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28 avril 2013 7 28 /04 /avril /2013 19:47

Lorsqu’un parti au pouvoir ne joue pas seulement les « godillots », il faut s’en féliciter.

Un nombre croissant de responsables, d’élus et de militants du parti socialiste français commencent à s’émouvoir des effets catastrophiques de la politique d’austérité conduite par le président Hollande et son gouvernement. Cette politique, qui se traduit par la récession économique, la baisse du pouvoir d’achat et une montée régulière du chômage, est menée dans le but de satisfaire aux conditions imposées par le plan de stabilisation des finances publiques de l’Union européenne adopté l’année dernière, à la demande de Madame Merkel, par les gouvernements de l’UE, accepté par le président Sarkozy et entériné, en contradiction avec ses promesses électorales, par le président Hollande en début de son mandat.

Les socialistes français (du moins certains), comme de nombreux observateurs lucides, ont conscience que la France, comme les autres pays européens, vont droit dans le mur, l’austérité entrainant la récession, par conséquent la baisse des recettes fiscales, et donc l’accroissement du déficit public que les politiques européennes prétendent combattre. Beaucoup commencent à s’en apercevoir, y compris le président de la Commission européenne et y compris le FMI.

Cela sera-t-il suffisant pour changer ces politiques ? Sans doute pas. En tout cas pas avant les prochaines élections générales allemandes. Ensuite, il pourra peut-être y avoir un léger infléchissement, mais sans changement fondamental. Berlin gardera le cap, quel que soit son gouvernement, celui de Madame Merkel ou de l’actuelle opposition social-démocrate.    

Pourtant, non seulement cette politique insensée est mauvaise économiquement, y compris pour l’Allemagne qui commence à être touchée par la récession de ses partenaires, mais elle a des conséquences sociales dramatiques en Italie et en Espagne, mais aussi en France.

De plus, et on comprend dans ces conditions l’inquiétude des socialistes français, la politique conduite mécontente fortement l’électorat de gauche. Le président Hollande bat les records d’impopularité des présidents de la cinquième république (24% seulement de satisfaits). D’ores et déjà, on anticipe de très mauvais résultats aux élections municipales de 2014 et les perspectives d’avenir sont sombres. Certains socialistes commencent à se dire que les mêmes causes produisant les mêmes effets, les déroutes électorales qui ont suivi les politiques de « rigueur » menées ailleurs par la gauche, notamment en Espagne, en Grèce, au Portugal, en Italie mais aussi en Allemagne du temps où le SPD était au pouvoir, pourraient arriver aussi en France. Bref, la politique de Hollande sonne comme une catastrophe annoncée, pas seulement pour les Français en général, mais aussi pour le PS en particulier.

D’où les critiques très vives à l’encontre de Madame Merkel, plus facile à désigner sans doute que François Hollande lui-même. Ces critiques sont venues cette fin de semaine de caciques du PS, tels M. Bartolone, président de l’Assemblée nationale, ou encore de M. Rebsamen, sans compter les appréciations négatives depuis plusieurs mois de l’aile gauche du PS, critiques qui rejoignent celles des Verts, représentés au gouvernement, et celles du Front de Gauche, dans l’opposition de fait, mais qui rappelle que ses plus de 4 millions d’électeurs du premier tour de la présidentielle avaient été décisifs pour l’élection de Hollande au second.

Toucher à l’Allemagne est un tabou rarement transgressé depuis le traité franco-allemand de l’Elysée signé il y a cinquante ans. Les tenants de la « construction » européenne, autrement dit tous les hérauts de la pensée unique, de droite comme de gauche, tiennent au soit disant « couple franco-allemand », garant de cette « construction » et, rien de moins, de  la paix en Europe. C’est dire l’autocensure générale dès qu’il s’agit de l’Allemagne, souvent critiquée en privé mais rarement en public.   

Vendredi 26 avril, le PS a enfreint ce tabou en présentant un projet de texte critiquant de manière assez virulente la chancelière allemande accusée d’ « intransigeance égoïste » et appelant le gouvernement français à un « affrontement démocratique » avec l’Allemagne.

En d’autres termes, le parti majoritaire demande au président Hollande de ne pas sacrifier son programme électoral et les intérêts de la France sur l’autel de l’ « amitié » franco-allemande et, donc, d’être plus offensif vis-à-vis de Berlin dont la politique est néfaste non seulement pour la France, mais aussi pour la majorité des pays de l’Union européenne et probablement aussi, pense-t-on, pour l’Allemagne elle-même.

