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18 avril 2014 5 18 /04 /avril /2014 18:15

L’Algérie a voté. Le président Bouteflika vient d’être réélu sans surprise pour un quatrième mandat. On n’attendait rien de cette élection. Rien ne s’est passé. La vie continue…

Les Algériens ont toujours eu le sens de l’humour, même dans les moments les plus tragiques. Alors, comme eux, je vais dire que « Boutef » a été réélu « dans un fauteuil » (pour mes électeurs étrangers qui ne manient pas parfaitement le français, être élu « dans un fauteuil », signifie l’être très facilement). En effet, on l’a vu voter à la télévision…dans un fauteuil roulant. Cet homme, autrefois si actif, n’est plus que l’ombre de lui-même. Atteint il y a quelques mois, d’une attaque cardio-vasculaire qui l’a profondément diminué, il ne peut plus se déplacer, s’exprime avec difficulté et n’a plus la capacité de travailler normalement.

L’élection présidentielle qui vient de se dérouler est une mascarade. Un peu plus de 50% de votants selon les chiffres officiels. En réalité sans doute même pas 25%. Le candidat Bouteflika élu dès le premier tour, avec, officiellement, 81% des voix. On le savait avant de voter, on savait aussi que, de toute façon, comme d’habitude, les urnes seraient bourrées.

Ali Benflis, son principal « challenger », a été battu, avec seulement, selon les chiffres officiels (vraiment fantaisistes) 12% des suffrages exprimés. On s’y attendait aussi. Il s’y attendait. Il reste en réserve pour une prochaine fois. Benflis n’est pas un inconnu. Il était, lui aussi, il n’y a pas si longtemps, l’homme des militaires. Il a occupé les plus hautes fonctions dans l’Etat (premier ministre de Bouteflika) et au FLN (secrétaire général) avant de tomber en disgrâce. Peut-être les clans qui le soutiennent dans l’appareil militaire reprendront-ils un jour plus d’influence ? En fait, en Algérie, tout le monde s’en fiche. Plus ça change, plus c’est pareil et, aujourd’hui, comme ça ne change pas, c’est encore plus pareil !    

Abdelaziz Bouteflika est âgé de 81 ans. Président de la « République Algérienne Démocratique et Populaire » (c’est le nom officiel) depuis 1999, il détient le record de longévité d’un homme politique algérien, non seulement comme président, mais compte tenu de toutes les fonctions qu’il a exercées depuis l’indépendance. Dans le premier gouvernement de Ben Bella, en 1962, il était déjà ministre de la jeunesse et des sports. Il fut ensuite un ministre remarquable, et remarqué, des affaires étrangères, où il resta en poste de 1963 à 1979. Il contribua fortement à mettre la diplomatie algérienne sur le devant de la scène internationale. Lorsque j’ai débuté ma carrière diplomatique, aux Nations-Unies à New York, l’Algérie était l’acteur incontournable du Mouvement des Non Alignés, alors hégémonique à l’Assemblée Générale de l’ONU.

Et puis, dans la décennie suivante, l’Algérie subit d’abord une crise économique, due à la diminution des cours des hydrocarbures, ses uniques recettes, puis tomba dans le chaos de la guerre civile (100 000 morts) provoquée par la tentative des islamistes du FIS (« Front Islamique de salut ») d’imposer leurs élucubrations surannées à un peuple qui, majoritairement, n’en voulait pas. Le pays faillit sombrer dans ce drame, ces « années de braise » marquées par des assassinats horribles que les Algériens veulent aujourd’hui oublier.

Aucune élection n’a jamais été honnête ni transparente en Algérie. Pas davantage la victoire des islamistes sous Chadli (les clans militaires réglaient leurs compte entre eux et faire trébucher le clan au pouvoir fit partie de leurs calculs), que celles qui ont suivi, y compris le retour de Bouteflika, choisi en 1999 par les militaires pour tenter de redresser la situation.

Je me trouvais en poste diplomatique à l’ambassade de France à Alger lorsque le nouveau président prit ses fonctions et lorsqu’il organisa un référendum pour entériner sa politique de réconciliation. Il gagna certes haut la main ce référendum, avec, si mes souvenirs sont exacts, quelque chose comme 85 à 90% des voix. Ce résultat était évidemment « amélioré », mais on avait estimé à l’ambassade qu’il avait dû avoir tout de même 55 à 60% de votes réels en sa faveur. C’est probablement ce qu’il vient de recueillir à la présidentielle parmi les rares électeurs qui se sont dérangés.

La vérité est que ce président, qui, enfin, parlait vrai, suscita un immense espoir dans la population. Homme de grande culture, maniant à la perfection, tant le français que l’arabe classique, il était d’un contact agréable avec nous diplomates et avec les hommes politiques étrangers. Tous voulaient alors renouer avec lui et avec l’Algérie. Nous vîmes ainsi défiler à Alger tout ce qui compte en France, et en premier lieu à Marseille, cette cité en bleu et blanc sœur d’Alger la blanche.

Bouteflika eut le courage de briser un certain nombre de tabous, par exemple la fiction de l’arabe, langue « nationale », et du français, langue « étrangère ». Il n’hésita pas à utiliser le français comme tout le monde en Algérie. Sa formule était que cette langue était un « butin de guerre » et donc qu’elle appartenait aussi aux Algériens. Il fit même la concession aux Berbères de donner un statut semi-officiel à leur langue. On pensa alors que celui qui était au départ la  «marionnette » des militaires, commençait, tel le Pinocchio de la littérature italienne, à leur échapper et à exister par lui-même. Une sorte de régime de cohabitation entre lui et l’armée sembla s’installer.

