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9 juin 2015 2 09 /06 /juin /2015 20:13

Sur fond de violence et de contestations, les élections de mi-mandat n’ont pas apporté de modification fondamentale au paysage politique mexicain. Compte tenu du système fédéral présidentiel, le rendez-vous politique majeur, la présidentielle, n’interviendra qu’en 2018. Elles me donnent néanmoins l’occasion de faire le point sur la situation du Mexique

1/ Le Mexique, avec 2 millions de kilomètres carrés, 125 millions d’habitants (pays le plus peuplé de langue espagnole), un PIB de 1200 milliards de dollars (13ème mondial), une histoire plurimillénaire (berceau des civilisations Aztèque et Maya) et une position stratégique majeure entre Etats-Unis et Amérique centrale, est un acteur essentiel de la géopolitique mondiale.

Le pays est traditionnellement tiraillé entre son attachement à son indépendance nationale, marquée souvent par un nationalisme exacerbé, et le pragmatisme qui le conduit à étroitement coopérer avec les Etats-Unis en dépit d’un « gap » civilisationnel et du contentieux historique avec le grand voisin du nord.

Depuis la Révolution de 1910, le Mexique a construit un système politique original marqué par un nationalisme complété de préoccupations sociales. Jusqu’au début des années 2000, la vie politique était dominée par un seul parti, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), au sein duquel s’affrontaient des courants et, surtout, des personnalités souvent antagonistes qui se succédaient au pouvoir d’autant plus facilement que le mandat présidentiel, de six ans, n’est pas renouvelable. Scandales et corruption éloignèrent un temps le PRI du pouvoir lorsque Felipe Calderon, du Parti d’Action Nationale (PAN) battit de justesse le populaire maire de gauche de Mexico Andrés Manuel Lopez Obrador, mais le PRI est revenu au pouvoir avec l’élection en 2012 de l’actuel président Enrique Peña Neto. Si le PRI est redevenu le parti dominant, sa suprématie est toutefois moins évidente qu’autrefois. Il doit composer avec d’autres forces pour former des majorités parlementaires et dans les Etats fédérés, ce sont souvent d’autres partis qui sont à la tête des exécutifs.

Le système mexicain est présidentiel et fédéral. Il ressemble en cela à celui des Etats-Unis. Le président a l’intégralité du pouvoir exécutif mais le Congrès vote les lois. Ce dernier est composé de deux chambres, celle des députés, élus pour trois ans, et le Sénat où siègent 4 sénateurs par Etat (il y en a 31 ; de tailles et populations très différentes, plus le district fédéral).

Il s’agissait le 7 juin de renouveler la seule assemblée des députés, ainsi que 9 gouverneurs d’Etats et 870 maires.

Les députés sont élus à un scrutin à un seul tour avec 300 d’entre eux par scrutin uninominal par circonscription, tandis que les 200 autres le sont à la proportionnelle.

Le PRI, avec 29,1% des voix a 196 sièges, suivi du PAN (20,9% et 106), du PRD (« révolutionnaire démocrate », gauche, 15% et 52), du parti « Morena » (du maire de Mexico, gauche plus radicale, 10,8% et 33), du « Movimiento Ciudadano » (gauche, 6% et 24) et de deux autres partis plus petits (il faut au moins 3% des voix pour être représenté à l’assemblée).

Le président Peña Neto pourra continuer à gouverner en s’appuyant sur des majorités variables composées du PRI et d’autres députés.

2/ Vu comme cela, la démocratie mexicaine semble fonctionner normalement. Le jeu est en apparence ouvert et les élections sont, en apparence, honnêtes.

Mais la réalité est très différente.

Le Mexique a toujours été terre de violence. Il l’est plus que jamais. Selon les informations disponibles (ce qui se passe en province n’est pas toujours connu), au moins 4 candidats ont été assassinés, plusieurs dizaines de morts sont à déplorer dans des violences, des sièges de partis ont été incendiés et, en de nombreuses localités, les élections ont été boycottées avec des bulletins brulés en place publique.

Si le vote pour les députés, soutenus par des appareils nationaux, a pu être organisé tant bien que mal, pour les municipalités, en revanche, les manœuvres de toutes sortes et les irrégularités sont monnaie courante sur fond d’ingérence des cartels de narcotrafiquants qui interfèrent par la corruption ou l’intimidation.

3/ La société mexicaine est en effet en pleine crise. La violence atteint des sommets. Les narcotrafiquants ont mis certaines régions en coupe réglée. En particulier dans les régions frontalières des Etats-Unis, principal marché pour leurs produits. Les assassinats sont ciblés sur les hommes politiques qui s’opposent à eux, les journalistes qui osent les dénoncer et, d’une façon générale, sur tous ceux qui ne s’alignent pas. La terreur prend la forme, souvent, d’assassinats de masse dans des conditions atroces (avec les corps exposés sur les routes). Dernièrement, plus de quarante étudiants d’une petite ville ont été enlevés par les terroristes et assassinés (les corps ont été retrouvés dans un charnier). Cet horrible assassinat s’est transformé en affaire politique, compte tenu de la complicité avec les narcos de politiciens locaux véreux et de policiers corrompus. Si cette affaire a fait grand bruit parce que médiatisée, elle est loin d’être la seule.

