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25 mai 2019 6 25 /05 /mai /2019 16:11

Le Premier ministre Narendra Modi a remporté une victoire écrasante (majorité absolue au parlement) lors des élections législatives qui viennent de se dérouler en Inde, confirmant ainsi la domination de son parti nationaliste BJP. C’est une victoire personnelle pour l’ « homme fort » du pays qui ne pourra que le conforter à l’intérieur mais aussi sur la scène internationale. Cette victoire intervient sur fond d’exacerbation de l’identité hindoue qui se sent menacée par le communautarisme musulman (20% de la population indienne) associé dans l’esprit du public aux tensions avec le Pakistan et à la menace terroriste islamiste. Sur fond aussi, et cela est sans doute déterminant, de croissance économique vigoureuse. Ce résultat montre l’attachement des Indiens à leur identité et leur confiance en l’avenir en dépit des immenses problèmes que ce pays encore pauvre doit surmonter pour concrétiser son ambition de devenir une hyper-puissance à la hauteur des ambitions de ce peuple détenteur de l’une des plus vieilles et riches civilisations du monde.

1/ Le système électoral indien est, dans ses grandes lignes, calqué sur le britannique (souvenir de la domination anglaise sur le subcontinent jusqu’à son indépendance en 1948) : système uninominal à un tour par circonscription (543) avec élection du candidat ayant obtenu le plus de voix. Pour maximiser leurs chances d’avoir des élus, les partis ont formé des coalitions dont les deux principales étaient dirigées par le BJP (Bharatiya Janata Party) du premier ministre sortant et le Parti du Congrès, dirigé depuis l’indépendance par la famille Gandhi- Nehru, battu en 2014 par le BJP. Dans ce pays fédéral très décentralisé, ces coalitions, souvent de circonstance, étaient formées par les deux partis nationaux associés à de nombreux partis régionaux.

Compte tenu de l’immensité du territoire et du nombre colossal d’électeurs (900 millions), le scrutin s’est étalé sur trois mois. Commencé le 10 mars, les bulletins ont été dépouillés le 23 mai.    

2/ Le taux de participation a été de 67%. La coalition entrainée par le BJP a obtenu 45,5% des voix et 352 sièges (la majorité absolue), dont 303 pour le BJP de Narendra Modi ; celle dirigée par le Congrès a obtenu 27,1% des voix et 91 sièges, dont 52 pour le Congrès de Rahul Gandhi. Le reste est allé à d’autres coalitions mais aussi à des sièges réservés à des « castes répertoriées » (c’est-à-dire aux anciens « intouchables » ; 84 sièges), aux « tribus répertoriées » (peuples vivant en marge de la société indienne dans des lieux reculés ; 47 sièges) et même, coup de chapeau à l’ancien colonisateur qui continue d’avoir un fort prestige dans le pays, 2 sièges pour les « anglo-indiens » (personnes d’origine britannique).

Le parti au pouvoir fait ses meilleurs scores dans le cœur du nationalisme hindou, les Etats de langue hindi (dans la moitié nord du pays), en particulier le plus peuplé, celui de l’Uttar Pradesh (200 millions d’habitants, au centre de la plaine du Gange), mais aussi celui du Maharashtra (qui inclue la mégapole Bombay), alors qu’il est minoritaire dans le sud dravidien (Tamil Nadu, Kerala et Andra Pradesh ; il est néanmoins majoritaire au Karnataka, avec Bangalore) et au Bengale, Etats où le niveau d’éducation est le plus élevé et où le Congrès ou la gauche communiste sont traditionnellement bien implantés.

3/ Il y aurait évidement beaucoup à dire sur la « démocratie » indienne. Dans ce pays encore majoritairement rural, où l’analphabétisme (désormais très minoritaire dans les générations les plus jeunes mais qui reste élevé chez les plus anciens) et la pauvreté restent considérables et où quelques potentats locaux (à l’image de celle de Gandhi, il y a souvent des dynasties locales ayant la haute main sur l’économie et les médias) font, par la corruption, l’achat de voix ou l’intimidation, la pluie et le beau temps, dans ce pays aussi qui est divisé en Etats à base linguistique et en castes, dans ce pays, aussi, où des dizaines (et même des centaines) de millions de personnes échappent à tout recensement ne serait-ce que parce qu’elles vivent dans la rue ou des baraques précaires, il est clair que la « démocratie » ne peut être que très imparfaite, si tant est qu’elle existe vraiment.

4/ La victoire de Modi est néanmoins indéniable (elle n’est d’ailleurs pas contestée par l’opposition) car elle est la résultante de deux réalités qui vont dans le sens d’une hégémonie de son parti, le BJP :

a/ l’Inde est encore un pays sous-développé mais la situation est sans commune mesure avec  ce qui prévalait il y a un demi-siècle. La misère y est encore très visible, sans doute au moins 20% de la population vit sous un seuil de pauvreté absolue. Mais, si la malnutrition (due à un régime alimentaire très déséquilibré) et les mauvaises conditions d’hygiène et de santé sont  encore fréquentes, les grandes famines d’antan ont disparu. Il faut évacuer de notre esprit la vision misérabiliste de Mère Theresa et des « mouroirs de Calcutta » (ils existent mais ne sont pas plus représentatifs de cette belle capitale du Bengale que les SDF, qui existent aussi chez nous, ne le sont de la France). Il y a désormais plusieurs centaines de millions d’Indiens qui ont fait des études et qui forment une classe moyenne en plein développement. Même les plus pauvres le sont désormais, en général, moins qu’avant.

