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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 22:54

 

1083678-13773253ème partie : le système dans l'impasse (Télécharger et/ou imprimer l'intégralité de cet article en pdf)

 

1/ La remise à plat du système ne pourra plus être différée longtemps

Au cours de ces années « honteuses », malgré les apparences, on allait droit dans le mur (et ce n’est pas fini). La crise des « subprimes » a montré qu’il était illusoire d’espérer continuer encore longtemps de vendre, à coup de produits financiers artificiels, à des consommateurs sans pouvoir d’achat. Quant aux nouveaux marchés, on se rend compte aujourd’hui combien, eux aussi, reposent, en partie, sur des bases artificielles : la Chine, par exemple, a d’énormes besoins en machines et en matières premières ; mais la compétitivité de ses industries, entièrement tournées vers les exportations, repose essentiellement sur des bas salaires, de sorte que, en dépit de taux de croissance pharaoniques, mais à cause de la compression des salaires, le niveau de vie y demeure médiocre.

 

D’un côté, un pouvoir d’achat insuffisant, compensé en partie par le crédit et les importations de produits de consommation bon marchés, de l’autre, un marché intérieur sacrifié afin de maintenir des bas salaires : le schéma décrit par Marx au 19èmepour un pays est maintenant transposé à l’échelle de la planète. C’est globalement qu’il y a insuffisance de la consommation des salariés car une part accrue de la richesse créée par leur travail est confisquée au profit de détenteurs du capital, plus riches individuellement mais moins nombreux et dont la consommation ne peut compenser celle des non consommateurs. Le marché des Rolls, des jets privés et des villas « de rêve », ne s’est certes jamais aussi bien porté, mais, à lui seul, il est insuffisant pour faire marcher la machine économique.

 

Certains objectent que les réserves de croissance dans le tiers-monde sont considérables et que, même si le niveau de vie de la majorité de ses habitants reste faible, une proportion notable sort de la pauvreté (ce qui représente des centaines de millions de personnes) et assurera donc des débouchés aux produits industriels. Ce raisonnement n’est que partiellement vrai et donc non pertinent. Pourquoi ? D’abord parce que les marchés chinois, indiens ou brésiliens sont très protégés et donc que leurs consommateurs enrichis ne consommeront que marginalement les produits occidentaux (il ne faut pas fantasmer sur les débouchés « illimités » pour les sacs Vuitton ou les BMW. Une fois l’effet bling-bling propre aux nouveaux riches passé, des produits similaires seront fabriqués sur place). Ensuite parce que, toutes choses égales par ailleurs, le développement de ces pays s’accompagnera de l’appauvrissement et de la désertification industrielle des pays occidentaux pour la raison évoquée plus haut (protection des marchés). En outre, si, par incapacité à se réformer, le monde occidental plonge durablement dans la crise, celle-ci a toutes chances de s’étendre y compris aux pays émergeants. Ce système est dangereux, pas seulement pour les Etats-Unis et l’Europe, mais pour l’ensemble du monde.

 

La crise financière, puis économique, initiée aux Etats-Unis en 2007, s’est propagée à l’Europe. Le renflouement massif des banques par les pouvoirs publics a évité la brutalité de la crise de 1929, mais il n’empêche pas une dépression prolongée. La Chine et les « émergeants » ont encore des taux de croissance enviables mais ils seront probablement touchés à leur tour car les mêmes causes produisent les mêmes effets et que le monde est désormais globalisé (cf § précédent).

 

On est retombé aujourd’hui dans le même processus que lors des crises économiques du 19èmeet du début du 20èmesiècles. Cela se fait certes selon des modalités bien différentes, mais la réalité est comparable.  

 

Les politiques suivies par les gouvernements par des choix de « classe » ou, tout simplement, parce qu’ils n’ont pas les moyens ou le courage de faire autre chose (cas des pays de l’union européenne « tenus » par les critères de Maastricht et la monnaie unique), accentuent encore la concentration du capital et de la richesse : la baisse des impôts sur le revenu, le capital et l’héritage des plus riches « casse » les politiques redistributives autrefois mises en place et accentue les inégalités.

