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26 mai 2018 6 26 /05 /mai /2018 12:08

Les lourdes condamnations pour corruption par la justice de membres et de proches du parti de droite au pouvoir sont en passe de faire éclater la grave crise politique qui couvait à Madrid depuis des mois. La probabilité que le gouvernement de Mariano Rajoy, qui ne dispose au parlement que d’une majorité relative, puisse échapper à la motion de censure déposée hier par les socialistes est faible. De nouvelles élections auront lieu si celle-ci est votée. Les socialistes, aussi déconsidérés que le Parti Populaire, n’en seront pas les bénéficiaires sans toutefois que les « Ciudadanos », qui ont le vent en poupe, aient des chances de former à eux seuls une nouvelle majorité. Tout cela sur fond d’indépendantisme catalan, de crise économique et sociale, de désintérêt des Espagnols pour la politique, d’effacement de l’Espagne sur la scène internationale et de paralysie d’une Union européenne de plus en plus inexistante. 

1/ L’affaire « Gürtel », ainsi nommée par une traduction approximative en allemand (pour une raison qui m’échappe et qui n’est expliquée par aucun commentateur) de « Correa » (« courroie » ou « laisse » d’un chien ou encore « bracelet » d’une montre et, à la rigueur, « ceinture » - mais on dit plutôt « cinturón » - qui se dit « Gürtel » en allemand), nom du principal protagoniste de l’affaire, a été examinée depuis 2009 par divers juges avant de terminer à l’ « Audiencia Nacional », sorte d’instance ad hoc, sans équivalent à l’étranger, qui se saisit d’affaires, notamment de corruption pouvant avoir des implications internationales, ce qui est peu le cas de « Gürtel » malgré son nom.  

La procédure a concerné des affaires de corruption dans lesquelles ont été impliqués des hommes d’affaire bénéficiaires de contrats illégaux ou favorisés, mais aussi des responsables politiques du Parti Populaire (formation de Mariano Rajoy, l’actuel chef du gouvernement), notamment le président de la Communauté Autonome de Valence (il avait été contraint à la démission ; il a été blanchi à titre personnel bien que des doutes sérieux subsistent et que l’implication du gouvernement valencien dans des affaires de corruption ne fasse aucun doute), des maires et des sections locales ou régionales du PP (pratique de double comptabilité qui a permis la corruption), à Valence et à Madrid.

La justice a eu la main lourde puisque Francisco Correa (entrepreneur dans la mouvance du PP : il prélevait des commissions dans des pratiques de financement illégal de campagnes électorales) a été condamné avant-hier à 55 ans de prison, Luis Bárcenas (trésorier du PP) à 33 ans et une trentaine d’autres personnes à des peines de plusieurs années. Le Parti Populaire a été condamné en tant que tel pour ses pratiques douteuses, notamment sa double comptabilité et ses opérations au « noir », donc non déclarées, pratique, il est vrai, courante en Espagne dans tous les milieux et toutes les transactions, de services, de travaux comme immobilières. Le « tribunal suprême » sera peut-être appelé à juger en dernier ressort mais il est douteux que cela modifie profondément le verdict. 

Ce scandale de corruption est le plus grave de ces vingt dernières années en Espagne, qui, pourtant, en a connu beaucoup d’autres : la corruption est un mal endémique dans la politique et l’administration territoriale de l’Espagne. Il explique notamment la gabegie dans les équipements (tels aéroports ou autoroutes peu ou pas utiles, ou encore, comme en France, la multiplication de ronds-points encore plus inutiles dans le même temps où les hôpitaux et les écoles manquent du minimum) et les travaux publics.

2/ Cette affaire constitue la goutte d’eau qui fait déborder le vase d’incompétence mêlée d’autoritarisme du gouvernement Rajoy qui non seulement a un bilan économique et social calamiteux mais qui, surtout, n’a pas vu venir la crise catalane et n’a rien fait pour la désamorcer ou la régler.