Le président Peña a été élu sur un programme de lutte contre les narcotrafiquants. Il a engagé les moyens militaires contre eux, avec des succès très mitigés. La violence a même redoublé. Aux crimes affreux des narcos ont trop souvent répondu une répression aveugle frappant souvent la population, accusée à tort ou à raison de soutenir les narcos. Depuis le début du mandat, il y a trois ans, ce sont plus de 100 000 morts violentes qu’a eu à déplorer le Mexique, désormais, avec le Brésil, la Colombie et le Venezuela, l’un des pays les plus violents et donc les plus dangereux du monde. Dans un tel climat, parler de vie démocratique « normale » relève évidemment de la fiction.

La violence des narcos n’est pas la seule. La petite et la grande délinquance prospèrent sur fond de police débordée ou corrompue, de juges achetés et de pouvoir central souvent impuissant face aux féodalités locales elles-mêmes embourbées dans les détournements d’argent, la corruption, les luttes personnelles à mort et les interférence des malfrats de toutes envergures.

Cette violence se développe aussi sur le terreau de la pauvreté et des inégalités sociales croissantes. Depuis vingt ans, la croissance économique est notable, bien que fondée sur l’artifice des revenus pétroliers et, surtout, d’une industrie de plus en plus forte mais trop liée à la sous-traitance des donneurs d’ordre nord-américains. L’industrie automobile, électronique et textile, entièrement aux mains du capital étranger, assure des emplois, notamment dans les zones franches frontalières, mais elle repose sur une main d’œuvre bon marché (condition des délocalisations transfrontalières) et a peu d’effets d’entrainement sur le reste du pays.

Il y a une fracture entre le nord industrialisé (région de Monterrey en particulier) et le sud qui reste en retard. Plusieurs Etats méridionaux sont en situation d’insurrection latente (en particulier l’Etat de Chiapas, près du Guatemala).

Les indicateurs démographiques montrent la persistance d’une pauvreté élevée (50% des Mexicains en dessous du seuil de pauvreté « relative » - mieux que pauvreté « absolue » -). La mortalité infantile demeure élevée. Dans de nombreuses régions, le chômage est endémique. L’émigration, légale ou clandestine (plus de 10 millions aux Etats-Unis), reste souvent la seule solution.

Il faut toutefois nuancer ce tableau assez sombre. Le Mexique est devenu un pays « émergeant » au revenu intermédiaire. Il y a une classe moyenne importante, éduquée, formée de cadres moyens ou supérieurs et d’employés, qui consomme et qui est tournée vers les valeurs modernes. Cette classe moyenne est particulièrement forte à Mexico, capitale du pays et gigantesque métropole de plus de 20 millions d’habitants.

3/ La fragilité de l’économie, sa forte dépendance vis-à-vis des Etats-Unis et l’importance de l’émigration outre Rio Grande expliquent que depuis la fin des années 1990, le Mexique ait choisi l’intégration économique avec les Etats-Unis dans le cadre de l’ALENA, l’accord nord-américain de libre-échange, qui inclue aussi le Canada. Cette intégration pousse à un certain alignement politique sur Washington, bien que la Mexique n’ait aucune alliance militaire avec les Etats-Unis.

Cela n’a pas toujours été le cas. Le Mexique du PRI a longtemps été un acteur majeur du mouvement des non-alignés et il entretenait des relations importantes avec l’URSS et Cuba. Dans les votes aux Nations-Unis, il s’opposait souvent aux Etats-Unis.

Depuis l’effondrement de l’URSS, le Mexique a opéré un virage à 180° et est désormais quasi-aligné. Cette option ne fait toutefois pas l’unanimité dans le pays. En 2006, le maire de Mexico, proche d’Hugo Chavez, a failli l’emporter à la présidentielle.

Le paradoxe actuel est que le Mexique et la Colombie sont les Latino-américains les plus proches des Etats-Unis, pas seulement sur le plan géographique, alors que partout ailleurs, des gouvernements de gauche ont pris leurs distances avec Washington, notamment au Brésil, en Argentine et au Venezuela.

Dans la population et les élites mexicaines les sentiments de rancœur vis-à-vis des Etats-Unis restent forts. Ils s’expliquent par l’histoire (la moitié du territoire mexicain a été annexée par les Etats-Unis dans leur marche vers l’Ouest, notamment la Californie et le Texas) et les frustrations des « Hispaniques » des Etats-Unis.

Il y a donc une sorte de schizophrénie mexicaine : le « yankee » demeure l’ennemi héréditaire qui a humilié le Mexique et qui, souvent, continue de le faire (il suffit de voir les films américains ou les séries télé, dans lesquels les Mexicains sont souvent dépeints comme violents, fourbes et paresseux, pour le comprendre). Mais, dans le même temps, la raison et l’intérêt économique conduisent à collaborer avec lui.

Cet aspect ne doit jamais être perdu de vue lorsqu’on s’intéresse au Mexique.

Yves Barelli, 9 juin 2015

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