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13 juin 2015 6 13 /06 /juin /2015 13:51

Des dysfonctionnements récurrents de la justice française m’amènent à m’interroger sur son fonctionnement. Plusieurs questions méritent d’être posées.

1/ Le procès intenté à Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre, ancien directeur général du FMI et homme politique qui défraie la chronique pour sa vie privée (qui ne devrait concerner que lui mais que, dans cette dictature de l’information à tout prix, certains se plaisent à médiatiser au-delà de la décence) est révélateur d’une dérive.

DSK était poursuivi, avec 15 autres personnes, pour « proxénétisme » pour avoir eu des relations intimes avec des femmes dont certaines, semble-t-il, étaient des prostituées. L’accusation, en définitive, n’a pu établir que l’intéressé et ses co-accusés avaient payé les services des jeunes femmes. Quant au qualificatif de « proxénète » (personne qui oblige une femme à se prostituer et qui en tire un bénéfice), elle était tellement outrancière qu’il était même ridicule qu’il fut employé. Cette « affaire » dite du Carlton (nom de l’hôtel où était descendu DSK) se termine donc avec une relaxe quasi-générale (seul le réceptionniste de l’hôtel a été condamné à une peine avec sursis pour avoir fourni des adresses de femmes ; il fait appel et il est peu probable que l’accusation tienne).

DSK et ses amis n’ont été ainsi traduits en justice (et trainés dans la boue) que par l’obstination d’un juge d’instruction dont on ne sait exactement quelles étaient ses motivations (envie qu’on parle de lui ou, plus probablement, confusion entre sa propre conception de la moralité et la justice).

Cette affaire vient après quelques autres qui ont eu un grand retentissement. On se souvient ainsi de l’affaire d’Outreau qui, il y a dix ans, avait mis en scène un autre juge d’instruction acharné à tenter de prouver la culpabilité pour pédophilie d’une dizaine d’accusés, tous innocentés après un procès-marathon, malheureusement, lui aussi, abondamment médiatisé. Ces innocents et leurs proches ont eu la vie gâchée pendant plusieurs mois et nombre d’entre eux, marqués pour la vie, ont les plus grandes difficultés à se reconstruire.

Le comble a été que l’un des accusés de l’affaire d’Outreau a dû subir un nouveau procès le mois dernier parce que, étant mineur au moment des faits, la procédure imposait qu’il passe à nouveau devant la justice (je n’ai pas d’information particulière sur le pourquoi d’une telle procédure absurde ; à dire vrai, cela ne m’intéresse pas). Il a à nouveau été relaxé comme on s’y attendait.

Une autre affaire me vient à l’esprit, celle des deux policiers de Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, poursuivis pour « non-assistance à personne en danger » pour ne pas avoir tenté d’empêcher, à une heure avancée de la nuit, deux adolescents qui ont pris spontanément la fuite à la vue de la police, de se « réfugier » dans un transformateur électrique où ils sont morts par électrocution. Après dix ans de procédure (dix ans !), les policiers ont été, eux aussi, relaxés. Ce qui n’avait pas empêché que leurs noms aient été donnés en pâture à une certaine opinion pendant dix ans. On croit rêver ! En fait, un cauchemar. Ces fonctionnaires de police, qui exercent le métier difficile que l’on sait, étaient en service commandé dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ; l’enquête interne menée par la « police des polices » avait conclu que rien ne pouvait être reproché aux policiers. Un procès médiatisé leur a quand même été fait. Il était évident, dès le départ, qu’ils seraient innocentés. Alors, pourquoi ce procès ? Si procès il devait y avoir, je crois que ce sont plutôt les parents des adolescents qui auraient dû être poursuivis pour non surveillance de leurs gamins.

On pourrait encore citer de nombreux autres cas de personnes ayant dû subir une procédure judiciaire (pour quelqu’un qui n’y est pas habitué, cela est traumatisant : il assiste à une sorte de ping-pong entre juge et avocats avec un langage de spécialistes auquel le commun des mortels ne comprend pas grand-chose), avec son nom cité dans la presse et se terminant par un non-lieu (le procès était sans objet) ou une relaxe (il n’est pas coupable).

