la France et d’autres pays européens serait le soupçon que le président Morales aurait pu emmener Mardi 2 juillet, le président Evo Morales rentrait de Moscou, où il venait de participer à une réunion des pays producteur de gaz, pour regagner la Bolivie. Comme cela est l’usage, des autorisations de survol des espaces aériens avaient été demandées par La Paz aux pays avec lui Edward Snowden, ancien des services secrets américains qui a révélé l’espionnage par les Etats-Unis de plusieurs ambassades de pays européens à Washington (mais aussi ailleurs, semble-t-il) et homme, donc, par lequel le scandale arrive.  A Vienne, des policiers sont montés dans l’avion, semble-t-il avec l’assentiment du président bolivien (les avions présidentiels jouissent de l’immunité ; les fouiller sans autorisation relève de la piraterie aérienne), et ont constaté que le dissident américain n’y était pas.

Le président Morales, qui s’est senti humilié, et son pays avec, par l’attitude des pays européens concernés, a vivement protesté. Le refus de survol, normalement de routine, par l’avion d’un président de la république d’un pays avec lequel on entretient des relations diplomatiques est en effet un geste inamical fort et, donc, un incident diplomatique sérieux. Les autorités françaises auraient, parait-il, exprimé des « regrets ». L’affront a, en tout cas, été mal perçu en Bolivie et ailleurs en Amérique latine. Des manifestations ont eu lieu à La Paz devant plusieurs ambassades. Des drapeaux français ont été brulés.     

Cela amène de ma part les remarques suivantes :

1/ Le geste est en effet inamical et particulièrement regrettable. La France entretient habituellement de bonnes relations avec le gouvernement bolivien. Celui-ci a toujours favorisé, entre autres, la culture française. Ainsi les terrains situés dans le meilleur quartier de La Paz où sont situés le lycée français et l’Alliance française ont été fournis gratuitement par le gouvernement bolivien. J’ai pu constater moi-même dans l’exercice de précédentes fonctions combien la France compte en Bolivie. J’y avais été reçu chaleureusement par les autorités locales. J’avais rencontré Evo Morales, qui à l’époque, n’était encore que le personnage montant de l’opposition. Il m’avait dit combien il avait confiance dans la France pour contrebalancer la politique pas toujours amicale des Etats-Unis envers son pays.

2/ L’affront pour la Bolivie est d’autant plus fort qu’il a été fait soit à la demande expresse des autorités américaines, soit, et ce serait encore pire, par excès de zèle de ce qu’il faut bien appeler en l’occurrence des « satellites » des Etats-Unis. Ces mêmes Américains avaient manifesté une hostilité certaine, il n’y a pas si longtemps, vis-à-vis de la personne d’Evo Morales, premier président bolivien d’origine indienne (les 60% de Boliviens indiens avaient subi la domination, l’exploitation et l’humiliation de l’oligarchie blanche depuis l’indépendance du pays, au 19ème siècle). Morales, qui était, avant d’entrer en politique, responsable du syndicat des producteurs de coca, plante à usage médicinal et alimentaire, qui peut, aussi, fournir de la drogue, n’était pas bien vu pour cette raison des Américains, d’autant que, en outre, il avait dans son programme de nationaliser le pétrole. Par dérision, Morales, était affublé à Washington du sobriquet de « cocalero ». L’ambassadeur américain à La Paz m’avait dit, alors, que ses autorités verraient d’un mauvais œil l’accession de Morales au pouvoir. Si je fais ce rappel, c’est pour souligner la dimension psychologique et affective de cette affaire.

Ce geste inamical de la France envers la Bolivie vient quelques semaines après la représentation française à un niveau minimal aux obsèques de Hugo Chavez, mal perçue en Amérique latine (cf mon article du 9 mars). Ces pays sont pourtant démocratiques avec des gouvernements issus d’élections honnêtes (et sous contrôle international). De plus ils mènent des politiques de gauche. Cela devrait plaire à un président français « socialiste » ! Il semble que le seul tort de l’Amérique latine est de s’être libérée de la domination américaine qui l’opprima pendant des décennies, qui fomenta, au gré des humeurs et des intérêts de Washington, des coups d’état militaires et qui imposa des dictatures sanguinaires, dont celle de Pinochet fut la plus spectaculaire mais loin d’être la seule. Est-on condamné en France à ne se lier d’ « amitié » qu’avec des dictatures en bon termes avec les Etats-Unis, à commencer par nos « amis » saoudiens et qatari, pays où la charia barbare est quotidienne, pays aussi où il n’y a jamais eu d’élections ?        

3/ La France, comme d’autres pays européens, ont eu eux-mêmes à subir un geste inamical de la part des Etats-Unis du fait qu’ils ont été espionnés, semble-t-il, sur une grande échelle. Certes, l’espionnage est une pratique courante, presque de routine, y compris à l’encontre de pays supposés « amis ». Washington est loin d’en avoir le monopole. Tout le monde le sait. En l’occurrence, on ne dit rien tant que l’information ne tombe pas dans le domaine public. C’est ce qui s’est passé avec les révélations d’Edward Snowden. Il est donc normal, ne serait-ce que pour sauvegarder l’apparence de la dignité offensée, que nous protestions. Il serait logique, comme le président Hollande l’a demandé, de reporter les négociations avec les Etats-Unis sur la création d’une zone de libre-échange transatlantique (cf mon article sur ce blog du 18 juin) qui doivent commencer lundi prochain (hélas, l’Allemagne et la Commission souhaitant entamer ces négociations au plus tôt, elles auront bien lieu à la date prévue, ce qui en dit long sur l’influence, désormais, de la France au sein de l’Union européenne !).

