Ce qui se passe actuellement en Espagne est hallucinant et affligeant. On se demande si les Espagnols (mais aussi leurs voisins français) ont appris quelque chose de l’histoire tragique de l’Espagne : pas seulement celle du 17ème siècle où, déjà, un roi Bourbon, que la France alors au faîte de sa puissance, avait réussi à mettre sur le trône espagnol (ancêtre de l’actuel roi et de son père, imposé par Franco), avait supprimé les libertés catalanes et procédé à une répression bestiale jamais oubliée sur les terres de l’antique « couronne d’Aragon », mais aussi, celle, plus récente, qui devrait nous interpeller, quand le visage le plus abject du fascisme assassina la République espagnole dans la passivité des démocraties, française en premier lieu, qui n’avaient pas compris que Franco annonçait Hitler. On pensait qu’avec le rétablissement de la démocratie en 1975 et le compromis (bancal, on le voit aujourd’hui) entre ennemis d’hier, l’Espagne avait enfin chassé ses sinistres démons, ceux de l’intolérance, de la répression et, pour tout dire, de la bêtise, car on ne construit rien de durable lorsque la contrainte ne s’accompagne pas de solutions justes. Hélas, il n’en est rien : en condamnant à de lourdes peines de prison des dirigeants catalans démocratiquement élus dont le seul tort a été d’organiser un référendum d’autodétermination, attendu depuis des années mais toujours refusé par Madrid, la justice espagnole a, avec la complicité d’un gouvernement sans courage et sans vision, provoqué l’explosion populaire qui secoue la Catalogne depuis une semaine et à laquelle le gouvernement espagnol, qui devait pourtant s’y attendre, réagit mal.
1/ Des peines de 9 à 13 ans de prison ferme ont été prononcées pour les neuf dirigeants catalans arbitrairement emprisonnés depuis deux ans (le président Carles Puigdemont avait réussi à se réfugier en Belgique) sous l’inculpation de sédition (la charge de rébellion n’ayant pas été finalement retenue). Cette parodie de procès et ce verdict extrêmement lourd n’ont aucun équivalent dans l’histoire moderne des démocraties.
2/ Depuis lundi 14, date du verdict, des manifestations spontanées se déroulent tous les jours en Catalogne. Hier 18 octobre, une grève générale a paralysé le pays (c’est ainsi qu’on parle de la Catalogne en Catalogne : parler de « région », comme continue à le faire les médias français, serait réducteur pour cette terre qui est une nation depuis le 10ème siècle et qui fut, pendant plusieurs siècles, un Etat souverain) et une manifestation a rassemblé (selon la police) plus d’un demi-million de personnes à Barcelone ; dans la journée, des cortèges venus de toute la Catalogne avaient convergé sur la capitale.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle manifestation se produit dans la capitale catalane. Elles sont en fait récurrentes depuis 2010, quand le « tribunal constitutionnel » (équivalent du conseil constitutionnel) censura un nouveau projet de « statut catalan », sous prétexte que son préambule contenait une référence à la « nation catalane qui existe depuis dix siècles ». Ce déni d’identité a été reçu comme un affront par les Catalans alors que ceux-ci avaient accepté, dans le cadre du compromis postfranquiste, de mettre de côté leur histoire et leur spécificité pour participer à l’édification d’une nouvelle Espagne démocratique. Dans ce contexte, les Catalans avaient certes obtenu beaucoup : une large autonomie avec leurs propres institutions, parlement et gouvernement. Mais Madrid s’est comporté un peu comme un adulte qui donne quelques libertés à ses enfants mais les considère toujours comme inférieurs. L’Espagne devrait être une union de peuples (les Basques en constituent un autre) ; elle n’est en fait qu’une construction dominée par la Castille qui « tolère » quelques particularismes locaux mais s’accroche à son hégémonie.
Ce dialogue de sourds entre Madrid et Barcelone a fait resurgir les rancœurs du passé et alimenté un nationalisme catalan qui avait été mis sous le boisseau. Les sondages d’opinion ont alors évolué très vite : moins de 10% de Catalans souhaitaient l’indépendance (on n’en parlait même pas) en 2010 ; la proportion est montée rapidement jusqu’à atteindre et dépasser 50% (chiffre à prendre avec précaution : beaucoup se reconnaissent une double identité, catalane et espagnole, et se sont décidés à franchir le pas de l’indépendantisme en quelque sorte poussés par l’intransigeance et l’arrogance de Madrid ; beaucoup étaient prêts à rester dans le cadre espagnol, à condition que ce soit sur une base d’égalité).
