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12 juillet 2015 7 12 /07 /juillet /2015 18:23

J’ai publié le 11 juillet mon commentaire sur le vingtième anniversaire du massacre de Srebrenica, épisode le plus tragique des conflits qui ont marqué l’ancienne Yougoslavie entre 1991 et 1995.

Ayant été diplomate français en poste en Bosnie, mais aussi en Serbie et au Monténégro, je vous ai livré quelques commentaires appuyés sur mon expérience et des témoignages de première main sur ces malheureux conflits auxquels j’ai eu accès. A la demande de quelques amis qui lisent mon blog, je vous propose aujourd’hui trois textes courts qui éclairent le contexte du massacre de Srebrenica de juillet 1995.

Un mot d’abord sur le vocabulaire à employer. Les mots doivent avoir un sens et l’emploi d’un mot plutôt qu’un autre à des fins d’exagération ou de stigmatisation n’aide pas à comprendre les faits historiques. La définition suivante du mot « génocide » est la plus couramment admise (notamment par l’ONU) : « Un génocide est l'extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d'une population ou d'une partie d'une population en raison de ses origines ethniques, religieuses ou sociales ».

Y a-t-il eu « génocide » à Srebrenica ? Le mot a été employé dans un jugement par le Tribunal Pénal International pour le Yougoslavie. Mais cela n’a jamais fait unanimité. Personnellement, je n’emploie pas ce terme pour le massacre de 1995. Pourquoi ? D’abord, parce qu’il a concerné un peu plus de 7000 personnes alors qu’il y a plus de deux millions de Bosniaques. Ensuite, tous les Bosniaques tombés aux mains des milices serbes n’ont pas été massacrés : seuls les hommes et les adolescents ont été assassinés, pas les femmes ni les enfants. Rien à voir donc avec l’éradication de tous les Juifs mise en œuvre par les Nazis lors de la seconde guerre mondiale et qui se traduisit par l’assassinat de masse de plus de cinq millions de personnes (la « shoah »), soit, la quasi-totalité des Juifs d’Allemagne et un grand nombre d’autres pays d’Europe. Rien à voir non plus avec le massacre à grande échelle des Arméniens de Turquie en 1915 qui se solda par l’élimination de 1,5 millions de personnes et la disparition quasi-complète en conséquence du peuplement arménien en Turquie. Rien à voir non plus avec le massacre de 500 000 Hutus au Rwanda dans les années 1990. Même si de telles comparaisons macabres ont quelque chose d’indécent, il faut savoir raison garder. Il convient en conséquence mieux, s’agissant du massacre de Srebrenica parler de « crime de masse », que l’on peut qualifier en outre de « crimes de guerre » et même, sans doute, de « crimes contre l’humanité ».

Voici donc mes trois textes que j’ai écrits en 2005 :

1 - LA BOSNIE-HERZEGOVINE DANS L’HISTOIRE DE L’ESPACE YOUGOSLAVE

Des Illyriens aux Romains

Avant la conquête romaine, les régions s’étendant entre les Alpes karstiques, la plaine danubienne et la Macédoine étaient peuplées par les Illyriens, peuple indo-européen parlant une langue apparentée à l’albanais actuel (qui présente lui-même des affinités avec le grec). Ces régions couvrent l’ensemble des Balkans occidentaux (future Yougoslavie). Seule voie de communication terrestre entre l’Italie et la Grèce, mais aussi point d’entrée vers l’Europe centrale, son importance stratégique n’avait pas échappé aux Romains. Les Illyriens sont attestés dans la région depuis le 4ème millénaire avant JC et ils connaissent un début d’organisation à partir de l’an 1000 av.

La conquête romaine, qui se déroule à la fin du 1er siècle avant JC, rencontre peu de résistance Le littoral adriatique est fortement romanisé au cours du siècle qui suit, bien que l’influence grecque y demeure notable. Sept empereurs illyriens dirigent l’empire romain au 3ème siècle, dont le plus connu, Dioclétien, établit sa capitale en 295 dans l’actuelle Split, ville dont il était probablement originaire. Pour mieux administrer le vaste empire, il décide de le scinder en deux, la limite traversant les Balkans occidentaux. Cette division entre Occident latin, centré sur Rome, et Orient grec, puis orthodoxe, centré sur Constantinople, s’avérera durable (sans toutefois exclure interpénétrations et influences réciproques).

