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1 avril 2014 2 01 /04 /avril /2014 22:07

Lors des élections municipales des 23 et 30 mars, les Français ont clairement et fortement sanctionné le président Hollande et son gouvernement socialiste. Tous les commentateurs ont donné une signification politique nationale à ce scrutin local et ils ont eu raison.

Pourquoi ce titre de « syndrome Zapatero » ? Parce que le pouvoir socialiste espagnol s’est terminé par un naufrage et que l’aventure des socialistes français risque de connaitre le même sort. 

José-Luis Zapatero a été le chef du gouvernement espagnol jusqu’à sa spectaculaire défaite de 2011 (voir mon article du 21 novembre 2011 : « Espagne, élections, leçons d’un suicide socialiste »). Englué dans la crise, contraint, du moins le croyait-il, de mener la politique d’austérité imposée par l’Union européenne et le FMI, Zapatero a tout fait pour tenter de plaire aux « marchés », c’est-à-dire au grand capital financier, et aux technocrates de Bruxelles qui en sont le relai. Il a multiplié les cadeaux aux possédants, taillé dans les dépenses sociales, est allé jusqu’à baisser les salaires des fonctionnaires et les pensions des retraités.

En pure perte, d’un point de vue économique : le chômage a continué de progresser, la crise ne s’est pas résorbée. Et avec un prix politique fort : en appliquant avec encore plus de zèle la politique de la droite, il s’est irrémédiablement coupé de son électorat traditionnel sans pour autant rallier à lui les électeurs de l’autre camp, confortés au contraire dans leur conviction que la droite avait raison. La défaite socialiste de 2011 a été si cuisante que le PSOE est durablement effacé du devant de la scène politique espagnole. La trajectoire du socialisme espagnol est un fiasco total, tant électoral que moral.       

Les social-démocraties encore au pouvoir ailleurs en Europe (il n’y en pas plus beaucoup) ne paraissent pas, généralement, avoir retenu la leçon. Quasiment partout, elles mènent les mêmes politiques, avec, le plus souvent, les mêmes résultats : échec économique, recul social et déroutes électorales.

La France ne fait pas exception à cette tendance suicidaire. Hollande a choisi lui aussi de « coller » au système européen et mondial sans le contester. Aussi, se croit-il obligé de mener une politique dont on ne voit pas vraiment ce qui la différencie de celle du précédent gouvernement, celui de la droite sarkozienne. L’austérité est de plus en plus prégnante, on demande toujours plus d’efforts aux Français qui ne voient pas le bout du tunnel. Le chômage continue à avancer inexorablement, alors que Hollande s’était engagé à inverser la courbe avant la fin 2013. Il avait aussi promis de faire une réforme fiscale ambitieuse, de remettre les banques au pas et de combattre la finance internationale. Il a fait exactement le contraire : les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Pis, il a encore accentué depuis le début 2014 une politique de l’ « offre » qui est partout l’apanage de la droite dite « libérale » (voir mon article du 17 janvier : « la politique économique de Hollande »). Son « pacte de responsabilité » a consisté à troquer un cadeau de 50 milliards d’euros aux entreprises contre un vague engagement (non concrétisé) de créer des emplois ; il est particulièrement mal passé auprès des Français : ceux de gauche n’ont pas compris ou ont été scandalisés ; ceux de droite n’y ont vu qu’une manœuvre.

Y aura-t-il une inflexion de cette politique après le « message » reçu par le président de la république à l’occasion des municipales ? Le gouvernement Valls, qui vient de succéder à celui de M. Ayrault, saura-t-il, sous l’impulsion du président, prendre la mesure du mécontentement et des attentes des Français ? Il est trop tôt pour le dire. [Je commenterai sur ce blog dans quelques heures la composition du nouveau gouvernement dès qu’elle sera connue].        