3/ Devant l’impasse générée par le statut quo imposé par Madrid, le gouvernement catalan (issu des élections démocratiques en Catalogne) s’est peu à peu orienté vers des positions plus maximalistes, préconisant l’indépendance. Cela dans un contexte de crise économique et morale en Espagne (marquée notamment par l’abdication in fine du roi Juan Carlos poussé vers la sortie par des scandales : une majorité d’Espagnols souhaite le retour à la république mais, pas plus que l’option de l’indépendance n’est offerte aux Catalans, celle de la république ne l’est aux Espagnols : on est face à un système figé et la faiblesse des partis politiques, de droite comme de gauche, qui se traduit par l’instabilité des gouvernements successifs, n’est pas propice aux changements constitutionnels. De fait, les Espagnols sont gouvernés, pour leurs affaires courantes, par les « communautés autonomes » (régions), et pour l’économie, la monnaie et les relations extérieures, par Bruxelles.
4/ Dans ce contexte de déliquescence de l’Espagne, le nationalisme primaire de nombre d’Espagnols (une majorité sans doute) ne se manifeste plus qu’à l’encontre des Catalans et des Basques : on a tout abdiqué face à Bruxelles, mais toute revendication de plus d’autonomie à Barcelone ou à Bilbao a le même effet qu’un chiffon rouge agité devant un taureau.
La surenchère est au rendez-vous à Madrid : le Parti Populaire, largement issu des anciens franquistes, est maintenant concurrencé sur sa droite par des nouveaux partis tel « Ciudadanos », né en Catalogne parmi certains immigrés castillans ou andalous nostalgiques du temps où il était interdit de parler catalan, aujourd’hui langue officielle et d’enseignement en Catalogne, puis qui s’est implanté dans toute l’Espagne. Le Parti Socialiste (PSOE), lui, a préféré renier son passé en se ralliant au système monarchique et en se montrant aussi intransigeant que le PP face aux Catalans ; il est désormais concurrencé sur sa gauche par Podemos, parti lui-même au programme flou (notamment s’agissant de la Catalogne). Face à la crise économique et sociale (20% de chômeurs) et à la situation en Catalogne, aucun parti n’est en mesure d’avoir une politique claire et novatrice. Les gouvernements qui ont été au pouvoir au cours des dernières années ont été minés par leurs faiblesses, indécisions et, parfois, scandales de corruption : ces derniers ont fait chuté il y a deux ans la droite de Rajoy mais trois élections générales n’ont pu voir émerger des majorités cohérentes. Le gouvernement socialiste est tombé au début de 2019 parce que les partis indépendantistes et autonomistes catalans et basques l’ont lâché devant le refus du PSOE d’évoluer sur les questions régionales ; le PSOE est revenu au pouvoir après les élections d’avril mais ses discussions sans fin (auxquels on ne comprend rien) avec Podemos pour former un gouvernement n’ayant pas abouti, on revotera en novembre et on prévoit une forte abstention, tant les Espagnols sont lassés de ce jeu pseudo-démocratique stérile.
5/ Face à une Espagne en panne, les Basques et les Catalans ont choisi. Les premiers, et cela est dans leur tradition historique, ont renoncé à un Etat souverain mais élargissent tellement en pratique leur autonomie qu’ils font ce qu’ils veulent chez eux (un peu comme la Flandre fonctionne de façon en fait indépendante dans une Belgique qui a perdu sa substance).
Les Catalans, et cela est sans doute leur erreur, ont choisi une voie plus maximaliste. Las d’attendre un feu vert de Madrid qui ne vient pas, ils ont eux-mêmes organisé le 1er octobre 2017 le référendum d’autodétermination, non reconnu par Madrid et boycotté par les anti-indépendantistes, et, s’appuyant sur le résultat, le parlement catalan a proclamé l’indépendance trois semaines après.
