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19 septembre 2012 3 19 /09 /septembre /2012 11:45

 

Les lecteurs de ce blog savent ce que je pense de ce qu’on appelle les « révolutions arabes », dont certaines présentent effectivement un caractère révolutionnaire alors que d’autres ne sont que des contre-révolutions visant à revenir plusieurs siècles en arrière (voir : « Révolutions arabes : le meilleur et le pire », octobre 2011, et « Du printemps arabe à l’automne islamiste », décembre 2011).

Je me suis évidemment félicité de l’avancée, dans certains cas, de la démocratie, tout en faisant état de ma circonspection sur la tournure réactionnaire prise dans plusieurs pays.

L’évolution de la situation est inquiétante et je suis plus inquiet encore de l’aveuglement de nombre de dirigeants occidentaux et de medias vis-à-vis de ce qui se passe dans le monde arabe.

La mainmise des forces islamistes sur un nombre croissant de pays arabes devrait interpeler. Il ne s’agît certes pas de refuser aux peuples concernés de choisir librement leurs dirigeants. Si une majorité de gens aspirent à vivre selon des règles politiques et sociales inspirées de l’islam, libre à eux. Mais, en démocratie, la loi de la majorité doit s’arrêter là où commence le droit de la minorité. Or, les islamistes, même les soit disant « modérés », refusent ce droit. Pour eux, tout individu qui nait musulman doit le rester même contre son gré et doit être contraint de vivre selon la charia. S’il le refuse, il doit être puni. Quant aux non musulmans (les minorités chrétiennes par exemple), citoyens de deuxième catégorie, ils doivent se plier à la suprématie de la majorité.

C’est là que le bât blesse et c’est ce qui me fait dire que, souvent, les nouveaux régimes d’inspiration islamiste, sont pis que les dictatures qu’ils ont renversé. Sous Saddam Hussein, les Chrétiens pouvaient pratiquer leur religion en toute tranquillité. Aujourd’hui, Chiites et Sunnites s’étripent et ne sont d’accord que pour chasser les Chrétiens de ces terres classées « d’islam », probablement par décision divine. Idem sous Bachir El Assad (il y a 10% de Chrétiens en Syrie, mais aussi de nombreux Druzes, Alaouites et Chiites dont la liberté sera certainement menacée si les islamistes sunnites arrivent au pouvoir). Sous Ben Ali, une femme habillée à l’européenne pouvait librement se promener le vendredi devant une mosquée sans risquer les injures ou les agressions des « barbus ». Ce n’est plus le cas. En Tunisie, la femme était l’égale de l’homme. On est en train de le remettre en question. Celui qui voulait boire du vin le pouvait. Aujourd’hui, on menace les bars qui continuent à servir de l’alcool.

Je suis inquiet de l’évolution en Tunisie et en Egypte. Au moins s’agît-il de pays où les gens ont choisi de changer de régime.

Je suis inquiet et de plus scandalisé lorsque je vois que certains pouvoirs ont changé de mains à la suite d’interventions étrangères. Kadhafi était certes une brute sanguinaire. Mais l’intervention de l’OTAN promue par Bernard Henri Lévy et Nicolas Sarkozy (pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la Libye : faire oublier l’inaction en Tunisie) a débouché sur le chaos, la dictature des milices islamistes et, pour finir, par l’assassinat, le 11 septembre, d’un ambassadeur américain.

Bachir El Assad a encore plus de sang sur les mains que Kadhafi, mais, au moins, a-t-il assuré à la Syrie la stabilité (à laquelle même Israël est attaché) et un certain développement économique. En jetant de l’huile sur le feu, la France (il semble que, pour des raisons de politique intérieure, Hollande ne veuille pas être en reste par rapport à Sarkozy) ne fait que compliquer le problème. Il ne s’agît pas, là, d’une révolte du « peuple » contre un « régime » mais d’une guerre civile qui oppose des communautés antagonistes (alaouites, chrétiens, druzes et chiites contre sunnites).

