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17 mai 2015 7 17 /05 /mai /2015 20:18

Le pape François, qui vient de recevoir coup sur coup au Vatican le président cubain Raul Castro et le président palestinien Mahmoud Abbas, est très actif sur la scène internationale. Cela est dans la tradition constante de la papauté dans l’époque moderne.

1/ Depuis la montée de Saint Pierre sur le siège épiscopal de Rome, la papauté a toujours joué un rôle temporel important, qui s’ajoute à sa vocation spirituelle qui est de diriger et d’orienter l’Eglise catholique.

Pendant tout le moyen âge, la papauté, qui s’appuyait sur de relativement vastes Etats (centre de l’Italie et Avignon), s’est comportée en fait comme une grande puissance. Elle n’avait certes pas une grande armée (ce qui fera dire beaucoup plus tard à Staline : « le pape, combien de divisions ?»), mais elle disposait d’armes redoutables, en particulier celle d’excommunier les souverains (ce qui conduisit notamment le pourtant puissant empereur germanique à aller demander humblement pardon au pape à Canossa), elle n’hésitait pas à intervenir directement sur la scène politique internationale et, par le pouvoir hiérarchique qu’elle avait sur le clergé, elle disposait d’un moyen de pression sur les Etats.

Cette période médiévale a été marquée par le grand affrontement entre le pape et l’empereur (germanique, mais aussi « roi » d’Italie). Les deux prétendaient avoir la suprématie dans les affaires de la péninsule et du continent.

Dans les temps dits « modernes », à partir du 16ème siècle, l’émergence des Etats-nations a rendu ceux-ci moins dépendants, ou plus dépendants du tout, du pape. Le roi d’Angleterre n’avait pas hésité à fonder la religion anglicane pour s’émanciper, les souverains de l’espace allemand, souvent protestants, n’avaient plus à « obéir » au pape. Le coup de grâce fut donné par la France qui, en instaurant une république laïque, traça définitivement une frontière entre temporel et spirituel.

Dès lors, le « pouvoir » du pape prit la forme d’une influence spirituelle et morale et non plus d’un pouvoir temporel. Cela fut plutôt mieux pour lui. Nombre de papes s’étaient comportés dans le passé comme de vulgaires « politicards », sans aucun sens moral. La dilution des mœurs à la cour papale, la corruption qui y régnait, le luxe indécent qui y était exhibé, les intrigues qui s’y nouaient, les liens d’intérêt personnels et souvent financiers noués avec tel ou tel puissant du continent, n’avaient pas grand-chose à voir avec L’Evangile. La piètre gestion des Etats du pape, où le souverain pontife se comportait comme un vulgaire seigneur, sans humanité et sans scrupules, avait sensiblement amoindri le prestige moral de la papauté. Cet état de fait ne fut pas étranger à l’apparition du protestantisme et de toutes les « hérésies » qui l’avaient précédé (des Cathares à Zwingli, en passant par Jan Hus).

2/ En fait, le rôle du pape et de l’Eglise catholique a toujours été ambivalent.

D’un côté, le conservatisme, l’immobilisme sociétal même, et la compromission avec les puissants, souvent exploiteurs du peuple et totalement étrangers aux idéaux de paix et de justice. La papauté a toujours été la « gardienne du temple » veillant à l’immuabilité de l’ordre social et « moral » : hostilité à la liberté de pensée (allant jusqu’à interdire à Galilée de dire que la terre était ronde !), au divorce et, encore aujourd’hui, à la contraception, à l’avortement et à l’homosexualité et, sur le plan politique, soutien aux pouvoirs monarchiques, réactionnaires, fascistes même (par exemple soutien honteux à Franco), du moment que ceux-ci soutenaient les intérêts et la place de l’Eglise catholique.

Mais, en sens inverse, un rôle positif de modérateur, de « rappel à l’ordre » lorsque les monarques ou ceux qui s’en prévalaient en faisaient « un peu trop ». L’Eglise a ainsi souvent été la protectrice des faibles : elle soignait les pauvres, elle défendait autant que faire se peut (en évitant, lorsque la situation n’était pas favorable, de le faire frontalement) la justice lorsqu’elle était bafouée par des monarques ou des puissants. L’Eglise a ainsi joué un rôle globalement positif en Amérique latine, soumise à la prédation des « conquistadores » et, plus tard, des oligarchies, et en Afrique, où elle a souvent atténué la dureté du régime colonial. A ceux qui prétendaient que les Indiens et les esclaves n’avaient pas d’âme, donc n’étaient pas des hommes, l’Eglise a répondu qu’ils en avaient une et donc qu’ils devaient être traités comme des êtres humains.