Les Slaves

Lorsque l’empire d’Occident s’effondre (5ème siècle), la région est traversée par divers peuples « barbares » (Avars, Ostrogoths, Lombards, etc) avant que les Slaves s’y fixent (7ème siècle). Ces derniers se convertissent au christianisme, d’inspiration latine à l’Ouest et byzantine à l’Est (Saint Cyrille et Méthode créent une langue liturgique, le vieux slavon, et la fixent au moyen de l’alphabet cyrillique, dérivé du grec). Lorsque le « Grand Schisme » de 1054 détache les futurs orthodoxes de l’autorité du pape, les peuples qui deviendront Bulgares, Macédoniens et Serbes les suivent, tandis que les futurs Croates et Slovènes restent fidèles à Rome et au latin. Les Bosniaques (cf infra) préfèrent ne pas choisir.

Dans l’environnement émietté de la féodalité médiévale, la future Bosnie et Herzégovine se constitue en une entité assez bien individualisée. Le Banat de Bosnie (on traduit souvent le mot « banat », qui est peut-être d’origine hongroise, par « royaume » ; « principauté » est mieux adapté) relève de suzerainetés successives bulgare, byzantine, hongroise (le royaume de Croatie se constitue en union personnelle avec le royaume de Hongrie) mais reste, le plus souvent, quasiment indépendant entre les 10ème et 15ème siècles. On a pu parler à cet égard d’ « âge d’or » (tout relatif) des « rois » de Bosnie parmi lesquels deux se détachent : Kulin Ban (« ban »= chef du banat) , à la fin du 12ème siècle (l’une des principales artères de Sarajevo porte son nom), et Tvrtko 1er , au 14ème siècle. Au cours de cette période, l’Herzégovine (de « herz »= duché), au Sud, partage le plus souvent le destin de la Bosnie tandis que la frontière occidentale (région de Bihac) est plus mouvante.

Des Bogomiles aux Turcs

S’écartant de Rome comme de Constantinople, les Bosniaques sont attirés au 12ème siècle par une « hérésie » (nouvelle religion, en fait), celle des Bogomiles (= « amoureux de Dieu »), venue de Perse via la Bulgarie. La foi bogomile s’inspire du culte manichéen (apparu en Perse au 3ème siècle) : opposition entre le Bien et le Mal, entre la Lumière et les ténèbres, dichotomie souvent présente en Asie, y compris dans le « ying » et le « yang » chinois. Les Cathares occitans trouvent, à la même époque, en partie leur inspiration chez les Bogomiles. Les Bogomiles, comme les Cathares, sont mis au ban de la Chrétienté et persécutés. L’arrivée des Turcs au 15ème siècle est une délivrance pour eux et la plupart se convertissent à l’Islam.

La présence turque dans les Balkans a duré près de cinq siècles. Avant même de prendre Constantinople, en 1453, les Ottomans sont déjà en Thrace, en Macédoine et en Bulgarie. En 1389, la bataille de Kosovo Polje (= le Champs des merles, qui donnera son nom au futur Kosovo) marque un tournant : les rois Lazar de Serbie et Tvrtko de Bosnie sont battus, ouvrant aux Turcs la route de l’Ouest. Leur expansion ne sera stoppée qu’en 1683 devant Vienne, prélude au long reflux qui s’achèvera en 1918 par le démantèlement de l’empire ottoman..

Les Ottomans s’installent en 1436 dans la région de Sarajevo, alors simple bourgade (la capitale de la Bosnie avait eu plusieurs sites au cours du moyen Age) ; ils atteignent Tuzla trente ans plus tard, puis l’Herzégovine à la fin du 15ème siècle et un siècle plus tard la Bosnie occidentale (Bihac).

Les Turcs, en revanche, ne s’installent pas sur la côte adriatique contiguë à la Bosnie. Une nouvelle puissance maritime fait son apparition au milieu du Moyen-Age, la république de Venise, qui achève en 1205 la conquête du littoral et des îles dalmates, suivie deux siècles plus tard (1420) du littoral monténégrin (Kotor). Seule Raguse (Dubrovnik) lui échappe et traite avec les Turcs, ce qui lui permet de rester une ville libre jusqu’en 1807.

L’expansion autrichienne

C’est pour contrer l’avance turque vers la Croatie que les empereurs austro-hongrois établissent à partir de 1630 une ligne de défense en la peuplant de Serbes réfugiés de l’empire ottoman auxquels on distribue des terres et on octroie des avantages fiscaux en échange de leur collaboration. C’est l’origine du peuplement serbe des confins de la Croatie (Krajina) et de la Bosnie. Ces territoires conservent un statut spécial jusqu’en 1881 (ils sont placés sous administration autrichienne même s’ils font théoriquement partie de la Croatie hongroise).