Il est vrai que cette incurie de la droite est largement partagée par celle des socialistes (non épargnés non plus par la corruption, quoique à un degré moindre) dont le passage au pouvoir (2004-2011), avant Rajoy, a laissé le pire souvenir et qui, dans la crise catalane, mais avant elle, dans celle de la monarchie (on se souvient que Juan Carlos avait été contraint de démissionner à la suite de diverses affaires, dont la corruption d’une partie de sa famille), se sont régulièrement alignés sur la pire politique réactionnaire de la droite au pouvoir : des anciens « républicains » défenseurs d’une monarchie, imposée par Franco et très impopulaire, et des anciens démocrates ayant lutté contre la dictature, qui empêchent les Catalans de choisir leur destin, c’est en effet un comble !).

3/ Le Secrétaire Général du PSOE (socialistes), Pedro Sanchez (qui ne dirige le parti, en crise,  que depuis un an), a présenté le 25 mai une motion de censure au parlement contre le gouvernement de Mariano Rajoy.

Rojoy ne dispose que d’une majorité relative qui ne tient que par l’apport des voix du PNB basque (en désaccord toutefois sur la gestion de la crise catalane) et d’un petit parti canarien, ralliés après avoir obtenu des avantages sur la fiscalité de leurs « communautés autonomes ». Il ne dirige à nouveau (il l’avait fait de 2011 à 2016) l’exécutif que depuis moins de deux ans à la suite de deux élections générales n’ayant pu dégager de majorité et après six mois d’absence de gouvernement central.

Pour renverser Rajoy, Sanchez a besoin tant des voix de « Ciudadanos », de « Podemos » et de la gauche radicale que des indépendantistes catalans et des nationalistes basques, tous ennemis des socialistes pour des raisons diverses (Ciudadanos parce qu’ils sont de droite, une droite encore plus radicale que le PP, et les autres parce qu’ils reprochent au PSOE sa « trahison », en particulier dans la crise catalane).

Ces partis sont pris entre deux tentations (renverser Rajoy et sanctionner Sanchez) entre lesquelles ils choisiront le moindre inconvénient, probablement de renverser Rajoy bien que cela n’aille pas de soi.

Si la motion de censure passe, il y aura de nouvelles élections. En attendant, Sanchez et le PSOE expédieront les affaires courantes.

4/ Si nouvelles élections il doit y avoir, on entrera dans une nouvelle inconnue car il est certain qu’aucun parti ne sera en mesure de former seul un nouveau gouvernement.

Les sondages donnent le Parti Populaire en chute libre. Ce sera probablement la fin de la carrière politique de Rajoy. Son électorat se reportera en grande partie sur « Ciudadanos » qui surfe à la fois sur le mécontentement face au pouvoir actuel et sur la vague nationaliste (assez hystérique il faut le dire) qui agite les Espagnols face au chiffon rouge de l’indépendance de la Catalogne, tel un taureau andalou face à la cape rouge du torero. Cela ne donnera toutefois pas une majorité suffisante au parti d’Albert Rivera qui sera sans doute contraint de rechercher une alliance avec ce qui restera du parti de Rajoy. Pas facile à priori.

Pedro Sanchez sera évidemment candidat à la formation du gouvernement. Son problème est qu’il risque d’avoir moins de députés que « Podemos » (qui pourraient toutefois en perdre).

Pablo Iglesias, chef de Podemos, bien que son aura ait quelque peu perdu de l’éclat depuis quelques temps, tentera sans doute de diriger une coalition avec les socialistes (s’ils acceptent son hégémonie, ce qui est à priori très difficile), la gauche radicale et avec l’appui des indépendantistes catalans et des nationalistes basques (qui, pour le moment, ne revendiquent pas l’indépendance, dont ils rêvent toutefois). Mais on voit mal dans une même coalition les jacobins nationalistes du PSOE et les Catalans).

Il se pourrait bien que le principal « parti » soit en définitive celui des abstentionnistes, tant les Espagnols sont dégoûtés de la politique.

5/ Tout cela se passe dans un contexte de crise espagnole multiformes.

Le chômage reste à un niveau qui dépasse 20%. Il touche fortement les jeunes. La crise économique de 2008 a « saigné » l’Espagne à un point qu’on a des difficultés à imaginer outre-Pyrénées. Nombre d’Espagnols ont non seulement perdu leur emploi mais des dizaines de milliers se sont fait confisquer leur logement par les banques (qui en ont maintenant un stock considérable) parce qu’ils ne pouvaient plus payer les traites.