Pour l’heure, limitons-nous aux municipales. Les enseignements suivants peuvent être tirés :     

1/ Le vote socialiste est en recul à peu près partout. Cela était attendu. La défaite est toutefois encore plus forte que prévu. Les municipalités socialistes bien implantées ont été reconduites, mais avec des marges plus étroites. C’est le cas notamment à Paris (Madame Hidalgo avait pourtant pris le soin de se démarquer sensiblement du gouvernement), à Lyon (idem pour M. Collomb) ou à Lille (bien que Martine Aubry, dirigeante historique du PS, principale rivale de François Hollande lors des primaires socialistes de 2012, ait toujours maintenu une distance marquée – elle a refusé de participer au gouvernement – par rapport au président de la république). Là où l’implantation socialiste était plus fragile (le PS avait emporté de nombreuses municipalités en 2008 auparavant tenues par la droite) ou les bilans municipaux plus ternes, les maires sortants socialistes ont souvent été battus (cas, par exemple, de Toulouse, de Saint-Etienne, de Reims, de Limoges - ville qui avait toujours voté socialiste auparavant -) mais aussi de plus de 150 autres villes de plus de 10 000 habitants).

Il y aura désormais en France plus de villes grandes et moyennes gouvernées par la droite que par la gauche. C’est nouveau.  

Le cas marseillais, où le score des listes Mennucci s’apparente à une véritable débâcle, doit être étudié avec attention, non seulement parce que dans cette deuxième ville de France le PS espérait y obtenir un succès qui aurait pu masquer ses échecs ailleurs, mais aussi parce que cette cité amplifie généralement les résultats nationaux et, souvent, donne un avant-goût de ce qui va se passer un peu plus tard ailleurs dans l’hexagone. Je l’analyse dans un article spécifique publié en parallèle à celui-ci.

2/ L’abstention, avec en moyenne 36%, a été plus forte de 5 points par rapport au dernier scrutin. Il y a une tendance de fond : depuis trente ans, le taux progresse régulièrement  (à quelques exceptions près, généralement les présidentielles, lorsque l’enjeu parait plus grand).

Cela montre un éloignement croissant des Français par rapport à la chose publique, vue de plus en plus comme étrangère à leur vie quotidienne et à leurs aspirations. Il y a un divorce entre eux et la « classe politique » dont ils ont la conviction qu’elle ne les représente plus. Ce malaise est ressenti par tous, mais, pour des raisons compréhensibles, plus encore par les millions de gens qui souffrent et qui sont persuadés que « plus ça change, plus c’est pareil » et que, droite ou gauche, ce sont toujours les mêmes qui profitent du « système » et les mêmes qui en en sont les victimes.

Avec les votes blancs et les voix qui se sont portées sur des partis « antisystème », notamment le Front National, c’est plus de la moitié de l’électorat qui a refusé de voter pour les partis de gouvernement (il faudrait aussi ajouter à ces chiffres le nombre croissant des jeunes qui ne s’inscrivent même plus sur les listes électorales parce qu’ils ont le sentiment que cela ne sert à rien). Beaucoup ont ainsi voulu marquer leur désapprobation tant du pouvoir socialiste actuel que de celui de la droite qui l’a précédé. Plus qu’une vague « bleue », le vote de dimanche dernier a été celui d’une vague « blanche », celle du refus. 

3/ S’agissant de ceux qui votent encore, ils se sont, une fois de plus, majoritairement prononcés pour les partis institutionnels par habitude (pour combien de temps, tant les déceptions sont souvent au rendez-vous ?), par clientélisme ou sous l’effet d’un « marketing » que seules des forces politiques disposant de moyens importants sont capables de mobiliser.

Dans ce cadre-là, parler de « raz-de-marée » en faveur de la droite est un peu exagéré : les déplacements de voix ne concernent souvent que 5 points de l’électorat. Il a pu y avoir des transferts de voix gauche > droite, mais cela n’a pas été le plus fréquent. En général, une bonne partie des déçus du pouvoir en place (maintenant les socialistes, mais on avait eu le phénomène inverse en 2008 lorsque Sarkozy, au pouvoir, avait déçu bien des électeurs de droite) préfère s’abstenir ou voter pour des « petites » listes d’alternatifs ou de dissidents. En France, la proportionnelle n’étant pas la règle, ces transferts de voix, même relativement minimes, se traduisent par des différences très amplifiées en termes de nombre d’élus. C’est encore le cas cette fois.

