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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 12:56

L’ « exécution », qui n’est autre qu’un assassinat à habillage légal, de huit ressortissants étrangers en Indonésie accusés de trafic de drogue, est un acte de barbarie et de cynisme qui suscite émoi et indignation et qui interpelle. En tout homme doté de cœur et de raison, il doit provoquer une réflexion, pas seulement sur la nature humaine mais aussi sur la relativité des civilisations et sur l’attitude que, nous Occidentaux, pouvons ou devons avoir vis-à-vis des pays et des hommes qui défient notre Humanité.

1/ Il existe encore de nombreux pays où la valeur de la vie humaine n’est pas la même que chez nous. En Asie, le collectif prime généralement l’individu et les sociétés sont très dures vis-à-vis des déviants qui se placent en marge des sociétés. Cela est assez indépendant des régimes politiques. La Chine, où la peine de mort est appliquée à grande échelle (plus de 600 exécutions l’année dernière), mais aussi le Japon, la Thaïlande, Singapour (qui détient le record des exécutions et des incarcérations rapportées à sa faible population) et, bien sûr, l’Indonésie partagent la même philosophie.

Certains prétendent que c’est grâce à la dureté des châtiments que ces pays connaissent relativement peu de délinquance et d’insécurité. Il est vrai qu’il est bien agréable de se promener même en pleine nuit dans n’importe quel quartier de Singapour ou de Tokyo et d’y avoir un grand sentiment de sérénité et de sécurité. Très peu de dégradations des biens et des équipements, pas de papiers par terre, une propreté étonnante du métro et de l’espace public.

On peut attribuer cette faible délinquance autant à la cohésion sociale et à l’état d’esprit des populations qu’à la sévérité des sanctions à l’encontre des délinquants. Des sanctions sévères et adaptées aux crimes et délits sont évidemment une nécessité. La France fournit à contrario l’exemple d’une justice souvent bien trop laxiste qui entraine chez les délinquants un sentiment général d’impunité. Sévir davantage me semblerait une nécessité, ne serait-ce que parce que la première des libertés est celle de vivre dans la sécurité. La liberté de tous passe par la mise hors d’état de nuire de ceux qui menacent notre sécurité. Cela doit être fait sans faiblesse ni angélisme.

Mais on peut sévir sans y ajouter la cruauté gratuite. Ce qu’on vient de voir en Indonésie est indigne de l’espèce humaine : condamner à mort et faire attendre 72 heures une exécution est pire qu’un châtiment immédiat. C’est une torture prolongée. Cette remarque vaut évidemment pour l’Indonésie comme pour la Chine ou les Etats-Unis.

Toutes les études comparatives montrent que la peine de mort ne sert à rien en termes de sécurité. Il faut donc l’abolir partout. Parce qu’elle est barbare, mais aussi parce qu’elle est irrémédiable et que, dans ces conditions, les erreurs judicaires sont irrattrapables. Surtout dans des pays où la justice est souvent inéquitable du fait de la corruption de la police et de la justice ou de sa perversion par l’argent (cas, en particulier, des Etats-Unis).

2/ Les pays asiatiques font une fixation sur les trafics de drogue. La possession d’un gramme de drogue est passible de la peine de mort dans de nombreux pays du continent. Ceci a des causes historiques : la « guerre de l’opium » au 19ème siècle que firent les puissances occidentales contre un empire chinois affaibli pour l’obliger à autoriser ce trafic rémunérateur pour les intérêts occidentaux (la banque HSBC fut ainsi fondée par des « commerçants » anglais de stupéfiants de Hong Kong). Il en est resté quelque chose dans la mentalité collective et lorsque le trafic est le fait d’étrangers, la pression sociale pour qu’ils soient punis avec la plus grande sévérité est encore plus forte.

En Indonésie, le président actuel a été élu sur un programme très dur de lutte contre le trafic de drogue. Les exécutions qui viennent d’avoir lieu entrent dans ce cadre. Malheureusement, 85% des Indonésiens ont, d’après les sondages, approuvé les sentences et leur exécution.

Les civilisations asiatiques ne sont pas les seules à appliquer la peine de mort. Il y a aussi les Etats-Unis (c’est connu et cela est en relation avec une tradition de violence mais aussi de justice à habillage « divin » qui existe depuis les débuts de ce pays) et il y a l’islam. La peine de mort, qui est prévue dans le coran, régit les sociétés musulmanes. Dans le cas de l’Indonésie, la tradition asiatique et celle de l’islam se conjuguent pour donner cette adhésion sociale à la peine de mort.

Un autre facteur s’y ajoute, le nationalisme et la xénophobie. L’Indonésie est un pays de plus de 250 millions d’habitants, pays « émergent » qui aspire à devenir grande puissance. Sur un tel pays, les pressions internationales n’ont aucun effet si ce n’est, en fait, un effet contreproductif.

Ce pays sait qu’il peut agir en toute impunité. Non seulement parce qu’il a l’exemple des deux plus grandes puissances mondiales, les Etats-Unis et la Chine, mais aussi parce qu’il peut compter sur l’hypocrisie, la poltronnerie et l’appât du gain de la plupart des démocraties occidentales. A cet égard, la réaction du Premier Ministre de l’Australie, dont deux ressortissants ont été exécutés, est lamentable : l’ambassadeur rappelé à Canberra pour « consultations » (terme diplomatique pour exprimer la mauvaise humeur), c’est bien le minimum mais assorti d’une déclaration maladroite insistant sur la pérennité des relations bilatérales entre ces deux pays voisins. Rien à craindre donc pour Jakarta : dans quelques semaines, à nouveau « business as usual » !

