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24 novembre 2013 7 24 /11 /novembre /2013 22:37

L’accord qui vient d’être signé à Genève entre les grandes puissances et l’Iran est important, tant s’agissant du règlement, provisoire, du différend sur le nucléaire qui opposait les Occidentaux à la République Islamique que de l’évolution des rapports de force au Moyen Orient.

1/ Depuis des années, le dialogue de sourds piétinait entre les quatre Occidentaux participant aux discussions (Etats-Unis, Royaume Uni, France et Allemagne) et l’Iran, Russie et Chine servant à l’occasion de médiateurs.

Pour les Occidentaux, les Iraniens violaient le traité de non prolifération nucléaire en procédant à l’enrichissement de stocks d’uranium dans des sites dont ils refusaient, en pratique, le contrôle. Ils soupçonnaient l’Iran de vouloir se doter de l’arme atomique. Les craintes occidentales étaient relayées par les pays du Golfe et par Israël qui s’estimaient menacés par Téhéran.

Les Iraniens, pour leur part, niaient toute ambition militaire et affirmaient que l’enrichissement n’était destiné qu’à des fins pacifiques car ils voulaient se doter d’une industrie nucléaire civile.

2/ Pour faire pression sur Téhéran, les Etats-Unis avaient adopté des sanctions économiques contre l’Iran consistant, pour l’essentiel, en boycott de leurs exportations de pétrole et en gel des avoirs iraniens. L’Union européenne, comme souvent, avait suivi les Etats-Unis.

3/ La Russie et la Chine, parties prenantes des discussions en tant que membres permanents du Conseil de Sécurité, dénonçaient les mesures occidentales mais ne pouvaient qu’être vigilantes vis-à-vis des intentions iraniennes car, garantes de l’application du traité de non prolifération, elles ne pouvaient que s’opposer à l’accès de l’Iran à l’arme nucléaire. D’ailleurs aucun des cinq membres du « club » nucléaire ne souhaite que d’autres y entrent.

4/ Mais il y avait beaucoup de non dits dans les discussions. Sans l’affirmer, il était évident que l’Iran avait l’intention, un jour, de se doter de l’arme atomique. Israël, l’Inde et le Pakistan avaient fait exploser leurs bombes atomiques en violation du traité et sans émoi majeur de la « communauté internationale ». Pourquoi eux et pas nous, disait-on à Téhéran ? Ce droit à l’arme nucléaire, qui fait consensus en Iran, même dans l’opposition, était d’autant plus légitime que ce pays, comme beaucoup d’autres dans la région, se sentait menacé par Israël. Se doter de l’arme suprême, c’était se prémunir contre une attaque israélienne. D’ailleurs Tel-Aviv, avait toujours dit, et son premier ministre vient encore de le répéter après la signature de l’accord de Genève, qu’il s’estime en droit de frapper à tout instant un pays qu’il estimerait menacer sa sécurité. Une course de vitesse était en fait engagée depuis au moins un an entre Israël et l’Iran. Si les Israéliens voulaient passer à l’action, ils devaient le faire vite, avant que l’Iran ait l’arme nucléaire. Après il serait trop tard. Washington n’était certes pas favorable à une telle attaque préventive, et l’avait fait savoir à leur allié « stratégique » hébreux mais le « lobby juif » est si puissant aux Etats-Unis que, paradoxalement, c’est le géant américain qui dépend, de fait, de Tel-Aviv et non le contraire. Cela explique d’ailleurs qu’Obama ait souhaité conclure rapidement à Genève avant que les Israéliens fassent capoter, à Washington, le projet.

5/ Les  Iraniens ont mis de l’eau dans leur vin (si l’on peut dire, dans ce pays au régime sec !). L’accès à l’arme atomique est sans doute toujours leur objectif. Mais à plus long terme. Les sanctions occidentales ont eu un effet certain sur l’économie iranienne qui est en mauvaise posture. Le président Rohani est plus pragmatique que son prédécesseur. Il a certainement l’aval de la hiérarchie des mollahs, maître en dernier ressort à Téhéran. Le régime iranien, sans remettre en cause ses bases, est néanmoins engagé dans un processus de réforme. Une certaine libéralisation de la société est engagée. Le moment est à la gestion de ce virage et un redressement économique induit par un assouplissement des relations avec les Etats-Unis serait le bienvenu. En conséquence, l’arme atomique peut attendre un peu. D’où les concessions qui ont été faites à Genève : on s’en tiendra pour le moment à un enrichissement limité de l’uranium tout en gardant le droit (c’était une condition de Téhéran pour signer l’accord) de le poursuivre.       

6/ L’accord est provisoire en ce sens qu’il est conditionné au contrôle de son application effective par Téhéran. Cela permet au président Obama de ne pas donner l’impression d’avoir trop concédé à Téhéran. Mais l’essentiel est qu’il marque une rupture dans l’attitude américaine, jusqu’à présent ouvertement hostile. Les rapports avec l’Iran sont en fait normalisés.

