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5 mai 2015 2 05 /05 /mai /2015 00:32

On pourrait se réjouir de la vente de 24 « Rafale » au Qatar. Malheureusement, il y a d’encombrantes contreparties politiques et économiques. Il y a surtout l’engagement sans nuance de la France auprès des Etats les plus obscurantistes et esclavagistes du Moyen Orient, inspirateurs d’un islamisme militant en guerre tant vis-à-vis de la France et des autres pays occidentaux que des régimes chiites et laïques de la région. En d’autres termes, on pactise avec ceux qui nous combattent.

1/ La vente des avions de combat au Qatar, d’une valeur de 6 milliards d’euros est un succès commercial. Elle vient après les contrats de même nature obtenus avec l’Egypte et l’Inde. En soi, ces ventes sont une bonne chose tant pour les emplois qui sont créés en France (plus de cinq cents entreprises travaillent pour la sous-traitance de l’avionneur Dassault) que pour la crédibilité du matériel militaire français, facteur important de reconnaissance internationale à la fois de la qualité de l’industrie française et du rôle de grande puissance de la France, confirmant ainsi sa place dans le « club » fermé des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, les seuls détenteurs de responsabilités au niveau mondial.

Mieux utilisé, cet avantage serait de nature à inverser le rapport de force au sein de l’Union européenne. Malheureusement, en ce domaine, la France, qui accepte de se placer en situation d’infériorité vis-à-vis de l’Allemagne et des instances bruxelloises en acceptant des « règles du jeu » qui ne sont pas à son avantage, est bien timide, timidité qui ne peut s’expliquer qua par des à priori idéologiques contraires à nôtre intérêt national.

2/ La vente d’avions de combat n’est pas une opération commerciale comme une autre. Elle revêt un caractère éminemment politique dont les implications sont rarement anodines. S’il n’y a rien à redire quant à la vente (réussie) des Rafale à l’Inde et (avortée) au Brésil parce que ces pays sont des démocraties et parce qu’on peut être raisonnablement sûr qu’ils feront bon usage de ces armes, il n’en va pas de même pour les pays arabes du Golfe.

Ceci pour deux raisons :

L’Arabie Saoudite, le Qatar et les autres monarchies du Golfe ne sont pas des pays démocratiques. Les droits de l’homme et, plus encore, de la femme, y sont violés en permanence. Ces pays sont des Etats totalitaires avec l’idéologie wahhabite, la plus obscurantiste de l’islam, au pouvoir. En Arabie saoudite, il n’y a ni élections, ni partis, ni syndicats, la peine de mort et d’autres châtiments barbares y sont appliqués sur une grande échelle (encore cinq décapitations hier à Riyad en place publique), pas seulement pour réprimer la délinquance mais aussi pour des motifs religieux. La pratique de n’importe quelle religion en dehors de l’islam ainsi que l’athéisme y sont interdits et réprimés. Une police religieuse réprime tout comportement jugé contraire aux pratiques médiévales du wahhabisme. Les femmes, considérées toute leur vie comme des mineures, n’ont même pas le droit de conduire un véhicule automobile. Les émirats du Golfe (EAU, Qatar, Bahreïn, Koweït, Oman) sont à peu près dans la même situation, même si certains d’entre eux essaient de présenter un visage un peu moins archaïque. Mais aucun de ces pays ne respecte les millions d’étrangers qui y travaillent : le Qatar, par exemple, se comporte en Etat esclavagiste en exploitant honteusement les ouvriers qui y construisent les stades du prochain mondial de football, obtenu par une corruption probable et sur les chantiers desquels déjà plus de 2000 personnes ont péri du fait de conditions de travail dignes de celles de l’Egypte des Pharaons.

