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17 avril 2016 7 17 /04 /avril /2016 18:18

On trouvera ci-après mes impressions au retour d’un voyage que je viens d’effectuer en Iran entre les 4 et 11 avril.

L’Iran est un pays compliqué à appréhender car son système politique, économique, social et religieux est très spécifique et parce que, du fait de ce système, il est difficile de se faire une idée, lorsqu’on est un étranger de passage, de ce que pensent et ressentent les habitants, d’autant qu’il y a la barrière de la langue : beaucoup d’Iraniens ne connaissent que le persan et, parmi ceux qui sont capables de s’exprimer en anglais (très peu dans une autre langue occidentale), cela ne va généralement pas au-delà du vocabulaire utilitaire de base.

Aussi, aurai-je la modestie de dire que les impressions ressenties au cours de ce voyage ne sont pas nécessairement le reflet de la réalité.

De ce point de vue, l’impression du voyageur peut être comparée à ce qu’on peut ressentir aujourd’hui dans des pays où l’opinion publique est difficile à appréhender, comme la Chine ou, plus encore, la Corée du Nord (où je ne suis jamais allé), mais aussi des pays considérés à tort chez nous comme plus « démocratiques », tels Singapour, la Thaïlande ou la Malaisie, ou même le Japon, dont les « valeurs » sont souvent différentes des nôtres.

J’ai, à cet égard, ressenti en Iran un peu ce que je ressentais dans l’ancienne Union Soviétique et dans les autres pays communistes. D’un côté, l’absence de liberté d’expression, un régime intrusif dans la vie personnelle des citoyens. Mais, d’un autre côté, une bonne protection sociale, la sécurité dans le travail et, plus encore, dans la vie quotidienne, moins d’inégalités qu’ailleurs et le culte d’une identité nationale forte, garante d’une meilleure cohésion sociale et d’une indéniable sérénité personnelle si on compare ces pays à nos nations européennes modernes en crise quasi permanente.

Dans ce type de régimes et de sociétés, il existe des « dissidents ». Mais sont-ils représentatifs de la majorité de la population ? Cela est loin d’être sûr. Dans certains cas, ils sont la voix courageuse d’une majorité silencieuse parce que timorée. Dans d’autres, ils ne sont que des marginaux rejetés par la masse des citoyens qui ne se reconnaissent pas en eux.

Ainsi, en Iran, les étudiants de Téhéran et l’élite intellectuelle et sociale de la capitale (et peut-être de quelques grandes métropoles de province) qui sont en état de dissidence quasi-permanente depuis des années, sont-ils représentatifs d’une réelle contestation profonde du régime ou ne sont-ils qu’une écume vivant en marge de la société et éloignée des préoccupations des gens « ordinaires » ?

J’avoue que je n’en sais rien.

Les élites occidentalisées et souvent anglophones de Téhéran, celles que nos médias interviewent de préférence quand ils viennent jusqu’au pied de l’Elbourz, parce que c’est plus facile et parce que cela correspond à nos rêves d’adhésion universelle à nos schémas de pensée, sont sympathiques. Nous les comprenons parce qu’ils nous ressemblent. Bien plus, évidemment, que ces cohortes de femmes en tchador qui paraissent des nones sorties de l’Espagne de l’Inquisition du 17ème siècle et qui, il faut le dire, gâchent les paysages sitôt débarqué à l’aéroport international Imam Khomeini.

Et feu cet imam Khomeini, adulé, vénéré, officiellement, partout en Iran, a-t-il été le libérateur du pays, le guide d’une Révolution dans laquelle une majorité d’Iraniens se reconnaitraient, ou n’a-t-il été qu’un despote fanatique qui a imposé au peuple iranien l’un des régimes les plus obscurantistes que la terre ait jamais porté ?

Je n’en sais rien après une semaine passée en Iran, mais aussi après avoir beaucoup lu (quelques textes intéressants, mais aussi beaucoup d’inepties, y compris dans des médias réputés sérieux).

Sans doute, souhaiterions-nous que ce régime, qui fait lapider des femmes pour « infidélité » conjugale, qui tue pour cause d’apostat, et qui applique la peine de mort sans discernement, soit aussi impopulaire qu’il le mériterait. Mais nos désirs ne sont pas forcément la réalité.