 

Les riches ont tendance à être plus riches et les pauvres plus pauvres. On peut encore se ruiner ou faire fortune en partant de rien, mais cela est de plus en plus difficile ; toutes les études menées aux Etats-Unis, en Europe ou dans les pays émergeants le montrent. En gros, dix pour cent possèdent à eux seuls plus de la moitié de la richesse et l’accumulation de leur capital continue ; dix pour cent ont déjà plongé dans la précarité absolue ; entre les deux, dix à vingt pour cent s’en sortent encore plutôt bien en valorisant des compétences recherchées ou en vendant quelques propriétés foncières ; les autres doivent « travailler plus » pour gagner souvent moins et dépenser plus (par exemple pour se loger compte tenu de l’accroissement de la rente au profit de la classe des propriétaires qui a accompagné la hausse du foncier).

 

Les castes dirigeantes et les oligarchies, arc-boutées dans leurs privilèges, s’auto-reproduisent. Nous ne sommes plus loin de la situation de 1789.

 

 

2/ Plusieurs crises se combinent dans la crise.

 

La baisse relative du pouvoir d’achat du plus grand nombre, le moins d’Etat et une gestion hasardeuse de la part des institutions financières (convaincues, de toute façon, qu’en cas de problème majeur, les Etats seront obligés de les aider pour éviter une banqueroute généralisée : c’est ce qui s’est passé en 2008) ont créé, aux Etats-Unis, dans un premier temps un endettement dangereux des ménages auquel le capital avait intérêt de vendre à crédit ; d’où la multiplication de produits financiers déconnectés de la réalité : en schématisant, on prêtait de l’argent qui n’existait pas.

 

Dans un deuxième temps (2008), les Etats ont renfloué les banques, ce qui a sauvé le système, mais au prix d’un endettement massif des Etats. Ceux-ci n’avaient déjà plus les moyens de fonctionner correctement depuis deux à trois décennie puisque les politiques de Reagan et consorts étaient, et sont, marquées par une baisse importante de la fiscalité sur les gros patrimoines (notamment la fiscalité sur les successions) et les hauts revenus. On avait déjà rogné sur les services publics, sur la protection sociale (cf en France les remboursements toujours plus faibles des dépenses de santé par la sécurité sociale ou le recul de l’âge de départ à la retraite). On avait aussi partiellement compensé la baisse de l’impôt sur le revenu et la fortune par divers subterfuges (transfert sur les collectivités locales de dépenses toujours plus nombreuses, création de nouvelles taxes, transfert au privé – donc payant – de prestations qui relevaient du service public). Mais, globalement, les baisses de recettes étant plus fortes que les baisses de dépenses, les Etats s’étaient déjà endettés. Le renflouement des banques a tellement alourdi la charge que le bateau menace maintenant de couler, d’autant que la mer est plus agitée.

 

Parallèlement à la paupérisation des Etats et d’une partie des populations, d’autres se sont enrichis sans que la collectivité y gagne compte tenu de la légèreté de la pression fiscale sur les gros patrimoines. Jamais le monde n’a été aussi riche, jamais les Etats ont été aussi endettés, jamais les pauvres ont été aussi pauvres, mais dans le même, temps jamais les plus riches n’ont été aussi riches. Cette richesse est économiquement peu utile (voire, parfois, nuisible lorsqu’elle influe à la hausse sur les prix, comme dans le cas de l’immobilier) ; elle est donc perdue pour la collectivité.

 

A cette cause structurelle et principale de la crise, s’en ajoutent d’autres, secondaires ou conjoncturelles.

 

L’économie mondiale est dominée par quatre pays ou entités : les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Union européenne. Les autres, y compris les « émergents » (pays en transition entre sous-développement et développement, tels le Brésil, les autres pays latino-américains, l’Inde, la Russie, l’Asie du Sud-Est et quelques autres), pèsent trop peu, globalement, pour avoir une influence décisive sur l’économie mondiale.

 

Les Etats-Unis ont été durablement affectés par la crise des « subprimes ». Ayant avec le dollar la monnaie de référence mondiale, ils ont pu certes s’endetter plus que les autres, mais la crise de gouvernance à laquelle ils sont confrontés (majorité république au Congrès qui bloque l’administration démocrate d’Obama), avec le petit psychodrame de début août 2011 sur le vote de l’autorisation, automatique en temps normal, conférée au gouvernement de s’endetter à nouveau, a sapé la confiance jusque là absolue dans les capacités de l’économie américaine à continuer à diriger le monde (toutes les économie mondiales sont liées, de près ou de loin, à l’économie américaine). D’où la petite mais inédite baisse de la « note » américaine par l’agence Standard & Poor’s intervenue le 5 août 2011, peu significative en soi (l’économie américaine reste objectivement solide) mais aux effets psychologiques dévastateurs.