Madrid a répondu en envoyant la garde civile (gendarmerie) essayer d’empêcher la tenue du référendum (elle n’y est pas parvenue), en suspendant l’autonomie de la Catalogne et en arrêtant les principaux membres du gouvernement catalan ainsi que les présidents du parlement et de la principale association culturelle (Puigdemont, lui, est en Belgique, d’où il anime la résistance).
6/ La réaction du gouvernement catalan a été absurde : il a proclamé l’indépendance sans s’en donner les moyens. Il n’en était pourtant pas totalement démuni : une police catalane assez nombreuse et bien équipée, une administration en place et, surtout, la mobilisation de la population. Face à la détermination de Madrid, décidé à employer la force, s’il y avait eu une détermination aussi forte de résister, les choses auraient sans doute été différentes : même moins fort qu’un adversaire, si on le convainc qu’on résistera, il peut réfléchir. C’est ce qu’on appelle la dissuasion. Les exemples ailleurs de telles dissuasions réussies abondent.
Mais les dirigeants catalans et toute la société ont choisi la non-violence, renforçant la certitude ailleurs en Espagne qu’il était possible d’obliger les Catalans à plier car incapables de se battre (je me souviens de la réflexion, il y a longtemps, sous Franco, d’un ami républicain de Castille qui, en dépit de son anti-franquisme, n’avait pas une haute opinion des Catalans : « ils parlent beaucoup, mais sur le terrain, des poules mouillées »).
Effectivement la réaction n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. De grandes manifestations ont eu lieu (et continuent) mais on a laissé la garde civile venir « cueillir » les ministres catalans sans l’ombre d’un début de résistance. J’ai vu à Barcelone des véhicules de la garde civile, symbole de l’occupation « étrangère », passer dans les rues sans réaction de la population, pourtant acquise à l’indépendance ; même pas sifflés !
Après avoir déclaré l’indépendance, les dirigeants catalans y ont renoncé de facto en acceptant de participer aux nouvelles élections au parlement catalan décidées par le gouvernement de Madrid après rétablissement de l’autonomie (sans doute anticipait-il une victoire des « espagnolistes ») : les indépendantistes les ont gagnées et la nouvelle majorité se prononce à nouveau pour l’indépendance. Le président Quim Torra, qui a remplacé Puigdemont, « empêché », a repris exactement le même langage que son prédécesseur. Dans une séance solennelle un peu surréaliste du parlement catalan (que j’ai suivie en direct sur internet sur la télévision catalane), avant-hier, il a parlé du verdict contre les dirigeants catalans comme d’une « farce » (ce qu’il est) et a annoncé la convocation prochaine d’un nouveau référendum d’autodétermination. Décidément, à Madrid comme à Barcelone, on manque d’imagination et la rhétorique remplace l’action.
7/ La situation depuis le verdict inique marque une évolution, peut-être une rupture. Pour la première fois, la violence est apparue. Dès le lundi soir, des groupes de jeunes ont mis le feu à divers matériels urbains et n’ont pas hésité à affronter la police. Cela s’est répété tous les soirs jusqu’à hier, jour de la grande manifestation de Barcelone. Dans la soirée, il y a eu escalade dans le comportement de « certains groupes violents », comme le gouvernement catalan les appelle pudiquement. Des barricades ont été édifiées, les affrontements ont été plus violents avec la police (plusieurs dizaines de blessés, dont deux graves). La police a réprimé plus violemment aussi. Les rues de Barcelone ce matin sont celles d’un pays en guerre.
On ne peut certes pas parler à ce stade de situation insurrectionnelle. Mais on est monté d’un cran. Les participants aux grandes manifestations pacifiques continuent à se différencier des casseurs. Mais, pour beaucoup, la condamnation de la violence est pour la forme. Nombre d’entre eux parlent de désespoir et laissent entendre à demi-mots que, lorsqu’on a tout essayé en vain, que certains choisissent la violence, même si on continue à la réprouver, cela peut se comprendre. Objectivement, les faits donnent une certaine raison aux casseurs : les violences de Barcelone sont relayées par les télés du monde entier alors que toutes les autres manifestations non-violentes étaient passées sous silence.
8/ La situation est désormais curieuse et il faut savoir la déchiffrer pour la comprendre.
