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11 avril 2014 5 11 /04 /avril /2014 19:36

Le parlement espagnol s’est réuni le 8 avril pour examiner et rejeter la demande des autorités de Barcelone d’organiser un référendum pour connaitre l’avis du peuple catalan sur une éventuelle indépendance.

La constitution espagnole ne prévoit pas la possibilité pour ses « communautés autonomes » (régions) d’organiser de tels référendums. Toutefois, d’autres solutions, indirectes, seraient possibles. La première consisterait à ce que le parlement espagnol délègue ses compétences au parlement catalan. C’est la solution qui a été adoptée en Grande Bretagne où un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse est programmé pour le 18 septembre de cette année. Les autorités écossaises n’avaient, pas plus que les catalanes, compétence en la matière, mais le parlement de Westminster a délégué à celui d’Edimbourg la possibilité de le faire. Les modalités du référendum et notamment la question à poser ont été négociées entre Londres et Edimbourg. Une autre possibilité serait d’organiser un référendum en Espagne pour autoriser la consultation en Catalogne. Même dans les pays où la constitution ne prévoit pas cette possibilité, des arrangements sont toujours possibles. On se souvient par exemple que l’Algérie étant en 1962 une partie intégrante de la France, il avait fallu que le peuple français décide par référendum de la scission de cette partie du territoire national.

Dire que la constitution ne prévoit pas la séparation d’une partie de l’Espagne pour refuser tout débat relève en conséquence de la mauvaise foi.

Je suis souvent à Barcelone où je donne un cours à l’université. J’y étais notamment ce 8 avril et j’ai regardé en direct à la télévision la session du parlement (« Congrès des députés »). J’ai eu le lendemain l’occasion d’en parler avec mes étudiants et la direction de l’université.

L’argumentation développée au parlement par les députés catalans a été que le gouvernement de la « generalitat » avait reçu mandat du parlement catalan, donc du peuple, d’organiser cette consultation.

En effet, le gouvernement d’ Artur Mas, président de la Generalitat, avait provoqué des élections anticipées le 30 novembre 2012 (voir mon article : « vote à double sens en Catalogne »). Une coalition en a résulté entre son parti (CiU, centre droit) et l’ERC (gauche républicaine), tous deux favorables à l’indépendance.

Le 23 janvier 2013, le parlement catalan a adopté par 85 voix pour, 41 contre et 2 abstentions une « déclaration de souveraineté et le droit à décider du peuple catalan ».

Le 12 décembre 2013, le gouvernement catalan a annoncé la tenue d’un référendum le 9 novembre 2014 avec deux questions : a/ Voulez-vous que la Catalogne devienne un Etat ? »  et b/ « Dans le cas d’une réponse affirmative, voulez-vous que cet Etat soit indépendant ? ». On peut ergoter sur l’apparente redondance des deux questions, un Etat étant apparemment toujours « indépendant ». Mais les rédacteurs des questions avaient en fait une idée derrière la tête : la possibilité d’un Etat « associé » à l’Espagne, sans être doté de la souveraineté internationale. Cette possibilité est rarement utilisée en droit international, mais elle existe. On peut citer les exemples des îles Cook, Etat associé à la Nouvelle Zélande, ou celui des Mariannes du Nord, associées aux Etats-Unis. Ce fut aussi, de fait, longtemps, le statut de Monaco, Etat « protégé » par la France.

Les députés catalans qui ont participé au débat du 8 avril ont tous rappelé le mandat démocratiquement donné par le peuple catalan pour que ces questions lui soient posées. Certains (les socialistes du Parti Socialiste Catalan) ne se sont pas prononcés pour l’indépendance mais pour le droit des Catalans à dire s’ils la souhaitent ou pas.

Les Catalans ont mentionné évidement les exemples québécois et écossais. Ils ont aussi parlé du Kosovo. Ils ont surtout dit qu’ils « tendaient la main » à Madrid et que, notamment, ils accepteraient que le libellé des questions posées au référendum soit revu pour mieux coller à la Constitution.     

Parmi les appuis significatifs de députés non catalans, il y a lieu de citer celui des deux principaux partis basques (qui forment une coalition majoritaire comparable à celle de Barcelone entre des nationalistes de centre droit et de gauche) et celui de la Gauche Unie (équivalent du Parti de Gauche en France : gauche en désaccord avec le Parti Socialiste, pas seulement sur la question catalane).

