Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 22:08

674450_flags.jpgLe résultat des élections législatives qui se sont tenues le 20 novembre 2011 en Espagne est important à plus d’un titre. D’abord parce que le destin de ce pays latin frère et voisin ne peut nous laisser indifférent. Ensuite, parce qu’il risque d’avoir des répercussions plus ou moins prévisibles sur l’avenir des peuples d’outre-Pyrénées, enfin parce qu’il n’est pas incongru d’en tirer des leçons ailleurs, notamment en France.

 

La droite revient donc au pouvoir en Espagne après huit ans de gouvernement du PSOE. Un peuple frappé par la crise, le chômage à plus de 20%, l’effondrement de l’immobilier, déçu par la gauche qui non seulement n’a pas vu venir la crise, a été incapable de l’affronter et a pris les pires décisions en baissant les retraites et les salaires des fonctionnaires, en faisant porter le poids des mesures d’austérité sur les plus faibles sans toucher aux « marchés », au grand capital et aux revenus des rentiers.

 

On se demande par quelle abnégation ou folie, un gouvernement de « gauche » a-t-il pu à ce point se tromper de cible et préparer aussi sereinement la victoire annoncée d’une droite probablement revancharde et réactionnaire, non seulement dans ses futures décisions économiques et sociales, mais aussi, on s’y attend, dans la remise en cause des quelques avancées socialistes en matière de libération de la société des séquelles du passé (lois d’inspiration laïques sur la famille, l’enseignement ou le statut des homosexuels par exemple). Lorsque j’écris « probablement », c’est compte tenu du vide absolu du programme électoral du Parti Populaire désormais au pouvoir. Les Espagnols, sauf les nostalgiques de Franco, n’ont pas voté pour cette droite mais contre les socialistes coupables d’avoir renié leurs engagements et leurs valeurs.

 

L’avenir de l’Espagne s’annonce sous les pires auspices. Non seulement, là comme ailleurs, les mesures antisociales d’austérité apporteront davantage d’injustices sans rien résoudre car elles ne feront qu’alimenter la récession, mais on peut craindre un franc retour en arrière en matière de conservatisme, d’archaïsme et de cléricalisme. La droite espagnole a été incapable, jusqu’à présent, de tirer un trait définitif sur quarante ans de franquisme. Aura-t-elle l’intelligence de ne pas trop toucher aux acquis de la libération de la société espagnole ou reviendra-t-elle à ses vieux démons ? En l’occurrence, le pire n’est pas forcément le plus probable, mais les craintes sont légitimement vives.

 

Dans les acquis du retour à la démocratie post-Franco, il y a les autonomies régionales et, parmi elles, l’émancipation des peuples catalan et basque. La place de ces peuples au sein de l’Etat espagnol est certes reconnue depuis 1975 et les constitutions locales confèrent des pouvoirs étendus à la Généralité de Catalogne et à Euskadi, notamment en matière de langue et d’enseignement, mais le malentendu avec Madrid n’a jamais été complètement levé. Le droit à l’autodétermination n’est toujours pas reconnu aux Basques dont l’histoire et les scrutins successifs montrent qu’une part importante aspire à l’indépendance, probablement même une majorité. La relation entre Barcelone et Madrid repose, elle aussi, sur un dialogue de sourds : pour beaucoup d’Espagnols, y compris du PSOE, on a déjà « concédé » beaucoup trop d’autonomie aux Catalans, soupçonnés d’égoïsme hautain du riche, tandis que ces derniers veulent voir en la Catalogne une Nation souveraine qui n’abandonne au pouvoir central que la portion de souveraineté à laquelle elle renonce volontairement et librement.

 

Dans ces régions, les résultats de l’élection de dimanche sont clairs : en Catalogne, le Parti Populaire ne réalise que 20,7% des voix et le Parti Socialiste de Catalogne-PSOE à peine plus (26,6%), alors que les voix cumulées de Convergencia i Unió (parti centriste autonomiste qui gouverne à Barcelone) et des autres formations autonomistes atteignent 50% soit une majorité absolue de nationalistes catalans (présents aussi chez les socialistes). Au Pays Basque, le résultat est encore plus net : la droite nationaliste (PNV) et la gauche indépendantiste ont la majorité absolue, ne laissant au PP que 17,8% des suffrages exprimés et aux socialistes « espagnolistes » 21,5%. La vérité est qu’il y a au Pays basque, avec ou sans ETA, une claire majorité du peuple qui se prononcerait probablement pour l’indépendance si la possibilité lui en était donnée (il est heureux que les démocrates européens soutiennent les Tibétains et les Soudanais du Sud dans leur lutte pour l’émancipation mais on souhaiterait aussi que des voix s’élèvent en faveur, plus près de nous, de l’autodétermination basque, refusée à Madrid – et à Paris – depuis des siècles. Mais silence radio ! Je reviendrai ultérieurement dans mon blog sur cette question mal connue en France).