Il n’est pas impossible, en fait, et c’est finalement mon opinion, qu’une majorité d’Iraniens déplorent les excès dans la répression, en aient « ras-le-tchador » de cet ordre moral et aspirent à un peu d’air frais dans cette atmosphère oppressante, mais que, en même temps, ils apprécient la meilleure protection sociale et la hausse du niveau de vie constatée depuis la « Révolution » de 1979, la tranquillité et la très faible délinquance (se promener dans les rues sans crainte d’être attaqué, volé ou, tout simplement, importuné est la première des libertés, celle qui est la plus menacée aujourd’hui en France), le supplément de fierté nationale apporté par un régime qui a osé défier la première puissance mondiale et qui aujourd’hui est l’un des bras armés, paradoxalement, contre le fanatisme et la duplicité des régimes wahhabites esclavagistes d’Arabie saoudite et du Golfe.

Le sentiment post-régime « totalitaire » (mais sommes-nous si sûrs que le nôtre le soit moins ? Ne s’agit-il pas d’une autre forme de totalitarisme, encore plus sournois ?) de sécurité perdue, de déboussolage dans l’évolution de la société, d’immoralité d’un capitalisme impitoyable pour les « petits » et complaisant pour les « gros », d’humiliation ressentie par les gens ordinaires qui, aujourd’hui, doivent bosser plus qu’avant dans le même temps où des parasites sociaux les narguent et les méprises du haut de leur magot vite et mal acquis, est aujourd’hui une caractéristique des anciens pays communistes où on apprécie certes beaucoup de changements qui entrainent que, désormais, on vit dans des pays « normaux », pour le pire et le meilleur, mais où on regrette en même temps tout ce qu’on a perdu de protection, d’égalité et de convivialité à tel point qu’on en vient parfois à Berlin-Est, à Prague ou à Moscou, à regretter bien des aspects qui faisaient du communisme d’antan à la fois un système anachronique mais aussi un « âge d’or », presque un pays de cocagne dont on sait, malheureusement, qu’ils ne reviendra plus.

Ce sentiment, en Russie, s’est traduit par un rejet massif d’un capitalisme immoral apporté par les années Eltsine et par le plébiscite de la remise en ordre et de la fierté retrouvée avec Poutine. Parlez d’élections « libres » aux Russes et vous verrez que la majorité d’entre eux associent cet ersatz de démocratie avec insécurité et règne des mafias.

Mais il y a une différence majeure entre le totalitarisme communiste et le totalitarisme des ayatollahs.

Le premier manquait de liberté politique et d’initiative économique privée. Mais les gens étaient très libres dans leur vie privée de tous les jours, dans la mesure où ils évitaient de « faire de la politique ». La jeunesse tchèque que j’ai personnellement côtoyée et même avec laquelle j’ai vécu avant le passage au capitalisme de 1989 était très libre, plus encore qu’en France, je dois dire, en matière de liberté sexuelle, mais aussi d’accès à la culture et aux loisirs, mais elle savait que cette liberté avait une limite, l’intangibilité du règne du Parti Communiste, avec ses insuffisances démocratiques mais aussi économiques (en matière d’accès aux produits occidentaux les plus sophistiqués).

En Iran, c’est différent. Il n’y a pas beaucoup plus de liberté politique dans la mesure où le président et le parlement issus des élections n’ont pas la réalité du pouvoir (qui appartient à la hiérarchie religieuse). Mais l’approvisionnement des commerces et le dynamisme économique, grâce à la liberté d’entreprendre dans ce domaine (bien que la plus grande partie des entreprises appartiennent à l’Eta t ou à des institutions proches des religieux), sont meilleurs que dans les anciens pays communistes et, face à ceux qui prônent ouverture et « libéralisme », il y a peut-être une majorité d’Iraniens qui craignent de perdre un système qui, sur bien des points, a les qualités des anciens pays communistes sans leurs défauts..

Par contre, sur le plan des libertés privées, en Iran, c’est le néant. Pour draguer entre filles et garçons, il faut se cacher (et la répression pour ceux qu’on découvre peut être forte), les femmes sont tenues à un accoutrement vestimentaire humiliant, l’alcool est interdit et, si on veut progresser dans la hiérarchie administrative et même dans le secteur privé, il est conseillé de faire semblant d’être un bon musulman bien pieux.

Cette chape de plomb me paraitrait personnellement insupportable et elle l’aurait été pour tous ceux que j’ai côtoyés dans les anciens pays communistes. Pour moi, il n’y a pas photo : le communisme était critiquable mais acceptable et vivable. Le régime théocratique iranien, lui, ne l’est pas. Au moins à mes yeux, qui ne sont peut-être pas ceux de beaucoup d’Iraniens tant il est vrai que le chiisme peut être vu comme un élément essentiel de l’identité collective de la nation iranienne.