Il est temps d’ouvrir les yeux. La problématique, si elle l’a jamais été, n’est plus celle de peuples contre des dictateurs, mais celle d’une opération programmée de conquête par les forces les plus réactionnaires du monde arabe. Le cerveau en est, non Al Qaida (marginal) mais les monarchies du Golfe et en particulier celle du Qatar qui met ses revenus gaziers au service d’ambitions démesurées. Curieux parrains pour l’émancipation des peuples que ces pays où il n’y a pas d’élections libres, pas de partis, pas de syndicats, pas de presse libre, où les femmes n’ont même pas le droit de conduire une voiture (Arabie Saoudite), où on continue de couper au sabre les têtes de ceux qui sont coupables, ou suspectés d’être coupables, d’adultère ou d’apostasie. Des pays où il est interdit d’exercer une autre religion que l’islam, des pays où un non musulman n’a même pas le droit de visiter La Mecque (que dirait-on si on interdisait Rome aux non Chrétiens ?). Des pays qui font ouvertement du prosélytisme dans nos banlieues (Qatar).

Le monde arabe est confronté à une terrible crise morale. Le problème n’est pas l’islam mais la conception bornée que certains en ont. Hélas, cette conception tend à devenir hégémonique dans la quasi-totalité du monde arabe. Par adhésion de beaucoup, mais aussi par l’intimidation, voire la terreur. Le monde arabe est en train de s’enfermer dans un ghetto intellectuel dont toute pensée critique est absente. Les plus lucides, les plus démocrates, les plus attachés à la liberté partent. On ne produit presque plus rien comme œuvre littéraire, artistique ou scientifique dans ces pays. Londres et Paris sont devenues les capitales intellectuelles de ce qui reste de la culture arabe tant il est devenu impossible dans ces pays d’avoir la moindre pensée non conformiste.

Il reste, encore, deux petites exceptions – relatives – à cette sclérose : le Maroc et l’Algérie. Moi qui ai été critique vis-à-vis d’eux, j’en suis venu à considérer la monarchie chérifienne et le régime militaire algérien comme des havres relatifs de liberté et de tolérance. Je ne suis pas le seul à avoir cette opinion parmi ceux qui connaissent un peu le monde arabe. Même là, la situation se dégrade, mais on peut encore s’y exprimer relativement librement (en prenant toutefois des précautions). Il y a de bonnes âmes, appartenant à la gauche « caviar » ou à la droite « foie gras », qui dénoncent en France la « dictature » du roi du Maroc ou des généraux algériens. Le premier est pourtant devenu le dernier rempart face aux islamistes qui ont gagné les élections et qui doivent composer avec le « Makhzen » ; les seconds ont sauvé l’Algérie durant les années de braise (décennie 1990 et ses 100 000 morts, y compris des intellectuels dont le seul tort était de ne pas partager la folle vision des « barbus », et de le dire en français) d’un régime à l’iranienne.

Il y a évidemment des explications à la montée de l’islamisme dans le monde arabe. Elles sont internes et externes.

L’accaparement des richesses par une minorité, le mépris des puissants pour ceux du bas de l’échelle (ce qu’on appelle en Algérie la « hogra »), les problèmes sociaux engendrés par la crise mondiale. En l’absence de forces de gauche d’inspiration laïque et socialiste (cf infra), la seule alternative d’allure progressiste pour ces peuples est désormais constituée par les « Frères musulmans ».

Les causes sont aussi externes. La complicité de l’Occident avec le sionisme joue un rôle : l’occupation persistante de la Palestine par Israël avec la complicité des Etats-Unis renforce l’islamisme. Mais ce n’est pas la cause majeure, sauf peut-être auprès de certains jeunes de nos banlieues qui se cherchent une cause à défendre (et qui ignorent tout de la situation, tant de la Palestine que des pays dont leurs parents sont originaires). La posture actuelle sur le supposé danger représenté par le programme nucléaire iranien alors que le seul pays de la région à avoir la bombe atomique est Israël, ce dont on ne s’en est jamais ému, renforce sensiblement chez beaucoup le sentiment d’injustice et de parti pris.   

Plus grave sans doute est le fait que depuis des décennies, l’Occident ait pris avec constance le parti de tout ce qu’il y a de plus réactionnaire et obscurantiste dans le monde arabe. Nos gouvernements et nos médias ont systématiquement combattu les pouvoirs laïques, préférant conforter les monarchies pétrolières. Nasser a été l’ennemi. On a fait assassiner Mossadegh. On a combattu le régime laïque d’Afghanistan, préférant y soutenir Ben Laden, une création américaine, sous prétexte qu’il se battait contre les communistes.