Pour étayer l’observation précédente, il est utile de souligner que, sur 36 000 communes, l’élection du maire a été acquise dès le premier tour dans plus de 30 000 communes. La plupart des petites localités sont dans ce cas ; leurs maires, même étiquetés à gauche, ont, le plus souvent été reconduits (avec plus de difficultés lorsqu’ils sont socialistes). Dans ces communes, tout le monde se connait et les clivages partisans sont moindres. La gestion est alors davantage prise en considération que la couleur politique, d’autant que les anciennes querelles (par exemple cléricaux et anticléricaux, « collectivistes » et « libéraux ») sont en général du domaine du passé : désormais, en France, tout le monde est laïque et, bon gré mal gré, le système capitaliste est admis.

Dans les communes plus grandes, notamment dans les communes périurbaines, l’abstention a été plus massive et les suffrages exprimés plus aléatoires. Ils montrent souvent une perte de repères et de racines locales. Ce comportement, parce qu’on ne connait plus les élus, est allé jusqu’à sanctionner des municipalités aux bilans pas toujours négatifs, mais jugées trop éloignées des citoyens, ou à faire élire de jeunes inconnus aux programmes flous. C’est souvent dans ces communes que le Front National fait ses meilleurs scores. 

Cette relative stabilité doublée de déplacements limités de voix entre gauche et droite, ne saurait toutefois masquer les tendances de fond sur lesquelles je reviendrai plus loin. 

4/ Les électeurs de gauche qui ont voulu sanctionner le pouvoir socialiste ne se sont pas tous réfugiés dans l’abstention ou passés au Front National. Certains se sont reportés sur le Front de Gauche (communistes et « mélenchonnistes », très critiques vis-à-vis du gouvernement), sur les écologistes (Europe-Ecologie-Les-Verts est représenté au gouvernement, ce qui ne l’empêche pas d’être critique) ou sur des socialistes dissidents (cas, notamment, de Montpellier).

Depuis vingt ans, le Parti Communiste a perdu beaucoup de terrain en France, y compris des municipalités qu’il détenait depuis plus d’un siècle. Il en a encore perdu quelques-unes cette fois, mais les villes petites ou moyennes (5 à 50 000 habitants) avec un maire communiste sont encore relativement nombreuses. Souvent ces municipalités ont été réélues dès le premier tour, parfois avec des scores importants.

L’implantation des Verts était plus récente et plus limitée. Ils progressent peu mais obtiennent quelques succès, comme par exemple à Grenoble, métropole des Alpes françaises, où, alliés au PC, ils battent le PS. Le très médiatique député Noël Mamer, qui a quitté EELV à cause de sa compromission dans le gouvernement de Hollande, a été réélu dès le premier tour à Bègles (petite ville de la région bordelaise).

Le vote communiste ou écologiste est donc conjoncturellement une alternative pour des électeurs de gauche voulant rester à gauche. Mais, comme en Espagne, cela n’est pas suffisant pour changer le rapport de force gauche-droite, désormais en faveur de cette dernière. La vérité est qu’il y a un déclin sur le long terme, tant du vote PC que PS et que le vote vert reste très limité.

[A la différence de l’Espagne, le vote autonomiste n’existe quasiment pas en France, même dans des régions à la forte personnalité, comme la Bretagne, l’Alsace ou le Sud occitan. Il y a toutefois deux exceptions notables : la Corse, où les autonomistes prennent Bastia, ville la plus peuplée de l’île, et les Antilles, où le vote autonomiste est traditionnellement majoritaire]. 

En France, la gauche perd donc du terrain. Ce n’est pas parce qu’il y a moins de gens de gauche, c’est-à-dire de personnes qui ne sont pas d’accord avec le système capitaliste qui nous régit ou qui voudraient le changer radicalement, mais c’est parce que ceux qui sont dans cet état d’esprit ne trouvent plus dans les partis dits de « gauche » l’alternative dont ils rêvent. Votre serviteur fait partie de ceux-là. 

5/ L’UMP profite du désamour des Français pour Hollande, mais il le fait plus par défaut de la gauche que par adhésion. Plusieurs de ses « ténors » sont réélus dès le premier tour. C’est le cas de François Copé, le secrétaire général pourtant contesté du parti, ou d’Alain Juppé, ancien premier ministre de Chirac, réélu brillamment à Bordeaux (cette commune, qui ne couvre que le centre et à une partie des quartiers résidentiels de l’agglomération, a toujours voté à droite, contrairement à ses banlieues).