Côté indépendantiste, on est divisé entre « Junts per Catalunya », dirigé par Quim Torra, et l’ERC (Esquera Republicana Catalana, son leader, Oriol Junqueras, qui était vice-président du gouvernement, est la principale personnalité condamnée) ; les deux partis sont alliés jusqu’à présent au parlement et dans le gouvernement mais ils divergent de plus en plus. Le premier est l’ossature de la droite au pouvoir depuis 1978, la seconde est de gauche et les deux sont rivaux dans les élections, l’ERC tendant de plus en plus à dépasser Junts dans les urnes (ce qui a été le cas dans les élections nationales espagnoles et au parlement européen). L’ERC a adopté une posture plus modérée que Junts : elle serait prête a discuter avec Madrid et, sans le dire, à renvoyer à plus tard l’indépendance. A cet égard, elle est réservée vis-à-vis du nouveau projet de référendum de Torra (qui ne l’a pas consultée avant de le présenter au parlement, sans, d’ailleurs, donner aucune précision). Et puis il y a les indépendantistes hors partis : ceux d’extrême gauche ou ceux des multiples associations culturelles ou locales de plus en plus enclines à choisir la violence devant l’impasse de la non-violence.
Le président Torra doit jouer les équilibristes. Il est dur vis-à-vis du verdict du procès (tout le monde l’est) et parait choisir l’épreuve de force (le nouveau référendum) mais, dans le même temps, ne veut donner aucune prise à Madrid pour, à nouveau, suspendre l’autonomie. Il a ainsi pris la parole à la télévision en pleine nuit dès le premier soir de violences pour les condamner (tout en faisant, évidemment, porter la responsabilité sur Madrid). Il assume surtout la répression des manifestations violentes : c’est la police catalane qui fait face aux émeutiers, avec cette situation curieuse que le gouvernement indépendantiste envoie sa police contre les indépendantistes avec l’appui de la police nationale (elle reste en deuxième ligne) qui obéit au pouvoir madrilène anti-indépendantiste. Les plus jusqu’au-boutistes parlent évidemment de trahison. L’ERC compte les points et attend sans doute son heure.
Côté espagnol, on est aussi « coincé ». Le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez, qui expédie les affaires courantes, ne peut que répéter en boucle qu’il ne laissera pas piétiner la constitution et que les émeutiers indépendantistes seront châtiés. Le ministre de l’intérieur est intervenu hier soir à la télévision espagnole : sans imagination, il a dit que la réponse était dans le code pénal et que les émeutiers risquaient des années de prison. Son collègue de Barcelone a parlé à la télévision catalane sur un ton plus subtil : il n’a pas cité le code pénal espagnol (qu’il récuse) mais a condamné les violences et a redit sa confiance dans la police catalane.
L’opposition espagnole de droite jette de l’huile sur le feu en accusant le gouvernement de faiblesse et en demandant (surtout pour la forme) la suspension de l’autonomie. Ses « challengers » de droite, « Ciudadanos », en rajoutent et leur relai à Barcelone, « ciutadans », encore davantage. Le discours de ces derniers rappelle les pires heures du fascisme ; ce sont les seuls à s’exprimer en castillan (espagnol) dans l’hémicycle du parlement et dans les médias au lieu du catalan, comme tout le monde, ce qui montre, au passage, qu’ils ne sont que des étrangers narguant les Catalans de souche (il y a près de la moitié de la population catalane issue de l’immigration espagnole : parmi eux, beaucoup sont assimilés, notamment les plus jeunes, formés par l’école catalane, mais d’autres le refusent, se comportent en colons et partagent une opinion largement répandue dans la péninsule selon laquelle la Catalogne n’appartient pas aux Catalans mais à l’Espagne « éternelle et indivisible » : quand bien mêmes seraient-ils majoritairement pour l’indépendance, cela, aux yeux des nationalistes espagnols, n’a aucune valeur).
9/ On en est là aujourd’hui. Le jusqu’auboutisme gagne du terrain à Madrid comme à Barcelone (le dialogue n’est toutefois pas totalement rompu). Il est clair que la seule solution intelligente et viable serait évidemment d’abord la libération des prisonniers politiques (que même la télévision catalane ne peut désigner ainsi sans tomber sous le coup de la loi – elle contourne l’obstacle en montrant abondamment les pancartes des manifestant portant l’inscription « llibertat pels presos politics »). Tant qu’un seul d’entre eux restera incarcéré, les émeutes se poursuivront.