 

La grande question des cinq années à venir est la suivante : la droite victorieuse va-t-elle chercher à reprendre aux Catalans tout ou partie de ce qu’ils avaient obtenu ? Si oui, les Catalans, déjà hésitants quant à leur désir de rester en Espagne, en tireront-ils la conclusion que, décidément, ils ne seront jamais compris par Madrid et qu’il est désormais temps de prendre le large ? Cette tentation sera d’autant plus forte que l’Espagne sera davantage en crise économique, sociale et morale.

 

Mon pronostic est plutôt pessimiste car je connais l’histoire de l’Espagne, la bêtise criminelle de sa droite facilement tentée par le cléricalo-fascisme, les aspirations nationales des Catalans et des Basques et, ces derniers mois l’ont confirmé, l’incapacité du PSOE à se libérer de son conformisme, de sa timidité envers le passé et envers les « marchés ». La gauche de la gauche, « Izquierda Unida » a fait un bon score aux législatives (près de 10% des suffrages), mais pas au point de prendre dans un avenir prévisible la place du PSOE défaillant. De son côté, le mouvement des « indignados » a une forte réalité outre-Pyrénées, mais peine à trouver un prolongement politique.

 

Je n’écarte pas, désormais, l’hypothèse d’un éclatement de l’Espagne. Cela pourrait se faire dans la douceur, mais, compte tenu de la tradition espagnole, un « divorce de velours » à la tchécoslovaque ne semble pas le plus probable. J’ai ce sentiment depuis plusieurs mois car il y a un mouvement profond qui s’amplifie dans la population catalane (sans même parler des Basques, en dehors psychologiquement de l’Etat espagnol depuis que cet Etat existe). Sans doute beaucoup de Catalans se sentent-t-ils à la fois Catalans = et = Espagnols. Mais ils risquent d’être contraints assez rapidement de choisir entre ces deux faces de leur personnalité. Le vote de dimanche me renforce dans cette conviction.

 

Venant après les défaites au Portugal, en Grèce et dans quelques autres pays, ce naufrage du socialisme espagnol doit nous interpeler. Les mêmes causes produisent les mêmes effets car, fondamentalement, au-delà de spécificités locales, il y a des constantes en Europe :

 

Lorsque la droite perd, c’est rarement un raz-de-marée électoral. Pourquoi ? Parce qu’il existe toujours un noyau dur de propriétaires, de rentiers, de hauts revenus et hauts patrimoines qui vivent bien dans le système capitaliste actuel et qui, même s’ils n’éprouvent pas de sympathie particulière pour les leaders de la droite du moment, savent ce qu’ils auraient à perdre en cas de changement fondamental. Cela explique que, même dans les jours les plus sombres de l’impopularité, il y a toujours 30% d’inconditionnels de Sarkozy (ou de tout autre homme de droite qui le remplacerait). Cela rend plus difficile la constitution de majorités de gauche.

 

En face, à gauche donc, à quoi assiste-t-on ? Les social-démocraties restent arc-boutées sur la défense de quelques dogmes pourtant empruntés à la droite : religion de la « construction » européenne, intangibilité de l’euro, ouverture des frontières et même défense de l’OTAN comme alliance « naturelle ». Et comme parmi ces dogmes, la loi inévitable des marchés s’impose, croit-on, que reste-t-il de mesures de « gauche » à promouvoir ? Augmenter les salaires ? Ce n’est pas le moment. Réduire le temps de travail ? Ce n’est plus d’actualité. Etendre la protection sociale ? On a déjà assez à faire en tentant de maintenir les acquis. Augmenter les impôts des riches ? Oui, mais dans une courte limite car, autre dogme, « les prélèvements obligatoires sont déjà élevés ».

 

Que reste-t-il donc des valeurs de gauche dans les programmes des partis socio-démocrates européens ? Veulent-t-ils encore « changer la vie » (slogan du PS autrefois) ? Ont-ils encore un électorat sur lequel compter ? Lorsqu’on voit la politique menée par un Papandreou ou un Zapatero, lorsqu’on constate que le PS français ne recueille dans les sondages qu’une minorité de voix chez les ouvriers, on peut se poser la question.

 

Un espoir s’est levé en France autour des primaires socialistes. Unité et changement novateur semblent constituer de fortes aspirations chez les électeurs socialistes.

 

François Hollande est en train de peaufiner son programme. Il serait utile qu’il se pose les bonnes questions et notamment cette question préalable : Pourquoi les gouvernements socio-démocrates échouent-ils en Europe avec une telle constance ? Et pourquoi, à contrario, est-ce que ça marche si bien en Amérique latine, dans le Brésil pragmatique de Lula, dans l’Argentine qui s’est débarrassée il y a cinq ans de la dictature du FMI et de sa monnaie alignée sur le dollar, pourquoi, plus près de chez nous, la petite Islande s’en sort-elle bien en rompant délibérément avec les dogmes libéraux et la soi-disant nécessité d’une monnaie forte?