La progression de l’UMP est parfois spectaculaire (en pourcentages des exprimés, mais pas toujours en voix) mais, somme toute, relativement limitée. Il s’agît surtout d’un rattrapage du terrain perdu en 2008. Ce parti n’est pas populaire. Sarkozy est rattrapé par plusieurs « affaires », le parti est déchiré par la rivalité entre Copé et Fillon (premier ministre de Sarkozy, aujourd’hui « fâché » avec l’ancien président). Si l’UMP l’emporte en 2017 (on ne  sait pas encore avec quel « cheval ». Sarkozy voudrait revenir, mais le pourra-t-il ? Juppé est bien placé pour s’imposer à la place des trop nombreux prétendants déclarés), ce sera plus par rejet de Hollande que par adhésion, scénario inverse à 2012 lorsque Hollande avait été élu par défaut, c’est-à-dire par rejet de Sarkozy).

Le succès écrasant de Jean-Claude Gaudin à Marseille est spécifique. Je traite ce phénomène dans l’autre article consacré à l’élection marseillaise.

 6/ Le Front National est, selon tous les commentateurs, le grand bénéficiaire des élections municipales 2014. Mais il faut relativiser ce succès. Ce parti est capable de bons scores au niveau national (Marine Le Pen a eu 18% des voix à la présidentielle 2012) et là où il présente des candidats. Auparavant peu implanté localement, le FN est en forte progression là où il est présent, mais il n’a été en mesure de présenter des listes que dans 600 communes, soit moins de 10% des localités où il y a des scrutins politisés.

Comme souvent, les commentateurs exagèrent considérablement les tendances. Les politiciens du PS, pour des raisons incompréhensibles, jouent à se faire peur et montent eux aussi en épingle le succès, réel mais limité, du FN. Les progrès sont certes parfois spectaculaires, mais les résultats sont limités, même si la « conquête » dès le premier tour de l’emblématique Hénin-Beaumont (ville ouvrière de l’ancien bassin minier du Pas-de-Calais où Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon s’étaient affrontés en 2012) est un joli succès. Le FN se heurte encore à l’hostilité de toutes les autres formations et d’une large partie de l’électorat. Là où il gagne, c’est contre tous les autres ou au bénéfice de triangulaires, mais, sans alliances, il lui sera sans doute difficile de concrétiser ses progrès. Pour l’heure, le FN et ou les listes qui en sont proches ne gagnent que 16 villes, toutes des localités d’importance moyenne ou secondaire. Béziers, en Languedoc, et Fréjus, en Provence, sont les principales. Aucune n’atteint 100 000 habitants ; aucune n’est capitale régionale.

Le FN est peut-être un parti d’avenir. Mais, pour le moment, ce n’est pas encore une force ayant des chances de gouverner le pays à court ou moyen terme. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons : a/ Le passé d’extrême droite de ce parti n’est pas encore complètement oublié. Sans doute ne le sera-t-il pas tant que Jean-Marie Le Pen (85 ans), fondateur du parti et père de Marine Le Pen, sera présent. Il est l’héritier d’une extrême-droite pétainiste, antisémite et colonialiste, bref franchement réactionnaire et fascisante. Marine Le Pen s’écarte de cette position mais le passé est encore assez prégnant dans une partie de la formation. b/ Ceci explique en grande partie l’ostracisme, certes moindre qu’avant, mais qui subsiste vis-à-vis du FN que beaucoup s’obstinent à considérer comme un parti « non républicain ». La posture antisémiste, antiarabe, antiétrangers, antifrancmaçons, antihomosexusels et quelques autres « anti » a suscité quelques inimitiés et même haines à l’encontre du FN, qui sont certes en voie d’atténuation, mais qui restent un obstacle sur la voie du pouvoir d’Etat. Cela explique sans doute que le FN n’ait pu concrétiser au deuxième tour l’avance parfois acquise au premier. Les échecs subis à Forbach, à Perpignan ou à Saint-Gilles, où se présentaient les dirigeants les plus connus du FN, en sont l’illustration. c/ L’implantation locale, bien qu’en progrès rapides, est encore limitée. Le souvenir laissé par les quelques municipalités conquises par Le Pen père dans les années 1980 (y compris des villes assez importantes comme Toulon) est loin d’être positif. Cela collera à la peau du FN tant qu’il ne pourra donner l’exemple de municipalités frontistes, au contraire, bien gérée. Cela n’est pas encore le cas.

