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30 septembre 2019 1 30 /09 /septembre /2019 14:23

Depuis trois jours les hommages se multiplient pour l’ancien président qui nous a quittés. C’était en effet un personnage sympathique, bon vivant, énergique, cultivé, proche des gens, humain pour tout dire. Mais est-ce suffisant pour faire une bonne politique ? Pas sûr. C’est en fait un souvenir contrasté qu’il nous laisse. Aujourd’hui retenons-en le meilleur, les circonstances s’y prêtent (on encense toujours plus un mort qu’un vivant), sans toutefois occulter les éléments plus négatifs de son bilan.

1/ Une longévité en politique tout à fait exceptionnelle : les mandats les plus multiples : député, président du conseil général de Corrèze, maire de Paris, secrétaire d’état, ministre à plusieurs reprises, premier ministre et enfin président de la république.

Dans toutes ses fonctions, il a laissé le souvenir d’un homme courtois, modeste et profondément humain (ce qui ne l’a pas empêché d’être, en politique, un tueur - sans quoi on ne survit pas longtemps dans ce milieu).

Comme beaucoup, j’ai eu l’occasion de le côtoyer dans l’exercice de mes propres fonctions.

Lorsque j’étais consul général de France à Cracovie, j’ai eu l’occasion de l’accueillir au cours de l’une de ses premières visites d’Etat à l’étranger. Je lui ai fait visiter cette magnifique cité, capitale historique et spirituelle de cette Pologne qui a une place particulière dans nos cœurs parce qu’elle a tant souffert dans son histoire. Chaque bâtiment l’intéressait (j’avais pris le soin, évidemment, d’apprendre par cœur les moindres détails historiques ou artistiques). Nous étions alors au plus fort du succès des marionnettes du bêbête-show et j’avais l’impression de vivre l’un de ses sketches. Sa femme Bernadette, qui deviendra une grande politique, ne donnait pas encore cette impression, ridiculisée qu’elle était par la marionnette. Elle faisait effectivement un peu empruntée et avait des difficultés à suivre le rythme effréné de son mari qui, de temps en temps, l’attendais : « Bernadette, écoutez ce que me dit Monsieur le Consul Général ! » (il tutoyait tout le monde, sauf sa femme, à la culture bourgeoise traditionnelle). Dans la vieille ville, s’écartant de l’itinéraire convenu, il serrait un nombre incalculable de mains.  Nous sommes allés ensuite ensemble à Auschwitz et son émotion ne semblait pas feinte.

Quelques années après, j’ai participé au sommet francophone de Beyrouth. Nous avons traversé la ville (qui avait été détruite par la guerre civile et l’agression israélienne) : là aussi, la foule, nombreuse, l’acclamait et il serrait toutes les mains qui se présentaient. Le lendemain matin, il était là au petit déjeuner s’entretenant longuement avec les journalistes et la délégation de manière très décontractée.

Cette sympathie débordante et cette proximité pour les gens, étaient-elles naturelles ou calculées ? Un homme politique est un acteur. Il arrive qu’il se cale si bien dans le personnage qu’il en vient à s’identifier à lui. Si être sympathique était un calcul politique, il jouait si bien le jeu qu’il en devenait effectivement sympathique. Jeu ou naturel ? Impossible à dire. Retenons simplement que le style Chirac était attachant et même si le trait était peut-être forcé, c’était positif : on est plus à l’aise avec quelqu’un d’apparence chaleureuse que réfrigérante. J’ai connu aussi Mitterrand et Sarkozy : d’autres styles. Mitterrand en imposait : avant de s’adresser à lui on tournait sa langue plusieurs fois dans sa bouche et même ses proches collaborateurs avaient des appréhensions à l’aborder. Quant à Sarkozy, agité en permanence, il aimait à provoquer ; en petit comité, il ne pouvait s’empêcher de lancer des piques tant sur les présents que les absents (il ne ménageait pas Chirac dont il se moquait facilement ; pire que le bébête-show).

Chacun, donc, son style. Le contact avec Chirac était bien plus facile qu’avec n’importe qui d’autre.

2/ Il n’empêche qu’on peut tout de même se poser des questions sur sa sincérité. Il était extrêmement ambitieux (ce qui peut être une qualité ; si on ne l’est pas, on n’arrive évidemment pas aux fonctions qu’il a occupées) et calculateur. Son mariage a été un mariage de raison : en épousant Bernadette, il a eu accès aux réseaux (et à l’argent : faire de la politique, ça coûte, surtout au début) de la grande bourgeoisie. Pour elle, il a fait bien des compromissions : ayant débuté à l’extrême-gauche, il s’est rangé à droite, libre-penseur au départ, il est devenu catholique pratiquant. Ces virages dignes d’une anguille le rendent un peu moins sympathique.

Quant au calcul, il a commencé à l’ENA. Sur papier à en-tête des services du premier ministre (dont dépend l’ENA) il a, durant les deux ans et demi que dure la scolarité, prit le soin d’écrire systématiquement aux habitants de sa future circonscription électorale de haute Corrèze à l’occasion de tous les évènements de la vie : naissances, décès, mariages, promotions. Malin, non ? Quand on entend dans l’histoire romancée de sa vie qui nous est servie en ce moment par toutes les télévisions que c’est Pompidou, premier ministre, dans le cabinet duquel il avait réussi à se faire admettre à la sortie de l’ENA, qui l’avait envoyé « au front » dans cette circonscription « difficile », balivernes !