La seconde raison est que l’idéologie wahhabite est l’inspiratrice de l’islamisme radical qui menace actuellement le monde. Il n’est pas exagéré de dire que l’armature idéologique de l’ « Etat Islamique d’Irak et du Levant » et de ses dérivés qui sévissent en Libye, au Nigeria, au Sahel ou en Somalie est directement inspirée du wahhabisme au pouvoir à Riyad et à Doha. Pis, de graves soupçons de financement et de fournitures d’armes à « Daesh » pèsent sur certains proches de la famille royale saoudienne et sur certaines ONG qataries liées à la famille régnante.

D’ailleurs, dans la lutte contre l’Etat Islamique, le double jeu de l’Arabie Saoudite, des monarchies du Golfe mais aussi du gouvernement islamiste (un peu plus présentable toutefois) de la Turquie, est une réalité. Ces pays disent condamner « Daesh » et apportent un soutien du bout des lèvres à la coalition montée par les Etats-Unis et la France pour combattre l’organisation terroriste. Toutefois, les armées de ces pays se gardent bien d’intervenir : la Turquie n’apporte pas la moindre aide aux Kurdes de Syrie alors qu’elle constitue une zone de repli logistique pour les terroristes et une voie de passage à tous les djihadistes occidentaux, en particulier venus de France, qui veulent aller en Syrie combattre le régime laïc de Bachar Al Assad. L’Arabie Saoudite et le Qatar possèdent une flotte aérienne considérable (avant même les futures livraisons des Rafale). Ces avions ne participent pas aux frappes aériennes des alliés.

3/ La vente des Rafale et d’autres matériels militaires français aux monarchies wahhabites a probablement des contreparties économiques et autres. Le Qatar, qui investit massivement en France, a obtenu un régime fiscal dérogatoire. On parle maintenant de nouvelles lignes aériennes concédées à Qatar Airways (qui seront certainement suivies de facilités comparables pour les compagnies des Emirats Arabes Unis si ceux-ci achètent aussi le Rafale) au départ de la France. Or, il faut savoir que toutes les compagnies du Golfe sont subventionnées par les gouvernements, ce qui constitue une concurrence déloyale pour Air France et les autres compagnies occidentales. Ces subventions, comme les investissements ciblés en Europe, comme l’acquisition du PSG, comme certaines « subventions » d’ONG dans les banlieues de Paris et comme le financement de mosquées ne sont ni des opérations philanthropiques, ni des caprices d’émirs milliardaires, mais participent d’une stratégie coordonnée qui allie commerce, investissements, religion et propagande (via par exemple la chaine de télévision Al Jazirah, vecteur de propagation de la langue arabe et du prosélytisme religieux du wahhabisme à destination des populations musulmanes d’Europe).

4/ Il y a un lien dialectique évidement entre les intérêts économiques de la France au Moyen Orient et le soutien français aux monarchies du Golfe. La France de Hollande (et de Sarkozy) soutient-elle la politique de ces pays pour y vendre ses avions et d’autres produits ou ces contrats sont-ils la conséquence des choix politiques de la France ? Peu importe, le résultat est l’alignement de Paris sur la politique de Riyad et de Doha (les « frères ennemis », car en concurrence bien que partageant la même idéologie, les plus actifs parmi les pays du Golfe).

Or, ces pays sont engagés dans une guerre contre ce qu’on appelle l’ « arc chiite » qui unie l’Iran, la Syrie, le Hezbollah et, désormais (ce qui est nouveau et ce qui illustre le fiasco complet des Etats-Unis en Irak), l’Irak.

Dans le conflit syrien, on a d’un côté, les islamistes de « Daesh » soutenus par les wahhabites du Golfe et par la France, de l’autre le régime de Bachar soutenu par l’Iran et la Russie.

Dans ce conflit syrien, la position des Etats-Unis et d’Israël est ambigüe. Israël ne souhaite pas la chute de Bachar car il le préfère à un chaos islamiste, mais il considère le Hezbollah et l’Iran, soutiens de Bachar, comme des ennemis à abattre. Les Etats-Unis ont aidé, financé et armé à leurs débuts les islamistes radicaux, y compris « Daesh », parce qu’ils luttaient contre Bachar, que Washington voulait voir renverser. Mais Obama a maintenant changé de position. Les Etats-Unis souhaitent normaliser leurs relations avec l’Iran et ils pilonnent « Daesh » par des frappes aériennes, tant en Irak qu’en Syrie.