2/ La France est l’un des rares pays à connaitre l’institution du juge d’instruction. Celui-ci est un magistrat qui agit en toute indépendance à charge et à décharge (c’est lui qui estime si le prévenu est à priori suspecté d’être coupable – dans ce cas, c’est à son avocat de prouver le contraire – ou non –là, c’est à la « partie civile », qui représente la société, d’apporter la preuve de la culpabilité).

L’action du juge d’instruction est en principe encadrée. Il appartient au procureur de la république de saisir le juge. Mais, il semble (si un avocat me lit, j’écris sous son contrôle) que cette saisine soit plus ou moins automatique. Le rôle principal revient alors au juge d’instruction qui peut conclure très vite l’affaire en estimant qu’il n’y a pas lieu à procès ou, au contraire, enclencher le processus pénal.

Je n’ai pas d’avis définitif sur l’opportunité de supprimer le juge d’instruction. Une commission de spécialistes l’avait proposé dès les années 1990 sous un gouvernement de gauche ; le président Sarkozy avait repris l’idée après 2007.

Mais pour le remplacer par quoi ? Si c’est pour instaurer un système à l’américaine avec débat contradictoire à charge (juge) et à décharge (avocat), je ne suis pas d’accord. Les Etats-Unis ont l’une des pires justices qui soient au monde, totalement dévoyée par l’argent. Celui qui a les moyens de payer un bon avocat s’en sort le plus souvent (ou au moins est condamné au minimum). Celui qui n’a pas les moyens de se défendre ne peut contredire efficacement l’accusation à priori et prend le maximum. Les prisons américaines sont pleines d’innocents et les condamnés exécutés sur la chaise électrique dont on s’aperçoit des années après qu’ils étaient innocents, ne sont pas rares.

Assez de ce syndrome et de ce tropisme américains que certains préconisent, pas seulement pour la justice, par pur à priori idéologique. On pourrait s’inspirer des Etats-Unis pour certaines choses (par exemple la pénalisation du mensonge), mais, non merci, pas pour la justice. Le fric n’est hélas pas absent des prétoires français, mais ce n’est rien en rapport du système américain, complètement pourri de ce côté-là.

Le système anglais me semble meilleur : une Cour (« magistrate’s Court ») examine en premier lieu les affaires et sert de filtre. Ou elle juge pour des affaires mineures (infractions au code la route par exemple) ou elle décide qu’il n’y a pas matière à poursuite ou elle renvoie à une cour supérieure. On peut penser que, dans l’ « affaire » du Carlton, la procédure ne serait pas allée au-delà de la première cour et donc, qu’il n’y aurait pas eu d’ « affaire ». N’ayant aucune information de première main sur le fonctionnement de la justice anglaise, je ne me prononcerais pas sur elle, mais il semble que ce système de filtre soit une bonne idée. (On peut m’objecter que le filtre est opéré en France par le juge d’instruction, ce qui revient au même. Sauf que le juge d’instruction est unique alors que la cour anglaise est collégiale, ce qui est une meilleure garantie).

Le système allemand est également collégial avec des juges professionnels assistés d’ « échevins » (juges non professionnels).

3/ Finalement qu’il y ait un juge d’instruction, un juge unique ou plusieurs, cela est relativement secondaire bien qu’une instance collégiale semble à priori donner plus de garanties.

Deux autres questions, en revanche, me paraissent importantes : le secret de l’instruction et l’indépendance de la justice.

Le secret de l’instruction devrait, à mon sens, être absolu. Dans la Tchécoslovaquie communiste que j’ai bien connue, il y avait un principe (je ne parle pas des procès politiques, d’ailleurs peu nombreux, c’est autre chose que, évidemment je ne citerais pas en modèle) qui était celui que le nom d’une personne poursuivie ne pouvait être cité en dehors du tribunal, donc notamment dans la presse, tant qu’il n’était pas condamné. Cela me parait sain.