3/ Mais peu importe. La fin peut justifier quelques moyens, à condition, évidemment que ces moyens restent dans les limites de l’acceptable, ce qui a été à peu près le cas de Chirac.

Plus intéressant, quand même, est de porter un jugement sur sa politique. Un gentil qui fait une mauvaise politique doit-il être privilégié à un méchant qui en fait une bonne ? D’un point de vue moral peut-être. Mais la politique n’est pas seulement une affaire de morale et de bons sentiments. C’est aussi une question de résultats.

Les résultats de la politique de Chirac sont contrastés. Je ne parle pas ici de ce qu’il a fait ou pas fait en Corrèze et à Paris. Pour la première, je n’en sais rien encore qu’on peut avoir un regret : lui qui a défendu les langues et cultures des peuples « premiers » jusqu’au fond du Pacifique, il n’a, en revanche jamais manifesté le moindre intérêt pour la culture occitane, alors que la Corrèze fut le berceau des troubadours les plus fameux ; pour la capitale, il y a eu du bon et du moins bon (notamment les magouilles et le favoritisme politicien : la ville avait été mise en coupe réglée).

Je veux m’en tenir surtout aux mandats présidentiels.

Pour la politique étrangère, un bilan dans l’ensemble positif, même s’il y a eu des points négatifs : la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, et surtout, le virage européen qui a rompu avec la tradition gaulliste d’indépendance. Sur ce dernier point, on peut parler de trahison.

Ce qui a sans doute fait pencher la balance vers le positif dans ce domaine, c’est évidemment le refus de la guerre en Irak, bien que malheureusement un peu compensé ensuite par un retour un peu honteux dans le giron des satellites des Etats-Unis, par exemple en essayant, en pure perte, de quémander quelques miettes dans les contrats pour la reconstruction du pays.

Autre point très positif. Le président a su séduire tous ses interlocuteurs par sa grande culture historique (et artistique) et par la vision magistrale qu’il avait des civilisations. Aucun continent ne lui était étranger : l’Asie, dont il maitrisait parfaitement les civilisations, le monde arabo-musulman, l’Afrique, bien sûr (passion traditionnelle de tous les présidents, au moins jusqu’à Chirac inclus (après, la « construction européenne » a fait oublier le continent noir qui, pourtant, est essentiel à nos intérêts), mais aussi l’Europe orientale (la Pologne, j’en ai été témoin, mais aussi la Russie de Poutine, avec lequel il a sympathisé - Chirac parlait russe) et l’Amérique latine.

Pendant son deuxième mandat, j’ai eu à m’occuper particulièrement de ce sous-continent. Il était l’ami de Lula, de Chavez ou de Morales, tous hommes de la gauche latino.

Une anecdote. Chirac a reçu à l’Elysée le président argentin Kirchner qui avait des velléités de remettre à leur place les entreprises étrangères qui avaient bénéficié de contrats scandaleusement avantageux imposés par le FMI sous son prédécesseur. La société française CGE (eaux) était dans le collimateur et se plaignait du traitement qu’elle disait être infligé par les Argentins. Sans entrer dans le détail (pour des raisons compréhensibles), j’avais rédigé une note pour l’Elysée allant dans un sens plutôt favorable aux Argentins en notant que les avantages de la CGE étaient excessifs et que, entre notre amitié et nos intérêts à long terme à Buenos Aires et les intérêts à court terme de la CGE, il fallait choisir les premiers. Corrigée par ma hiérarchie et celle de Matignon, cette note avait été complètement dénaturée. Lorsque nous nous sommes trouvés dans le bureau de Chirac à l’Elysée et que l’argentin y est entré, on s’attendait à une attaque en règle de Chirac contre son homologue (d’autant que le PDG de la CGE était un ami personnel de Chirac). C’est le contraire qui s’est produit : Chirac a dit en substance : « si vous n’arrivez pas à vous entendre avec la CGE, tant pis, cela ne doit pas être une entrave à notre coopération ». C’est ma ligne que Chirac avait choisie (bien que ce ne fut plus ma ligne !). Toute la ligne hiérarchique « mouchée » ! Et la mienne renforcée.                                               

En revanche, pour la politique intérieure et la politique européenne, faux sur presque toute la ligne. On se souvient des grèves sur les retraites. On se souvient aussi de la suppression du service militaire (une faute) mais aussi du massacre des Canaques d’Ouvéa (un crime !).

Le résultat, on s’en souvient, a été une chute vertigineuse de Chirac dans les sondages. Il ne dut sa réélection qu’au fait qu’il a eu Le Pen en face de lui au deuxième tour. On se souvient aussi que ce deuxième mandat avait été plutôt minable.

XXX

Mais bon. En ce jour d’obsèques, retenons surtout l’aspect positif de l’ère Chirac : le contact facile, la grande culture, le non à la guerre d’Irak et, d’une façon, générale, l’essentiel de la politique étrangère. Pour le reste, bien moins bon et même pas bon du tout. Mais, si cela peut renforcer le crédit du président disparu : ses successeurs ont été pires que lui. Chacun, en fait, pire que le précédent. La France est en pleine crise. Cela atténue un peu ce qu’il y avait de moins positif chez Chirac. Un grand homme quand même./.

Yves Barelli, 30 septembre 2019     

 

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