C’en était trop pour les tenants du politiquement correct. Le cœur des vierges effarouchées a immédiatement donné de la voix. Alain Juppé, François Baroin, Nathalie Kosciusko-Morizet, toujours prompte à se mettre en avant, et quelques autres leaders de la droite ont dénoncé cette initiative « irresponsable ». Michel Barnier, commissaire européen, que j’ai connu lorsqu’il était ministre des affaires étrangères et dont la « construction européenne » a toujours été le fonds de commerce (je ne l’ai jamais entendu dire plus de deux phrases sans que le mot « Europe » n’y figure plusieurs fois !), a rappelé en boucle sur toutes les chaînes d’info de radio et de télé que le « couple » franco-allemand était une nécessité et une constante intangible de la politique française.

Nul doute que le « tam-tam » de la pensée unique va s’intensifier en début de semaine.  

Les socialistes européistes ne se sont pas encore beaucoup exprimés mais cela ne saurait tarder. Sans doute Madame Guigou, qui passe une bonne partie de sa vie dans le « Thalys » de Bruxelles (allez donc à Berlin ; c’est là, désormais, que ça se passe !), est-elle en vacances.

Le premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui, lui, est au travail, a immédiatement tenté de contrer la fronde socialiste. Il s’est fendu d’un communiqué, en français (c’est encore la langue de l’administration française !), mais aussi en allemand (Ayrault est un ancien prof d’allemand ; il peut donc communiquer sans interprète avec les nouveaux maîtres de l’Europe dans la langue de Goethe). L’essentiel est en effet d’être lu à Berlin. Il y rappelle, bien, sûr, l’importance du « couple », si indispensable à la « construction » européenne. Mais au fait pour construire quoi ? La prison des peuples, la baisse programmée de leurs niveaux de vie et la remise en cause de tous leurs acquis sociaux ?

Du coup, le PS accepte d’atténuer un peu ses critiques vis-à-vis du nouveau Kaiser des bords de la Spree. Merci. Cela calmera peut-être un peu la fureur des maîtres de l’Europe. On peut espérer que François Hollande ne sera pas convoqué dès demain matin à Berlin. Il se remet à peine du décalage horaire de son voyage à Pékin et, surtout, des derniers chiffres du chômage qui viennent de tomber et des derniers scores de sa descente aux enfers de l’impopularité.

Je dois dire que je suis, sinon étonné (on a l’habitude), du moins interloqué par l’attitude française, encore, envers l’Allemagne. A croire que nous avons perdu la seconde guerre mondiale et que nous cherchons toujours à nous faire pardonner je ne sais quelle faute.

Pendant trente ans de carrière diplomatique, j’ai dû supporter ce tropisme allemand incompréhensible. Lorsque j’étais consul général de France à Cracovie en Pologne, j’ai assisté à la décision d’implanter à Varsovie un centre culturel franco-allemand dont les Polonais ne voulaient pas pour la simple et bonne raison que ceux qui sont francophiles ne veulent pas entendre parler de l’Allemagne (responsable de millions de morts entre 1939 et 1945 !) et vice-versa. Ce centre culturel, pour cette raison, n’a jamais fonctionné. Moi, j’avais  proposé un centre culturel franco-italo-espagnol à Cracovie parce que les Polonais qui ont la fibre française l’ont aussi italienne. Mais, aux yeux de Paris, nos voisins et cousins latins ne sont pas des gens sérieux. Ce n’est qu’avec l’Allemagne qu’on fait du solide ! Lorsque j’ai ouvert notre ambassade au Monténégro, on m’a demandé de convaincre nos amis allemands de faire une ambassade commune. Manque de chance, ils avaient déjà décidé d’ouvrir la leur, sans nous consulter (ce qui n’empêche pas que l’ambassadeur allemand était un ami, mais amitié et politique sont deux choses différentes). Je pourrais encore citer beaucoup d’autres exemples du même genre.

Une telle obstination à Paris à privilégier à l’Allemagne (alors que la réciproque n’est pas vraie) est, je l’avoue, incompréhensible pour moi. Elle n’a d’équivalent que la célébration rituelle de l’amitié avec l’Union soviétique du temps de la Tchécoslovaquie communiste. Au moins les dirigeants pragois faisaient-ils semblant et nul n’était dupe. Il y a, en revanche, chez nous, encore beaucoup de convaincus (si cela n’était pas politiquement incorrect, je me hasarderais à faire le jeu de mot : il y a les vainqueurs…et les vaincus).    

