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30 novembre 2012 5 30 /11 /novembre /2012 17:41

La réponse apportée le 25 novembre par les électeurs catalans à la dissolution du parlement de la « generalitat » par son président Artur Mas n’est pas univoque : majorité pour les partis indépendantistes, mais défiance relative envers l’exécutif sortant et forte poussée à gauche.

 

Artur Mas, qui disposait d’une quasi majorité absolue dans le parlement catalan sortant élu en 2010, avait appelé les électeurs aux urnes dans l’espoir de lui donner une « large majorité » afin de mener à bien son projet d’indépendance pour la Catalogne. Il semblait conforté dans cette initiative par la montée en puissance des sentiments souverainistes (voir mon article dans ce blog « La Catalogne sera-t-elle bientôt indépendante ? », 13 septembre 2012), par l’approfondissement de la crise économique et sociale en Espagne et par l’échec des négociations sur l’autonomie budgétaire catalane menées avec le gouvernement central de M. Rajoy.

 

Les électeurs catalans n’ont pas répondu comme le souhaitait M. Mas. Son parti,  Convergencia i Unió(CiU) perd 12 sièges, passant de 62 à 50 députés (il y a 135 députés au parlement catalan). CiU reste néanmoins, de loin, le premier parti catalan mais son président a reconnu que le résultat était très éloigné de l’objectif de majorité absolue. Le président sortant est assuré de conserver le pouvoir exécutif mais il devra trouver des alliés pour gouverner la Catalogne.

 

Est-ce un revers pour l’idée indépendantiste ?

 

Non, puisque l’érosion de CiU s’est faite essentiellement au profit de la gauche indépendantiste. Le rapport de forces au parlement en faveur des souverainistes reste identique (plus de la moitié des sièges pour les indépendantistes déclarés, seulement 15% pour les anti-indépendantistes militants, le reste étant plus ou moins indépendantiste ou plus ou moins « espagnoliste » comme le montre l’analyse infra).

 

Ce vote fragilise-t-il le gouvernement catalan pour négocier l’indépendance en position de force ? Sans doute.

 

La gauche indépendantiste, « Esquera Republicana Catalana » (ERC), devient le second parti de  Catalogne avec 21 députés, contre 10 dans le parlement sortant. Plus que d’une poussée, il s’agit en fait d’une remontée au niveau d’il y a quelques années, l’étiage de 2010 ayant été consécutif à des dissensions internes et à une stratégie peu claire (ERC avait historiquement toujours lutté pour une Catalogne souveraine, mais avait conclu des alliances avec le Parti Socialiste de Catalogne – PSC -, appellation locale du PSOE espagnol).

 

Les formations favorables à l’indépendance seront désormais renforcées par un nouveau parti indépendantiste d’extrême gauche qui fait son entrée au parlement catalan, CUP (Candidatura Unió Popular), avec 3 députés.

 

Le Parti Socialiste de Catalogne (PSC) est relégué à la troisième place. Il perd 8 sièges, passant de 28 à 20. Ce recul est en phase avec celui du PSOE dans toute l’Espagne (voir mon article « Victoire nationaliste au Pays Basque espagnol » – 21 octobre 2012). Les socialistes espagnols continuent à payer au prix fort, et sans doute pour longtemps, la gestion gouvernementale d’austérité antisociale électoralement suicidaire que M. Zapatero a menée jusqu’à sa déroute de 2011 (cf mon article « Espagne. Elections. Leçons d’un suicide socialiste », 21 novembre 2011). A Barcelone, ville dirigée par les socialistes pendant trente ans, le PSC n’arrive qu’en quatrième position. 

 

L’hémorragie du vote socialiste profite à la gauche indépendantiste, mais aussi à une autre formation de gauche qui s’est positionnée autour des luttes sociales actuellement menées contre la politique d’austérité du gouvernement central de M. Rajoy (mais aussi celui de M. Mas à Barcelone) et autour des thèmes écologistes. Ce parti, nommé « Iniciativa per Catalunya – Esquera Unida Catalana» (IC-EUC), n’a pas formellement pris position sur le thème indépendantiste mais il pourrait s’y rallier d’autant plus facilement qu’une droite dure est au pouvoir à Madrid.

 

Et les anti-indépendantistes ?

 

Le Parti Populaire (PP), au pouvoir à Madrid, n’a jamais fait recette en Catalogne. Il reste à un niveau bas : 19 députés (il en gagne 1). Les Catalans, qui ont particulièrement souffert de la dictature franquiste, voient, comme d’autres, une filiation entre Franco et le PP. Ce dernier  fait désormais campagne en Catalogne en catalan, mais ça ne suffit pas !