4/ Geste inamical pour geste inamical, il aurait été logique aussi que, même en cas de demande américaine (ce qui reste à prouver), les Européens, à commencer par la France, ne cherchent pas à tous prix, y compris au prix d’un grave incident diplomatique avec la Bolivie, à mettre la main sur le dissident américain pour le livrer aux autorités de Washington.

Mais les relations américano-européennes ne sont pas égalitaires et il n’y a plus à Paris un Charles de Gaule (ou un Jacques Chirac) pour faire entendre une voix indépendante de la France. Notre pays, dans cette affaire, a eu l’attitude honteuse d’un vulgaire satellite des Etats-Unis, l’attitude de l’un de ses chiens de garde obéissant et agressif avant même d’en recevoir l’ordre de son maître. En tant que Français ayant une certaine idée de la France, je me sens humilié. Je le serais encore davantage si j’étais ambassadeur de France en Bolivie. Pour quelques temps, je raserais les murs et n’oserais plus regarder en face mes interlocuteurs locaux.

5/ Qui a donné l’ordre de refuser le survol ? A quel niveau de hiérarchie ? J’imagine que ce niveau a dû être élevé, probablement au plus haut niveau. L’administration française est une machine bien huilée. Ce genre de décision ne s’improvise pas à un niveau subalterne. Il ne s’agit certainement pas d’un couac ni d’une erreur. Mais entre déplaire à Washington ou à La Paz, on n’a pas hésité longtemps. Tant pis pour la pauvre Bolivie !

Je crois malheureusement que cette décision se place dans le cadre d’une politique voulue. Notre pays estime, à tort car il a encore beaucoup plus de moyens que ce qu’un certain pessimisme ambiant véhicule, que nous n’avons plus la capacité de mener une politique indépendante à la fois de l’Allemagne, pour des raisons économiques, et des Etats-Unis, pour des raisons stratégiques et militaires. Sur le premier point, mes lecteurs savent ce que j’en pense et ce que je pense de la voie sans issue des politiques européennes d’austérité, mais aussi d’alignement sur Washington. Sur le deuxième point, celui de nos relations avec les Etats-Unis, la faiblesse française est due, aussi, aux politiques d’austérité « imposées » par l’Europe (en fait acceptées, car nous aurions les moyens d’avoir une autre politique). Nous procédons à des coupes budgétaires partout, y compris dans la défense nationale. Les crédits affectés à celle-ci ont tellement été réduits que nous arrivons à la limite de capacité opérationnelle. Nous avons certes été capables, et de manière brillante, d’intervenir au Mali. Mais nous l’avons fait avec un soutien logistique américain : drones, satellites et avions de transport.

6/ Je ne suis pas personnellement un anti-américain primaire. Des aspects de la société et du système américains sont positifs. Il y en a d’autres de négatifs. Mais on pourrait dire cela de n’importe quel système ou pays. De toutes façons, les Etats-Unis sont, et pour longtemps encore, l’hyper puissance qui domine le monde. L’alternative chinoise, qui monte en puissance, ne me parait pas être un système meilleur et moralement supérieur au système américain. On pourra les mettre en concurrence mais il n’y aura pas grand-chose à attendre de Pékin.

Nous sommes donc condamnés à avoir des relations correctes avec les Etats-Unis. Mais seuls des naïfs ou des dogmatiques du capitalisme américain (donc mondial) peuvent penser que les Américains sont nos bienfaiteurs et nos protecteurs. Ils n’agissent qu’en fonction de leurs propres intérêts, et on ne saurait les blâmer de la faire : l’arène internationale est un espace dur où il n’y a pas de place pour la philanthropie.

Pour ces raisons, je ne partage pas le point de vue de ceux qui demandent d’accorder l’asile politique à Snowden. J’estime son geste, qui est une trahison de l’intérêt national, moralement condamnable. Divulguer des secrets de défense nationale est répréhensible dans tous les pays. En outre, un tel asile serait considéré, à juste titre, par les Américains comme un acte hostile. Nous n’aurions rien à y gagner.

Mais entre avoir des relations correctes et l’alignement pur et simple, il y a un gouffre que nous sommes en train de franchir. Interdire le survol du territoire français est aussi ridicule que navrant (ridicule parce que ceux qui voudront exfiltrer Snowden prendront un autre moyen qu’un avion présidentiel).

La France n’a rien à gagner, et tout à perdre, à commencer par son honneur, à prendre la posture d’un caniche suivant son maître. Nous n’avons rien à gagner non plus, et même tout à perdre, à s’orienter vers cette zone de libre-échange qui ne ferait qu’alimenter un peu plus tout ce qu’il y a de négatif dans la mondialisation : destruction d’emplois, alignement social sur les moins disant, perte d’identité, pollution généralisée de la planète.

Redresserons-nous enfin la tête ?                       

 

                                                                                                          Yves BARELLI, 4 juillet 2013    

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