Le 19ème siècle modifie considérablement la carte balkanique. Partout, c’est le reflux turc tandis que la chute de la république de Venise laisse un vide en Dalmatie que les grandes puissances tentent de combler. L’empire austro-hongrois tire le mieux son épingle du jeu en s’installant en Dalmatie à partir de 1815 et en conquerrant la Bosnie en 1868. Ces deux territoires, ainsi que les confins, seront alors administrés directement depuis Vienne.

Dans le même temps, les peuples installés plus à l’Est recouvrent progressivement leur indépendance. En 1878, le congrès de Berlin reconnait l’indépendance de la Serbie et du Monténégro. Une évolution parallèle se dessine en Grèce, en Bulgarie et en Roumanie

La Yougoslavie

Lorsque les empires « centraux » sont démantelés en 1918, le « royaume des Serbes, Croates et Slovènes » fédère les Slaves du Sud. Après l’éphémère Etat croate créé par l ‘Allemagne nazie durant la seconde guerre mondiale, une Yougoslavie fédérale est créée en 1945 par Josef Broz Tito. Elle se compose de six républiques : Slovénie, Croatie (y compris la Dalmatie), Bosnie-Herzégovine, Serbie (y compris la Voïvodine et le Kosovo), Monténégro et Macédoine.

Tito meurt en 1980. Onze ans plus tard, en 1991, la Yougoslavie vole en éclats. Une succession de conflits, les plus meurtriers en Europe depuis la seconde guerre mondiale, s’engage alors./.

es Barelli, juillet 2005

2 – LA BOSNIE-HERZEGOVINE DANS LES CONFLITS YOUGOSLAVES

1/ Contexte et raisons de fond du déclenchement des conflits yougoslaves

Le conflit qui a ravagé la Bosnie entre 1992 et 1995 est étroitement lié aux conditions dramatiques qui ont marqué la désintégration de la Yougoslavie et en particulier au conflit qui a immédiatement opposé Croates et Serbes.

On a parfois tenté d’expliquer les violences par de vieilles haines ancestrales entre Serbes et Croates ou encore par les séquelles de la seconde guerre mondiale au cours de laquelle un Etat croate fasciste allié de l’Allemagne avait été créé ; le nationalisme croate aurait seulement été mis sous le boisseau par la main de fer de Tito et serait naturellement reparu après sa mort.

Ces explications sont peu pertinentes. Le développement économique de la Yougoslavie et la laïcisation de la société avaient fait oublier les soit-disant querelles inter-ethniques ou inter-religieuses du passé (il y en eut en fait très peu au cours de l’histoire). Quant à l’écrasement du nationalisme croate sous Tito, la réalité le dément : Tito était lui-même croate, les Croates avaient été majoritaires chez les partisans qui avait libéré le pays en 1945. Par la suite, le système fédéral yougoslave avait donné toutes les possibilités à chacune des républiques, y compris la croate, de s’épanouir, tant sur le plan linguistique et culturel qu’économique (système de l’autogestion). La seule nationalité qui a pu se sentir brimée était l’albanaise. Cela a d’ailleurs joué un rôle de détonateur.

La véritable raison des conflits doit être recherchée dans les ambitions concurrentes des personnels politiques qui ont émergé tant à Zagreb qu’à Belgrade après la disparition de Tito. Les nouveaux dirigeants ont pu alors utiliser les appareils bureaucratiques et les médias pour flatter le patriotisme local existant dans chacune des républiques. Celui-ci a alors pu donner libre cours à l’expression des minorités nationalistes. A l’effondrement des régimes communistes dans les pays multinationaux, ce processus a été classique : Elsine a utilisé l’appareil russe pour chasser Gorbachev en jouant le séparatisme ; les deux partis qui avaient gagné les élections à Prague et à Bratislava ont chacun trouvé leur compte à la séparation des républiques tchèque et slovaque (sans d’ailleurs consulter les populations). La différence avec la Yougoslavie est que le divorce tchéco-slovaque a été de « velours » et que la plus importante des républiques soviétiques a laissé partir les autres sans les retenir (et même en les poussant) pour les raisons exposées plus haut alors que l’éclatement de la Yougoslavie a entraîné une réaction en chaîne rapidement incontrôlable.

Le contexte international a favorisé l’éclatement. Dans l’effondrement des régimes communistes à la fin des années 1980 et au début des années 1990, les Etats-Unis, suivis par une partie de l’Europe, ont systématiquement joué l’affaiblissement, voire l’éclatement, des anciens pays communistes. L’idéologie du « moins d’Etat » s’est appliquée là aussi. Dans le cas yougoslave, la vieille et ambiguë amitié entre l’Allemagne et la Croatie a été un facteur aggravant ; les deux pays qui auraient pu aller à l’encontre de la désintégration ne l’ont pas fait, la France pour ne pas contrarier ses ambitions européennes, l’URSS parce que déjà en état de mort clinique. Un autre facteur aggravant a été que, à la fin de 1990, l’ensemble du monde avait les yeux tournés sur le Golfe où les hostilités contre l’Irak allaient être incessamment déclenchées.