Depuis vingt ans, le taux de croissance économique dépasse 7% par an. Bien au dessus de la hausse de la population (encore 2%). Alors que vers 2000, le PIB indien, malgré ses 1,3 milliard d’habitants, ne dépassait pas celui de la Hollande (15M), il gagne désormais régulièrement des places dans le palmarès mondial. En 2018, il s’est élevé, aux « prix du marché » (insuffisamment représentatif du fait du bas niveau des prix et de la sous-évaluation de la roupie ; de sorte que, en parité de pouvoir d’achat, il est bien plus élevé) à 2700 milliards de dollars, faisant quasiment jeu égal avec la France et le Royaume Uni, pays que l’Inde devrait sensiblement dépasser en 2019, la hissant alors au cinquième rang mondial derrière les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Allemagne.

Pour une population égale, le PIB indien reste encore très inférieur à celui de la Chine, quatre fois plus riche, mais, désormais, l’Inde est déjà une puissance qui compte. Elle a des entreprises fortes (comme Mittal ou Tata), un bon positionnement dans les hautes technologies (Bangalore est sa « Silicon Valley »), elle a sa bombe atomique, ses satellites dans l’espace, son propre système de GPS et bien d’autres attributs de grande puissance. Elle est courtisée par les « grands » : avec la Chine et la Russie, elle forme un quasi bloc (appelé le « partenariat de Shanghai », qui inclue aussi l’Asie centrale et coopère avec l’Iran) et les Etats-Unis la ménagent.

J’ai habité il y a quelques années en Inde (j’y étais en poste diplomatique). Je peux témoigner que les Indiens de base sont très fiers de leur pays (fierté entretenue par les médias et le système scolaire avec uniforme, hymne national chanté et salut aux couleurs tous les matins) et sont persuadés qu’il est appelé à un destin exceptionnel. La progression de ce que l’on a marque plus l’esprit que sa valeur absolue : les Indiens sont collectivement optimistes car ils savent d’où ils viennent, ils constatent qu’ils ont plus que leurs parents et savent que leurs enfants auront davantage. Celui qui vivait dans une hutte sans électricité, qui a accédé à un minimum de confort, qui roule en scooter et qui entrevoit l’acquisition à terme d’une voiture personnelle (les plus anciens d’entre nous se souviennent de l’euphorie en Europe du début de la société de consommation des « trente glorieuses ») ne peut être qu’optimiste. Certes, les inégalités restent criantes, la pollution et la surpopulation sont des fléaux mais, globalement, ça va mieux et, lorsque ça va mieux, on vote pour le parti au pouvoir. Cela explique en grande partie la victoire de Modri.

b/ Mais il y a une deuxième raison. L’homme ne vit pas seulement de pain mais aussi de valeurs. Ces valeurs, en Inde, c’est une civilisation vieille de 5000 ans avec le sentiment partagé dans le pays que l’Inde a toujours existé, qu’elle est immuable et que la supériorité de l’Occident n’aura été qu’une parenthèse de deux siècles, rien à l’échelle de l’histoire (et comme les indiens croient en la réincarnation, le lien entre passé, présent et futur est encore davantage ressenti). Comme les Chinois, les Indiens, majoritairement, n’ont aucune envie de copier la civilisation occidentale (seule une petite frange y aspire). Ils sont attachés à leur identité et entendent la conserver et la renforcer. Pour cette raison, le BJP, qui a axé sa campagne sur elle, a été plus attractif que le Congrès.  

Cette identité, les Indiens l’estiment menacée par l’islam. Cela remonte à loin : l’Inde a été occupée pendant plusieurs siècles par les dynasties musulmanes. Il en reste de magnifiques monuments comme le Taj Mahal, mais aussi une communauté musulmane avec laquelle la cohabitation n’est pas toujours facile (elle l’est en général dans le sud mais plus on s’approche de la frontière pakistanaise plus elle est difficile : elle est même conflictuelle à Bombay et dans le Goujerat, Etat dont Modri fut le gouverneur et où les affrontements intercommunautaires sont parfois sanglants). Cet antagonisme vient aussi de loin : ceux qui s’étaient convertis à l’islam étaient souvent d’anciens « intouchables », la haine de caste s’ajoutant alors à la haine religieuse.

L’empire britannique des Indes s’était terminé par une guerre civile et la partition du pays entre Inde et Pakistan. Depuis il y a eu trois guerres indo-pakistanaises. Les relations sont désormais meilleures mais il y a parfois des tensions qui montent brusquement (cela a été le cas ces derniers mois à propos du Cachemire, problème jamais résolu).

c/ S’y ajoute sans que cela ait un lien direct, le terrorisme islamiste qui, comme ailleurs dans le monde, a fait des ravages (plusieurs attentats ; le dernier a frappé le pays voisin, le Sri Lanka). Le Pakistan n’est pas accusé mais on ne peut empêcher des gens peu éduqués de penser que les musulmans, du Pakistan et de l’intérieur, sont collectivement responsables.

xxx

En résumé donc, trois explications à la victoire nationaliste : l’économie, l’identité et la sécurité, trois facteurs qui devraient encore prévaloir dans les prochaines années.

L’Inde est loin d’avoir résolu ses nombreux problèmes. Elle ne compte encore que moyennent dans le monde. Mais elle est sur la bonne voie pour compter davantage./.

Yves Barelli, 25 mai 2019                                          

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