 

Le Parti Populaire a un concurrent à droite, encore plus anti-indépendantiste que lui bien que portant un nom catalan, « Els Ciutadans » (les citoyens). Ce parti, qui obtient 9 sièges, recrute surtout chez les non Catalans fraichement immigrés en Catalogne ; il a fait campagne contre ce qu’il nomme la « discrimination positive » en faveur de la langue catalane. Ce parti se veut « espagnol et européen ».

 

Le vote catalan du 25 novembre doit donc être interprété avec une double lecture : 1/ Pour ou contre l’indépendance  2/ Gauche-droite. Sur le premier point, la majorité reste clairement en faveur de l’indépendance. Sur le second, il y a une forte poussée à gauche.

 

Les électeurs ont voulu majoritairement apporter un soutien au projet de Catalogne souveraine mais ils n’ont pas souhaité donner un chèque en blanc à Artur Mas et à sa formation. Certains ont même tenu à  sanctionner ce parti de centre-droit et sans doute la fin de campagne a-t-elle joué encore plus dans ce sens puisque le recul de CiU est allé bien au-delà des prévisions des derniers sondages publiés (cf mon article « Prochaines élections cruciales au parlement catalan », 21 novembre 2012). Non seulement l’hostilité à la politique d’austérité de Mas est allée croissante, en phase avec la grève générale en Espagne du 14 novembre, mais les doutes sur d’éventuelles malversations ou corruption de l’équipe en place ont achevé de convaincre quelques indécis de s’écarter de CiU. La forte mobilisation de l’électorat (69,5% de participation, plus que d’habitude), probablement décidée en toute fin de campagne, n’a pas joué en faveur du gouvernement sortant.

 

Quelle sera la suite ?

 

M. Mas va à nouveau former le gouvernement catalan. Mais il a besoin d’alliés. Il a déjà annoncé un infléchissement de sa politique économique, sociale et budgétaire. Peut-être va-t-il former une coalition avec la gauche indépendantiste ERC. Peut-être aussi, ce qui serait plus logique, va-t-il former un gouvernement minoritaire au parlement mais passant des alliances au cas par cas avec les autres partis (c’est à peu près le même cas de figure qu’au parlement basque). En l’occurrence, avec les autres partis indépendantistes s’agissant de la marche vers la souveraineté internationale de la Catalogne.

 

Pour ce projet indépendantiste, l’appui d’ERC et de CUP est assuré.

 

Mais avant de proclamer l’indépendance, encore faudra-t-il pouvoir organiser le référendum d’autodétermination. La constitution espagnole n’en prévoit pas la possibilité, mais il se pourrait que Madrid, in fine, soit contraint un jour de s’y résoudre (la constitution française ne prévoyait pas non plus ce droit, ce qui n’a pas empêché l’Algérie de devenir indépendante, après, il est vrai, huit ans de guerre ; on peut espérer que l’Espagne sera plus intelligente). Le processus, en tout état de cause, risque de prendre du temps.

 

Sur la demande d’exiger ce droit à l’autodétermination, M. Mas pourra peut-être compter aussi sur le soutien d’Iniciativa Catalana, voire d’une partie des socialistes du PSC. Il pourra aussi s’appuyer sur la mobilisation de la société civile catalane qui a montré au moins depuis deux ans sa détermination à en finir avec la tutelle madrilène.

 

Cependant, le fort recul électoral de Convergencia i Unió risque d’affaiblir Artur Mas dans son difficile dialogue avec Madrid. Il peut y répondre de deux manières : soit en accélérant le processus de confrontation, fédérant derrière lui l’ensemble du mouvement indépendantiste, soit en temporisant en essayant d’abord de renforcer son pouvoir en Catalogne par une inflexion de sa politique économique avant d’affronter Madrid.

 

La première option est évidemment la plus risquée. D’autant que, si le sentiment indépendantiste semble désormais majoritaire en Catalogne (non seulement au parlement pour lequel la question de la souveraineté n’a pas été le seul critère de choix des électeurs, mais aussi selon les sondages d’opinion), cette majorité supposée est encore loin d’une unanimité même chez ceux qui sont les plus attachés à l’identité catalane. Le référendum sur l’indépendance, si tant est qu’il ait lieu, n’est donc pas gagné d’avance.

 

A suivre donc.