Certes, la question s’est posée : faut-il combattre frontalement l’oppresseur ou l’accompagner pour qu’il opprime un peu moins ? L’Eglise y a répondu en, le plus souvent, l’accompagnant. On peut ne pas être d’accord, mais il faut saluer l’intention. Je me souviens ainsi de l’archevêque de Saint Domingue qui en 2003 fit publiquement remontrance au président dominicain, venu assister à sa messe, du peu qu’il avait fait en faveur des victimes des inondations qui frappaient le pays alors que l’oligarchie locale assistait au « spectacle » en campant sur ses richesses. Le résultat fut immédiat et le gouvernement se « bougea » enfin. Le même archevêque « arbitra » l’année suivante l’élection présidentielle en veillant à ce que les règles minimales de « fairplay » fussent respectées. C’est lui qui organisa le débat contradictoire et c’est lui qui proclama le résultat. De nombreux autres exemples pourraient être cités ailleurs sur le continent, mais aussi sur d’autres. Ils n’illustrent pas seulement la générosité ou l’intelligence de certains, mais une politique, celle de la papauté.

3/ Depuis les accords de Latran de 1929, le Saint-Siège est un Etat souverain qui, à ce titre, noue des relations diplomatiques et est membre des organisations internationales. Cela permet au pape d’avoir un double rôle : chef de l’Eglise (ce qui est important dans les pays catholiques qui ont une religion d’Etat) et chef d’Etat.

Les deux « casquettes » sont certes difficiles à dissocier. Lorsque le pape effectue un voyage « pastoral » dans un pays, il le fait en tant que chef de l’Eglise mais il est toujours reçu comme un chef d’Etat.

Le Vatican dispose de l’une des diplomaties les plus étoffées (avec des ambassadeurs, appelés « nonces apostoliques » à peu près partout et, en retour, des ambassadeurs accrédités auprès du Vatican, à ne pas confondre avec les ambassadeurs, également à Rome, accrédités auprès de l’Italie ou des organisations internationales qui y sont présentes – FAO-) et les plus actives. La langue diplomatique du Vatican est (cocorico!) le français.

Les grands principes de la diplomatie pontificale sont la défense de la paix et, plus récemment, de l'environnement, de la justice (mais ce mot peut avoir des interprétations subjectives). On peut y ajouter la défense des chrétiens lorsqu’ils sont menacés, mais aussi, de façon plus occulte, des intérêts spirituels, et aussi, matériels (le Vatican est à la tête d’un « trésor de guerre » constitué par les propriétés de l’Eglise, par les versements des Eglises nationales les plus riches - l’américaine et l’allemande le sont beaucoup - et par les placements bancaires) de l’Eglise catholique.

La politique de Jean-Paul II, pape qui a marqué la seconde moitié du vingtième siècle, était celle d’un catholicisme social militant. Avec son compatriote polonais Lech Wałęsa, il a joué un rôle majeur, peut-être déterminant, dans la chute du communisme dans les pays de l’Est-européen. Il était donc aligné sur les plus anticommunistes de l’OTAN. Il s’est également arc-bouté sur les « valeurs » les plus conservatrices, les plus réactionnaires même, de la tradition catholique, en particulier en matière d’autorité, y compris temporelle, de l’Eglise et, plus encore, en matière de mœurs privées. Pourtant, en sens inverse, le souverain pontife, aujourd’hui canonisé, s’est élevé contre l’égoïsme et l’inhumanité du système capitaliste en des termes que n’auraient pas reniés les communistes qu’il combattait.

Il est trop tôt pour faire le bilan de la politique du pape François. Sur le plan du comportement personnel, le pape actuel est beaucoup plus simple. Il se veut davantage le pape des pauvres et, à ce titre, a considérablement réduit son train de vie et celui de l’Eglise. Ses prédécesseurs n’étaient sans doute pas des « adicts » du luxe mais ils estimaient, comme les papes de la Renaissance, que l’apparat est un mal nécessaire pour affirmer la puissance, et donc l’influence, de l’Eglise. François n’est pas sur cette position, et cela joue notablement pour atténuer les critiques dont fait habituellement l’objet l’Eglise catholique et, en premier lieu, sa curie.

Dans sa mission de « gardien du temple », le pape reste dans son rôle. Il rappelle la doctrine de l’Eglise et s’y conforme, mais, semble-t-il, de façon un peu plus nuancée que ses prédécesseurs.

Mais c’est dans son rôle de chef de la diplomatie vaticane que le pape François se montre le plus actif.

