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10 août 2014 7 10 /08 /août /2014 15:22

Le racket des autoroutes en France est bien connu. Par une privatisation en 2006 inconsidérée et scandaleuse, sous le gouvernement de droite de Dominique de Villepin (mais qui avait été préparée par celui, socialiste, de Lionel Jospin), l’Etat a concédé pour de longues années (plusieurs décennies) la plus grande partie du réseau autoroutier du pays : actuellement 9 048 km d’autoroutes à péage sur un total de 11 882. Inconsidérée, parce que l’Etat s’est ainsi privé de recettes ultérieures importantes mais aussi de la possibilité de créer un réseau cohérent (notamment, par l’interdiction, de fait, d’améliorer sérieusement les routes parallèles aux autoroutes afin de ne pas concurrencer ces dernières). Scandaleuse, parce que les automobilistes doivent s’acquitter des péages les plus chers d’Europe (avec l’Italie) sans vraiment avoir le choix de solutions alternatives (il faut vraiment beaucoup de patience pour supporter les dizaines de ronds-points qui ponctuent n’importe quel trajet routier et les files de camions, qui évitent les autoroutes, trop chères, sur des routes nationales le plus souvent à chaussée unique et deux voies).

Seule consolation, il est objectif de le dire, les autoroutes à péage françaises sont les meilleures d’Europe pour les longues distances (en revanche, sur les courtes, l’intérêt est plus limité du fait du prix, mais aussi parce que les sorties sont peu nombreuses). Elles sont sûres et les aires de repos sont généralement excellentes (par contre, l’essence et les autres prestations y sont bien plus chères que sur les routes ; pour les malchanceux qui tombent en panne, le prix du remorquage est exorbitant). Autrefois, l’avantage était plus grand encore : beaucoup d’usagers roulaient à 170 km/h, sans d’ailleurs un grand danger (en Allemagne, 60% du réseau est sans limitation de vitesse et il n’y a pas plus d’accidents) ; on pouvait ainsi faire Paris-Marseille, 800 km, en période creuse en six heures et Paris-Forbach, 400 km en moins de trois heures. Avec les radars fixes, mais aussi mobiles (avec gendarmes à moto pour intercepter les contrevenants), il faut maintenant respecter plus scrupuleusement les limitations, uniformément fixées à 130 km/h en rase campagne, quelle que soit la configuration de la route et quel que soit le trafic (ce qui est absurde), ce qui allonge les temps de parcours. Désormais, la France est le pays où les excès de vitesse sont les plus systématiquement réprimés. La sécurité est certes un objectif positif, mais lorsque seule la vitesse est considérée comme accidentogène, on frise l’absurdité.

Tout irait bien dans le meilleur des mondes du « business » autoroutier et de la sécurité renforcée, si de graves incohérences n’accompagnaient ce magnifique réseau d’autoroutes à péage.

Le système des concessions a poussé les sociétés concessionnaires à construire (souvent avec un cofinancement des collectivités locales) davantage encore de tronçons parce que, en le faisant, leur concession est allongée et elles sont autorisées à augmenter les péages sur les tronçons les plus chargés. On a ainsi construit des autoroutes en des endroits où elles n’étaient pas vraiment nécessaires mais où le prix du kilomètre construit était relativement moins coûteux.

Ceci explique, sans le justifier évidemment, l’existence d’autoroutes peu fréquentées. Par exemple l’A39 de Dôle à Bourg-en-Bresse (en venant de Mulhouse, elle peut servir  d’alternative à l’A6 de Beaune à Lyon, mais son trafic est faible car il ne concerne pas ceux qui viennent de Paris, du Nord et du Benelux), ou encore l’A19 de Sens à Orléans (trop chère, donc vide camions qui se pressent sur la nationale), l’A84 de Caen à Rennes ou la scandaleuse A65 de Langon à Pau, grande trouée à travers la forêt landaise. La mise à deux fois deux voies des nationales existantes aurait été la solution intelligente : pour des trajets aussi courts, payer l’autoroute pour gagner un quart d’heure ne se justifie pas, d’où le boycott de ces voies, y compris par les camions qui continuent à traverser les villages à côté de l’autoroute déserte.

Le paradoxe est que, à côté d’autoroutes peu utiles, on a « oublié » de construire des autoroutes utiles et de mieux aménager celles qui existent.