2/ Une fédération yougoslave qui ne fonctionnait plus

La situation avait commencé à se dégrader dans les années 1970. La répression du « printemps croate » en 1971 comme l’arrêt porté aux tentatives serbes de libéralisation l’année suivante avaient figé le paysage politique. La nouvelle constitution qui en 1974 avait donné beaucoup plus de pouvoirs aux républiques n’avait sans doute pas été la bonne réponse aux demandes de changement apparues dans la société. Après la mort du maréchal Tito en 1980, le pouvoir de veto dont disposaient désormais les républiques dans de nombreux domaines commença à paralyser la fédération.

Slobodan Milošević fut le premier à capitaliser sur les réactions nationalistes et populistes de la population serbe que la montée identitaire albanaise au Kosovo inquiétait (le Kosovo, considéré comme berceau historique de la nation serbe mais très majoritairement peuplé d’Albanais, n’était pas une composante de la Fédération mais seulement une république autonome de la Serbie).

En 1986, l’Académie des Sciences de Serbie publie un mémorandum alarmiste qui dénonce une menace de « génocide » anti-serbe au Kosovo. La crise qui se développe entre 1987 et 1989 est aiguë. Des troubles se produisent au Kosovo, qui aboutissent à la suppression du statut d’autonomie de la province mais aussi de la Voïvodine, autre république « autonome » de Serbie. Parallèlement des tensions se produisent entre la Serbie et les autres républiques qui s’inquiètent de ce qu’ils estiment être une volonté des Serbes de centraliser la fédération à leur profit. Il s’ensuit une paralysie des institutions.

Les élections de décembre 1990 donnent des majorités communiste en Serbie, mais non communistes en Croatie et en Slovénie. Aux provocations nationalistes de Milosević répondent celles de Tudjman ; le langage de ce dernier rappelle trop celui des oustachis fascistes. Par ricochet, les minorités dans les républiques s’inquiètent de la résurgence des nationalismes des majorités. En Croatie, la forte minorité serbe (près de 500 000 personnes) s’estime menacée. En Bosnie-Herzégovine, république pourtant la plus attachée à la Yougoslavie multiculturelle, un repli identitaire inédit s’exprime lors des élections de novembre 1990 où les trois partis à fondement communautaire obtiennent globalement 71% des voix, alors que, selon un sondage, 74% de Bosniens rejetaient ces partis quelques semaines auparavant.

3/ Le conflit croato-serbe

Fin 1990-début 1991, la Slovénie et la Croatie s’éloignent inéluctablement de la Fédération. Leurs indépendances seront proclamées le 25 juin 1991, puis retardées après acceptation d’un moratoire à la demande des Européens. La situation devient vite incontrôlable : la Krajina (région de peuplement majoritairement serbe en Croatie le long de la frontière bosnienne) est en état d’insurrection ; le gouvernement de Bosnie-Herzégovine est paralysé par les antagonismes communautaires.

Les unités de l’armée fédérale (JNA) stationnées en Croatie et en Slovénie restent fidèles à Belgrade, elles traversent la Slovénie pour « protéger » la frontière extérieure de la Yougoslavie. Les heurts avec les unités de défense territoriale slovène sont limités ; la JNA n’insiste pas : un cessez-le-feu est signé trois jours après et la JNA se retire de Slovénie après les accords de Brioni, favorisés par la médiation de la troïka de l’UE (7 juillet 1991).

C’est plus compliqué avec la Croatie. Dès le mois de juillet 1991, les combats sont violents entre, d’une part, les forces croates qui s’organisent (dans l’ex Yougoslavie, la défense territoriale était un élément fondamental de la défense du pays : chaque république avait son stock d’armes), et, d’autre part, la JNA (dont les cadres étaient souvent serbes), renforcée de miliciens serbes. L’artillerie et l’aviation sont utilisées. En juillet-août, diverses tentatives européennes de cessez-le-feu sont sans effet. Le 26 août ; le gouvernement croate de Franjo Tudjman annonce une « guerre de libération » contre les Serbes et l’armée fédérale. Les hostilités ont déjà fait 400 morts depuis juin. [Parallèlement, la Macédoine devient indépendante sans problème le 17 septembre 1991 après référendum. Ce pays est, comme la Slovénie, désormais à l’écart du conflit]. En septembre, les ministres croates quittent officiellement le gouvernement fédéral (déjà moribond) et le dernier président fédéral, le Croate Stipe Mesic, démissionne en octobre. Il n’y a plus de Fédération.

