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15 mai 2015 5 15 /05 /mai /2015 17:21

La réunion de Camp David entre le président Obama et les monarchies du Golfe et le sommet de Riyad du Conseil de Coopération sont intervenus dans un contexte de subversion islamiste qui commence à inquiéter le monde occidental, d’une confrontation accrue avec l’ « arc chiite » et d’un affaiblissement stratégique des monarchies du Golfe du fait de la désormais autosuffisance américaine en pétrole.

1/ La perspective d’accord sur le nucléaire iranien qui va se traduire par la fin de l’isolement du régime iranien (voir mon article sur ce blog du 5 avril : « accord nucléaire avec l’Iran ») inquiète les monarchies du Golfe (Arabie saoudite, Qatar, Koweït, Bahreïn, Emirats arabes unis et Oman).

C’est pour exprimer leur mauvaise humeur vis-à-vis de Washington que le Conseil de Coopération des pays du Golfe a invité le président français, le plus anti iranien des chefs d’Etat occidentaux, à participer à sa réunion de Riyad le 5 mai. La même mauvaise humeur s’est traduite par une participation à la réunion de Camp David (une quasi convocation) à un niveau relativement subalterne : seul deux émirs, dont celui du Qatar, étaient présents alors le roi Salman d’Arabie saoudite était représenté par le prince héritier.

2/ Depuis 1945, les Etats-Unis et l’Arabie saoudite sont liés par un accord stratégique : les Etats-Unis « protègent » la monarchie wahhabite en échange de leur approvisionnement pétrolier et de l’engagement saoudien, dans un contexte de guerre froide, contre les alliés de l’URSS (les pays laïcs : Egypte de Nasser, Algérie, Syrie, Irak, Libye). Dans le « deal », il y avait aussi l’acceptation par Washington du régime wahhabite de Riyad sur les violations des droits de l’homme duquel les Etats-Unis ferment les yeux (alors qu’ils dénonceront les violations partout ailleurs, à commencer par l’Iran islamique) mais aussi l’engagement tacite du régime wahhabite de ne pas participer directement aux guerres arabes contre Israël.

Cet accord stratégique, étendu aux autres monarchies arabes (y compris le Maroc), a bien fonctionné jusqu’à une date récente. L’Iran était l’ennemi, de même que tous les régimes laïques, éliminés les uns après les autres (Irak, Libye, menaces sur la Syrie) ou aux orientations radicalement changées (reconnaissance d’Israël par l’Egypte en échange d’une aide américaine importante). La fin de l’URSS a renforcé la suprématie américaine dans la région.

Le pétrole a continué à alimenter les Etats-Unis ; la hausse de son prix a autant profité aux grands « majors » américains qu’aux pays de l’OPEP ; l’Arabie saoudite et les autres monarchies ont participé aux deux guerres du Golfe, un peu directement et surtout beaucoup indirectement en permettant aux troupes américaines de se servir des bases que Washington avait installées dans ces pays pour envahir l’Irak.

3/ Trois changements fondamentaux sont intervenus ces dernières années :

a/ un début d’ « assagissement » de l’Iran. La « république islamique » a fait moins de prosélytisme à l’extérieur, elle a cessé de susciter ou de financer le terrorisme, elle a commencé à libéraliser la société iranienne. Touché par les sanctions occidentales, l’Iran, plus « présentable » après l’élection en 2013 du président Rohani, a estimé qu’il valait sans doute mieux remettre à plus tard ses ambitions nucléaires et que, pour l’heure, on pouvait échanger le gel de ce programme contre la fin des sanctions. Le président Obama s’est montré favorable à un tel accord (qui devrait être finalisé en juin prochain) en dépit de l’hostilité d’Israël, des monarchies du Golfe et de la France.

b/ La montée de la menace terroriste islamiste sunnite est le phénomène majeur. Il y avait certes depuis 2001 la menace d’Al Qaida. Les Américains ont cru y faire face par la guerre d’Afghanistan et en se protégeant plutôt efficacement sur leur propre sol (mesures d’exception, prison de Guantanamo). Le régime saoudien, lui-même menacé, a collaboré avec Washington.

L’apparition de l’ « Etat Islamique » en Irak et en Syrie est une menace bien plus dangereuse. Elle est davantage idéologique ; ses racines, et, au début, l’une de ses sources de financement, sont dans le wahhabisme saoudien et qatari ; elle est en passe de déstabiliser le Moyen Orient ; elle ne se limite pas à cette région et s’appuie sur une partie des minorités musulmanes des pays occidentaux ; elle frappe désormais ces pays, y compris les Etats-Unis.