Je déplore à cet égard, l’expression publique désormais systématique des procureurs de la république qui donnent des conférences de presse dès le début d’une affaire importante. De telles déclarations, qui sont souvent modifiées et parfois totalement infirmées au fur et à mesure que progresse l’enquête, me paraissent incompatibles avec une justice sereine. L’instruction devrait être conduite en toute impartialité en prenant le temps de vérifier des hypothèses et non sous la pression des médias qui attendent des résultats avant même que l’enquête ait commencé. Ces propos devant la presse sont actuellement encouragés (j’imagine que les procureurs reçoivent des instructions en ce sens) pour donner l’illusion d’une justice à l’écoute et d’enquêteurs qui travaillent dur. Malheureusement, on leur demande une obligation de résultat ce qui les amène à des déclarations précipitées. En matière civile (par exemple catastrophe aérienne), la précipitation n’est pas la meilleure manière de progresser. En matière pénale, le résultat peut être catastrophique. Les déclarations à la presse scandaleuses sur le déroulement du procès du Carlton sont indignes d’une justice digne.

La meilleure manière d’éviter ce genre de dérive serait de supprimer les déclarations à la presse et de juger systématiquement à huis-clos, le compte-rendu du procès devant alors être faits après coup, s’il y a condamnation.

S’agissant maintenant de l’indépendance de la justice, elle peut paraitre le système le plus équitable : le juge instruit ou juge en toute indépendance. Il n’a de comptes à rendre qu’à son intime conviction et est indépendant du pouvoir politique.

La réalité me parait très différente. N’avoir de comptes à rendre à personne est dangereux. Dans de nombreux pays, la justice est souvent corrompue parce que les juges sont indépendants et donc non soumis à un pouvoir hiérarchique. Parmi les pays que je connais bien, je peux en citer plusieurs en Amérique latine (une majorité), mais aussi dans la soit disant « plus grande démocratie du monde », l’Inde. Dans les pires cas (fréquents), le juge « touche » et adapte ainsi son jugement. Dans d’autres, il est influencé par les relations personnelles ou sociales. Le système américain, avec des avocats qui font leur métier en fonction de l’argent encaissé des clients, est, finalement, une autre forme de corruption. La France n’y échappe pas complètement. Un juge ira plus difficilement à l’encontre d’un « ténor » du barreau. Et personne ne pourra lui en faire grief puisqu’il est indépendant.

Désolé d’aller à l’encontre de la pensée dominante, mais je suis contre l’indépendance de la justice.

Le pouvoir politique est certes imparfait, comme toute construction humaine. Mais, en pays démocratique, là où il y a des élections libres et honnêtes, ce pouvoir représente le peuple. Et les juges, qui représentent-ils ? Personne, sinon eux-mêmes ou un petit monde fermé fonctionnant surtout par cooptation. Que dirait-on d’un préfet désigné par ses pairs membres du corps préfectoral, plutôt que nommé par le gouvernement ? Et d’un ambassadeur coopté par ses homologues (c’est un peu ce qui se passe, mais le choix doit être approuvé par le ministre et celui-ci peut mettre fin aux fonctions de l’ambassadeur à tout moment) ? Où serait la cohérence de la politique et de la diplomatie ?

Si tout se passe par cooptation ou par décisions de « spécialistes », on se demande à quoi sert le pouvoir politique. Si ces spécialistes décident des lois, pourquoi des députés ? C’est alors le pouvoir des technocrates. Ce n’est plus la démocratie. On a déjà suffisamment de technocrates à Bruxelles, jamais élus, mais qui prennent des décisions qu’on nous impose. Je préfère le pouvoir des politiques et, si je ne suis pas satisfait de leurs décisions, je peux voter pour un autre la prochaine fois. C’est cela la démocratie.

