L’accord signé le 15 novembre 2011 entre le Parti Socialiste et Europe-Ecologie-Les Verts a fait couler beaucoup d’encre et suscité les sarcasmes de la droite et de la plupart des commentateurs. Ces critiques ne sont pas sans fondement. La question du nucléaire méritait mieux.
1/ D’abord parce que cet accord donne la mauvaise impression de magouilles entre appareils de partis en dehors de toute consultation des militants. Il donne l’impression que les Verts ont échangé le renoncement à ce qui apparaissait auparavant comme une exigence non négociable, l’engagement de sortir du nucléaire, contre l’attribution d’un certain nombre de circonscriptions législatives en général acquises à la gauche. Les dirigeants d’EELV, à commencer par Cécile Duflot, ont donné la fâcheuse impression d’abdiquer en rase campagne leurs convictions sur le nucléaire contre la certitude d’être élus aux prochaines législatives. Paris valant bien une messe, c’est dans une circonscription de la capitale taillée sur mesure que la responsable du mouvement écologiste se fera parachuter.
Sur le fond, François Hollande a sans doute raison de se montrer satisfait puisqu’il obtient le ralliement des Verts sans pour autant sortir du nucléaire. Quant aux fermetures de 24 centrales (une par circonscription concédée aux Verts, a-t-on glosé), c’est un engagement qui n’engage pas à grand-chose puisque non assorti d’un calendrier contraignant ni d’une liste précise des centrales à fermer. L’EPR de Flamanville, pour sa part, n’est pas touché ni, semble-t-il, bien que cela soit confus, la fabrication de combustible. Tout cela pour les 20 ans à venir, ce qui laissera toute latitude non seulement de ne rien faire en pratique sur la prochaine législature et, plus tard, de voir venir, si toutefois la gauche est encore aux affaires d’ici là.
L’impression qui reste est que cet accord était surtout destiné à sauver la face des Verts qui ont paru davantage intéressés par des sièges à l’assemblée que par la substance de l’accord.
Comme tout accord entre appareils, celui-ci entraine son lot de mécontents parmi ceux qui, n’étant pas autour de la table, semblent les dindons de la farce. Bertrand Delanoé et Anne Hidalgo n’apprécient pas, et sans doute avec eux les militants socialistes de la capitale, l’arrivée de Cécile Duflot. Gérard Collomb n’est pas non plus satisfait qu’on impose un écologiste éligible à Lyon. Quant à Eva Joly, candidate des Verts à la présidentielle, elle s’est sentie, elle aussi, écartée de la négociation. Pour sa part, François Hollande veut faire bonne contenance, mais lui aussi n’a pas été réellement maître d’une négociation menée essentiellement par son « amie » et ancienne rivale Martine Aubry.
Globalement donc, une bien mauvaise image donnée à l’opinion qui risque surtout d’en retenir magouilles, électoralisme, amateurisme et peaux de bananes entre camarades.
2/ Une autre méthode, qui devrait être chère à Hollande dont le modèle avoué est François Mitterrand, aurait été de renouveler ce qui avait si bien réussi en 1981, c’est-à-dire élaborer un programme commun de gouvernement engageant le futur président de gauche, s’il est élu. Rappelons que ce programme commun avait été signé par le PS, le PC et le MRG (il n’y avait pas encore de Verts à l’époque). Quant aux législatives, depuis 1973, la règle était simple : le candidat de gauche arrivé en tête dans une circonscription reste seul en lice et ceux arrivés derrière lui le soutiennent.
La notion même de circonscription réservée est une insulte pour les militants de base des partis et un mauvais message lancé aux électeurs. D’ailleurs, ce type d’arrangement se traduit bien souvent par la perte de la circonscription que les partis prétendaient sécuriser.
On aurait donc souhaité, et je continue à le faire, un accord de gouvernement non seulement sur le nucléaire, non seulement entre Verts et PS, mais sur l’ensemble de la future gestion de gauche, au moins dans ses grandes lignes, et en incluant le Front de Gauche.
Cela serait préférable pour la démocratie et pour la clarté du débat électoral. En l’occurrence, c’est la droite qui donne des leçons à la gauche. Un programme commun, celui de l’austérité et des cadeaux fiscaux aux plus aisés, autour d’un candidat, le président sortant. Au moins, c’est clair. Le message lancé par la gauche est davantage celui de la confusion et des petits arrangements.
3/ Venons-en à l’essentiel, le nucléaire, qui méritait mieux que ces combinaisons entre appareils. C’est un sujet complexe qui mériterait un vrai débat. Tout n’est pas blanc ou noir et les arguments en faveur et en opposition du nucléaire doivent être pesés et analysés. Pas seulement par une poignée de personnes réunies autour d’une table d’abord pour se partager des circonscriptions, et accessoirement pour parler du nucléaire.
Les partisans du nucléaire mettent trois types d’arguments en avant. D’abord, l’électricité d’origine nucléaire est bien meilleur marché que les autres formes d’électricité. C’est un argument spécieux car tout n’est pas pris en compte dans le prix du nucléaire, notamment la gestion à long terme des déchets, le coût considérable du démantèlement des centrales en fin de vie et le coût du risque (l’Etat prend en charge ce type d’accident comme une catastrophe naturelle. Si on devait assurer les centrales contre ce genre de risque, le prix en serait faramineux, cf ce que coûte Fukoshima au Japon). Le deuxième argument est l’emploi : le nucléaire emploie beaucoup de monde en France. Cet argument est irrecevable, à la limite du ridicule. D’abord parce que si le nucléaire était remplacé par autre chose, d’autres emplois seraient créés ailleurs. Ensuite parce qu’un emploi doit correspondre à une utilité et n’est pas une fin en soi. Sinon, on aurait gardé les fabriques de bougie après l’invention de l’électricité pour sauvegarder les emplois qu’elles fournissaient !