Que l’on ne se méprenne pas sur mes sentiments et que l’on ne m’accuse pas trop vite d’anti-germanisme primaire, voire de populisme (forcément, quand on va à l’encontre de la pensée unique, on ne peut être que « populiste »). J’ai beaucoup d’amis allemands. J’apprécie beaucoup de choses dans ce pays de grande culture, y compris ce modèle d’efficacité économique et d’harmonie sociale qu’on a appelé le « capitalisme rhénan », modèle bien écorné aujourd’hui du fait des politiques menées depuis dix ans tant par le SPD que la CDU. J’adore voyager en Allemagne et j’ai une prédilection pour la Bavière, l’un des lieux les plus attachants d’Europe. Et je n’ai que mépris pour ces Français idiots condescendants qui glosent sur la lourdeur germanique. Il vaut mieux être un peu lourd et solide que d’avoir le cerveau si vide qu’il en est excessivement léger !

Mais peut-être ce qui me sépare des « constructeurs » dogmatiques de l’ « Europe », est que, probablement, je connais bien mieux notre continent et notre voisin allemand qu’eux. J’aime et je respecte l’Allemagne. J’aime et je respecte la France. C’est pourquoi, je ne veux pas une France allemande ni une Allemagne française. Nous avons chacun notre personnalité, notre histoire, nos intérêts propres. Conservons-les. L’Europe, c’est l’addition du bon vin français et de l’exquise bière bavaroise, pas un breuvage infâme qui serait un mélange des deux et je n’ai envie ni d’un Côte du Rhône fabriqué à la « Hauptbräuhaus » de Munich ni d’un demi-pression brassé à la cave coopérative de Châteauneuf-du-Pape.    

Je comprends d’une certaine manière la politique de Madame Merkel, même si je souhaiterais qu’elle la conduise de manière plus nuancée. Cette politique est d’ailleurs largement approuvée par l’opposition social-démocrate.

Les Allemands en ont assez de payer pour les fraudeurs grecs et italiens et ceux qui ont construit des bulles immobilières folles sur des châteaux en Espagne. Le spectacle des Latins qui se mettent en grève avant de tenter de négocier, celui de l’indiscipline généralisée et des voleurs de colliers sur la Canebière les irrite. On peut comprendre ces sentiments.

Les Allemands sont attachés à un euro fort et ont la hantise de l’inflation. De leur point de vue, ils ont peut-être raison car cette politique est probablement assez bien adaptée à l’Allemagne.

Pourquoi ? D’abord parce que ce pays connait une crise démographique sans précédent. Ce pays ne fait presque plus d’enfants. Sans immigration, la population aurait déjà considérablement reculé depuis dix à vingt ans.  Les classes d’âge qui arrivent sur le marché de l’emploi sont numériquement faibles. Il n’y a donc pas de pression à créer des emplois supplémentaires. Lorsque vous êtes retraité et que vous avez une petite (ou grande) épargne, votre souci premier n’est pas la création d’emplois et la croissance économique mais la préservation de votre épargne. Un euro fort, c’est la garantie de la pérennité de cette épargne. C’est, aussi, bien pratique pour aller passer des vacances au Maroc ou en Thaïlande. Si je n’écoutais que mon égoïsme, moi le retraité, je raisonnerais ainsi.

Il n’y a pas que ça. L’Allemagne est un pays industriel performant. Beaucoup de ses produits sont de haut de gamme, peu sensibles en conséquence aux éventuels bénéfices d’une dévaluation de l’euro, si nécessaire pour les autres Européens. L’industrie allemande travaille en confiant une bonne partie de sa production à la sous-traitance des pays de l’Europe centrale et orientale à plus bas salaires qu’elle. Mieux encore : il n’y a pas de smic en Allemagne où de nombreux travailleurs polonais ou roumains viennent pour des périodes plus ou moins longues en y acceptant des salaires de 3€ l’heure. Les travailleurs allemands de « souche » sont relativement protégés (pas tous hélas) car les syndicats sont puissants et que les patrons acceptent de bien les payer car ils sont très qualifiés (l’enseignement technique est excellent dans ce pays) et que les taches les moins valorisantes sont exécutées par les étrangers.