 

Si l’on veut vraiment changer les choses en France (et ailleurs), il est nécessaire de s’attaquer aux « marchés » (en d’autres termes, le noyau dur du grand capital)  et non de passer par leurs exigences. Il faut aussi sortir de cette rengaine de « plus d’Europe ». L’Europe, c’est un continent mais pas un Etat pour la simple raison que non seulement les peuples n’en veulent pas mais que, parmi les Etats de l’Union, quasiment personne n’en veut. Les Anglais n’en veulent pas, les Allemands non plus parce qu’ils en ont assez de payer pour les autres et tous les nouveaux membres de l’Est tout simplement parce qu’ils sont alignés sur les Etats-Unis et sur l’OTAN et que l’Union ne les intéresse que par ses subventions, d’ailleurs de plus en plus faibles, et son « libéralisme » propice à leur moins-disance sociale. Reconnaissons honnêtement que lorsque les Français demandent « plus d’Europe », c’est parce qu’ils pensent à une Europe objectivement française. Si les Allemands veulent une Europe allemande et si les autres préfèrent souvent une Europe américaine, peut-on leur en vouloir ? Napoléon et Hitler sont passés par là et n’ont pas laissé que de bons souvenirs.

 

La sagesse inciterait, me semble-t-il, à oublier les chimères européennes et à compter sur nos propres forces et nos propres solutions. Le Brésil impose de lourds droits de douane aux industriels qui ne veulent pas fabriquer dans le pays, l’Argentine oblige même Apple à fabriquer ses i-pads en Argentine. Lorsque j’entends l’argument selon lequel un emploi sur quatre en France travaille à l’exportation et qu’il serait folie de rétablir un protectionnisme à nos frontières, je réponds que c’est probablement un emploi sur trois que nous avons perdu ou que nous nous apprêtons à perdre parce que nos frontières sont devenues des passoires économiques. Ce que l’Argentine ou la Corée font, sans même parler des grands marchés hyper-protégés que sont la Chine, le Brésil ou même les Etats-Unis (quand on y vend un TGV, presque tout doit être fabriqué sur place) et le Japon, nous pouvons le faire. Avec ou sans euro, et probablement mieux sans euro qu’avec.

 

François Hollande ne retiendra sans doute pas la totalité de mes propositions – c’est un euphémisme - que d’aucuns qualifieront d’iconoclastes, d’irréalistes, voire de totalement farfelues (mais nombre d’idées « farfelues » s’imposent tôt ou tard lorsqu’elles sont fondées sur les réalités). Mais si seulement les précédents espagnol ou grec pouvaient instiller un peu de doute chez nos européistes pétris de certitudes sur le plus d’Europe, sur la pérennité de l’euro et sur les bienfaits des frontières grand ouvertes (Quant à ceux qui préconisent un protectionnisme européen, ce sont de doux rêveurs. Autant attendre qu’il fasse soleil à minuit à Paris en décembre), alors le naufrage du vaisseau socialiste espagnol aura peut-être servi à quelque chose !

 

Yves Barelli, 21 novembre 2011

Partager cet article
Repost0

commentaires

Y
Merci pour ce commentaire. S'agissant des Basques et des Catalans, je vais mettre en ligne un article spécifiquement consacré à la question. Pour les "indignés", j'en ai parlé en disant que le<br /> mouvement était profond mais qu'il n'avait, pour le moment, aucun prolongement politique.<br /> La question du lien entre la crise immobilière et l'euro est intéressante. Les bas taux d'intérêt induits par l'adhésion de l'Espagne à l'euro ne sont pas la seule cause de la création de la bulle<br /> immobilière, mais il est vrai qu'ils y ont contribué. Celà confirme mon appréciation sur l'inadaptation de la monnaie commune et unique à des situations économiques trop différentes et à des<br /> comportements eux-mêmes divergents. Raison de plus pour remettre à plat le système en gardant la monnaie commune pour les transactions intereuropéennes et internationales mais en la complétant par<br /> des monnaies nationales dont la parité par rapport à l'euro serait fixée d'un commun accord entre gouvernements européens au vu des besoins et des possibilités de chaque économie (cf l'article sur<br /> la question qui figure dans mon blog). Dans un tel système, les taux d'intérêts seraient définis sur une base nationale.<br /> Yves Barelli
Répondre
V
Intéressant cet article, notamment sur le Pays basque et les Catalans. Je trouve notamment la remarque sur le Pays basque fort juste.<br /> <br /> Maintenant, je trouve qu'il manque deux points à l'analyse qui auraient mérité d'être traité et interrogé :<br /> - il n'est pas fait mention des Indignés et du mouvement de la Puerta del Sol. Pourtant, il a été à la une médiatique pendant de longues semaines. Les conséquences politiques de ce mouvement<br /> semblent quasi nulle. Donc soit il est loin d'emporter la majorité, soit il est incapable de trouver un vrai débouché politique.<br /> - rien sur la folie immobilière espagnole : 13% du PIB englouti dans le secteur ! Pourquoi : parce que les taux d'intérêts (du fait de l'euro) étaient inférieurs à l'inflation, tout simplement.<br /> C'était un bénéfice de l'Euro et de l'adhésion à l'UE. Or, les socialistes ont fermé les yeux sur cette bulle immobilière. Ils auraient du prendre des mesures pour freiner la construction et<br /> limiter l'endettement des ménages.
Répondre

Recherche