Pourtant, la consommation recommence à augmenter. Ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle. Consommer est souvent la seule raison d’être de nombreux Espagnols qui aiment sortir et qui aiment acheter. Après plusieurs années de privations relatives (partagées avec les propriétaires et les employés des bars, restaurants et petits commerces qui ont consentis des rabais stupéfiants), ils recommencent à s’endetter et les banques recommencent à prêter, ce qui contient en germes une nouvelle crise à terme. L’Union européenne, de son côté, a un peu allégé l’austérité qu’elle impose à la péninsule mais cela risque de ne pas durer.

Plus grave pour l’Espagne est le divorce durable entre les Catalans et les Espagnols. La crise catalane est maintenant permanente. Pour le moment sans violence, mais cela risque de ne pas durer. Je renvoie le lecteur sur les nombreux articles que j’ai écrits ici sur le sujet (le dernier le 17 mai : « statu quo en Catalogne »).

L’Espagne va sans doute mettre ses multiples crises entre parenthèses pendant le mois de juin et pendant les vacances d’été. L’ensemble des Espagnols, Catalans compris (ou Espagnols plus Catalans, c’est selon le point de vue !), seront devant les postes de télévision, chez eux ou, plus probablement, dans les bistrots, pour suivre le « Mundial » de foot. Si l’équipe d’Espagne se comporte bien (après les exploits du Real et de l’Atletico en coupes d’Europe), on oubliera tous les problèmes, pour un temps. Et si Nadal brille à Roland Garros, ce sera l’apothéose ! On pourra alors profiter des plages et se plonger dans les délices des fêtes locales (la première, la San Firmin, à Pampelune ; et cela n’est pas anecdotique : en dépit de tous les problèmes, la société espagnole tient bien le coup grâce aux identités, régionales et locales, plus que nationale, et grâce aux solidarités familiales et amicales, ce n’est pas rien !).

Pour les problèmes, on attendra l’automne.

6/ De nombreux pays européens sont en crise et l’Union européenne, sans consistance, aussi.

Mais l’Espagne présente un paradoxe.

Elle est quasiment absente de la scène européenne et les Espagnols, de fait sous la coupe de Bruxelles, sont soumis à de dures et injustes (on a baissé les salaires des fonctionnaires et les pension des retraités de 15%, comme s’ils étaient responsables de la crise, alors qu’on n’a pas touché aux rémunérations, parfois énormes, des banquiers, les vrais responsables du « crack » de 2008) politiques d’austérité.

Pourtant, il y a aucun vote « eurosceptique » comme ailleurs. Même les Catalans, lâchement abandonnés par une Europe complices de la répression espagnole, croient encore (il est vrai moins, mais ils y croyaient beaucoup avant) en l’Europe. Les Espagnols seront bientôt les seuls (avec Macron) à être « euro-bellâtres » !

Il est vrai que, ayant perdu confiance en leurs dirigeants, corrompus ou incapables, ils préfèrent peut-être encore être dirigés par Madame Merkel. En outre, le sentiment « européen » peut s’expliquer pour des raisons historiques : après quarante ans de Franco, devenir « européen » était renouer avec la normalité et avec la démocratie.    

L’immigration fait des dégâts comme ailleurs en Europe. Barcelone a été touchée par le terrorisme islamiste (Madrid l’avait été il y a quelques années par Al Qaida). Les « moros », comme on dit en Espagne, ne sont certes pas aussi nombreux qu’en France mais les femmes voilées, autrefois absentes des rues espagnoles, commencent à les peupler, poussant devant elles dans leurs landaus les enfants que les Espagnols ne font plus. Les Roumains et les Bulgares sont, eux, plus nombreux. Ils travaillent, sont tranquilles, ils apprennent même le castillan et le catalan mais ils occupent les emplois qu’aimeraient avoir les jeunes Espagnols.

Pourtant, il n’y a aucune trace de xénophobie en Espagne et il n’y a pas de parti « populiste » anti-immigrants.

C’est le paradoxe espagnol : un pays en crise, mais cela ne se voit pas.

Jusqu’à quand ?

Yves Barelli, 26 mai 2018                                   

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