 

La Chine a une croissance très forte. Mais, étant le premier exportateur mondial de produits industriels, elle dépend des marchés occidentaux. De plus, étant fortement créancière des Etats-Unis, toute menace sur le dollar et l’économie américaine est une menace sur la Chine.

 

Le Japon, la Corée et quelques autres ont le même problème. De plus, le Japon a été fortement affecté par le séisme du début de 2011. Il est durablement touché, ce qui vient après de longues années de croissance relativement faible.

 

L’Union européenne a un problème spécifique. Elle a les apparences d’un Etat fédéral mais elle est loin d’en être un. Sa monnaie, l’euro, est une monnaie artificielle car une monnaie a besoin, pour être viable sur le long terme, d’être gérée par un Etat avec une politique économique et sociale unique. Or, dans la réalité, l’Union européenne est un ensemble d’Etats avec des institutions diverses et des régimes fiscaux non unifiés. Il n’y a quasiment pas de budget européen (il est marginal par rapport à la somme des budgets des Etats-membres) et chaque Etat, parce qu’il représente des peuples divers, défend légitimement ses intérêts nationaux. Comme leurs sociétés ne se comportent pas de la même façon, notamment vis-à-vis des prix, et qu’il y a des pays économiquement forts et d’autres faibles, on s’aperçoit depuis quelques mois, dix ans après sa création, des limites de la viabilité de l’euro. Aujourd’hui, l’Europe est en double crise : la sienne propre et celle qui vient des Etats-Unis. Ça fait beaucoup.

 

 

3/ Que va-t-il se passer ?

 

Il n’est pas sûr que cette crise soit décisive. On peut encore rafistoler le système. Le malade est très atteint mais les antibiotiques sont puissants ; la chambre à air est bonne à jeter mais une nouvelle rustine peut lui permettre de durer encore un peu.

 

Le pire scénario consisterait à ne rien faire de sérieux. C’est ce qui s’est produit en 2008. On a renfloué le système bancaire avec beaucoup d’argent et de grands discours sur sa nécessaire moralisation non suivis d’effet. On est reparti comme avant. La soit disant reprise a été un leurre. Rien n’a été réglé. On le voit aujourd’hui.

 

Le second scénario est à peine meilleur. Comme on ne veut pas taxer les « riches » (sous l’idée fallacieuses que, si on le fait, ils se délocalisent et donc investissent ailleurs, comme si ce n’était déjà le cas dans le cadre de l’économie mondialisée !) et qu’on veut quand même réduire les déficits pour ne pas déplaire aux « marchés », on va tailler encore plus dans les dépenses publiques et imposer plus lourdement les classes moyennes. On mettra donc en place des plans de « redressement » ou d’« austérité ». Cela a déjà commencé dans les pays les plus atteints. On se retrouve alors dans la situation paradoxale et injuste où on fait payer aux salariés par l’impôt ou, pis, par des baisses de salaires (des fonctionnaires et, par ricochet, de beaucoup d’autres) les erreurs des capitalistes (qui, eux, voient leurs rémunérations maintenues : cf celles des dirigeants des banques renflouées).

 

Mais ce type de plans, en plus d’être moralement scandaleux, est rarement efficace. Les atteintes à la protection sociale accroissent la pauvreté qui s’accompagne, on le sait, d’une hausse de la délinquance (ce n’est pas la seule cause, mais c’est une cause aussi) ; la baisse du niveau de vie des classes moyennes fait arithmétiquement baisser la consommation. Lorsque l’impôt sur la consommation est la principale recette de l’Etat (cas de la France avec la TVA) on risque d’avoir l’effet contraire à celui recherché, un accroissement des déficits. C’est la spirale de la récession. Dans les années 1930, la récession prolongée a engendré l’arrivée au pouvoir d’Hitler et la seconde guerre mondiale.

 

L’exemple des Etats-Unis montre que l’établissement d’une société à deux vitesses qui accompagne le désengagement de l’Etat n’est pas nécessairement une solution viable sur le long terme. De plus, il n’est pas sûr que les Européens, habitués à autre chose, acceptent cette société à deux vitesses, celle des « riches » ou relativement riches, qui peuvent se loger décemment, payer les écoles privées de leurs enfants, les cliniques privées et leurs retraites par capitalisation, et celle des « pauvres » ou relativement pauvres, qui ne le peuvent pas.

 

Il faut donc trouver autre chose.

 

à suivre...

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Yves Barelli, le 14 août 2011

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