Si j’ai écrit ce préambule à l’expression de mes impressions de voyage, c’est pour les relativiser. Je suis Français laïque de tradition chrétienne. Je laisse aux Iraniens de tradition musulmane chiite (même lorsqu’ils sont athées) le soin de juger, en dernier ressort, ce qui convient le mieux à leur pays. Ce n’est pas à moi de le dire à leur place, même si je peux souhaiter qu’ils partagent mes vues.

Venons-en aux impressions que j’ai ressenties au cours de ce voyage.

1/ Un pays « émergeant », c’est-à-dire au développement économique moyen. En termes de Produit intérieur Brut (PIB) exprimé en dollars, l’Iran, avec près de 400 milliards $ en 2015 est au 28ème rang mondial. [La superficie du pays est de 1,6 million de km2 et sa population de 80 millions] Pour avoir une meilleure évaluation de la valeur de la production et du pouvoir d’achat, le FMI calcule un « PIB en parité de pouvoir d’achat » (ce qui est pertinent pour un pays comme l’Iran qui produit la plus grande partie de ce qu’il consomme, donc qui est moins dépendants des prix internationaux). Cela « remonte » le PIB à 1,4Md$, ce qui place l’Iran au 18ème rang mondial. Cela compense la sous-évaluation de la monnaie nationale (le salaire moyen est d’environ 300€, mais avec cette somme on peut acheter en Iran beaucoup plus de biens et services qu’en France parce que le coût de la vie y est bien plus bas). Le PIB par habitant calculé en termes de pouvoir d’achat met l’Iranien à peu près au tiers du niveau français moyen, ce qui n’est pas si mal.

Les organisations internationales calculent en outre un « indice de développement humain » (IDH) qui tient compte du revenu par habitant, mais aussi des performances en matière sociale, telles la santé et l’éducation : avec 0,766 (l’échelle va de 0 à 1), l’Iran est à un niveau moyen, plus faible que la plupart des pays les plus développés, mais bien meilleur que celui de la plupart du tiers-monde, soit à un niveau comparable à des pays comme la Serbie, la Bulgarie ou le Brésil. Comparé aux autres pays du Moyen-Orient, l’Iran fait mieux que tous ses voisins, y compris la Turquie et l’Azerbaïdjan. L’Iran fait également mieux que la Chine, mais aussi des pays plus proches de nous comme l’Algérie, la Tunisie ou le Maroc. Il est, en revanche, après la Russie et les anciens pays communistes d’Europe centrale. Après, aussi, le Portugal (parmi les moins performants d’Europe occidentale).

Un niveau, donc, moyen. Et cela se voit dans la rue. Quasiment tout le monde a un smartphone et la possession d’une voiture est courante, au moins en ville. Avec 120 voitures pour 1000 habitants, il y a certes trois à quatre fois moins de voitures par habitant qu’en Europe occidentale, deux fois moins qu’en Russie, mais deux fois plus qu’en Chine et plus qu’en Turquie ou en Algérie par exemple.

2/ Une protection sociale qui semble correcte. Mon fils médecin, qui m’a accompagné dans ce voyage, l’a vu au premier coup d’œil en observant la dentition des gens dans la rue : un pays où la population a un suivi et des soins dentaires a une protection sociale correcte. Cela semble être le cas de l’Iran. Nous avons observé à cet égard que le nombre des pharmacies en ville (je ne dirai rien des campagnes – un quart de la population iranienne – à peine entrevues le long des routes : le niveau de vie y semble moindre qu’en ville) est élevé et que les gens, munis de ce qui ressemble à des feuilles de sécurité sociale, les fréquentent beaucoup. Bien plus, en tout cas, que dans la moyenne du tiers-monde. Ces pharmacies, où l’on délivre souvent des médicaments à l’unité, semblent moins approvisionnées en produits de « confort » qu’en Europe.

3/ Des inégalités en apparence réduites. Il y a très peu de mendiants et peu, aussi, de grosses cylindrées. La grande pauvreté et l’extrême richesse sont absentes ou alors cachées. C’est le bon côté de l’austérité chiite ambiante. On n’y aime pas la richesse ostentatoire et les pauvres y bénéficient de la sollicitude à la fois de l’Etat et des organismes de solidarité gérés par les religieux. Les inégalités existent pourtant, si on en croit l’indice des Nations-Unies dit de « Gini », qui les mesure. Selon ces statistiques, les 10% les plus riches ont une richesse moyenne de 17 fois celle des 10% les plus pauvres (contre 8 fois plus en France, seulement 5 fois plus en Tchéquie, ancien pays communiste, mais plus de 50 fois dans la plupart des pays d’Amérique latine, les plus inégalitaires au monde).