3/ On ne sait pas encore si notre compatriote Serge Atlaoui sera à son tour fusillé. S’il ne l’était pas ce serait une bonne surprise. Mais on peut craindre qu’il n’y ait pas de miracle.

Au-delà de ce cas tragique, ma réflexion concerne les centaines de milliers de Français qui vivent à l’étranger ou s’y déplacent pour raisons professionnelles ou personnelles.

J’ai suffisamment eu à connaitre de cas tragiques dans nos consulats de compatriotes embarqués malgré eux dans des affaires rocambolesques et qui sont pris dans un engrenage qu’ils n’avaient pas prévu pour ne pas être inquiet.

Certains sont des délinquants et des trafiquants. Mais d’autres n’ont absolument rien à se reprocher si ce n’est, souvent, d’avoir été imprudent et naïfs. Exemples les plus fréquents : machinations de la part de concurrents bien introduits dans les sphères du pouvoir (il suffit dans certains pays, comme le Qatar par exemple, d’être un national pour avoir toujours raison contre un étranger), affaires de « mœurs » (avoir une petite amie « illégitime » ou, pis, s’agissant des femmes, être sorti sans précaution avec un autochtone ou, au contraire, avoir refusé ses avances : nos consulats à Abou Dhabi, Dubaï et Doha sont régulièrement saisis de ce type problème), racket de la police (un peu partout en Afrique et en Amérique latine), mauvaise plaisanterie aux Etats-Unis dès lors qu’il s’agit d’une question de sécurité ou encore « harcèlement » sexuel sur le lieu du travail (Etats-Unis toujours), blasphème ou offense à la religion (pays musulmans). Des faits qui seraient anodins, ou même licites, en France peuvent se traduire par des très lourdes peines.

N’en déplaise aux naïfs de la mondialisation et de l’ouverture des frontières, pour un Français, partir à l’étranger peut être dangereux. Le ministère des affaires étrangères a un très bon site internet « conseil aux voyageurs » où les dangers sont répertoriés pays par pays. Mais je trouve en revanche que les médias et nos politiques ne mettent pas suffisamment en garde ceux qui sont tentés de partir à l’étranger pour y travailler ou simplement pour y faire du tourisme. Je ne dis pas qu’il ne faut pas partir (encore que je me suis toujours dit que j’avais de la chance d’avoir un passeport diplomatique et que, par exemple, dans certains pays, je ne louerais jamais de voiture si je n’en avais pas à cause du risque de racket de la police, mais aussi de l’arrestation immédiate en cas d’accident), mais, auparavant, il faut s’informer et refuser certaines propositions alléchantes mais dangereuses. Dans le cas de Serge Atlaoui, il semble qu’il ait accepté de travailler en Indonésie dans un laboratoire chimique sans suffisamment s’informer sur ce qui y était fabriqué.

On pousse trop, me semble-t-il, nos jeunes à s’expatrier pour travailler. C’est une expérience utile mais qui peut s’avérer dangereuse. L’exemple de Dominique Strauss-Kahn est édifiant à cet égard. Aux Etats-Unis, dès qu’il s’agit de sexe, les juges deviennent hystériques alors que la possession et même l’usage d’armes à feu ne leur posent pas beaucoup de problème. Il faut savoir aussi que, quel que soit le motif de se retrouver devant un juge, cela coûte très cher : aux Etats-Unis, on a une grande chance de s’en tirer lorsqu’on a un solide compte en banque. Un DSK sans le sou passerait sans doute la fin de sa vie dans un pénitencier. Une femme qui accepte d’aller travailler à Dubaï, pour moi, est une inconsciente. Quant aux consommateurs de hachich, il vaut mieux qu’ils oublient l’Asie.

Tout cela, il faut le savoir. Le monde n’est pas le village planétaire que certains se plaisent à décrire. Il y a encore des vérités différentes, même de part et d’autre des Pyrénées et plus encore au-delà des océans. La diversité est encore la règle. Pour autant, le relativisme culturel que certains veulent nous « vendre », y compris à l’intérieur de nos frontières ne me parait pas acceptable. Toutes les civilisations ne se valent pas, l’attitude différenciée vis-à-vis de la vie humaine est un fait. Ce n’est pas pour autant qu’il faut l’accepter. Ceci n’est pas une question d’inégalités de « races » ou de « philosophies », c’est une question de développement et d’évolution.

L’Europe a été, elle aussi, barbare. Elle l’est moins. Raison de plus pour qu’elle n’accepte pas ailleurs cette barbarie qu’elle a connu. Il existe des valeurs universelles qui ne souffrent pas d’exceptions dues à la relativité. Nous nous honorerions à en tenir compte en mieux choisissant nos amis, L’économie ne doit pas tout primer. Moins de « business » parfois et un peu plus de moralité, ça ne ferait pas de mal.

Yves Barelli, 29 avril 2015

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commentaires

R
Bravo !!!!<br /> Magistral article de Monsieur Barrelli, preuve que l'humanité comporte encore des hommes dans le vrai sens du mot. Vos propos sont une sorte de "lumière" très éclairante. Comment peut-on accepter ce qui vient de se passer en Indonésie ??? Quelle est cette justice où la détention de 50g de drogue emporte la même valeur pénale que l'homicide ???<br /> En effet, mieux vaut bien réfléchir avant de mettre les pieds dans certains pays.<br /> Félicitation à vous !!!
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