Ainsi, à chaque départ ou retour de vacances, mais aussi à des périodes plus normales de l’année, on a toujours les mêmes itinéraires saturés. Je suis un usager fréquent de l’axe Paris-Marseille, soit A6-A7. C’est l’axe vital de la France. Pourtant, sur la moitié du trajet Paris-Lyon l’A6 n’est qu’à deux fois deux voies. Aberrant ! Entre Lyon et Marseille, on a deux fois trois voies, mais le tronçon Valence-Orange, commun à Paris-Marseille, mais aussi aux pays rhénans vers l’Espagne, qui reçoit plus de 200 000 véhicules/jour en période « normale » est saturé. 14 jours par an, ce tronçon est considéré comme un « point noir », c’est-à-dire que les bouchons sont courants.  

Malheureusement, il n’y a pas d’alternative à cet itinéraire : pas d’autoroutes parallèles ou proches, pas de voies rapides. A titre de comparaison entre Hambourg et Munich, on a le choix entre plusieurs itinéraires routiers, notamment dans la vallée du Rhin. Mais pas dans la vallée du Rhône. Entre Grenoble et Gap, il manque cent kilomètres et il n’y a qu’une route difficile de montagne. Idem entre Paris et Lyon : l’autoroute A77 ne va pas au-delà de Moulins.    

Des autoroutes peu utiles d’un côté, pas assez ou trop étroites de l’autre. Il ne semble pas y avoir de vision d’ensemble pour la création d’un réseau cohérent.  

Une vision de service public, d’aménagement du territoire et de cohérence aurait dû inciter, sur certains itinéraires, à construire des voies rapides plutôt que des autoroutes. Les voies rapides gratuites ont davantage de sorties (sur les autoroutes à péage, il y en a moins parce qu’on ne veut pas installer des barrières de péages non « rentables », c’est-à-dire avec un trafic insuffisant : mieux vaut un poste de péage tous les 50 km vers lequel le trafic converge que tous les 5 à 10 km) et irriguent donc mieux les territoires. De plus, la gratuité incite les poids-lourds à les emprunter, ce qui est économiquement mieux pour eux et une garantie de sécurité et de tranquillité pour les riverains des routes nationales.

La complémentarité entre autoroutes de grande liaison et voies rapides sans carrefours, ni piétons ni cyclistes et en général à double chaussée est la solution adoptée par presque tous nos voisins européens (à l’exception de l’Italie où la situation est de type français, en pire). Prenez les cartes des voies à grande circulation (type Michelin au 1/1 000 000ème) de l’Allemagne, de la Grande Bretagne, du Benelux et de l’Espagne et vous verrez toutes ces voies rapides, le plus souvent à deux fois deux voies sans feux ni ronds-points. En Espagne, ces voies rapides, appelées « autovias », aux caractéristiques égales aux autoroutes à péage (ce sont en fait des autoroutes, mais elles sont gratuites, même largeur, même limitation à 120 km/h) sont présentes partout, parfois même (ce qui est absurde, convenons-en ; cela ne s’explique que parce que ce sont les « communautés autonomes » qui les construisent, alors que les autoroutes relèvent de l’Etat) en parallèle avec les autoroutes à péage (là où il y a les deux, seuls les non-initiés, en général les touristes étrangers, payent ; un conseil, au passage, si vous franchissez les Pyrénées, empruntez, quand c’est possible les « autovias » plutôt que les « autopistas », elles portent des appellations en A au lieu de AP ; par exemple sur la côte méditerranéenne, l’A7 est gratuite et l’AP7 est payante ; elles sont parallèles). L’Espagne dispose aujourd’hui de 16 335 km d’autoroutes (« aupistas » et « autovias »), soit plus que la France, dont seulement 20% sont payantes. L’Allemagne, quant à elle, a 12 845 km d’autoroutes, toutes gratuites, hors voies rapides.

Les seules régions françaises avec des réseaux cohérents de voies rapides ou autoroutes gratuites sont la Bretagne (pour des raisons politiques décidées dans les années 1960 par le général de de Gaulle en une période où existait un mouvement séparatiste), le Nord-Pas-de-Calais et l’Alsace (du fait que des voies à péage inciteraient à emprunter les autoroutes gratuites belges et allemandes). On trouve aussi des autoroutes gratuites en zones urbaines ainsi que l’A20 et l’A75 dans la traversée du Massif central (mais le péage de Paris à Clermont-Ferrand est cher et le viaduc de Millau est payant).

Le réseau autoroutier urbain, en particulier autour de Paris, présente un autre type d’incohérence. Là, le problème n’est pas le péage (sauf dans les quelques autoroutes urbaines concédées au privé comme l’absurde « duplex » de l’A86 dans la traversée de Versailles, très chère et interdite aux camions car on a préféré faire des économies dans la hauteur du tunnel, alors que c’est justement le contournement de Paris par les poids-lourds qui pose problème). Le problème est l’inadaptation du réseau routier qui a pour conséquence une saturation des autoroutes.