D’août à novembre 1991, Vukovar, ville croate à l’Est du pays, est assiégée et bombardée. Elle tombera à la mi-novembre. Plusieurs milliers de victimes croates sont à déplorer, dont 200 assassinées dans un hôpital par des miliciens serbes ; la ville est presque anéantie : on a atteint un point de non retour. Pendant ce temps, l’avance serbo-fédérale se poursuit : leurs forces occupent désormais 30% du territoire croate, la route magistrale de l’Adriatique est sous leur feu et plusieurs villes du littoral dalmate sont bombardées dont l’emblématique Dubrovnik (300 morts pour cette seule ville).

L’Union européenne accepte le principe de l’indépendance des républiques. L’Allemagne passe la première à l’acte le 23 décembre 1991; le 28, Zagreb est bombardée par l’armée fédérale. L’envoyé spécial du Secrétaire Général de l’ONU, Cyrus Vance, obtient enfin un cessez-le-feu le 1er janvier 1992. Des casques bleus vont être déployés. Le 15 janvier, l’UE reconnaît l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. En réponse, les Serbes de la Krajina proclament l’indépendance de la région, puis acceptent le déploiement des casques bleus. Le front va se stabiliser jusqu’en 1995.

4/ Le conflit en Bosnie-Herzégovine

La tension monte en Bosnie à l’automne 1991. En octobre, le parlement de Sarajevo déclare la souveraineté ; le SDS (principal parti serbe) boycotte ce vote. A Banja Luka, les milices serbes sont armées par la JNA. ; les Serbes de Bosnie menacent de créer leur propre république si la Bosnie devient indépendante. La commission d’arbitrage de l’UE présidée par le Français Robert Badinter estime dans un premier temps que les conditions de l’indépendance ne sont pas réunies puis suggère l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Celui-ci a lieu fin février 1992. 60% de participation (boycott serbe) ; 63% de oui (les Croates votent en majorité non). L’indépendance est proclamée le 3 mars 1992, immédiatement reconnue par les Etats-Unis et l’Union Européenne.

La réponse des Serbes de Bosnie est immédiate. Ils forment une « republika srpska ». Leur armée attaque Bosniaques et Croates dans le Nord de la Bosnie afin de se créer un couloir entre la région de Banja Luka et l’Est de la Bosnie, tous deux à majorité serbe. Des rafles massives de Bosniaques ont lieu à Banja Luka (où ils formaient une minorité importante), à Bjeljina et dans d’autres localités ; beaucoup sont internés dans des camps, des femmes sont violées ; des massacres ont lieu (200 personnes tuées et jetées du haut d’une falaise). Sarajevo, où le peuplement est mixte (mais minoritairement serbe) est encerclée. Le siège, qui débute le 6 avril, va durer trois ans, les batteries serbes situées sur les hauteurs voisines bombardant par intermittence la ville et l’aéroport tandis que des « snipers » tirent, lors des premiers mois du siège, sur les civils depuis de hauts immeubles afin de terroriser la population dont les 2/3 quittent la ville. Les casques bleus de l’ONU vont s’interposer, empêchant le contact direct mais pas les bombardements ; ils permettent toutefois de ravitailler la ville ainsi que des entrées et sorties de populations (à la suite d’accords ponctuels).

D’autres régions de Bosnie s’embrasent, en particulier dans le centre du pays. Les armées sont désormais bien organisées de part et d’autre. Une solidarité internationale active se déploie en faveur des Bosniaques, tant dans les pays occidentaux (fort « lobby » en France avec des intellectuels de renom) que dans les pays musulmans qui envoient des « moudjahidines » islamistes. Chaque camp puise dans les réserves d’armes de l’ex Yougoslavie. A la mi août 1992, il y a déjà 30 000 morts en Bosnie et les Serbes contrôlent 70% du territoire bosnien, tandis que les Croates sont maîtres de l’Herzégovine.

Début 1993, des pourparlers de paix à Genève ne débouchent pas. Au printemps 1993, les combats entre Croates et Bosniaques sont violents en Bosnie centrale (peuplement mixte) et pour le contrôle de Mostar (en novembre, les Croates détruiront le vieux pont). L’armée croate de Croatie intervient de façon à peine déguisée. Un accord implicite pour le partage de la Bosnie entre Serbie et Croatie paraît un moment se dessiner, mais sans frontière très nette. Il y a plusieurs enclaves encerclées par les uns ou par les autres. Dans celle de Bihac’, de peuplement bosniaque, à l’extrémité occidentale de la Bosnie, une dissidence bosniaque se bât aussi contre les Bosniaques loyalistes.