La véritable force du FN réside ailleurs, et Marine Le Pen l’a parfaitement compris. Le Front National est devenu le vrai parti de la classe ouvrière (autrefois l’apanage de la gauche). Il défend en effet les petites gens sur deux terrains : celui de l’insécurité, en pointant du doigt, de manière certes peu nuancée ceux qui en sont les responsables (les délinquants eux-mêmes, en insistant sur leurs origines ethniques, mais aussi le laxisme de la justice), et celui du système économique : le FN est le seul parti à avoir une position critique et claire sur l’Union européenne, l’euro et la mondialisation.

On est désormais dans le paradoxe d’un parti issu de l’extrême-droite qui tient le langage résolument à gauche que ne tient plus le PS. Cela devrait lui donner encore plus de soutiens dans l’avenir au fur et à mesure où le « péché originel » des racines d’extrême-droite s’estompera (ce qui est déjà un peu le cas, mais pas encore tout à fait).

7/ Plutôt que de s’interroger sur pourquoi les masses populaires ont déserté le Parti Socialiste, ce parti, par habitude et facilité intellectuelle, s’obstine à dénoncer le Front National comme le mal absolu et à critiquer la droite « républicaine » comme complice de la montée du FN parce qu’elle l’aurait rejoint sur le terrain  du langage, scandaleux à ses yeux, du « populisme » qui consisterait, toujours à ses yeux, à adopter des positions « inadmissibles » en matière de société, d’immigration et d’insécurité, et irréalistes en matière d’économie (on en est arrivé au point où le PS est le défenseur le plus zélé de l’Union européenne, de la « mondialisation » et du capitalisme financier international, même s’il tient un langage incompréhensible : « nous sommes contre les dérives du système, mais pas contre le système », « nous ne sommes pas satisfaits du fonctionnement  de l’Union européenne, mais nous y sommes très attachés »).

La pire concrétisation de cette posture pathologique est, y compris pour des élections municipales où l’enjeu ne devrait être que local, la préconisation de ce que le PS appelle le « Front Républicain ». Selon ce principe absurde, il faut, en toutes circonstances, « faire barrage » au FN lorsqu’il est en position de pouvoir gagner. Dans ce cas, la direction nationale du PS va jusqu’à obliger  son candidat local arrivé derrière un UMP à se retirer et à demander de faire voter pour l’UMP. Comme l’UMP refuse la réciproque, cela aboutit lorsque ça marche (de moins en moins) à faire cadeau à la droite d’une victoire pour empêcher le FN d’en avoir une. Les conséquences sont désastreuses tant au niveau national (cela amplifie les scores UMP) que local (comment expliquer à ses militants et à ses électeurs auxquels on avait dit pendant toute la campagne électorale que la droite était l’ennemie que, tout à coup, il faut la soutenir ?).

Visiblement, le PS, mais aussi le Parti de Gauche de M. Mélenchon se trompent d’époque et de lieu : on n’est pas dans la situation des années 1930 lorsque en France le fascisme était un danger (le FN n’est aujourd’hui ni un parti fasciste ni un danger), on n’est pas non plus dans la situation du Chili lorsque Pinochet a renversé la démocratie. Lorsque, comme cela a été le cas à Marseille, les affiches du candidat PS appellent à « faire barrage » au FN alors que Gaudin était très largement en tête et que le FN ne menaçait en rien sa probable et écrasante victoire, on atteint le comble de l’absurde.

8/ Il est à prévoir que ce débat sera au centre de la politique française dans les années à venir. Quelle crédibilité pourra avoir auprès des électeurs traditionnels de gauche un PS refusant de mener un combat anticapitaliste et continuant à vouloir faire barrage à un FN d’implantation populaire et sur une ligne fondamentalement antisystème ?                   

9/ En attendant, on assiste à la mise en place d’une nouvelle carte électorale de la France. Elle est paradoxale et illustre l’incapacité actuelle de la gauche à saisir la réalité sociologique de notre pays.

Le PS résiste relativement bien dans les quartiers centraux et résidentiels des agglomérations peuplés de cadres ou de classes moyennes « supérieures » (au sens du niveau de revenus). Cela est spectaculairement vrai à Paris (2 millions d’habitants sur une agglomération de 10), mais aussi à Lille (200 000 h sur 1M), à Lyon (0,4M sur 1,5M), à Strasbourg et dans quelques autres villes (Bordeaux est une exception : le centre y vote à droite. J’analyse le cas, spécifique, marseillais dans un autre article).