Il se montre plus direct aussi et ceci est un peu une surprise. En bon jésuite, François avait habitué, lorsqu’il n’était encore qu’archevêque de Buenos Aires, à louvoyer davantage. S’il n’avait jamais approuvé formellement la dictature des généraux argentins, il s’était aussi gardé de la condamner, et cela lui a été reproché. Sans doute a-t-il agi dans l’ombre pour atténuer, autant que faire se peut, les souffrances du peuple argentin. Ceci, dans la tradition latino-américaine : ne pas se heurter frontalement au pouvoir et essayer d’atténuer dans l’ombre les aspects les plus scandaleux de sa politique. Il ne semble pas qu’il y a soit parvenu et on attendait mieux du futur pape.

C’est peut-être ce mauvais souvenir laissé que François veut effacer. Pour le moment, il y parvient.

4/ Quelques exemples récents illustrent le courage et la qualité des initiatives diplomatiques du pape :

a/ Le pape, par l’intermédiaire de l’Eglise de Colombie et des nonces apostoliques, a joué un rôle important dans les pourparlers de paix menés à Cuba entre le président Santos et la guérilla des FARC. La médiation a été menée conjointement avec le président cubain et le président vénézuélien Chavez (aujourd’hui hélas décédé).

b/ Reprenant les efforts de ses prédécesseurs qui ont tous condamné l’embargo américain contre Cuba (Jean-Paul II s’était rendu à La Havane), le pape François a joué un rôle d’intermédiaire efficace entre Raul Castro et Barack Obama. Cela a abouti au rapprochement spectaculaire en cours qui devrait se concrétiser par le rétablissement des relations diplomatiques et, surtout, la levée de l’embargo. François vient de recevoir chaleureusement le président Castro au Vatican.

c/ Là aussi en continuité avec la politique vaticane constante depuis 1948, le pape a décidé l’établissement de relations diplomatiques entre le Saint Siège et l’Etat palestinien (alors que des pays comme la France ont voté pour l’admission de la Palestine à l’ONU, entretiennent des relations de fait étroites avec la Palestine mais n’en ont pas encore formellement reconnu l’Etat) et vient de recevoir très chaleureusement le président Abbas à l’occasion de la canonisation de deux religieuses palestiniennes. Dans le même temps, le pape se montre critique vis-à-vis de la politique israélienne. L’année dernière, il avait condamné les violences disproportionnés de l’armée israélienne à Gaza.

d/ Le pape a dénoncé le silence et l’inaction de la communauté internationale et des pays occidentaux en particulier face au génocide en cours des chrétiens du Moyen Orient. Dans la même région, il s’était prononcé contre les « frappes » aériennes envisagées contre la Syrie, alors qu’il estime légitimes celles menées contre l’ « Etat islamique ». Cela aussi est dans la continuité vaticane. Jean-Paul II avait condamné l’intervention américaine en Irak en 2003. Il avait alors fait front avec l’initiative franco-allemande pour tenter de l’empêcher.

e/ Le pape, à l’occasion du soixante-et-dixième anniversaire du génocide arménien, l’a publiquement qualifié de « génocide » (ses prédécesseurs, à ma connaissance, n’étaient pas allés aussi loin), ce qui a mécontenté les autorités turques.

XXX

Ces exemples montrent que la politique étrangère du Vatican va dans le bon sens. On ne peut que l’approuver.

Quant aux prises de position sur les sujets de société qui concernent les affaires intérieures des pays, c’est un autre sujet sur lequel il n’est pas de mon propos d’entrer aujourd’hui. Lorsque le pape rappelle la doctrine de l’Eglise catholique, il est dans son rôle et on ne saurait le lui reprocher, même si on n’est pas d’accord avec cette doctrine. Mais lorsque l’Eglise, par exemple d’Espagne, entre dans l’arène politique aux côtés des forces les plus réactionnaires pour remettre en cause les lois sur l’avortement, ou, exemple de la France, lorsqu’elle utilise les écoles privées, qui vivent pourtant des subventions de l’Etat, pour s’opposer à la loi sur le mariage pour tous, dont on peut penser qu’elle est mauvaise, mais qui a été votée par un parlement démocratiquement élu, il y a ingérence.

C’est toute l’ambigüité de la papauté, autorité morale et spirituelle respectable, Etat jouant un rôle international positif, mais aussi chef d’une « internationale » composée d’Eglises nationales qui n’ont jamais totalement admis de ne jouer qu’un rôle effacé dans la vie publique.

On peut être vigilant sur le respect de la laïcité (entendue de manière intelligente : je suis pour les crèches de Noël dans les lieux publics). Je le suis.

Et dans le même temps, soutenir l’action du Vatican dans le monde lorsqu’il lutte contre les fanatismes et les injustices et se prononce pour un monde plus solidaire, plus pacifique et plus respectueux des hommes et de la nature. C’était l’objet de ce texte.

Yves Barelli, 17 mai 2015

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