Mais, au bout de quelques mois, cela commença à se gâter. Par choix personnel, ou imposé par l’armée, le président mena une politique centriste, un coup à droite, un coup à gauche. Beaucoup de tergiversations, des relents de wahhabisme péché à Doha où il passa plusieurs années dans sa traversée du désert (dans tous les sens du terme) mêlés de laïcité et de modernisme à l’occidentale. Et surtout, beaucoup de temps consacré aux voyages internationaux, sa passion (Dilem, le grand caricaturiste de Liberté, le croquait dans son avion, faisant parfois une rapide escale à Alger-Maison Blanche avant de repartir).

Dans la révolte de la jeunesse kabyle de 2001, il ne vit rien venir. Plus de cent morts, tirés comme des lapins par des « gendarmes » dont on se demandait d’où ils prenaient les ordres. Clans de l’armée pour mettre le président en difficulté ? Ou incompétence jointe à l’envie de « bouffer » du Kabyle ? Toujours est-il que le président apparut comme un personnage lointain déjà déconnecté des réalités et des sentiments du peuple.   

Le mécontentement était tel, pas seulement au pied du Djurjura, qu’on crut que le régime algérien allait être renversé par un « Printemps », qui n’était plus seulement kabyle. On crut que les forces démocratiques et la société civile allaient, cette fois, créer les conditions pour qu’apparaisse enfin une Algérie moderne et démocratique, débarrassée de la « mafia des containers » (cette hiérarchie militaire qui empêche toute production nationale parce qu’elle prélève son pourcentage sur les importations), de cette corruption endémique, de cette « hogra » (mépris des puissants pour les « petits ») qui déshonore le pays et de tous ces conservatismes, de toutes sortes, qui paralysent l’Algérie.

Mais rien, finalement, ne se produisit. Ce « Printemps », ne fut qu’un « Printemps noir » (nom donné aux évènements tragiques de Kabylie). Tout rentra dans l’ordre. Enfin, plutôt dans le désordre moral qui caractérise maintenant ce pays.

Certes, tout n’est pas négatif dans le système algérien. Depuis quelques années, il y a tout de même une amélioration du niveau de vie grâce à l’envolée du prix du pétrole. La protection sociale, comme le niveau de vie, sont nettement au-dessus des standards du continent africain et, en tout cas, très supérieurs au niveau du voisin rival, le Maroc. On s’est même décidé à s’intéresser un peu à la vie quotidienne des gens. La première ligne du métro est enfin achevée (après 25 ans de travaux au point mort), l’aéroport d’Alger a un nouveau terminal et on est même en passe de terminer l’autoroute Est-Ouest, d’une frontière à l’autre.

Ce pays n’est pas non plus une banale dictature militaire. L’armée algérienne, issue de la guerre de libération, a des traditions démocratiques. La presse est relativement libre et la liberté d’expression, certes avec ses limites (on peut critiquer le président, mais pas la religion), est bien plus grande que partout ailleurs sur le continent africain et dans le monde arabe. Les mœurs elles-mêmes sont à des années-lumière de l’étouffement moyenâgeux qui caractérise la plupart des pays arabes. Les femmes y sont également plus libres. 

Pourtant, il y a comme une chape de plomb en Algérie. La société semble se recroqueviller sur elle-même. L’islamisme rampant poursuit sa progression. On peut toutefois être encore laïque en Algérie et boire du vin dans les restaurants (pas tous !). Beaucoup de femmes sont voilées, mais beaucoup, aussi, ne le sont pas. Fort heureusement, l’Algérie n’est ni le Qatar, ni l’Arabie saoudite. Quels que soient les reproches qu’on peut, et doit, adresser à la hiérarchie militaire, il faut reconnaitre que l’armée algérienne a sauvé l’Algérie tant d’une dictature de mollahs et autres « fous de Dieu » que du chaos dans lequel sont tombés les pays qui ont vécu les soit disant « révolutions » arabes, en fait des contre-révolutions.

La situation de l’Algérie n’est donc pas la pire du monde arabe, loin de là. Tant bien que mal, le développement économique se poursuit (du moins, tant que le cours du pétrole est haut – on ne produit quasiment rien d’autre -), la société de consommation s’installe, l’enseignement est à un relatif bon niveau.

Pourtant, le chômage est à un niveau élevé, le parc immobilier complètement obsolète, bien des hôpitaux dans un état lamentable.

Mais, le pire est que ce pays semble culturellement mort. Il ne s’y passe plus rien. Politiquement non plus, d’ailleurs. Tout ce qui compte d’écrivains, de chanteurs, d’artistes algériens a établi ses quartiers généraux à Paris. Même la télé nationale est inexistante : les gens regardent les télévisions étrangères sur les paraboles (les chaines françaises ou celles du Golfe, selon les affinités). Une immense apathie semble s’être installée dans ce pays.

Les Algériens ne sont pas contents, mais ils ont été si échaudés, si traumatisés par la guerre civile, qu’ils ne s’expriment plus, ni pour le régime, ni contre. La frondeuse Kabylie elle-même ne bouge plus. Le « mouvement kabyle », qui avait suscité tant d’espoir en 2001, n’est plus que l’ombre de lui-même. 

Jusqu’à quand ?

Difficile à dire. Pour le moment, le régime militaire continue, avec ses aspects positifs et son caractère insupportable. Les clans de la hiérarchie n’ont sans doute pas pu se mettre d’accord sur le nom du successeur de Bouteflika. Alors, ils ont reconduit à la tête du pays un vieillard impotent sans avoir peur du ridicule. C’est dire où ils en sont arrivés !

L’Algérie mérite mieux !                               

 

                                                                  Yves Barelli, 18 avril 2014    

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