Je n’ai jamais compris la logique du réglage, ou plutôt du non réglage, des feux tricolores en France. La synchronisation dans ce pays est l’exception. Lorsqu’on emprunte presque toutes les voies urbaines, on est arrêté sans arrêt par un feu rouge. Sitôt quitté le précédent, voici que le suivant passe au rouge. Si le but est de faire baisser la vitesse, c’est raté. En effet, lorsqu’un feu passe au vert, on doit accélérer au maximum pour avoir une chance de ne pas être bloqué au suivant. Lorsqu’on emprunte habituellement un itinéraire, on le sait : si on se limite à 50 km/h, le feu d’après est rouge alors qu’en roulant à 70, si la voie est libre, il sera vert. Résultat : des excès de vitesse volontaires, à moins d’être masochiste, de la pollution et des embouteillages du fait des véhicules à l’arrêt. Résultat annexe : plus de voitures sur les autoroutes sans qu’il y en ait moins sur les routes puisque des véhicules arrêtés tous les cent mètres en font davantage au mètre carré même s’il y en a moins globalement.

La solution pourtant existe. Elle consiste à régler les feux de telle sorte qu’on véhicule qui roule en respectant la limitation de vitesse (en général 50 km/h) prendra tous les feux verts. C’est ce que les Allemands, qui pratiquent ce système, appellent la « grüne Welle », la vague verte. Cela permet de fluidifier le trafic, accroit la sécurité (cela dissuade de dépasser la vitesse limite) et désengorge les autoroutes. Dans certaines villes allemandes ou à Prague, en Tchéquie, on a même un système plus sophistiqué : la vitesse est réglée en fonction du trafic ou des conditions climatiques et les feux sont synchronisés à cette vitesse. Des panneaux lumineux indiquent la vitesse à laquelle rouler. Cela concerne aussi les autoroutes à vitesse limitée mais variable calculée pour optimiser le trafic.

De tels réglages ne sont pas extrêmement coûteux, moins en tout cas que ce que coûtent les embouteillages.

Il ne semble pas, pour une raison qui m’échappe, qu’on recherche en France ce genre d’optimisation. J’ai l’impression, en espérant me tromper, que la doctrine en cours est plutôt d’essayer d’embêter au maximum les automobilistes. On pense peut-être ainsi les décourager d’utiliser la voiture. Mais quand on voit la saturation et souvent l’inadaptation des transports en commun, on constate que, hélas, cette alternative n’existe pas toujours (dans le centre de Paris, oui, mais ailleurs ?).

Il y a quelques exceptions en France à cette absurdité. La plus spectaculaire est l’avenue Charles de Gaulle de Neuilly, entre le tunnel de la Défense et le Périphérique parisien. Elle est empruntée chaque jour par plus de 300 000 véhicules. Ceux qui l’utilisent remarquent que le trafic y est presque toujours fluide, même aux heures de pointe. Cela est dû aux feux parfaitement synchronisés et à l’interdiction, sur tout le parcours, de tourner à gauche.

Ce qui a été possible pour cette voie devrait l’être ailleurs. Pour le moment, il est, en pratique (à moins d’accepter de perdre beaucoup de temps), presque impossible de quitter Paris par un autre moyen que les autoroutes bien qu’il existe des routes le plus souvent larges et parfois plus courtes que le trajet autoroutier. Mais, avez-vous déjà essayé de sortir par la nationale 2 (porte de la Villette), la 3 (porte de Pantin), la 7 (porte d’Italie) ou la 20 (porte d’Orléans) ? C’est, chaque fois, un supplice alors que le trafic n’est pas considérable. Et la ceinture des « maréchaux » de Paris qui pourrait être une alternative au boulevard périphérique surchargé ? Là aussi, feux non synchronisés tous les cinquante mètres. A titre d’exemple, entre la porte d’Auteuil et le pont du Garigliano, sur moins d’un kilomètre, il y a quatre feux. Il est rare de ne pas être arrêté au moins trois fois. Absurde, non ?

Pourtant, on dépense beaucoup pour les travaux routiers (et de moins en moins pour l’entretien des routes, souvent en piteux état). Difficile de savoir exactement combien, tant les chiffres sont opaques et les acteurs multiples. Même lorsque vous lisez un bulletin municipal et que vous cherchez à connaitre les budgets pour la voirie, quasiment impossible à savoir.