 

Un dernier commentaire. J’ai écouté en direct la soirée électorale sur « Radio Nacional de España ». Presque tous les commentateurs madrilènes ont insisté sur la « défaite » (le mot espagnol de « fracaso » sonne encore plus fort) de M. Mas, visiblement pour s’en réjouir. Venant de la part de proches des deux grands partis espagnols (PP et PSOE) qui, à eux deux, ont fait beaucoup moins que CiU, vainqueur quand même de l’élection, ce commentaire est cocasse ! Sans doute se sentent-t-ils soulagés par ce qu’ils estiment être une défaite, aussi, du projet indépendantiste. Ecoutés en Catalogne, ces commentaires méprisants ou condescendants ont probablement encore approfondi le fossé psychologique qui sépare Barcelone de Madrid. Cette attitude de certains milieux madrilènes, si elle se prolongeait, jouerait certainement en faveur de l’indépendance. Ils n’ont pas l’intelligence de s’en rendre compte !

 

Que les jacobins espagnols le veuillent ou non, la Nation catalane est déjà une réalité. Le soir du scrutin, tous les leaders politiques se sont adressés à la presse et à leurs militants en catalan, y compris Madame Alicia Sanchez-Camacho, responsable du Parti Populaire. Il y a encore dix ans, c’est plus souvent en espagnol qu’ils s’exprimaient. Les grands journaux de la région écrivaient aussi seulement en espagnol. Ils ont tous aujourd’hui une édition catalane. Depuis vingt ans, l’enseignement est également en catalan et les enfants d’immigrants andalous, formés en catalan, se sentent souvent désormais plus catalans que les Catalans de souche.  

 

La Catalogne, parce que c’est une Nation, aspire à se gouverner sans diktat extérieur. Elle peut encore le faire dans le cadre de l’Etat espagnol car les Catalans se sentent beaucoup d’affinités avec les autres Espagnols et ils n’ont donc aucune hostilité particulière envers l’Espagne. Ils veulent seulement être maîtres chez eux. S’il doit y avoir pérennité de l’Etat espagnol ce ne peut être que sur une base d’égalité entre ses peuples. Pas dans le cadre d’une soumission des Basques et des Catalans à une suprématie castillane autoproclamée. Cela ne concerne pas seulement les pouvoirs « régionaux », mais aussi le pouvoir central, actuellement pas suffisamment représentatif de la diversité de l’Espagne.

 

Malheureusement, force est de constater que la tendance à Madrid ne va pas dans le bon sens. Cela est vrai s’agissant de la Catalogne. Cela l’est davantage encore pour le Pays Basque (Madrid vient encore de répondre par une fin de non-recevoir aux propositions de dialogue de l’ETA).

 

Il n’est dans l’intérêt de personne de s’arc-bouter à Madrid derrière une constitution dépassée. Que feront-ils face à des déclarations unilatérales (parce qu’ils auront refusé de les négocier) d’indépendances ? Enverront-ils les tanks sur Barcelone et les avions sur Gernika ? Les fous qui ont détruit Vukovar et bombardé Dubrovnik dans les années 1990, ont fini par détruire la Yougoslavie dont ils prétendaient défendre l’intégrité. Je conseille aux nostalgiques de Franco qui voudraient suivre leur exemple de s’informer sur les conflits yougoslaves et d’en tirer des conséquences raisonnables avant qu’il ne soit trop tard.

 

Une remarque additionnelle enfin à destination de la France.

 

L’Espagne, comme la plupart des démocraties européennes, a choisi le scrutin proportionnel à un tour. Au scrutin majoritaire à deux tours, sans doute M. Mas aurait-il obtenue la large majorité à laquelle il aspirait car ce type de scrutin est favorable aux partis dominants. Mais la démocratie n’y aurait rien gagné. Dans le parlement de Catalogne, comme dans celui de Madrid, toutes les forces politiques sont représentées en proportion exacte de leur représentativité. En France, des partis qui représentent 20% de l’électorat sont quasiment absents de l’assemblée nationale. Et on voit avec le chaos qui frappe l’UMP que la constitution de « grands » partis artificiels parce que leurs sensibilités internes sont trop différentes est source de problèmes. Le scrutin proportionnel donne souvent lieu à des tractations qui peuvent paraitre excessives. Il est pourtant plus juste et en général plus efficace que le scrutin majoritaire, source d’affrontements artificiels qui se terminent par la dictature de majorités tout aussi artificielles sur des minorités artificiellement minorées. A méditer !

 

                                                                                  Yves Barelli, 26 novembre 2012       

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