Côté hostilité à l’idée même de référendum, on a constaté un tir groupé des deux partis de gouvernement : Parti Populaire, droite, actuellement au pouvoir, et PSOE (socialiste), qui était au pouvoir avant de subir une défaite mémorable en 2012. Mariano Rajoy, sur un ton relativement modéré sur la forme mais totalement fermé sur le fond, a mis en exergue l’impossibilité constitutionnelle de permettre une consultation populaire sur une indépendance et même l’impossibilité absolue de l’indépendance. Pour lui et son parti, la Catalogne n’appartient pas aux Catalans mais à l’ensemble des Espagnols et l’idée même d’indépendance est impossible et donc non négociable.

Le chef du PSOE, Alfredo Rubalcaba, s’est montré aussi fermé sur le fond mais s’est prononcé pour une évolution de la Constitution espagnole dans le sens d’un fédéralisme. Mais il est resté vague sur ce point. On se demande d’ailleurs pourquoi les socialistes qui ont passé de nombreuses années au pouvoir n’ont jamais engagé de réforme constitutionnelle dans ce sens. Comme les socialistes français, il semble que les socialistes espagnols n’aient de bonnes idées que lorsqu’ils sont dans l’opposition. Lorsqu’ils sont au pouvoir, leur pratique n’est pas différente de celle de la droite. Pas seulement sur les autonomies, on le sait.

Le moins qu’on puisse dire de la pratique du PSOE en matière d‘autonomie, est qu’elle est aussi fermée que celle de la droite. Le PSOE est allé jusqu’à gouverner le Pays Basque pendant cinq ans, jusqu’en 2012, en coalition avec la droite dure du PP en profitant de l’absence du parti nationaliste de gauche (qui avait été interdit d’élection sous prétexte qu’il était trop proche de l’ETA, ce qui avait entrainé le boycott d’une partie des électeurs). Aujourd’hui ce parti, enfin autorisé à se présenter, gouverne Euskadi avec les nationalistes « modérés » du PNV. (Les socialistes et la droite n’ayant obtenu ensemble que 25% des suffrages : voir mon article du 22 octobre 2011 : « victoire nationaliste au Pays Basque »).

Encore, les deux responsables des partis de « gouvernement » ont-ils essayé d’adopter un ton mesuré, sans rien lâcher sur le fond. D’autres députés de droite se sont en revanche déchainés. On se serait cru aux pires temps de Franco. A les entendre, l’Espagne est quasiment une création divine, le peuple catalan n’existe pas. Il n’y a qu’une Espagne une,  indivisible et éternelle.

De tels propos indignes sont restés heureusement minoritaires. Les Catalans et les autres se sont en général écoutés poliment et l’atmosphère était relativement conviviale, ne serait-ce que parce qu’aucun des deux « camps » n’a intérêt à rompre les ponts.

Cette convivialité n’a pas empêché les députés espagnols de fermer la porte à une écrasante majorité (PP+PSOE) non seulement à l’indépendance catalane, mais à l’idée même de demander au peuple catalan ce qu’il en pense.

Que va-t-il se passer maintenant ?

Les Catalans s’attendaient à la fin de non-recevoir de Madrid. Ils se sentent néanmoins blessés. Ils ont l’impression que les Espagnols les considèrent comme des mineurs à vie devant obéissance aux « parents » de Madrid. Ils ne recherchent toutefois pas la confrontation.

Arturo Mas l’a confirmé ce matin, dans un excellent français, sur France-Info, où il était interviewé depuis Paris. Au-delà des bonnes paroles traditionnelles (la Catalogne n’a rien contre l’Espagne avec laquelle elle veut rester très proche ; de toute façon aucun pays européen n’est totalement indépendant et son pays est prêt à continuer à se comporter en partenaire européen responsable), le président de la Generalitat a esquissé un pas vers un compromis : le référendum aura bien lieu, mais, si le résultat est positif, l’indépendance ne sera pas proclamée tout de suite. La consultation représentera en quelque sorte un sondage d’opinion grandeur nature. Si les Catalans se prononcent pour le double oui, cela constituera une base de départ pour de futures négociations. Sans le dire, il a en fait laissé entendre qu’un statut intermédiaire entre l’actuel et un Etat associé pourrait être pris en considération, au moins pour un temps.