Les banlieues populaires de ces agglomérations, longtemps dirigées par le PC ou le PS, sont maintenant passées à droite. Même dans la Seine-Saint-Denis, partie la plus pauvre de l’agglomération parisienne, il y a désormais plus de villes de droite que de gauche.

Cette situation est l’inverse de celle qui prévalait depuis plus d’un siècle lorsque les centres « bourgeois » étaient de droite et les banlieues populaires de gauche. Cela illustre la perte de l’électorat populaire par le PC il y a une génération et par le PS depuis quelques années.

 Désormais, en France, les ouvriers votent FN, s’abstiennent, voire passent à la droite lorsque celle-ci tient un langage sur l’insécurité moins angélique que le PS, le PC ou les Verts.  Les gens relativement aisés sans être des « héritiers » se retrouvent davantage dans le vote socialiste. Sans doute sont-ils moins affectés par les effets désastreux de la mondialisation ou par la montée de la délinquance. On appelle cela la « gauche-caviar » ou encore la gauche « bobo ». Certains ont certes des idées qui sont encore généreuses (souvenir, sans doute, de l’idéal de mai 1968 et du premier mandat de François Mitterrand, lorsque le PS voulait encore « changer la vie ») : ils sont pour l’ouverture des frontières car réticents à tout nationalisme, certains sont encore attachés à la chimère de la « construction européenne », ils sont viscéralement anti-FN. Mais, comme le pouvoir socialiste, ils sont peu ou pas du tout au fait de la réalité quotidienne des millions de Français payés au SMIC et victimes en permanence de l’insécurité, des incivilités, de la perte des valeurs et, d’une façon générale, des politiques européennes d’ « austérité » et de la mondialisation économique.

Il est clair que si le PS n’ouvre pas les yeux sur les réalités, la débâcle des municipales sera certainement suivies d’autres défaites et d’une descente irrémédiable aux enfers. Le Président de la République et son premier ministre le comprendront-ils ?

Si cet aveuglement devait perdurer un nouveau paysage politique serait appelé à remplacer celui qui prévalait depuis au moins la seconde guerre mondiale : l’alternance droite-gauche.

Avec l’effondrement du communisme en Europe orientale et centrale, les PC ont perdu leur référence historique (même si, souvent, ils étaient hostiles au communisme soviétique). En France, cela s’est traduit par une marginalisation de ce parti. Les anciens électeurs communistes sont passés dans un premier temps au PS (mais aussi au FN).

Aujourd’hui, ce sont les partis socio-démocrates qui sont à leur tour victimes du manque d’alternative. En renonçant à combattre le système, ils se sont condamnés à la marginalisation. Pourquoi voter à gauche, si c’est pour avoir une politique de droite ?

Le phénomène nouveau est la montée du Front National (et de quelques équivalents dans d’autres pays européens). Il a d’abord été l’exutoire du vote de protestation, ce qui explique ses succès chez les « déclassés » et dans les anciennes terres communistes. Aujourd’hui, le FN a amélioré son programme (même s’il lui reste encore beaucoup à faire). Il est devenu la seule force cohérente contre l’Union européenne, contre la mondialisation économique, mais aussi pour la défense de la laïcité et des valeurs identitaires.

Pour le moment, le FN n’est néanmoins pas (pas encore ?) une alternative à la droite et à ce qui reste de la gauche. Il est en progrès mais, toutes choses égales par ailleurs (un effondrement du système économique poserait évidemment le problème en d’autres termes), il n’a aucune chance d’arriver dans un avenir prévisible seul au pouvoir. Il va faire un excellent score aux « européennes » du mois de mai, mais ce scrutin est sans enjeu. Il en ira différemment des prochaines présidentielles et législatives.

Sans alliés, il ne pourra accéder au pouvoir. Il n’est pas impossible qu’il les trouve sur les débris du socialisme. Nous y reviendrons.    

Pour l’heure, le PS est à la croisée des chemins. Ou il se remet en question et il change de politique, ou le risque de marginalisation sera élevé.  

Le syndrome Zapatero n’est pas seulement espagnol, il pourrait aussi être français…

 

                                                           Yves Barelli, 1er avril 2014      

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