7/ Il est important d’observer que, comme pour l’accord avec la Syrie intervenu il y a quelques semaines, les Etats-Unis et la Russie, qui ont certainement mené des discussions confidentielles directes en marge de la négociation globale, ont joué un rôle déterminant. Cet accord est une victoire diplomatique pour la Russie. Après l’accord surprise sur la Syrie, avant les « frappes » occidentales annoncées (mais jamais voulues par Washington), Moscou apparait comme le faiseur de paix et l’acteur incontournable. Washington, pour sa part, ne souhaitait, pas plus que pour la Syrie, s’engager sur une nouvelle épreuve de force au Moyen-Orient. Obama redoutait une attaque israélienne contre l’Iran, que certains « faucons » à Washington souhaitaient. Clairement, le Moyen-Orient n’est plus une priorité pour Washington. L’envol de la production de pétrole de schiste rend moins dépendant des importations de brut du Golfe. D’où la volonté de calmer le jeu.

8/ L’Iran, la Russie et les Etats-Unis sont clairement les gagnants de l’accord de Genève. Il y a en sens inverse des perdants. Israël d’abord, qui voulait en découdre, et qui le veut toujours, mais ce sera plus difficile pour lui. Les pays du Golfe ensuite. Cet « arc sunnite » formé par les monarchies du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar en tête, dont la rivalité favorise les surenchères, apparait, et apparaitra de plus en plus, pour ce qu’il est : des régimes archaïques, fondamentalement anti-démocratique (l’Iran est loin d’être un modèle en la matière mais son évolution positive est désormais reconnue ; au moins vote-t-on en Iran et les femmes ont-elles le droit de conduire une voiture, ce qui n’est pas le cas en Arabie Saoudite), « champions » toutes catégories en matière de violations des droits de l’homme, fauteurs de guerre enfin par le soutien sans nuances apporté à tous les « djihaddistes » de la terre, à commencer par la Syrie.  

Autre perdant, la France, mais cela est marginal pour le monde même si cela est humiliant pour les faucons du gouvernement français. Avant le début de la négociation, le président Hollande et son ministre des affaires étrangères se montraient les plus durs envers Téhéran. Hollande l’a encore répété la semaine dernière à Jérusalem. Comme pour les « frappes » contre Damas souhaitées à Paris, la France a du se résoudre à entériner l’accord russo-américain. Son rôle est si marginal que c’est à peine si on entend sa voix. Il est loin le temps où de Gaulle, Mitterrand ou Chirac étaient non seulement écoutés mais entendus par une grande partie de la « communauté internationale ». Espérons que,  désormais, avant de tenir des discours va-t-en guerre, on aura l’intelligence à l’avenir d’y réfléchir à deux fois.

9/ Un nouveau monde est peut-être en train d’émerger (il est trop tôt pour le dire avec certitude). L’Arabie saoudite et le riche mais minuscule Qatar sont allés trop loin dans l’arrogance et le soutien à la subversion islamiste dans le monde. Le bellicisme israélien, de son côté, commence lui aussi à lasser à Washington. Ces alliés sont désormais encombrants et de moins en moins utiles pour les Etats-Unis qui commencent à considérer au contraire que Moscou et Téhéran peuvent être des facteurs de stabilité dans la région.

10/ La géopolitique reprend ses droits. Avec ou sans la république islamique, l’Iran est une grande nation. Depuis la nuit des temps, la Perse a joué un rôle fondamental, souvent trop méconnu en Occident, dans l’histoire du monde. Son influence culturelle sur le Moyen Orient, mais aussi sur l’Inde, l’Asie centrale et des pays aussi éloignés que l’Indonésie (dont la langue, et ce n’est pas un cas unique, a beaucoup emprunté au persan). Depuis le temps d’Alexandre le Grand, tout ce qui est allé de l’Ouest vers l’Inde est passé par la Perse et, inversement, les apports considérables de la civilisation indienne à la Méditerranée et à l’Europe sont arrivés via la Perse. Aujourd’hui, ce pays de 80 millions d’habitants à la civilisation pluri-millénaire, aspire à jouer, à nouveau, un rôle à sa mesure. Il aura un jour, c’est clair, sa bombe atomique parce que c’est une grande puissance en devenir. Autant s’en accommoder et, en filigrane, c’est probablement ce que se sont dit les négociateurs américains et russes de Genève.

11/ Une fois de plus l’ « Union » européenne a été inexistante à Genève. Madame Ashton, la « ministre » des affaires étrangères de cette entité fantome était pourtant là (mais qui l’a invitée ?) mais, comme d’habitude, elle n’a servi à rien. Quand arrêtera-t-on cette comédie ?

 

                                                                                                                             Yves Barelli, 24 novembre 2013              

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