En 1994, la situation va évoluer dans un sens défavorable aux Serbes. Les Américains obtiennent en mars non seulement un cessez-le-feu entre Croates et Bosniaques, mais aussi la mise sur pied d’une Fédération croato-bosniaque. On peut penser que cela a été obtenu en échange d’un feu vert donné aux Croates pour qu’ils récupèrent la Krajina. L’armée bosniaque reprend le contrôle de Bihač tandis qu’une offensive serbe sur Tuzla échoue en mai.

Débarrassés du front Sud, mieux armés, mieux organisés et, désormais, disposant d’un appui direct (milices islamiques) ou indirect de l’étranger, les Bosniaques non seulement tiennent bon à Sarajevo, mais ils progressent significativement en avril 1995 en Bosnie centrale (région de Zenica-Travnik-Jajce). Dans le même temps, l’armée croate progresse en Slavonie occidentale et pénètre en Bosnie, en cherchant à encercler la Krajina. En mai, les milices serbes prennent en otage à Sarajevo plusieurs centaines de casques bleus, ce qui contribue à l’évolution de l’attitude internationale vers moins de passivité.

Pris entre deux feux, les Serbes cherchent de leur côté à prendre les enclaves bosniaques qui fixent leurs troupes à l’Est. En dépit de la protection de l’ONU qui a déclaré ces enclaves zones de « sécurité », ils réussissent à s’emparer le 11 juillet 1995 de Srebrenica où des civils serbes avaient été antérieurement massacrés par des miliciens bosniaques. Cela peut partiellement expliquer, mais en aucun cas justifier, ce qui a suivi : les exécutions sommaires de sang froid de près de 8000 hommes, combattants ou seulement civils, et l’expulsion vers la fédération des femmes, des enfants et des vieillards.

Dès lors, tout va très vite. L’OTAN menace d’attaquer les Serbes si les enclaves restantes sont touchées. Le 4 août 1995, l’armée croate attaque massivement la Krajina, conquise en quelques jours ; les 200 000 Serbes qui l’habitaient sont expulsés. L’armée croate poursuit son chemin en Bosnie et expulse également des dizaines de milliers de Serbes de la partie de l’Herzégovine qui était antérieurement majoritairement peuplée de Serbes. Ce « nettoyage ethnique » permet à la Fédération de relier l’enclave de Bihac au reste de son territoire.

Après le bombardement du marché central de Sarajevo qui fait plusieurs dizaines de morts (mais des doutes subsisteront sur l’origine des tirs) le 28 août 1995, l’OTAN bombarde (30 août) les positions serbes de Bosnie, sans toutefois procéder à des attaques massives. Les troupes croates et bosniaques gagnent du terrain. Les Serbes, qui détenaient 70% du territoire bosnien, n’en ont plus que la moitié en octobre.

Dès lors représentants de la Republika Srpska et de la Fédération acceptent de passer à la table de négociation. Le 21 novembre 1995 les accords de Dayton (Etats-Unis) sont paraphés ; ils seront signés le 14 décembre à Paris. Ils établissent les bases de l’organisation actuelle de la Bosnie-Herzégovine : un Etat, deux Entités, trois peuples contraints de cohabiter, bon gré mal gré sous la tutelle d’un Haut Représentant de la communauté internationale et sous le contrôle direct d’une nombreuse force internationale. Le conflit bosnien a fait près de 200 000 morts ; la moitié de la population a été déplacée ; beaucoup sont restés à l’étranger (le pays a perdu 10% de ses habitants).

5/ Le conflit du Kosovo

La fin de 1995 voit la récupération par la Croatie de la totalité de son territoire et la fin du conflit bosnien. Reste deux questions à régler : le jugement des criminels de guerre et le Kosovo. Sur le premier point, un Tribunal Pénal International pour l’ex Yougoslavie (TPIY) est mis sur pied, sur décision de l’ONU, à La Haye. Son travail n’est pas encore terminé. Il a déjà jugé quelques centaines de personnes, en majorité serbes, mais aussi Croates ou Bosniaques. L’inculpé le plus célèbre est Slobodan Milošević, livré par les nouvelles autorités serbes après le changement de régime à Belgrade intervenu au printemps 2000. En revanche Karadžić et Mladić, les deux principaux dirigeants bosno-serbes, au premier rang des inculpés pour crimes de guerre, n’ont, à ce jour, pas encore été pris.

S’agissant du Kosovo, les affrontements entre serbes et Albanais s’intensifient en 1998. L’armée serbe occupe le terrain à partir de février et utilise des armes lourdes contre le début de guérilla de l’UCK. Le CSNU vote un embargo sur les armes. Au printemps 1999, la Serbie est l’objet de bombardements massifs de l’OTAN. La légalité internationale de ces frappes est discutable (pas de résolution explicite du CS). Une force internationale de maintien de la paix (KFOR) est envoyée au Kosovo. Ce territoire passe sous contrôle international et est détaché de fait de la Serbie.