Le résultat a été une victoire totale contre les pouvoirs de gauche et l’éradication des régimes à caractère (plus ou moins) laïque en Iraq, en Libye, en Tunisie, maintenant en Syrie. Demain en Algérie? Qu’on ne se méprenne pas sur mon appréciation. Je n’exonère en rien les dictatures. Il m’est arrivé d’émettre des réserves sur Ben Ali, sur Bouteflika ou sur Mohamed VI, et je continue à le faire. Mais entre une dictature qui laisse tout de même une marge de liberté dans la vie quotidienne et un régime fanatique qui entend faire marcher les foules au rythme des versets du coran, excusez-moi mais vive Boutef, M6 et même Bachir !

La démocratie, ça se mérite. Pour le moment, je crois qu’il serait naïf de penser qu’on peut la greffer sur des sociétés patriarcales, claniques, tribales et bigotes où le conformisme, l’hypocrisie et l’absence de pensée sont érigées en règle. Chez nous, la démocratie à la française devrait s’appliquer aussi à nos « quartiers », comme on dit pudiquement en parlant des cités peuplées de populations à majorité de culture maghrébine. Elles sont devenues des zones de non droit aux mains de caïds qui se tirent dessus à coup de Kalachnikovs comme le font les nouvelles milices de Libye et comme le feront celles de Syrie lorsque la « démocratie » y aura été rétablie.    

Une prise de conscience chez nous serait la bienvenue. Une bonne politique devrait se caractériser à la fois par l’ouverture et la fermeté. Ouverture sur les éléments les plus sains de ces sociétés et sur l’aspiration à la modernité qui y existe aussi. Lorsqu’on fait payer 90€ le droit de solliciter un visa Schengen (non remboursé en cas de refus) à un jeune d’Alger qui en gagne 300 et qui veut simplement s’aérer un peu en allant rendre visite à ses cousins de Marseille, on prend le risque de renforcer encore les bataillons de l’islamisme. C’est ce qu’on fait. Il y a beaucoup de gens dans ces pays qui aspirent à une vie « normale » et à des sociétés débarrassées de l’obscurantisme. Qu’on les aide plutôt que de s’appuyer sur l’émir du Qatar. 

Quant à la fermeté, il faudrait l’avoir envers ceux qui prétendent imposer, en France aussi, le bonheur par la charia. Tout laxisme en la matière est un coup de poignard dans le dos de ceux qui le refusent de l’autre côté de la Méditerranée. J’entendais à la radio il y a peu une jeune Algérienne : elle avait quitté l’Algérie pour la France en espérant y trouver une société laïque. Elle est repartie, cette fois pour le Canada. Elle trouvait qu’Argenteuil ressemblait désormais trop à Bab-el-Oued, le soleil en moins.

La question est désormais posée. Elle forme un tout et concerne à la fois le monde arabe et la France. Que veut-on ? Une société libre où chacun exerce la religion de son choix, lorsqu’il en a une, une société laïque où on considère les individus pour ce qu’ils sont et non pour la « communauté » à laquelle ils appartiendraient, ou une société où chaque « communauté » a son mode de vie et ses lois qui s’imposent à ses membres sans même qu’ils aient le choix d’y adhérer ou non ?

Oui à la France unie où chaque citoyen est l’égal des autres, pas une France « diverse » avec une loi pour les musulmans et une loi pour les autres.

Le monde arabe a donné au monde des splendeurs de civilisation, de philosophie, d’art, de science et de techniques. Je ne voudrais pas qu’il se recroqueville sur un ghetto totalitaire en marge du reste du monde, en marge de La Civilisation. Aidons-le à se ressaisir. Le meilleur moyen est d’être sans aucune concession avec des idéologies, fussent-elles majoritaires conjoncturellement (Hitler aussi a été majoritaire en Allemagne !), qui tournent le dos aux valeurs universelles. /.

                                                                                              Yves Barelli

                                                                                          12 septembre 2012      

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