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9 août 2018 4 09 /08 /août /2018 12:04

 

[J’ai habité le Monténégro, petit pays de l’ancienne Yougoslavie entre montagne et Adriatique ; j’y étais en poste diplomatique. Lorsque j’en avais le loisir, j’aimais y faire du vélo, ce qui n’est pas souvent une sinécure, tant du fait de l’inconscience des automobilistes, de l’agressivité des chiens que des conditions climatiques]

Samedi 7 juillet 2007

Départ à 16 heures de chez moi. Il fait chaud: 34°. Plein soleil, pas l’ombre d’un nuage. Certains diront que je suis fou de partir avec une telle chaleur. Mais je me connais et je sais ce que je fais. J’ai une casquette et le soleil ne m’a jamais incommadé. J’ai toujours fait du vélo en Provence en été à la mi journée avec des températures proches de celles d’aujourd’hui et à Alger, je jouais aun tennis par les mêmes températures. Alors, je pars. Je ne dépasse jamais mes limites. Lorsque c’est trop pénible, je ralentis ou même fais une pose. Je bois beaucoup. Je viderai aujourd’hui le litre de coca que j’emporte.

Je prends d’abord la vieille route de Danilovgrad. Sur ma gauche, la colline de „Malo Brdo“ (205 m). La région de Podgorica est truffée de ces „buttes témoin“ comme disent les géologues (roches plus solides qui sont restées alors que tout autour, l’érosion a dégagé le terrain). La colline de la „Gorica“, qui a donné son nom à la ville (Podgorica = „dessous la Petite Montagne“) et qui la domine est la plus connue. Ces promontoires sont pittoresques car ils animent agréablement le paysage. Ces buttes sont assez arrondies. Celles qui entourent le lac de Skadar du côté de Virpazar sont au contraire pointues, ce qui rappelle les „pains de sucre“ des régions tropicales.

Je dépasse à la sortie de Podgorica le restaurant „Klub A“ où dans quatre jours je donnerai ma réception du 14 juillet (ce sera le 11 en fait), arrive à la prison de Spuž où nous avons désormais deux compatriotes (l’un a été condamné l’année dernière à un an et demi d’incarcération pour fausse monnaie; l’autre y est depuis quinze jours en préventive: on a trouvé du canabis dans son jardin, sur dénonciation évidemment). J’ai fait une dizaine de kilomètres depuis la maison.

Je cherche cette route à gauche qui mène vers Mareza. Elle doit passer entre la colline de Veliki Šanac, qui culmine à 283 m et celle où est situé la localité de Novo Selo où j’avais abouti la dernière fois. Vu sur la carte, mais également à l’horizon, c’est presque plat. La réalité est différente. Je prends un premier chemin goudronné mais il s’arrête cent mètres plus loin à des maisons. Le deuxième est le bon. Je vérifie auprès d’un autochtone qu’il conduit bien où je veux aller. Ça commence à monter pas mal. A une fourche, je prends à tout hasard à droite et grimpe fortement (après avoir passé le plus petit rapport, je marque une pose auprès d’un rare arbre pour me désaltérer et effectue à pied les derniers mètres de la « calade » (comme on dit en Provence). Je passe devant un cimetière. Si je devais être foudroyé par la chaleur, on pourrait peut-être m’y trouver une place. Une autre personne me confirme que je suis sur la bonne voie : « oui, oui, tout droit ! ». Mais, tout droit, ça continue de monter et le « cagnard » de cogner!

Enfin, j’arrive à un col et peux souffler dans la forte descente qui me permet d’ « atterrir » sur la route de Mareza. Il ne me reste « plus » qu’à rentrer. Encore une grosse demi-heure à pédaler au soleil. Des raccourcis dans les premiers faubourgs de Podgorica vont s’avérer en fait plus longs. Des travaux sur des immeubles en chantier m’obligent à un moment à revenir en arrière.

Je retrouve la route de Mareza et traverse Podgorica de part en part. Je passe devant la cathédrale, je traverse le pont du « millenium » et emprunte la route de Belgrade qui me conduit chez moi.

J’ai vérifié sur la carte la distance effectuée : 28 kilomètres. Temps : 1h45. J’ai consommé mon litre de coca-cola. Je n’ai pas croisé beaucoup d’autres cyclistes…  

Dimanche 8 juillet 2007

Comme hier, je reste à Podgorica. Je suis allé vendredi à Budva pour me baigner et pour rendre visite à un Français qui y tient un bistrot. Comme la route de Cetinje était fermée à la suite du renversement d’un camion, je suis rentré par Petrovac et Virpazar. Queue leu le ininterrompue pour entrer à Podgorica. Donc plus de mer pendant le week-end. Place au cyclisme. Le Tour de France a commencé hier. Moi, c’est le tour de Podgorica. Chacun fait ce qu’il peut ! Ma tournée d’hier en plein soleil ne m’a ni fatigué ni découragé. Au contraire, j’ai envie d’en « remettre ». Cette fois, direction Tuzi (sud de Podgorica, en direction de l’Albanie).