Fin 1999 et début 2000, la situation est confuse à Belgrade : manifestations anti-Milošević, élection contestée. Le 27 mai 2000, le palais présidentiel est assiégé et Milošević arrêté (il sera livré au TPI de La Haye le 26 juin. La cour constitutionnelle annule l’élection présidentielle. Koštunica est investi par le parlement.

6/ Evolution ultérieure

L’ex Yougoslavie n’est pas encore normalisée, sauf en Slovénie et en Croatie. De 2000 à 2003 la situation restera confuse en Serbie avec notamment l’assassinat du premier ministre. La fédération Serbie-Monténégro est inconsistante. Un référendum d’autodétermination est prévu au Monténégro ; il pourrait déboucher sur l’indépendance [Elle a été effective en 2006). En Macédoine, les affrontements entre Macédoniens et Albanais (1/3 de la population) ont été importants. Une force internationale de maintien de la paix est dans le pays, ce qui reste le cas, aussi, en Bosnie.

= commentaires=

1/ La responsabilité de Milošević dans l’éclatement de la Yougoslavie est lourde. Mais Tudjman et Izbegerović ont aussi leur part.

2/ Le massacre délibéré de Srebrenica, crime de guerre le plus massif depuis la seconde guerre mondiale, a joué un rôle capital dans la « diabolisation » des Serbes. Cela n’exonère en rien les nombreux crimes croates et bosniaques, aussi coupables de nettoyage ethnique que les Serbes.

3/ Cette diabolisation et les bombardements contestables de Belgrade par l’OTAN ne sont pas la meilleure manière de panser les plaies et de favoriser la réconciliation. Cela est d’autant plus regrettable qu’en Bosnie la cohabitation intercommunautaire était une réalité avant 1991 et qu’aujourd’hui la « Yougo-nostalgie » est générale. Ce conflit absurde entre populations de même langue et de mêmes valeurs autrefois partagées a surtout été l’œuvre de minorités activistes et le fruit d’enchaînements incontrôlables que le contexte international a aggravé.

27 juillet 2005 Yves Barelli

3 - SREBRENICA

La petite ville de SREBRENICA est située dans une région montagneuse à 140 km à l’Est de Sarajevo à proximité de la Drina, rivière qui fait frontière avec la Serbie. Elle a eu une certaine importance au Moyen Age grâce à ses mines d’argent (« srebro »= argent) et sa petite station thermale. La localité avait 6000 habitants au recensement de 1991, le dernier.

Jusqu’au conflit, la majorité de la population était musulmane, comme dans toute la vallée autour. Aujourd’hui, la population est bien inférieure. Il reste des Bosniaques musulmans, mais beaucoup sont partis et ils n’ont pas vraiment été remplacés par des Serbes bien que cette zone fasse désormais partie de la Republika srpska.

L’enclave de Srebrenica et le massacre du 11 juillet 1995

Pendant le conflit de 1992-95, tout l’Est de la Bosnie a été ardemment disputé entre Serbes et Bosniaques. Pour les Serbes, c’était un point de passage obligé entre les parties NE et SE de leur territoire, ainsi qu’entre la Serbie et Sarajevo. Pour les Bosniaques, la fixation d’un front à l’Est, au-delà des lignes serbes, soulageait l’étau de l’encerclement de la capitale par les Serbes, en même temps qu’il empêchait la continuité territoriale de leur zone. Sur place, les Bosniaques pouvaient s’appuyer sur le peuplement musulman de l’Est de la Bosnie. Deux « enclaves » ont principalement résisté. Elles ont connu une grande notoriété internationale pendant le conflit car elles faisaient tous les jours la une des télévisions : Goražde et Srebrenica.

La ville de Srebrenica a été le théâtre de combats dès le déclenchement du conflit, en avril 1992. Encerclée par les milices serbes, Srebrenica devient un immense camp retranché tenu par l’armée bosniaque sous le commandement d’un ancien garde du corps de Slobodan Milošević, le colonel Naser Orić’, qui est en cours de jugement au TPIY (tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie créé par l’ONU et qui siège à La Haye) pour des crimes de guerre perpétrés par l’armée bosniaque à l’encontre de civils bosno-serbes de l’enclave de Srebrenica (on parle de 3000 tués).