4/ La faible insécurité. On se sent en parfaite sécurité dans ce pays, même tard le soir. Prendre le métro à Téhéran est beaucoup moins anxiogène (plus propre aussi) qu’à Paris. En France, les risques d’agression violente sont, quoi qu’on en dise, faibles. En revanche, les incivilités y sont fréquentes. Plus qu’en Iran, semble-t-il.

Ce sentiment de sécurité est complété par la gentillesse spontanée de presque tout le monde. Nous avons rencontré de nombreuses personnes nous souhaitant la bienvenue en Iran. Dans les magasins et les restaurants, ceux qui sont capables de s’exprimer en anglais viennent spontanément aider les étrangers pour communiquer.

L’honnêteté est une autre qualité complémentaire des précédentes qui contribuent à donner ce sentiment de sécurité qui ne nous a jamais quittés au cours de notre séjour en Iran.

Comme les prix ne sont pas souvent indiqués, que, lorsqu’ils le sont, ils sont presque toujours écrits en chiffres arabes du Moyen-Orient (différents des nôtres, appelés chiffres « arabes » mais qui en sont en fait différents ; nos chiffres sont utilisés au Maghreb, mais pas au Moyen-Orient) et qu’on ne sait jamais s’il s’agit de « rials » (la monnaie nationale au nombre de zéros déroutants : 1€=39 000R) ou de « toumans » (dix fois moins, donc un zéro de moins : unité de compte habituellement utilisée bien qu’elle ne figure pas sur les billets de banque), on est bien obligé de faire confiance au commerçant. Nous avons la conviction qu’aucun n’en a profité. Généralement, nous lui tendions une liasse de billets dans laquelle il piochait ce qui lui revenait et, même lorsqu’on lui demandait de garder la monnaie, il nous la rendait systématiquement.

L’honnêteté des gens et la quasi-absence de délinquance expliquent sans doute que la police n’a pas besoin d’être très présente en ville pour que l’ordre soit respecté. La présence probable de policiers en civil et la sévérité de la justice expliquent sans doute cela aussi. Mais l’absence de voitures de police fonçant avec sirènes et gyrophares contribue à la sérénité de la rue iranienne.

6/ Un fort sentiment identitaire national. Visiblement, les Iraniens sont fiers d’être Iraniens. Ils se savent porteurs de l’une des plus vieilles et riches civilisations mondiales qui a rayonné autrefois sur l’ensemble du Moyen-Orient, mais aussi sur l’Inde et l’Asie centrale et au-delà (à titre d’exemple, le mot « bazar » est universellement adopté et, autre exemple, les évènements du « Maydan », cette place principale de Kiev qui a fait la une de l’actualité, illustrent l’influence passée persane, « maydan » signifiant « place » en persan ; on pourrait citer bien d’autres exemples). Ils sont fiers de montrer que la plus grande partie de ce qui est consommé en Iran est fabriqué sur place, avantage, en ces temps de reflux de la « mondialisation », qui est un sous-produit involontaire de l’embargo imposé depuis trente ans à l’Iran par les Etats-Unis et leurs alliés et satellites européens. Quant à l’artisanat et les œuvres d’art, comme les « miniatures » ou les jeux d’échec finement travaillés (une spécialité locale), ils sont une autre source de fierté : les « bazaris » le savent ; ils ne les bradent jamais.

Aujourd’hui, l’Iran est, avec la Russie, à l’avant-garde du combat pour libérer le monde de la barbarie de « daesh » et de l’hégémonie de l’obscurantisme du wahhabisme saoudien (l’Iran des mollahs est un autre obscurantisme, certes un peu moins obscur que l’autre, mais cela est une autre histoire). Face aux Arabes sunnites, l’Iran est le phare du chiisme. Et ne dites pas aux Iraniens qu’ils sont arabes. Vous ne vous en feriez pas des amis. Les Iraniens sont un peuple « indo-européen », ayant les mêmes racines que les Européens. Ils n’ont rigoureusement rien de « sémite », si ce n’est l’alphabet qu’ils utilisent.

Cet attachement à l’identité nationale est symbolisé par l’abondance des drapeaux iraniens, parfois immenses, qui flottent partout dans le pays. Ce nationalisme n’est pas subi. Il a une forte adhésion populaire, y compris de la part de ceux qui sont hostiles au régime.