La position de la France, elle, n’est pas ambigüe. Elle est même parfaitement alignée sur les monarchies wahhabites. Paris avait souhaité intervenir contre Bachar et a voulu le renverser comme cela fut fait avec Saddam Hussein et Kadhafi. Paris était prêt à la guerre contre le régime syrien, mais a dû y renoncer en 2014 lorsque les Etats-Unis y ont eux-mêmes renoncés. Dans la négociation sur le nucléaire iranien, c’est Paris qui s’est montré le plus dur et le plus agressif contre l’Iran. L’accord (provisoire) qui a été finalement conclu avec Téhéran l’a été par décision américaine et malgré Paris. Cet accord a été violement combattu tant par Israël que par les régimes wahhabites.

Ce soutien sans faille de Paris à la politique agressive des monarchies du Golfe, qui s’accompagne d’une fermeture des yeux tant vis-à-vis des violations massives et continues des droits de l’homme que de la complicité de fait avec le terrorisme islamiste et du prosélytisme religieux de ces monarchies, explique que François Hollande soit l’invité « exceptionnel » de la réunion du Conseil de coopération du Golfe (qui réunit l’Arabie saoudite et les cinq autres monarchies) qui s’ouvre le 5 mai à Riyad. On peut y voir là à la fois un geste de reconnaissance envers le soutien sans faille de Paris à ces régimes obscurantistes et une manifestation ostentatoire de mauvaise humeur vis-à-vis de ce que ces régimes voient comme un lâchage de Washington à leur encontre (marqué par la non intervention en Syrie et la « complaisance » vis-à-vis de l’Iran).

5/ La vente de 24 Rafale au Qatar, sans doute accompagnée de quelques « beaux » contrats avec l’Arabie saoudite et les autres régimes wahhabites, est donc un succès commercial.

Mais il est cher payé en termes de sécurité et d’intérêts nationaux pour la France. Notre pays est en effet engagé dans la guerre que lui livre le terrorisme islamiste. Cette guerre concerne l’Afrique, où l’armée française est engagée au Sahel contre le terrorisme islamiste. Nos soldats s’y battent contre des djihadistes armés et financés (plus ou moins directement) par les régimes wahhabites.

Pis, cette guerre frappe le sol français. Les terroristes appartiennent à ce que certains nomment à juste titre une « cinquième colonne » intérieure du terrorisme islamiste qui trouve son inspiration et son financement dans les régimes wahhabites du Moyen Orient. Sans doute une bonne part de « nos » djihadistes et de « nos » terroristes fréquentent-ils des mosquées financées par l’Arabie saoudite, regardent-ils Al Jazirah et supportent-ils le Paris-Saint-Gemain (qu’il vaudrait mieux appeler le Qatar Saint Germain).

Monsieur Hollande, vos discours après le massacre de Charlie-Hebdo étaient touchants. Rétrospectivement, compte tenu de votre complicité avec l’islamisme et ses supports wahhabites, on peut se poser la question : êtes-vous un naïf ou un cynique hypocrite ?

6/ La complaisance vis-à-vis de l’islamisme wahhabite n’a d’égale que le mépris pour ceux qui sont morts pour que la France vive libre. Je me réfère à nos soldats tombés au Sahel, mais aussi aux morts de la seconde guerre mondiale. Hollande est en effet à Doha et à Riyad. Mais il refuse de se rendre à Moscou le 9 mai pour le soixante-et-dixième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale. 25 millions de Soviétiques ont laissé leur vie dans le combat contre le nazisme. Leur sacrifice a été décisif dans la victoire des alliés et donc dans la libération de la France.

Cette injure envers les martyrs de la libération de la France au moment même où Hollande apporte son soutien aux nouveaux nazis du 21ème siècle est indigne.

Yves Barelli, 5 mai 2015

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