Lorsque je quitte la maison, à 9h15 du matin, il fait déjà 27°. Ça commence bien : un idiot me fait une queue de poisson en tournant à droite devant mes roues. Un peu plus loin, deux chiens agressifs me courent après en aboyant comme des abrutis. Ce sera heureusement les seuls incidents du circuit.

Je prends un petit chemin goudronné qui s’embranche à moins de deux kilomètres de chez moi depuis la route entre le supermarché Carine et Medun. Il débouche sur la vieille route de Tuzi, celle qui passe par Novo Selo et à proximité de Dinoša. Des travaux durent ici depuis des mois. J’y étais passé une fois en voiture et avais du faire un détour (non fléché évidemment) pour éviter ces travaux. Là, le vélo me permet de traverser le chantier. Heureusement que j’ai une carte détaillée bien que pleine d’erreurs, que je commence à connaître la région et que, en général, j’ai le sens de l’orientation (ce qui ne m’empêche pas de me tromper parfois).

Suit une longue ligne droite dans la plaine qui s’étend sur le piémont des montagnes qui, à la frontière avec l’Albanie, grimpent vite à plus de 1000 mètres.

A proximité de Dinoša, la route traverse la rivière de la Cijevna. Elle vient d’Albanie. J’ai suivi la plus grande partie de son cours côté albanais il y a peu sur une très mauvaise piste. La rivière traverse la frontière mais il n’y a pas de passage routier à cet endroit, ce qui oblige à un long détour en passant un col escarpé depuis le lac de Skadar (poste frontière de Hani i Hoti).

Juste après le pont, un premier petit chemin goudronné prend à gauche. Je pense d’abord que c’est la route de Cijevna, sur la rivière du même nom, petit village situé à 20 km de là, juste à la frontière, qu’on ne passe pas comme dit plus haut. Mais ce chemin s’arrête un peu plus loin à des maisons. Ce n’est pas le bon. La véritable route est quelques mètres plus loin à une fourche : du côté gauche, Cijevna, du côté droit Tuzi. Il faut le savoir, car il n’y a rigoureusement aucune indication [pas de gps non plus, inventé plus tard}. D’ailleurs, depuis le départ de mon circuit, je n’ai encore vu aucun panneau. Souvent, au Monténégro, pour se guider, il n’y a que trois solutions : ou on est du coin et on mémorise les itinéraires, ou on demande à un autochtone, ou on se fie à son pif avec l’aide d’une carte (mais il n’y en a aucune de bonne).

Juste après le carrefour, sur la route de Cijevna, une voiture banalisée avec des flics qui arrêtent les rares automobilistes qui passent pour les contrôler. Moi, ils me laissent passer. La montagne est propice à la contrebande entre le Monténégro et l’Albanie.       

Cette région est peuplée d’Albanais, d’un côté comme de l’autre de la frontière. Tuzi, où je vais arriver dans quelques minutes, fait partie de la commune de Podgorica, mais son peuplement est presque exclusivement albanais. La localité dispose d’ailleurs d’une municipalité autonome, sorte de mairie d’arrondissement. Mais la population revendique l’instauration d’une municipalité de plein exercice. Lorsqu’on traverse Tuzi par la route, l’ « albanité » saute aux yeux : d’abord les mosquées et les églises catholiques (alors que les  Monténégrins sont généralement orthodoxes), ensuite la façon de conduire, à l’ « albanaise », c'est-à-dire complètement anarchique, plus encore qu’ailleurs au Monténégro où les gens ne sont pourtant pas spécialement disciplinés et où piétons et cyclistes (je l’ai encore vu tout à l’heure) ne sont absolument pas respectés ; enfin, les tas d’ordures le long des routes, autre « spécialité » albanaise, sont omniprésents (le Monténégro n’et pas propre, mais c’est presque la Suisse comparé à l’Albanie).

