Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
14 mars 2015 6 14 /03 /mars /2015 12:48

En accordant un prêt de 17 milliards de dollars à l’Ukraine, assorti d’un plan d’ « austérité » pour sa population, le FMI sort clairement de son rôle en finançant indirectement l’effort de guerre de l’un de ses Etats-membres. Cet engagement, décidé grâce aux voix prépondérantes des Etats-Unis et de leurs alliés et satellites dans cette institution internationale, montre que le capitalisme international et son bras armé occidental s’impliquent avec cynisme dans le conflit ukrainien au détriment de la population de ce pays.

1/ le FMI est une institution internationale de la famille des Nations-Unies créée après la seconde guerre mondiale pour « promouvoir la coopération monétaire internationale, garantir la stabilité financière, faciliter les échanges internationaux, contribuer à un niveau élevé d’emploi, à la stabilité économique et faire reculer la pauvreté ».

L’organisation a été créée dès le départ par et pour les Etats-Unis puisqu’il s’agissait, au-delà des paroles lénifiantes de sa charte, essentiellement de maintenir la stabilité du système monétaire international et donc la suprématie du dollar dans le contexte post guerre d’une Europe en ruines et d’un début de guerre froide. Son organisation hors normes est révélatrice de cet objectif : siège à Washington, seule langue officielle l’anglais (toute les autres organisations internationales ont aussi, au minimum, le français), droit de véto américain (seul pays à disposer de ce privilège) et droits de vote en fonction des PIB des Etats-membres, ce qui assurait aux Etats-Unis à eux seuls 25% de ces votes. Cette répartition a un peu évolué depuis, mais les Etats-Unis, avec 18% des droits de vote restent largement les premiers. Avec leurs alliés et satellites de l’Union européenne, ils dépassent la moitié des droits de vote. Par un accord tacite, le directeur général du FMI est toujours européen (actuellement Madame Lagarde, ancienne ministre des finances de Sarkozy, qui a succédé à Dominique Strauss-Kahn), tandis que celui de la Banque Mondiale, qui complète le FMI, est toujours américain. Bref, le système monétaire international est parfaitement verrouillé au profit des Occidentaux. L’URSS, puis la Russie, qui n’ont pas de droit de véto comme au Conseil de sécurité de l’ONU, pas plus que la Chine ou les états du tiers-monde, n’ont la moindre influence sur l’organisation.

Le FMI a un peu évolué dans sa philosophie. Il est moins obtus dans son interprétation de l’orthodoxie financière et ses plans d’ajustement structurels qui traditionnellement accompagnaient l’aide de mesures antisociales (et souvent antiéconomiques car elles enfonçaient les pays récipiendaires encore davantage dans la crise) ont quelque peu évolué. On doit cette évolution à l’attitude résolue des pays latino-américains qui, après avoir été mis en coupe réglée à cause des plans imposés par le FMI (qui les obligeaient en particulier à privatiser leurs services publics bradés aux grandes entreprises occidentales – même système appliqué aujourd’hui par l’UE à la Grèce -), se sont mis depuis dix ans à refuser les soit disant aides du FMI. L’Argentine, par exemple, a préféré se mettre en défaut de paiement, ce qui lui a été bénéfique et ce qui lui a permis de récupérer ses services publics, assurant ainsi un contrôle national sur l’économie et, par la même occasion, allégeant très sensiblement le portefeuille de ses citoyens-usagers des services de base telle la distribution d’eau potable. Strauss-Kahn a eu l’intelligence de comprendre que les temps avaient changé, moins favorables désormais au capitalisme sauvage dit « libéral » (mais en fait ennemi des libertés) et il a, dans les limites de son pouvoir très limité (le directeur général n’est qu’un fonctionnaire au service des Etats-membres, en l’occurrence dominés par les Etats-Unis), un peu modifié la contenu des plans d’ajustement.

2/ L’ « aide » à l’Ukraine décidée le 11 mars se monterait à 17,5 milliards de dollars. Il ne faut jamais prendre ce type de montant au pied de la lettre car il cumule des chiffres disparates. Une partie est constituée de dons, une autre de prêts proprement dits, une autre, enfin, de simples garanties et on ajoute à tout cela les montants qu’on espère mobiliser de la part des investisseurs privés. La plupart du temps, il s’agit de simples effets d’annonces. Comme il y a toujours des conditions techniques et politiques, ce qui compte, c’est ce qui est effectivement débloqué (en général moins du quart de ce qui est annoncé). Ces effets d’annonce sont une pratique courante dans les organisations internationales ou même s’agissant de l’ « aide » bilatérale : on additionne des mesures réelles, potentielles et parfois imaginaires et on peut ainsi annoncer dans des conférences de presse des montants faramineux. Ainsi le « plan Junker » de l’UE, annoncé à grandes phrases grandiloquentes il y a quelques semaines se chiffrait à plusieurs centaines de milliards d’euros mais il incluait aussi l’effet d’entrainement attendu sur l’investissement privé. Le vrai montant était inférieur à 5 milliards, et encore sur plusieurs années. Donc se méfier des chiffres claironnés.