7/ Le niveau de vie apparent moyen, la faible inégalité apparente des revenus, la faible délinquance et la tranquillité, apparente aussi, de la vie quotidienne m’ont fait penser, dès le premier abord au spectacle de la rue dans l’ancienne Union soviétique. Cela, d’autant plus qu’il n’y a presque pas de publicité dans les rues ou dans le métro (où, comme à Tachkent ou Moscou, la publicité est remplacée dans certaines stations par des œuvres d’art). Si ce n’était la masse noire des femmes en tchador, personnellement, je me serais cru dans les anciennes républiques soviétiques d’Ouzbékistan ou du Kazakhstan (et même à Moscou).

8/ Reste la question des femmes. A la différence de l’Arabie saoudite, elles sont très présentes dans les rues et on en voit aussi beaucoup dans les commerces, les administrations et au volant des voitures. Mais leur aspect est vraiment lugubre.

Dans les quartiers un peu huppés de Téhéran-Nord, on croise pas mal de femmes habillées presque « normalement ». Je veux dire par là, sans le grand voile noir. Elles sont alors vêtues de vêtements suffisamment amples pour ne pas trop mettre en valeur leurs formes et pour ne pas risquer des ennuis avec la police des mœurs. Ces vêtements restent foncés pour ne pas trop se faire remarquer. Certaines découvrent une bonne partie de leur chevelure en reportant vers l’arrière le foulard obligatoire ; elles sont maquillées et elles ont du rouge à lèvres. J’estime à moins du tiers, dans le meilleur des cas, leur proportion dans cette partie de la capitale la plus occidentalisée. On en trouve aussi à Chiraz et à Ispahan, mais moins. Ailleurs, la proportion de ces femmes sans tchador est le plus souvent inférieure à 5%.

La plupart des femmes croisées circulent pas petits groupes. On trouve aussi des hommes et des femmes ensemble, mais on sent qu’il y a beaucoup de retenue. Il n’y a pas de sites de rencontre en Iran et encore moins de petites annonces. A l’école, les sexes ne se mélangent pas. Dans le métro, des voitures sont réservées aux femmes (mais elles peuvent monter aussi dans les autres wagons). Il parait qu’il existe des méthodes très subtiles de drague, mais il est évident qu’être célibataire en Iran doit être assez compliqué et que nombre d’entre eux doivent se sentir frustrés. Surtout, par rapport à ce qu’ils voient de l’Europe lorsque, grâce à des logiciels perfectionnés, ils arrivent à contourner la censure d’internet.

A cet égard, l’Iran est à l’image du reste du monde musulman. Un monde sexuellement frustré pour beaucoup et, lorsque il y a libération de fait, un monde hypocrite. La terre d’islam est celle des apparences. La dissimulation en est le corollaire. Pour ceux qui veulent vivre « normalement », au sens de la « normalité » que nous estimons « civilisée », c’est un monde schizophrène où l’on fait semblant de penser et d’agir noir quand on pense et on agit blanc.

Cette dernière remarque est une conclusion sur mes impressions d’Iran. Comment ces Iraniens vivent-ils au juste au-delà des apparences ? Que pensent-ils exactement ? Quelles sont leurs opinions vis-à-vis du régime et de la société iranienne ?

Je connais suffisamment bien d’autres pays musulmans. En particulier l’Algérie et le Maroc où j’ai vécu et où j’ai été en contact, souvent de confiance, avec beaucoup de gens, d’autant plus facilement qu’ils sont francophones. Ce sont des sociétés complexes où la prégnance de la religion entraine une multitude de tabous, de non-dits, de chemins de traverse pour contourner les obstacles. Ce sont des sociétés où l’on ne dit vraiment ce qu’on pense qu’à de vrais amis (et encore !). Des sociétés où il n’y a pas d’expression réellement libre parce que, même quand la censure n’est pas là (l’Algérie et la Tunisie sont assez libres), on ne dit pas tout car chacun s’impose une autocensure forte. Ce n’est pas pour rien que quasiment tous les écrivains, artistes ou chanteurs algériens publient à Paris et non à Alger.

Et si malgré la connaissance que j’en ai, j’ai des difficultés à exprimer des appréciations sur l’Algérie ou la Maroc, alors, je dois reconnaitre que, s’agissant de l’Iran, c’est mission impossible. Restons donc modeste. Mes impressions, plutôt positives dans l’ensemble, qui sont les miennes sur l’Iran, valent ce qu’elles valent : des impressions, sans plus.

Yves Barelli, 17 avril 2016

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