La route de Tuzi longe la Cijevna sur deux kilomètres. La rivière s’en écarte ensuite et file en direction de l’ouest où elle va croiser la voie ferrée Podgorica-Shkodra et la route de Tuzi à Podgorica, avant de continuer vers le lac de Skadar. Comme c’est sur cette route que je veux aller, je cherche le petit chemin qui longe la rivière et qui est indiqué sur ma carte. Je le trouve et m’y engage. Il est goudronné, mais le macadam ne dure pas plus de deux ou trois cent mètres. Le chemin de terre se transforme ensuite en sentier au milieu des rochers et bien vite, il n’est plus praticable en vélo et sans doute même pas à pied car son tracé, incertain, s’engage dans une végétation de maquis plein de piquants peu engageants pour moi qui suis en short. Je reviens donc en arrière et retrouve la route de Tuzi.

Les derniers kilomètres sont plats et agréables, malgré le soleil et la chaleur (mais avec la vitesse, réduite mais suffisante, ça va), sur cette route peu fréquentée. J’arrive tranquillement à Tuzi et trouve la grande route qui relie la capitale monténégrine à Tuzi et, au-delà, à l’Albanie. Je l’ai empruntée à de multiples reprises en voiture.

La route est fréquentée, donc pas spécialement agréable en vélo. Il n’y a, bien sûr, aucune voie cycliste ni même de bas côté. On est frôlé par des voitures et des camions qui doublent parfois à vive allure. Je me dis dans ces cas-là que si une voiture venait à me heurter, je ne serais sans doute plus là pour écrire ce compte-rendu, d’autant que je roule sans casque. Mais il faut savoir prendre des risques, sinon on ne fait plus rien. Quand on circule en voiture sur les routes sinueuses de la région, on est aussi à la merci d’un camion qui raterait son virage et qu’il serait impossible d’éviter. Et si on se terre chez soi, qui peut garantir qu’aucun avion ne s’y écrasera jamais ? Le risque zéro n’existe pas, il faut simplement le minimiser en sachant ce que l’on fait. La vie sans risque n’est plus la vie. Refuser le moindre risque en pensant qu’on pourrait mourir, c’est déjà ne plus vivre !

Il m’arrive ainsi de penser lorsque je pédale. C’est ce que j’aime lorsque je fais du vélo ou lorsque je conduis en voiture sur une longue distance seul. J’ai alors le temps de penser à toutes sortes de choses. C’est ainsi que je me construis une philosophie de la vie. C’est ainsi que je refais le monde. Je rêve alors à un monde meilleur, moins absurde, moins gêné par la bande d’imbéciles ou d’ambitieux sans scrupules qui nos entoure. Même si le rêve ne devient pas souvent réalité, il me parait sain de rêver. Tant qu’on le fait, on n’est pas encore résigné à subir et c’est bien. Je ne serai sans doute jamais un mouton et j’en suis fier. Même si cela complique parfois la vie. C’est si facile de suivre un berger ! Mais si insupportable aussi si on est un homme libre !

Comme la route, qui trace tout droit à travers la plaine fait une dizaine de kilomètres de Tuzi à Podgorica, j’ai le temps de penser pas mal. Je croise à un moment un cortège de mariés qui, comme c’est la coutume ici, porte, sur la première voiture, un grand drapeau. Celui-ci est albanais. Tout à l’heure, j’en verrai un autre avec un drapeau serbe. Le mariage est une institution qui reste très prisée dans ces pays traditionalistes que sont le Monténégro et l’Albanie. Les voitures, abondamment décorées de fleurs, klaxonnent très fort. De la première, un caméraman filme les mariés dans la deuxième voiture. Feront-ils le même cinéma lorsqu’ils divorceront ? Même s’ils en avaient encore envie, les frais d’avocats et de justice qu’ils devront alors engager ne leur laisseraient probablement pas beaucoup d’argent pour la fête ! Je suis définitivement contre l’institution du mariage et ma réflexion tout en pédalant et après avoir vu ces naïfs me conforte dans cette pensée. Mais comme je suis tolérant, dans la mesure où on est tolérant avec mes opinions et mes pratiques, si ça les amuse de se marier, libres à eux !

Comme je le fais en voiture lorsque je rentre d’Albanie, je coupe par la zone d’activité du quartier dit « vieil aéroport » (« stari aeroport ») car là était le terrain d’aviation avant la construction de l’actuel. Puis par des petites rues, je débouche sur la route de Belgrade et ne tarde pas à arriver chez moi.

Mon circuit de ce jour m’a fait faire 25 km. J’ai mis 1 heure et 42 minutes pour le réaliser, détours, retours en arrière et arrêts compris. Lorsque je rentre à la maison, un peu avant 11 heures, il fait désormais 30° (à l’ombre, que je n’ai pas beaucoup vue ce matin). La prévision pour cet après-midi est 36°. Podgorcica l’été, ce n’est pas froid !

Yves Barelli, 8 juillet 2007, mis en ligne le 9 août 2018              

 

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