J’estime moins dangereux un juge nommé et révocable par le pouvoir politique qu’un juge indépendant. Le juge est chargé de juger en fonction des lois, votées par le parlement (élu) et mises en œuvre par le gouvernement, émanation du parlement ou du président de la république (élu). Il ne me paraitrait pas aberrant que le juge, chargé de sanctionner le non-respect de la loi, soit nommé par le politique. J’y verrais plus de cohérence. Quant aux affaires impliquant des hommes politiques (c’est la principale objection à la justice « aux ordres »), on peut imaginer des garde-fous tels commissions parlementaires paritaires majorité-opposition ou collège de personnalités de la société civile connues pour leur impartialité. La question des hommes politiques poursuivis est une vraie question. Mais, même avec une justice « indépendante », peu sont condamnés (par manque de preuves, mais aussi parce qu’ils appartiennent souvent au même milieu social que les juges). A contrario, un « petit juge » veut parfois se « payer » un politique par animosité personnelle ou par ambition. L’indépendance n’est donc pas une garantie de justice impartiale.

Les affaires politiques sont de toute façon très minoritaires. Pour les autres, je maintiens que la justice « indépendante » n’est pas la meilleure.

4/ Un mot enfin sur l’encombrement des tribunaux.

La justice est lente parce que, c’est souvent dit, elle a des moyens insuffisants, en hommes et en possibilités matérielles d’instruire.

Raison de plus pour éviter de l’encombrer avec des affaires qui n’en sont pas. Combien de moyens a-t-on mis pour cette ridicule affaire du Carlton ? Ce serait intéressant de savoir ce qu’elle a coûté au contribuable. Pendant ce temps, des justiciables attendent des années avant d’être jugés.

On parle souvent aussi du « laxisme » des tribunaux, notamment en matière de petite délinquance ou encore de décisions en apparence scandaleuses. Ainsi, cette femme voilée volontaire pour des accompagnements scolaires à Nice qui s’est pourvu en justice pour contester l’interdiction de la directrice d’une école de sortir ainsi accoutrée et qui a gagné.

Dans ces cas, le problème vient plus de la loi que des juges. Il appartient en effet aux députés, à l’initiative ou non du gouvernement, de voter de nouvelles lois ou de modifier ou compléter les lois existantes (par exemple sur les signes ostentatoires religieux à l’école) ou de renforcer le code pénal si nécessaire. C’est une question essentiellement politique, comme le sont les circulaires qui encouragent à dispenser de peines de prison des délinquants sous prétexte que les prisons sont pleines. Ce sont, dans ces cas, les politiques qui doivent être incriminés plus que les juges (ce qui ne signifie pas qu’ils soient exempts de tout reproche).

La loi pourrait aussi dépénaliser certains délits. Je pense par exemple à la consommation de drogue. Mais, en l’occurrence, on en rajoute encore : le parlement vient de voter une loi condamnant le client qui fréquente une prostituée. Le pire est d’avoir des lois pas ou peu appliquées. A ce moment-là, on tombe sur l’arbitraire d’un juge d’instruction. Certains ferment les yeux, d’autres l’appliquent avec zèle.

Quant aux affaires civiles qui ne devraient pas être du ressort des tribunaux, il y en a quelques-unes. Les divorces par exemple : on se marie devant le maire et on divorce devant un juge. Il semblerait normal qu’il y ait parallélisme des formes. Mais on touche là à un « business » très juteux. Combien d’avocats en vivent ?

La justice, c’est comme le sport (voyez le foot !). Quand elle est mêlée à l’argent, ce n’est plus de la justice.

Juge d’instruction ou pas, je crois que c’est dans cette direction, celle du lien entre justice et argent, qu’il faudrait mener la réflexion, mais aussi se poser des questions simples : la justice pourquoi ? Quelle finalité ? Pour faire respecter les lois. Alors, d’abord, des lois claires et opérationnelles. Ensuite des juges qui appliquent ces lois et, s’ils le font mal, qui sont sanctionnés, comme n’importe quel fonctionnaire.

Quant à l’argent, on touche à une autre question, celle de la moralité ou de la perversité du système capitaliste…

Autre débat !

Yves Barelli, 13 juin 2015

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commentaires

T
Entièrement de cet avis , l ´interdiction absolu de divulguer les noms devrait être une règle jusque-là fin du jugement . Les dégâts collatéraux sont certainement très nombreux et les inculpés pour certains coupables à vie ,même après une relax .A chacun de méditer ....
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