Cela n’enlève rien au mérite collectif des Allemands mais atténue considérablement l’exemplarité du « modèle » allemand.

Ceux qui en France citent à tout bout de champ ce « modèle » allemand sont soit des gens mal informés, soit des imbéciles aveuglés par leur dogmatisme,  soit de fieffés exploiteurs qui rêvent de payer leurs ouvriers ou leurs femmes de ménage 3€ l’heure, ou peut-être tout cela à la fois.

J’ai écrit dans ce blog sur la problématique de l’euro. J’y renvoie les lecteurs. Un euro fort n’est pas mauvais pour l’Allemagne. Il est catastrophique pour la plupart des autres Européens. Il est navrant que, sous prétexte de ne pas critiquer le « couple » franco-allemand ou de « sauver » la « construction » européenne, peu osent dire de telles vérités.

En ce qui me concerne, n’étant pas aux affaires et n’ayant aucune ambition électorale, je peux me permettre non seulement je les dire, mais aussi d’aller plus loin. L’intérêt de la France n’est pas à une coopération unilatérale et sans avenir de l’autre côté du Rhin. Depuis mille ans, il y a trois grandes nations en Europe aux intérêts opposés et aux ambitions contradictoires, l’anglaise, la française et l’allemande. L’évolution actuelle des rapports intra-européens le montre chaque jour un peu plus. Les Européens ne sont d’accord que lorsqu’ils s’alignent sur les Etats-Unis. Sinon, ils sont incapables de s’entendre sur tous les sujets importants. L’Angleterre a déjà pris le large. L’Allemagne (comme la France en d’autres temps) veut bien d’une Europe unie, à condition qu’elle soit à direction allemande. La France s’obstine dans une impasse dont elle ne tirera rien et où elle perdra son âme.

On a mis fin à la seconde guerre mondiale. Tant mieux. On a établi une Europe en paix. Bravo. Cela ne doit pas nous lier les mains éternellement. L’Union européenne est un carcan pour les peuples et les Etats. On a cru longtemps que cela ne marchait pas par manque de « gouvernement européen ». Nous l’avons désormais. Son siège est à Berlin. C’est là qu’est faite la politique de l’Europe. Ce n’est pas pour autant que ça marche mieux. Cela va même de mal en pis. L’Europe n’est pas une caisse de retraite. La gérer ainsi est la certitude d’une catastrophe annoncée.

L’intérêt national de la France et collectif des Français est plutôt à rechercher dans une coopération avec nos voisins latins, avec la Méditerranée, avec l’Afrique, avec l’Amérique latine (là, au moins, on a le même droit, fondé sur le code Napoléon ; les Allemands ont un autre système juridique, pas forcément plus mauvais mais différent).

Aujourd’hui, l’Allemagne dirige économiquement l’Europe. Ce n’est pas pour autant que l’Europe a une ambition parce que l’ambition allemande s’arrête aux équilibres budgétaires, à la monnaie solide, à la bonne gestion de ses caisses de retraite et  à vendre ses BMW. Au-delà, rien. Voyez la lutte contre le terrorisme au Mali. Silence radio de Berlin. Ça ne les intéresse pas. La Palestine à l’ONU ? C’est pas leur problème. Le réchauffement climatique ? Eux, ils ont froid en hiver et plutôt frais en été. Ce manque d’ambition, ce n’est pas seulement par égoïsme national. Aussi parce qu’ils savent que, soixante  ans après l’aventure nazie, des ambitions internationales trop appuyées pourraient encore faire peur. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont mes amis allemands.   

Moi, j’ai d’autres ambitions pour la France, pour l’Europe et pour le monde.

La fronde du PS de vendredi n’ira sans doute pas très loin et Hollande va vite retrouver le chemin, sinon de Damas, du moins de Berlin.

Mais si cela contribue à commencer à débloquer, ne serait-ce qu’un peu, les esprits, tant mieux. Peut-être aurons-nous alors un début de débat sur la politique d’austérité, sur l’euro, sur le libre-échange, sur la mondialisation, sur l’ « Europe », sur le soit disant « couple » franco-allemand.

On peut rêver. Rêvons ! Ils finiront bien par se réveiller. Viele Danke (ça, c’est pour être lu par Jean-Marc Ayrault !).  

Yves Barelli, 28 avril 2013                                 

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