Il est vrai que le « lobby » routier est puissant et que les élus se croient obligés de le satisfaire, chantage à l’emploi oblige. Aussi, généralement, les élus votent d’abord des crédits, puis les fonctionnaires se demandent comment exactement ils vont bien pouvoir le dépenser ? D’où, les « améliorations » sans arrêt des voiries et la prolifération des ronds-points et ralentisseurs en tous genres. Et là, on a un argument-massue, celui de la « sécurité ».

Sans doute pourrait-on s’y prendre d’une autre façon pour l’améliorer : d’abord par l’information et la pédagogie. Pas grand-chose. On préfère « sanctionner », mais malheureusement les sanctions ne frappent pas ceux qui devraient l’être. Des PV à 95€ quand sur de larges avenues interdites aux cyclistes et aux piétons, on roule à 55 au lieu de 50. Mais une clémence incompréhensible pour des chauffards coupables d’accidents mortels, des crimes donc, parce qu’ils sont sous l’effet de l’alcool ou de la drogue (ils risquent rarement plus que quelques mois de prison, en général assortis du sursis).

Il faudrait évidemment plus de prévention et des sanctions lourdes pour les véritables criminels de la route (pas vous et moi qui dépassons légèrement les limitations de vitesse sur des tronçons sans danger).

Au-delà, il faut ce que j’appelle la « culture du détail ». Bien souvent, il ne serait pas nécessaire de nouvelles autoroutes ou de nouvelles rocades. Seulement aménager intelligemment les voies existantes. Les feux synchronisés en sont un moyen peu coûteux. Les limitations variables de vitesse un autre. Et d’une façon générale, de l’imagination et, surtout, le souci de faciliter la vie de l’usager et non de la compliquer avec l’idée fausse qu’en la compliquant, on améliore la sécurité alors que c’est tout le contraire. Un exemple d’amélioration qui ne serait pas hors de prix : sur le périphérique parisien, les embranchements vers les autoroutes sont, chaque fois, causes de ralentissements qui se transforment en embouteillages aux heures de pointe. Exemples : sorties vers A6 ou vers A13. Le périphérique devrait être élargi sur un demi-kilomètre à ces endroits avec deux voies réservées à la sortie et ces voies séparées du reste de la chaussée pour éviter les « resquilleurs » du dernier moment. Cela est courant sur les autoroutes des Etats-Unis.

Et c’est ma dernière remarque : il faut sanctionner lourdement (et auparavant bien informer les usagers) le manque de civisme, au volant, comme dans toutes les autres circonstances de la vie. Ceux qui essaient de passer devant les autres, qui leur font des queues de poisson, qui bloquent les intersections ou qui sont grossiers envers les autres, non seulement sont un danger mais, non réprimés, ils en font de plus en plus et incitent les autres à les imiter.

En conclusion, chercher à améliorer la vie des conducteurs plutôt que s’ingénier bêtement à la compliquer, chercher en permanence à améliorer les choses (nous connaissons tous des carrefours aux feux inadaptés qui causent des embouteillages ou des sens uniques là où il n’en faudrait pas et des doubles sens là où des sens uniques s’imposent).

Il n’est pas besoin d’être un spécialiste de la circulation pour proposer des améliorations. Ce devrait être une forme de démocratie élémentaire de consulter les usagers avant de faire des « améliorations » de voirie qui se révèlent parfois catastrophiques. Ceux qui empruntent des itinéraires tous les jours sont mieux placés que ceux qui veulent tout régler depuis leurs bureaux sans même mettre les pieds sur le terrain.

Ce n’est pas forcément les « solutions » les plus chères qui sont les meilleures. On devrait garder cette vérité d’évidence en tête.

Je ne fais pas partie des gens qui pensent que tout est forcément meilleur à l’étranger qu’en France. Je voyage beaucoup dans le monde y compris en voiture, pour savoir que ce n’est pas toujours le cas. La France n’est pas le pays le pire, loin de là. Nous avons même la chance de, globalement, être parmi les meilleurs.

Mais il ne faut pas rejeter systématiquement ce qui vient d’ailleurs. Souvent des solutions adoptées ailleurs seraient utiles en France. Il y a deux pays, en particulier, où j’ai beaucoup circulé, qui me paraissent des modèles : l’Allemagne et les Etats-Unis. Nous pourrions souvent nous en inspirer.

J’ai parlé dans ce texte de la route vue par un automobiliste. Je suis aussi cycliste, piéton et usager des transports en commun. Là aussi, il y aurait beaucoup à faire. J’y viendrai une prochaine fois.

En attendant, bonnes vacances, et essayez d’éviter les bouchons !

 

Yves Barelli, 10 août 2014                                                                            

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