Le troisième argument en faveur du nucléaire est plus sérieux. Les éoliennes, le géothermique et le solaire, c’est bien mais on n’espère pas en tirer, en l’état actuel de la technologie et pour l’avenir proche, plus de 20% de part du marché électrique. En outre, l’éolienne n’est peut-être pas la panacée. Le bilan carbone de sa fabrication est mauvais et esthétiquement cela pose des problèmes. Il en va de même pour les panneaux solaires. Quant aux autre sources, plus classiques, de production d’énergie, pétrole et charbon en particulier, elles sont très polluantes et les accidents (marées noires, accidents de mines) bien plus nombreux et meurtriers que le nucléaire.
Pourtant, le nucléaire constitue un danger potentiel considérable. Les accidents sont peut-être peu nombreux mais ils sont catastrophiques et l’irradiation, qui tue à petit feu victimes mais aussi sauveteurs, est moralement inacceptable. En cas de tsunami, le danger est évident. Celui du Japon n’avait pas été prévu à cette hauteur. La France est moins menacée mais le danger n’est pas nul. Le risque terroriste est bien plus grand car aucune parade n’est absolue. Mais le danger principal vient d’ailleurs. Développer le nucléaire dans un grand pays entraîne dans un monde globalisé l’exportation de centrales et de technologies. Aujourd’hui, le monde entier se couvre de centrales et cela, souvent, dans des pays qui ne sont pas sérieusement préparés à les recevoir. C’est sans doute dans le tiers-monde qu’aura lieu le prochain accident plutôt qu’en Europe. Là réside le plus grand danger. Cela nécessite un contrôle international encore plus strict. Cela nécessite aussi qu’un pays comme le France montre l’exemple de la dénucléarisation s’il veut être crédible dans son dialogue avec les pays dangereux.
Je n’ai pas d’avis totalement définitif sur le nucléaire. Je ne suis pas suffisamment spécialiste pour me faire une opinion valable sur les arguments techniques des uns et des autres. Sans être un chaud partisan du nucléaire, j’avais plutôt tendance à penser que, certes le nucléaire est dangereux, mais plutôt moins, finalement, que le pétrole, et moins inesthétique que les éoliennes.
L’accident de Fukushima m’a interpelé. Je crois maintenant qu’il faut sortir du nucléaire.
Pour cela, deux choses sont à faire.
La première, et cela me semble être un préalable, changer de système économique, c’est à dire « démondialiser » pour reprendre la formule de Montebourg. Le mode de vie et plus encore le mode de production de notre société capitaliste est extrêmement énergivore. Il n’y a aucune logique économique à importer de l’autre côté de la terre ce qu’on peut produire chez soi. Il est absurde de vendre à Troyes des textiles chinois, de consommer en Languedoc du vin chilien, d’acheter à Sochaux des Hyundai et, plus encore, de faire venir par avion cargos des petits pois du Kenya et des roses de Colombie. Les autoroutes et les océans du monde sont pollués par tout ce qui se transporte et qui ne devrait pas l’être. Arrêtons ce jeu de massacre de la nature par la pollution et des hommes par les délocalisations et on aura déjà résolu une partie de notre problème énergétique. Une meilleure isolation de nos logements, moins de clims non nécessaires et peut-être un peu plus de pulls sur soi en hiver au lieu de surchauffer feraient une autre partie du chemin vers des économies d’énergie.
Mais il faudra encore sa ns doute longtemps de l’énergie que les sources alternatives au nucléaire ne parviendront pas à produire. Il faudra donc réduire le nucléaire progressivement au fur et à mesure qu’on pourra effectivement s’en passer. Pour accompagner la baisse du nucléaire un effort concomitant devra être fait pour développer les sources alternatives.
Là comme ailleurs, il me semble qu’il faut éviter le dogmatisme. La sortie absolue et immédiate du nucléaire ne devrait pas être la nouvelle religion de certains Verts. Ou alors qu’ils soient logiques avec eux-mêmes en renonçant à l’électricité comme le font les Amish de Pensylvanie. En sens inverse, continuer comme si de rien n’était sous prétexte que rien d’autre n’est passible est encore moins acceptable.
Pour terminer, une question de méthode et de démocratie. On ne va pas régler la question du nucléaire par des décisions bureaucratiques. Le nucléaire mérite un véritable débat, qui sera en même temps, par la force des choses, en grande partie un débat de société. Il me semble qu’un tel débat sans tabou ni biais induit par les groupes de pression devrait se dérouler sur plusieurs mois. Un référendum devrait le conclure. Il engagerait non seulement quelques aparatchiki en marge de partage de gâteau électoral, mais l’ensemble du peuple français. Mélenchon propose un tel référendum. Il a raison.
Le peuple n’est pas nécessairement idiot. Proposer de le consulter, ce n’est pas dire un gros mot. Par temps de rigueur imposée à la Grèce et aux autres, on l’oublie parfois…
Yves Barelli, 21 novembre 2011