La guerre contre « daesh » place dans une situation inconfortable parce qu’ambigüe les régimes sunnites islamistes, pas seulement ceux du Golfe, mais aussi la Turquie. Ces régimes sont en lutte contre l’Iran et ses alliés, y compris la Syrie de Bachar-Al-Assad ; ils rejoignent dans cette lutte les Etats-Unis, eux-mêmes confrontés à la Russie (alliée de Bachar) sur le dossier ukrainien. Idéologiquement, les wahhabites, et même la Turquie d’Erdoğan, sont proches de daesh (bien qu’ils en condamnent les méthodes) et leurs ennemis locaux (Syrie, Hezbollah, Iran) sont les mêmes mais, tenus par leur alliance stratégique avec les Etats-Unis, ils ne peuvent se désolidariser de Washington.

C’est pourquoi, ils ont fini par entrer dans la coalition anti-daesh ; toutefois, ils y sont sur une base minimale, sans participer aux « frappes » aériennes et sans couper totalement les ponts avec l’organisation terroriste (qui continue à partiellement utiliser la Turquie comme base logistique, notamment pour y recevoir les « djihadistes » venus d’Occident. Les ennemis des ennemis ayant logiquement vocation à devenir des amis, les Américains évoluent : les Iraniens ne sont plus l’ennemi absolu, pas davantage que Bachar. Ce n’est pas encore le renversement d’alliances mais les anciennes sont moins solides.

c/ Désormais, les Américains ne dépendent plus du pétrole saoudien. Grâce aux gisements de schistes, ils sont autosuffisants. Dans le grand jeu du pétrole mondial, les intérêts américains et saoudiens deviennent même divergents. C’est par une volonté politique délibérée que les Saoudiens ont fait baisser le cours du brut, divisé par deux depuis l’année dernière, (voir mon article dans ce blog du 17 décembre 2014 : « le pétrole, arme islamiste contre la Russie…mais aussi contre les Etats-Unis ») en maintenant leurs exportations alors que la demande mondiale est en chute (du fait de la crise économique et de la concurrence du pétrole de schiste). Leur objectif est double. D’une part gêner l’Iran et la Russie, très dépendants du cours du brut (les Saoudiens aussi, mais ils sont moins peuplés et disposent d’énormes réserves monétaires). Là, ils ont les mêmes intérêts que les Américains. Mais aussi, de façon sans doute moins avouée, « casser » la production du pétrole de schiste qui a besoin de cours élevés pour être rentable (il coûte beaucoup plus cher à produire que le pétrole classique). Dans un premier temps, les Américains sont satisfaits que la Russie soit mise en difficulté (et, dans une certaine mesure aussi, l’Iran, ce qui facilite les négociations). Mais, dans un deuxième temps, ils feront tout pour que le prix du brut remonte.

4/ L’évolution de la situation au Moyen-Orient n’est pas à l’avantage des monarchies du Golfe.

a/ L’ « arc » chiite tend à se renforcer. L’Iran sort de son isolement. Le pays peut en espérer une relance de son économie, d’autant qu’il dispose d’un vaste territoire aux ressources naturelles considérables, d’une population, bien formée, de 80 millions de personnes et du prestige de l’une des civilisations les plus anciennes et les plus riches du monde : l’Iran sera l’une des puissances de l’avenir ; il aura un jour l’arme nucléaire (pour laquelle, il a décidé de patienter un peu).

Un réseau d’alliés de l’Iran est en formation. L’Irak, grand rival du temps de Saddam, est majoritairement peuplé de chiites. Scindé en trois, avec un Kurdistan déjà sorti, de fait, du pays, et un nord occupé par l’ «Etat Islamiste », c’est la composante chiite qui a pris le dessus et qui gouverne désormais à Bagdad. La Syrie de Bachar est désormais à l’abri de la menace d’intervention militaire occidentale : les Américains ne veulent pas d’un nouveau chaos à la libyenne et les Israéliens, pour la même raison, ne les poussent pas dans le sens de la déstabilisation ; ils considèrent désormais que la priorité est la guerre contre « daesh » (sans toutefois aller au-delà de simples « frappes », bien insuffisantes) et Bachar est donc leur allié objectif. Le Hezbollah (qui représente les chiites libanais) est devenu la première force politique et militaire de l’Etat du cèdre ; il y est inexpugnable et les Israéliens eux-mêmes n’ont jamais réussi à en venir à bout.