S’agissant donc du nouveau prêt à l’Ukraine, on peut noter qu’un premier plan en avril dernier avait déjà permis de débloquer une aide théorique de 17 milliards de dollars, mais que, in fine, c’est 4,6 milliards qui avaient été effectivement débloqués. Dans le nouveau prêt annoncé, on reprend ce qui n’avait pas été utilisé, donc pas grand-chose de nouveau, semble-t-il.

3/ Ce qui est nouveau, ce sont les conditions qui assortissent le prêt du FMI. Là, les technocrates de l’organisation n’ont pas fait preuve d’imagination. On applique exactement les mêmes techniques éculées dont s’inspire l’Union européenne (FMI et UE : même combat, même philosophie, même base pro-capital et antisociale, même bêtise !), par exemple pour la Grèce. Ainsi l’Ukraine n’est pas dans l’UE, malgré les rêves éveillés des occupants de la place Maidan complaisamment encouragés par tout le gotha occidental, mais elle « bénéficie » déjà de l’austérité imposée à ses peuples.

Ce plan d’austérité n’a pas été révélé dans le détail, mais on annonce, entre autre, que les ménages ukrainiens vont devoir payer le gaz domestique trois plus cher que maintenant et que les retraites vont baisser de 15%. Ceci, dans le souci apparemment louable de réduire le déficit des comptes publics. Une autre manière aurait été de demander un effort fiscal aux plus riches, notamment les quelques milliardaires oligarques dont le plus connu est le président actuel de l’Ukraine qui vient d’être « élu » grâce à l’argent qu’il a déversé sur ses électeurs, qu’il a en fait achetés. Investissement « rentable » pour lui, puisqu’il ne paiera pas un euro de plus d’impôts dans le même temps où ses électeurs les plus pauvres, notamment les retraités, devront se serrer un peu plus la ceinture. Ce n’est pas original : on a fait pareil en Grèce, au Portugal et en Espagne !

4/ Gageons que ce plan farfelu ne résoudra pas le problème ukrainien. Ce pays est en guerre du fait de l’intransigeance de son gouvernement, au demeurant à la légitimité démocratique bien faible, qui refuse depuis le début de négocier avec les séparatistes du Donbass et qui, à la place, a fait bombarder les populations civiles de la région de Donetsk avec la complicité occidentale.

Cette guerre est pourtant ingagnable car les séparatistes ont le soutien des Russes (qui ne veulent pas se laisser encercler par l’OTAN et ses valets) et que les Américains mesurent leur aide à Kiev dans la limite, à ne pas dépasser, d’une confrontation majeure avec la Russie, que tout le monde veut éviter.

Dans ce conflit, qui a déjà fait plus de 6000 morts, la naïveté des extrémistes de Kiev n’a d’égale que le cynisme des Occidentaux, du moins des plus vas-t-en guerre parmi eux, groupe dans lequel on trouve les républicains majoritaires au Congrès, mais aussi le trio Hollande-Fabius-Bernard Henri Lévy (alors que Obama et Merkel sont plus modérés).

Pour l’heure, l’économie ukrainienne est en pleine déroute (son armée aussi), les dettes s’accumulent, les destructions aussi et la monnaie ukrainienne a déjà perdu 40% de sa valeur. Mais de cela, les Américains, en fait, n’en ont cure. Ce qui les intéresse, c’est de maintenir leur domination mondiale multiforme (militaire, politique, diplomatique, culturelle et autre) et de « punir » ceux qui la contestent, en premier lieu la Russie de Poutine.

Nul doute que les braves retraités ukrainiens (qui ont travaillé du temps de l’Union soviétique avec sa protection sociale) qui ont pu être éblouis un temps par les sirènes bien orquestrées d’une soit disant prospérité de l’Union européenne (ils devraient voyager en Grèce ou en Espagne pour voir ce à quoi ils ont échappé jusqu’à présent) vont commencer à se poser des questions…

Ils vont peut-être se souvenir que la Russie avait proposé à l’Ukraine avant le putsch de Kiev une aide de 10 milliards d’euros, elle, non assortie de mesures antisociales, et avec un gaz bon marché.

Yves Barelli, 14 mars 2015

Partager cet article
Repost0

commentaires

Recherche