On verra comment Madrid va réagir. Pour le moment, les ponts ne sont pas coupés, mais aucun geste tangible n’est fait envers les Catalans.

Cette fermeture totale est pourtant contreproductive, y compris d’un point de vue unitariste espagnol.

L’aspiration à l’indépendance est en effet récente (à la différence de celle des Basques, qui a toujours existé).

Elle est en fait née, dans sa forme actuelle, de la décision, en 2010, de la Cour Constitutionnelle espagnole de censurer plusieurs articles du nouveau statut d’autonomie catalan de 2006. La plus haute instance juridique espagnole est allé jusqu’à nier que la Catalogne soit une « Nation » ayant connu une expérience étatique pendant plusieurs siècles (certains pensent qu’en niant les réalités, ces réalités n’existent pas !). Cela a été pris comme une gifle.

Les Catalans ont réagi par des manifestations monstres. En même temps, un changement net s’est produit dans l’opinion. Avant 2010, les Catalans étaient très attachés à leur autonomie, leur langue, leur culture et leurs particularismes, mais il y avait aussi (ce n’est pas antinomique) un profond attachement à l’Espagne. Selon le « Centre d’Estudis d’Opinió » la proportion des Catalans en faveur ou contre l’indépendance était de 32/55% en 2007. Puis 45/25 en 2011 (avec donc, beaucoup d’indécis). On est passé en septembre 2013 à 55% en faveur et 22% contre. La proportion est restée à peu près la même aujourd’hui (d’autres instituts de sondages donnent des chiffres comparables). Un sondage n’est qu’un sondage. Reste à le confirmer ou à l’infirmer dans les urnes. Raison de plus pour organiser le référendum. Beaucoup hésitent encore ou se sentent partagés : pour la Catalogne, mais pas nécessairement contre l’Espagne. Beaucoup d’inconnues aussi qui peuvent laisser perplexes.   

Mais il semble que plus Madrid dit non, davantage d’indécis passent du peut-être au oui en faveur de l’indépendance.

En attendant d’autres développements, voici mon commentaire :

1/ Il est clair que la démocratie est foulée aux pieds en Espagne. Se réfugier derrière le texte d’une Constitution pour s’arc-bouter sur l’idée qu’un pays doit rester un et indivisible pour l’éternité et quelle que soit le souhait de ses habitants est non seulement scandaleux mais inviable sur le long terme. Certains l’ont dit pendant huit ans de l’Algérie, partie intégrante de la France. On sait ce qu’il est advenu.

2/ Le déni de démocratie est évident pour le Pays Basque (pour le moment les Basques observent le combat des Catalans. Leur tour viendra, ou reviendra, car leur lutte pour la liberté est séculaire). Euskadi n’est espagnol (et, partiellement français) que par un artifice de l’histoire et par la force. Si les Basques pouvaient s’exprimer, ils choisiraient l’indépendance massivement et sans hésitation.

3/ Ce déni démocratique devient une réalité pour la Catalogne aussi. Si les Catalans se prononcent pour l’indépendance, si les sondages sont confirmés, l’Espagne pourra-t-elle s’y opposer longtemps ? On peut marginaliser le Pays Basque. C’est plus difficile pour la Catalogne.

4/ Le silence de l’Europe est assourdissant. Le Kosovo ou le Sud Soudan avaient droit à l’indépendance, mais pas la Catalogne ou Euskadi (la Crimée non plus n’avait pas le droit de choisir selon l’UE et l’OTAN). Pourquoi ?

5/ Le résultat du référendum écossais pèsera lourd. Les premiers sondages étaient mauvais pour les indépendantistes. Le non reste aujourd’hui majoritaire, mais le oui s’en approche. Londres a essayé de faire peur aux Ecossais. C’est l’effet inverse de celui qui était escompté qui est obtenu. Si le oui devait finalement l’emporter le 18 septembre, ce serait un précédent dont pourront se prévaloir d’autres séparatistes, notamment en Catalogne.

 

                                                                       Yves Barelli, 11 avril 2014                                                      

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