Mais pour rechercher une solution, il faudrait un gouvernement à Madrid (les élections ont lieu le 10 novembre et la formation du nouveau gouvernement risque d’être longue) et que ce gouvernement soit suffisamment fort et courageux pour faire voter une amnistie ou, au moins, décider une mesure de grâce (« indulto »). On est encore loin du compte. Madrid s’est enfermé dans une impasse dont il ne peut sortir : les socialistes, depuis deux ans, n’ont rigoureusement pris aucune initiative sur la Catalogne ; leurs prédécesseurs étaient pires : ils avaient supprimé l’autonomie, avant de la rétablir. Les deux répètent en boucle que la justice est indépendante et que rien ne peut être fait contre la constitution (qui interdit le séparatisme). Il faudrait aussi un peu plus de réalisme à Barcelone. Du côté du gouvernement catalan de Torra, c’est la fuite en avant qui ne peut aller que droit dans le mur.
10/ Les Catalans sont des victimes. Je ne vais donc pas commencer à les critiquer. Mais il faut avouer qu’ils ont fait preuve d’une naïveté confondante.
Sûrs de leur bon droit et de leur choix de non-violence, ils ont cru que jamais les Espagnols n’oseraient employer la violence contre eux. Ils se sont trompés : neuf dirigeants catalans, aussi pacifiques que leurs compatriotes, sont en prison pour avoir organisé un référendum. Lorsque je donnais un cours à l’université de Barcelone (j’ai arrêté l’an passé), j’avais dit à mes étudiants (avant le référendum de 2017) : « un jour les tanks espagnols seront sur les Rambles de Barcelone ». Ils n’y croyaient pas. Je leur avais alors cité l’expérience malheureuse de la Yougoslavie (pays que je connais bien aussi pour y avoir été en poste diplomatique), un pays européen, aussi développé que l’Espagne, un pays qui était, lui aussi, pacifique, ce qui n’a pas empêché la guerre. Aujourd’hui, l’armée n’est pas à Barcelone, mais la garde civile oui. Tout peut hélas arriver et je n’exclue pas le pire. Lorsque j’entends les Espagnols « de la rue » ailleurs en Espagne, y compris à Valence, où pourtant on parle aussi catalan, cela fait froid dans le dos. J’ai des amis d’ordinaire raisonnables qui deviennent presque hystériques dès qu’on leur parle des « droits » catalans ou basques.
Les Catalans croyaient aussi que l’Union européenne, à laquelle la plupart d’entre eux sont profondément attachés (un peu moins maintenant, avec les évènements), allait intervenir en leur faveur. Le verdict a été rendu. Il n’y a eu de protestation, ou même de réserve, dans aucun pays de l’Union. L’année dernière, j’ai été invité, avec cinq autres personnalités étrangères, à m’exprimer à Barcelone sur la situation en Catalogne. C’était devant un public acquis à l’indépendance. Après mon exposé, on m’a demandé : « qu’est-ce qu’on peut attendre de l’Union européenne ». Ma réponse a été immédiate : « res » (rien). J’ai senti des réactions plutôt de désapprobation dans l’auditoire (non exprimées car les gens sont polis). Sans doute certains commencent-ils à réfléchir. Comme sur la non-violence, ils évoluent.
10/ A long terme, la solution pourrait être un système fédéral espagnol, union volontaire de peuples souverains. C’était le souhait de beaucoup parce qu’on peut se sentir à la fois catalan et espagnol, comme personnellement je me sens provençal, occitan et français. Ce ne devrait pas être l’un ou l’autre mais les deux en même temps : les identités peuvent s’emboiter comme des poupées russes.
Est-ce encore possible pour la Catalogne ? Le risque est que le divorce devienne irréversible.
Les Espagnols sauront-ils surmonter leurs vieux démons du passé, dont la tendance collective au suicide semble être la plus prégnante?
J’ose croire qu’ils auront la sagesse de se comporter de manière plus intelligente.
J’ose le croire sans en être sûr./.
Yves Barelli, 19 octobre 2019