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18 avril 2014 5 18 /04 /avril /2014 11:05

Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature né en Colombie et mort au Mexique, s’est éteint le 17 avril 2014 à l’âge de 87 ans. Avec lui disparait un homme qui a marqué la culture du 20ème siècle et qui a été étroitement attaché à l’histoire de l’Amérique latine.

C’est le paradoxe de la Colombie, terre de violence sur fond de narcotrafiquants, de guérillas, de répression et de conflits sociaux, d’avoir produit des génies (Garcia Marquez, mais aussi le sculpteur Botero et beaucoup d’autres) et de posséder une élite intellectuelle de grande qualité (le lycée français de Bogota a l’un des meilleurs résultats des établissements français dans le monde).

Nul mieux que Garcia Marquez n’a décrit ce microcosme paradoxal de la société colombienne, capable du meilleur comme du pire. Dans son œuvre magistrale, « cent ans de solitude », publié en 1967, il décrit à travers des générations successives, l’histoire de la vie quotidienne d’une famille fictive, les Buendia (« bonjour »), vivant dans un village imaginaire, Macondo. On y retrouve le pittoresque, l’humanité, mais aussi la violence et la pire cruauté qui sont le propre non seulement de la Colombie mais de l’ensemble de l’Amérique latine.

Toute l’œuvre de Garcia Marquez, couronné par le prix Nobel en 1982, est le reflet d’un homme ayant été traumatisé par une enfance difficile dans une Colombie en guerre civile (les affrontements et les massacres sont si nombreux dans ce pays depuis la nuit des temps – les Indiens Caraïbes, qui peuplaient cette terre avant l’arrivée des « conquistadores » étaient déjà réputés pour leur cruauté – qu’ils constituent presque la marque de fabrique de ce pays en proie à une violence latente qui fait plusieurs dizaines de milliers de morts  chaque année (et cela continue, même si le niveau de cette violence a un peu diminué ces dernières années).

Dans ce monde souvent inhumain, Garcia Marquez se sentait à la fois partie prenante et en même temps bien seul et isolé. D’où, sans doute, ces romans, qui ne sont jamais tristes ni pessimistes (en Amérique latine, on aime d’autant plus la vie que la mort n’est jamais loin), mais qui reflètent l’absurdité des situations et même l’inéluctabilité des drames : « chronique d’une mort annoncée » (1981). Dans ces conditions, comme le chantait Aragon, il ne peut même pas y avoir d’ « amour heureux », car celui-ci est le plus souvent associé à la tragédie : « l’amour au temps du choléra » (1985). Alors, le fantastique, le surnaturel ou le magique (dans sa terre natale de la côte caraïbe du nord de la Colombie, les populations d’origine africaine ont conservé des cultes proches du « vaudou ») peuvent être des exutoires. On les découvre dans ses romans sur lesquels plane parfois l’ombre de sa grand-mère, hantée elle-même par cet environnement.      

Pourtant, dans un monde en crise où la mort fait partie du quotidien et où l’absurdité de la condition humaine pourrait faire fuir, Garcia Marquez n’a jamais baissé les bras. Bien avant de devenir un auteur au succès mondial, il a été un acteur engagé de son pays, de son continent et, au-delà, du monde.

Cet engagement, Garcia Marquez l’a concrétisé par le journalisme, les voyages et de longs séjours à l’étranger. Il a épousé la cause libérale en Colombie, a sympathisé avec Fidel Castro et le communisme. Son horizon, ce n’était plus seulement celui entre sierra et mer de sa terre natale, ni même de l’espace compris entre Rio Grande et Patagonie, mais ce fut le monde entier : il vécut à New York, Paris, Barcelone dans les années 1950-1960, il voyagea en Europe de l’Est, ce qui était rare en cette période de guerre froide, avant de retourner en Amérique latine, à Caracas, où il s’engagea contre la dictature (il combattit aussi celle de Pinochet), à Buenos Aires, où une partie de son œuvre a été éditée, à Mexico, véritable capitale culturelle de l’Amérique latine (et aussi de l’Espagne pendant la nuit franquiste) enfin où il vient de s’éteindre.

Si Gabriel Garcia Marquez a eu un tel succès, c’est parce que, en premier lieu, il a su admirablement exprimer les vicissitudes, les drames et les espoirs de l’Amérique latine. Il en restera après sa disparition, l’une des meilleures voix. Une voix qui crie la révolte, une voix aussi qui porte l’aspiration à des lendemains qui peuvent chanter. L’Amérique latine, ce sont 400 millions d’hispanophones auxquels s’ajoutent les 200 millions de lusophones, c’est un continent qui allie la barbarie et la civilisation, la cruauté et la solidarité, l’égoïsme des nantis et la convivialité des autres, c’est un espace immense porteur d’un art de vivre héritier de l’Espagne, « mère-patrie » des Latinos, même s’ils la combattirent au 19ème siècle, des Aztèques et des Incas, une terre où les immigrants de toutes origines se sont fondus en une ronde où se mêlent salsa, samba et flutes indiennes empreintes de gaité mais aussi de « saudate », cette nostalgie triste, propre au Brésil, mais aussi, sous d’autres noms, aux autres pays « latinos ».    

Ce sous-continent a quelque chose à nous dire. Bolivar, Che Guevara, Chavez ou Lula, mais aussi Oscar Niemeyer, Pablo Neruda ou Mario Vargas Llosa en ont été d’autres voix qui, avec celle de Garcia Marquez, forment un chant polyphonique dans lequel, nous aussi, nous pouvons nous reconnaitre car il fait partie du langage universel.

Ce langage doit nous rappeler que cette fausse mondialisation ou « globalisation » qui se résume trop souvent à Wall Street et à la Silicon Valley (dont je ne veux pas minimiser l’apport !) ne doit pas exclure la diversité culturelle. Le monde est un, mais il est divers. C’est sa variété qui fait sa richesse, non l’uniformité que la finance internationale veut nous imposer.

L’Amérique latine contribue magistralement à cette diversité et à la richesse de notre planète. Gabriel Garcia Marquez est son héraut, et son héros. Il contribue aussi à nous faire aimer cette Colombie qui mérite mieux que la réputation qui est trop souvent la sienne auprès de ceux qui ne la connaissent pas.

                                                                                  Yves Barelli, 18 avril 2014           

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