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28 juin 2014 6 28 /06 /juin /2014 00:58

La Cour Européenne des Droits de l’Homme, institution d’habitude assez discrète, vient, à moins d’une semaine d’intervalle, de se placer sur le devant de la scène par deux décisions spectaculaires qui s’imposent à la France, la première sur le cas de Vincent Lambert, cet accidenté qui survit en situation végétative depuis plusieurs années sans aucun espoir d’amélioration, la seconde en condamnant la France dans le dossier des naturalisations d’enfants nés à l’étranger par « gestation pour autrui ».

Ces décisions posent problème. Je vais dire pourquoi.

1/ Auparavant, un mot sur cette Cour qui siège à Strasbourg. Soulignons d’abord qu’il ne s’agit pas d’une institution de l’Union européenne, mais qu’elle concerne les pays membres du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire ses 47 membres, donc l’ensemble du continent (seule la Biélorussie n’est pas membre), Russie comprise.

Cette Cour a été instaurée par la convention européenne des droits de l’homme, adoptée en 1950 et entrée en vigueur en 1953. Ratifiée initialement par une dizaine de pays, la convention a peu à peu été étendue aux anciennes dictatures d’Europe du sud (Espagne, Portugal), puis, après la chute du mur de Berlin, aux anciens pays communistes.

Il y autant de juges à la Cour que de pays parties, soit actuellement 47. Les juges sont proposés par les Etats, mais une fois élus, ils sont réputés indépendants.    

La France n’a adhéré à la convention qu’en 1974 et ne l’a ratifiée qu’en 1981. Certains articles de la convention étaient en effet considérés comme contraires au droit français, par exemple son article 9 (« liberté religieuse ») considéré comme incompatible avec le principe de laïcité. Paris a ultérieurement accepté la saisine de la Cour directement par les particuliers. Les affaires actuelles montrent que les réticences antérieures de la France (et d’autres pays) n’étaient pas sans fondement.

2/ Certains articles sont soit en contradiction avec certains éléments du droit français, soit rédigés de manière suffisamment ambigüe pour laisser un large pouvoir d’appréciation aux juges. Celui-ci peut être considéré comme excessif.

Ainsi, l’article 2 sur le « droit à la vie » a-t-il été invoqué dans la saisine en cour par des membres de la famille Lambert pour contester la décision du Conseil d’Etat (plus haute juridiction administrative française) d’arrêter la prolongation artificielle de ce patient en état de survie végétative. On sait que cette partie de la famille était inspirée par des motifs d’inspiration intégriste religieuse. Une autre partie de la famille demandait au contraire l’arrêt de cet acharnement thérapeutique indécent. Le Conseil d’Etat a décidé la semaine dernière d’autoriser la fin de cette survie aussi inutile qu’inhumaine. C’est cette décision que la Cour s’est permise de contester en prenant une mesure conservatoire interdisant non seulement l’arrêt du maintien en vie mais aussi le transfert du patient en Belgique (où existe une loi autorisant, évidemment de manière très encadrée, l’euthanasie).

Ce même article, mais aussi d’autres relatifs à la paternité et à la nationalité, ont été invoqués par la Cour pour condamner la France après une saisine de particuliers ayant procédé aux Etats-Unis à une gestation pour autrui (GPA, en d’autres termes un recours à une « mère porteuse »). Il est demandé à la France de considérer les individus  « récepteurs » comme des parents à part entière et, en conséquence, de conférer la nationalité française à deux enfants nés outre-Atlantique dans ces conditions. Bien que la Cour indique qu’elle n’oblige pas la France à légaliser en France la GPA, cet arrêt vide de toute substance l’interdiction (dictée par le souci d’éviter que la GPA devienne un commerce, ce qu’elle est aux Etats-Unis) puisqu’il suffit de franchir une frontière pour procéder à une opération interdite en France et de revenir comme s’il n’y avait pas eu d’interdiction.

Un autre article potentiellement dangereux est l’article 9 (« liberté de pensée, de conscience et de religion ») qui garantit en particulier « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ». Cette garantie est certes atténuée par un autre paragraphe du même article qui précise que cette liberté ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique et à la protection de l’ordre ».