Comme le conflit s’éternise et que la sécurité des civils n’est plus assurée dans les zones conquises, Srebrenica devient un lieu de regroupement de réfugiés bosniaques venus de toute la région. Dès l’hiver 1992-93, 30 000 personnes s’y entassent dans de très mauvaises conditions et ce nombre atteindra 70 000 à la fin du conflit.

C’est pour résoudre ce problème humanitaire que la résolution 819 du Conseil de Sécurité de l’ONU crée des « zones de sécurité » sous la « protection » des casques bleus. Srebrenica est la première créée. 750 casques bleus, néerlandais et canadiens, y sont déployés. Le général français Morillon, qui commande la force des Nations Unies (« FORPRONU »), se rend à Srebrenica au printemps 1993. Pris à partie par la foule, il promet que la sécurité de l’enclave sera assurée.

Pourtant, les troupes de l’ONU se montreront incapables de tenir cet engagement. A partir du 26 juin 1995, les milices du général Mladic’ (aujourd’hui en fuite et recherché) investissent la zone de sécurité. Les postes de contrôle du bataillon néerlandais tombent sans résistance ni riposte aérienne de l’OTAN, pourtant prévue en cas d’attaque contre la FORPRONU, désormais commandée par le général français Janvier. Les Bosno-serbes entrent dans Srebrenica le 11 juillet 1995 sans tirer un coup de feu. Les populations civiles fuient vers le site de Potočari, à 5 km de Srebrenica, où est installé le QG du bataillon de la FORPRONU.

20 000 hommes valides, certains armés, tentent en vain une percée des lignes serbes dans la direction de Tuzla. L’ensemble de la zone « de sécurité » est désormais une prison. Ce qui s’est ensuite passé contient encore des zones d’ombre car les témoins ont été liquidés sans que, sur le moment, les troupes de l’ONU aient eu conscience de ce qui se passait. Les Serbes ont mis des milliers de Bosniaques dans des autobus ; les Hollandais ont été abusés (c’est du moins ce qu’ils disent pour tenter de se justifier), car ils ont cru (ou fait semblant de croire) que les hommes seraient traités en prisonniers de guerre et les femmes et enfants hébergés dans des camps de réfugiés. Pour ces derniers, ce fut à peu près le cas, puisqu’ils ont été expulsés vers la « Fédération », le territoire tenu par les Bosniaques. En revanche les hommes ont, pour la plupart, été froidement exécutés : officiellement 7414 hommes et adolescents ont été tués le 11 juillet 1995 et les jours suivants et enterrés dans des charniers.

Le mémorial de Potočari

C’est le 10ème anniversaire de cet acte de barbarie le plus massif commis en Europe depuis la seconde guerre mondiale qui a été célébré le 11 juillet 2005, en présence des plus hautes autorités de la Bosnie-Herzégovine, mais aussi, c’est une première, du président de la Republika Srpska, sur le territoire de laquelle se trouve Srebrenica, du président de la République de Serbie (Belgrade) et d’une quinzaine de ministres des affaires étrangères, dont Philippe Douste-Blazy.

Le mémorial et le cimetière qui ont été édifiés sur le site de Potočari commémorent ce douloureux évènement et renferme les corps de ceux qui ont été retrouvés, actuellement un peu plus de 2 000, y compris les 550 qui y ont été inhumés lors de la cérémonie du 11 juillet.

L’ensemble est situé au bord de la route, à mi chemin entre Srebrenica à Bratunac, à 10 km sur la Drina. Cette ville est aujourd’hui plus importante que Srebrenica (son nom vient de « bratr », qui signifie « frère » ou « fraternité ». Sa contrepartie serbe, de l’autre côté de la rivière, s’appelle Ljubovija, de « ljubov » =amour. Ces noms sont anciens. Ce serait cocasse si la gravité du lieu n’incitait à se dispenser de faire de l’humour noir).

Le complexe est assez petit : quelques centaines de mètres de long sur quelques dizaines de large. A l’entrée, l’inscription « mémorial et cimetière national », en croate et en anglais. Sur la droite, la partie cimetière. En face, une simple plaque de marbre blanc (couleur du deuil chez les musulmans) avec l’inscription « Srebrenica, Juillet 1995 ». Sur la gauche, très visible, une autre grande plaque (2 mètres sur 1) où est inscrit en gros caractères arabes un assez long verset du coran. La traduction, en croate, est derrière, donc moins visible. Devant cette pierre, un vaste espace ouvert et surmonté d’un toit avec, en son centre, une chaire (probablement tournée vers La Mecque) et un escalier qui y accède : il s’agit du « minbar » que l’on trouve dans toutes les mosquées. Un peu en retrait, des fontaines pour permettre aux croyants de faire leurs ablutions./.

(Yves Barelli, 4 août 2005)

Yves Barelli, 12 juillet 2015

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