Au Yémen, l’issue du conflit en cours est encore incertaine, mais les « Houthistes », c’est-à-dire les chiites zaydites, ont actuellement le dessus. Ils sont installés dans la capitale, Sanaa, et ont poussé leur avantage jusqu’au port d’Aden. Ils bénéficient d’un appui, plus ou moins occulte, iranien. L’Arabie saoudite a monté une coalition pour tenter d’éradiquer les chiites yéménites (mon article du 29 mars : « internationalisation du conflit yéménite »), mais elle marque le pas : les « frappes » aériennes ne sont pas suffisantes et une intervention terrestre serait synonyme de s’engager dans un bourbier ; cette coalition s’effiloche : le Pakistan et l’Egypte s’en sont déjà retirés.

On peut ajouter à l’ « arc chiite » des Etats, les minorités chiites des émirats du Golfe (minorité en fait majoritaire dans un pays comme Bahreïn) et du littoral saoudien de ce golfe (qui est la région productrice de pétrole) qui sont autant de chevaux de Troyes hostiles aux régimes wahhabites.

Pour avoir une appréciation complète, et objective, de la situation, qui pourrait paraitre à première vue très favorable aux chiites, il faut toutefois noter que cet « arc » chiite est loin d’être monolithique. Damas, le Hezbollah ou les zaydites ne sont pas des pions que Téhéran pourrait manipuler en fonction de ses calculs ou de ses intérêts. Les intérêts nationaux peuvent primer le chiisme, d’autant qu’il s’agit d’obédiences chiites fort différentes, voire divergentes : les Alaouites syriens n’ont pas grand-chose à voir avec le régime des mollahs et la Syrie est un pays laïc. De son côté, la Russie soutient la Syrie et elle est bienveillante pour l’Iran. Il n’y a toutefois aucune convergence idéologique entre Moscou et les chiites. Comme toute grande puissance, la Russie n’agit qu’en fonction de ses intérêts nationaux. Ils ne sont pas immuables.

b/ Les régimes wahhabites ne forment pas un front uni. Le Qatar, comme la grenouille de la fable qui voulait se faire plus grosse que le bœuf, fort de ses milliards de dollars tirés de son gaz et fort de ses ambitions démesurées, veut jouer dans la cour des grands du monde alors que c’est un pays minuscule. Cette prétention indispose au plus haut point la monarchie saoudienne. Les deux pays sont souvent en rivalité. Ainsi, la Qatar soutenait les Frères Musulmans d’Egypte, renversés par l’armée, alliée des Etats-Unis, mais aussi de l’Arabie saoudite qui, désormais, finance l’Egypte.

L’unité de front entre les régimes wahhabites et la Turquie est conjoncturelle. Riyad et Ankara se veulent tous deux les porte-drapeaux de l’islam sunnite. Ils sont en concurrence. La Turquie a de grandes ambitions internationales ; elle en a la taille et, comme l’Iran, elle est porteuse d’une vieille civilisation. La Turquie a une politique étrangère ambitieuse et qui peut paraitre déconcertante pour qui ne tient pas compte de la géopolitique : La Turquie a un gouvernement islamiste mais elle est porteuse de la tradition laïque d’Atatürk ; elle est dans l’OTAN mais entretient de bonnes relations avec la Russie ; elle n’est pas non plus fondamentalement hostile à l’Iran avec lequel elle a des intérêts économique mais aussi politiques (ne serait-ce que le souci partagé de contenir le nationalisme kurde). Il est hors de question que la Turquie se mette à la remorque du régime wahhabite et réciproquement.

c/ Les régimes wahhabites commencent à indisposer les opinions publiques occidentales. Celles-ci sont directement frappées par la subversion islamiste. On commence à faire le lien avec ces régimes. L’Arabie saoudite, où on décapite au sabre en place publique et où les femmes n’ont même pas le droit de conduite une automobile, n’a jamais eu bonne presse, mais on la supportait dans la mesure où elle fournissait le pétrole et où elle achetait des produits. Mais, pour les Américains, elle est désormais moins utile. Le Qatar, plus moderne, a pu donner l’illusion d’âtre une sorte d’Arabie saoudite à visage plus humain. Mais les masques tombent : on s’aperçoit que ce pays est esclavagistes (plus de 2000 morts déjà sur les chantiers du mondial de football où des dizaines milliers d’esclaves modernes s’échinent pour des salaires dérisoires) ; de plus, il est le plus grand centre de corruption mondiale ; enfin, ses financements passés de « daesh » ne font pas bonne impression.