Cet article laisse en conséquence la part belle à l’interprétation des juges de la Cour. Or ceux-ci sont représentatifs des 47 pays dont une majorité n’a pas du tout la même conception de la laïcité que la France, minoritaire en l’occurrence. Jusqu’à présent, à ma connaissance, la Cour n’a rien dit sur l’application (en principe, la Cour ne se prononce pas sur les lois elles-mêmes, mais, quand elles en contestent l’application, elles contestent indirectement ces lois) des lois françaises relatives aux signes religieux ostentatoires qui interdisent notamment à l’école les tenues à caractère religieux (« voile islamique », mais aussi kipa ou port de la croix). Cela pourrait venir un jour.

3/ Il ne me parait ni sain ni même démocratique que des juges étrangers qui n’ont d’autre légitimité que d’avoir été nommés par des gouvernements puissent avoir ainsi la prétention de porter des jugements sur l’application des lois adoptés par le parlement français (ou tout autre) et mises en œuvre avec toutes les garanties propres à un pays démocratique. Ainsi, l’arrêt du Conseil d’Etat relatif au cas Lambert a été rendu après audition de tous les points de vue, après une longue enquête avec travail sérieux d’experts et après un long délai de réflexion. En contestant le Conseil d’Etat, la Cour européenne des droits de l’homme va, me semble-t-il, au-delà des attributions imaginées par les rédacteurs de la Convention. En l’occurrence, cela va se traduire par un délai supplémentaire de plusieurs mois avec une reprise de toute la procédure d’expertise, cette fois pour le compte de la Cour. Si la Cour parvient à la même conclusion que le Conseil d’Etat, on aura perdu beaucoup de temps et d’argent, sans compter la souffrance psychologique des membres de la famille qui souhaitaient qu’on en finisse avec cet acharnement ridicule ; si la Cour infirme la décision du Conseil d’Etat, on pourra sérieusement se poser la question sur la liberté pour notre pays de juger et décider en fonction de son propre droit et de sa propre sensibilité, d’autant que, dans cette affaire, en dehors de milieux intégristes ultra-minoritaires, il y a quasi-consensus, tant da          ns l’opinion (90% des Français se disent favorables au droit à l’euthanasie), chez les experts et dans toutes les formations politiques. Les préjugés d’ordre religieux des juges d’un nombre élevé de pays parties à la Convention posent, me semble-t-il, problème.

4/ Le général de Gaulle avait, en son temps, refusé de ratifier la Convention. Cela me paraissait sage. Cette convention est certes utile. D’abord parce qu’elle se réfère aux grands principes contenus dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de l’ONU adoptée en 1948. Quand la Convention Européenne des Droits de l’Homme interdit la torture, l’esclavage, le travail forcé et la peine de mort, on ne peut qu’approuver. Il est bon de rappeler les grands principes qui caractérisent les pays civilisés.

En revanche, lorsque les juges interprètent de manière unilatérale et donc contestable certains articles dans un sens contraire aux grands principes du droit français, notamment en matière de laïcité, mais aussi en matière de droit à la vie (interprété par certains comme, par exemple, interdisant l’avortement) ou de nationalité (lorsque des individus inconscients de leurs actes ou violant sciemment la loi, choisissent de faire naitre à l’étranger des enfants par GPA, il n’est pas extravagant qu’ils aient à en supporter les conséquences, d’autant que, en l’occurrence, les enfants ne sont pas apatrides mais ont la nationalité de leur mère porteuse. Si on régularise automatiquement, autant autoriser la GPA en France.

4/ Pour ces raisons, je crois qu’il y aurait lieu de réexaminer l’attitude notre pays vis-à-vis de la Cour Européenne des Droits de l’homme. Il ne me paraitrait pas illégitime qu’on reste partie à la Convention (avec, peut-être des réserves, qui sont possibles, sur certains articles) mais qu’on ne reconnaisse pas la force exécutoire des arrêts de la Cour.

Plusieurs pays ont émis ce type de réserves et tous n’autorisent las la saisine de la Cour par des particuliers.   

                                                                                              Yves Barelli, 28 juin 2014

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