Les régimes wahhabites sont en train de payer au prix fort le rejet massif par les opinions occidentales de l’islamisme, qui va souvent jusqu’à un rejet de l’islam lui-même, symbolisé par La Mecque, en Arabie saoudite, et ses femmes voilées. Visiblement sur la défensive, ils ont du mal à évoluer. Le nouveau roi Salman d’Arabie saoudite s’est entouré de super-conservateurs qui remettent en cause les très timides ouvertures de feu le roi Abdallah.

d/ Dans leur hostilité à l’Iran, il y avait une conjonction entre les monarchies du Golfe et Israël. Les deux étaient favorables à des frappes préventives contre l’Iran (ils en rêvent encore mais, au moins pour le moment, doivent y renoncer). Le comportement d’Israël de Netanyahu, sans nuance et qui fait dans la démesure agressive, commence à lasser, même aux Etats-Unis. Obama est en froid avec le leader israélien. Le « lobby sioniste » reste hégémonique aux Etats-Unis (on peut même dire qu’Israël « tient » plus les Etats-Unis que l’inverse) mais il commence à perdre quelques appuis ; en Europe, cela est pire et, dans le monde, les Palestiniens marquent des points diplomatiques qui compensent ceux qu’ils perdent sur le terrain. Pour les opinions, les agresseurs sont désormais davantage Israël que l’Iran ou l’OLP ; cela est nouveau, comparé aux décennies antérieures. Cela non plus ne joue pas en faveur des régimes wahhabites.

e/ Au sommet de Camp David, les monarchies du Golfe étaient demandeuses d’une alliance militaire avec les Etats-Unis en bonne et due forme du type OTAN. Ils ne l’ont pas obtenue. Les Américains ne se sont engagés qu’à les défendre s’ils étaient attaqués, mais aucunement à participer à la confrontation en cours avec l’Iran. Ils n’ont pas lâché non plus sur le refus de leur livrer les avions de dernière génération (selon une doctrine constante depuis 1948 : ne jamais livrer les mêmes avions qu’à Israël afin que l’Etat hébreux ait toujours une longueur d’avance sur les Arabes), ce qui devrait les inciter à acquérir, après le Qatar et l’Egypte, des Rafale.

XXX

Il n’y a pas encore de renversement d’alliances au Moyen Orient. Les Américains continuent à « couvrir » l’Arabie saoudite et les émirats du Golfe. Toutefois la confiance a commencé à laisser la place à une certaine défiance. Ayant moins besoin d’eux, du fait de leur indépendance pétrolière, ils s’estiment en droit de diversifier leurs relations et sans doute vont-ils renouer avec l’Iran. Ils peuvent se permettre d’entretenir des relations avec tout le monde, même avec des ennemis. Ne le font-ils pas déjà avec à la fois Israël et les Arabes ? Nul n’osera leur en faire grief (à titre d’exemple, si un seul pays européen était aussi aligné sur Israël que les Etats-Unis, il y a sans doute longtemps que l’ensemble du monde arabe aurait rompu avec lui ; ce n’est pas le cas avec Washington).

Il faut donc s’attendre à une inflexion pro-iranienne, certes réversible en fonction des intérêts conjoncturels de Washington et en fonction de la force des lobbies, notamment israélien, et de l’oreille du moment du Congrès et de la Maison Blanche (on verra ce que fera le prochain président).

Mais je crois que cette évolution dépendra surtout du niveau de la menace islamiste. Si ce qu’il faut désormais appelé la « guerre » lancée par les islamistes contre les valeurs occidentales et pour un nouveau « califat » mondial devient un défi tel que cela entraine une réaction profonde des opinions occidentales, alors il se pourrait que le rejet aille jusqu’à ne plus accepter au Moyen Orient les régimes wahhabites, qui foulent aux pieds les droits de l’homme les plus élémentaires, et qui seront de plus en plus considérés comme les suppôts du terrorisme.

Il se pourrait alors que se produise enfin le véritable « Printemps » des peuples arabes (le premier, celui de 2011, n’a été qu’un écran de fumée), débarrassé des dictatures obscurantistes.

On peut rêver, non ? Alors, rêvons !

Quant à la France de Hollande, elle est totalement à contre-courant. Elle y trouvera quelques avantages commerciaux à court terme. Mais, à long terme, elle le payera au prix fort, à commencer en France même où même les plus bienveillants envers les socialistes au pouvoir (il y en a encore quelques-uns) ont du mal à suivre la politique extérieure de Hollande-Fabius, sa posture gratuitement agressive et ses contradictions.

Yves Barelli, 15 mai 2015

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