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19 octobre 2019 6 19 /10 /octobre /2019 18:23

Ce qui se passe actuellement en Espagne est hallucinant et affligeant. On se demande si les Espagnols (mais aussi leurs voisins français) ont appris quelque chose de l’histoire tragique de l’Espagne : pas seulement celle du 17ème siècle où, déjà, un roi Bourbon, que la France alors au faîte de sa puissance, avait réussi à mettre sur le trône espagnol (ancêtre de l’actuel roi et de son père, imposé par Franco), avait supprimé les libertés catalanes et procédé à une répression bestiale jamais oubliée sur les terres de l’antique « couronne d’Aragon », mais aussi, celle, plus récente, qui devrait nous interpeller, quand le visage le plus abject du fascisme assassina la République espagnole dans la passivité des démocraties, française en premier lieu, qui n’avaient pas compris que Franco annonçait Hitler. On pensait qu’avec le rétablissement de la démocratie en 1975 et le compromis (bancal, on le voit aujourd’hui) entre ennemis d’hier, l’Espagne avait enfin chassé ses sinistres démons, ceux de l’intolérance, de la répression et, pour tout dire, de la bêtise, car on ne construit rien de durable lorsque la contrainte ne s’accompagne pas de solutions justes. Hélas, il n’en est rien : en condamnant à de lourdes peines de prison des dirigeants catalans démocratiquement élus dont le seul tort a été d’organiser un référendum d’autodétermination, attendu depuis des années mais toujours refusé par Madrid, la justice espagnole a, avec la complicité d’un gouvernement sans courage et sans vision, provoqué l’explosion populaire qui secoue la Catalogne depuis une semaine et à laquelle le gouvernement espagnol, qui devait pourtant s’y attendre, réagit mal.

1/ Des peines de 9 à 13 ans de prison ferme ont été prononcées pour les neuf dirigeants catalans arbitrairement emprisonnés depuis deux ans (le président Carles Puigdemont avait réussi à se réfugier en Belgique) sous l’inculpation de sédition (la charge de rébellion n’ayant pas été finalement retenue). Cette parodie de procès et ce verdict extrêmement lourd n’ont aucun équivalent dans l’histoire moderne des démocraties.

2/ Depuis lundi 14, date du verdict, des manifestations spontanées se déroulent tous les jours en Catalogne. Hier 18 octobre, une grève générale a paralysé le pays (c’est ainsi qu’on parle de la Catalogne en Catalogne : parler de « région », comme continue à le faire les médias français, serait réducteur pour cette terre qui est une nation depuis le 10ème siècle et qui fut, pendant plusieurs siècles, un Etat souverain) et une manifestation a rassemblé (selon la police) plus d’un demi-million de personnes à Barcelone ; dans la journée, des cortèges venus de toute la Catalogne avaient convergé sur la capitale.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle manifestation se produit dans la capitale catalane. Elles sont en fait récurrentes depuis 2010, quand le « tribunal constitutionnel » (équivalent du conseil constitutionnel) censura un nouveau projet de « statut catalan », sous prétexte que son préambule contenait une référence à la « nation catalane qui existe depuis dix siècles ». Ce déni d’identité a été reçu comme un affront par les Catalans alors que ceux-ci avaient accepté, dans le cadre du compromis postfranquiste, de mettre de côté leur histoire et leur spécificité pour participer à l’édification d’une nouvelle Espagne démocratique. Dans ce contexte, les Catalans avaient certes obtenu beaucoup : une large autonomie avec leurs propres institutions, parlement et gouvernement. Mais Madrid s’est comporté un peu comme un adulte qui donne quelques libertés à ses enfants mais les considère toujours comme inférieurs. L’Espagne devrait être une union de peuples (les Basques en constituent un autre) ; elle n’est en fait qu’une construction dominée par la Castille qui « tolère » quelques particularismes locaux mais s’accroche à son hégémonie.

Ce dialogue de sourds entre Madrid et Barcelone a fait resurgir les rancœurs du passé et alimenté un nationalisme catalan qui avait été mis sous le boisseau. Les sondages d’opinion ont alors évolué très vite : moins de 10% de Catalans souhaitaient l’indépendance (on n’en parlait même pas) en 2010 ; la proportion est montée rapidement jusqu’à atteindre et dépasser 50% (chiffre à prendre avec précaution : beaucoup se reconnaissent une double identité, catalane et espagnole, et se sont décidés à franchir le pas de l’indépendantisme en quelque sorte poussés par l’intransigeance et l’arrogance de Madrid ; beaucoup étaient prêts à rester dans le cadre espagnol, à condition que ce soit sur une base d’égalité).

3/ Devant l’impasse générée par le statut quo imposé par Madrid, le gouvernement catalan (issu des élections démocratiques en Catalogne) s’est peu à peu orienté vers des positions plus maximalistes, préconisant l’indépendance. Cela dans un contexte de crise économique et morale en Espagne (marquée notamment par l’abdication in fine du roi Juan Carlos poussé vers la sortie par des scandales : une majorité d’Espagnols souhaite le retour à la république mais, pas plus que l’option de l’indépendance n’est offerte aux Catalans, celle de la république ne l’est aux Espagnols : on est face à un système figé et la faiblesse des partis politiques, de droite comme de gauche, qui se traduit par l’instabilité des gouvernements successifs, n’est pas propice aux changements constitutionnels. De fait, les Espagnols sont gouvernés, pour leurs affaires courantes, par les « communautés autonomes » (régions), et pour l’économie, la monnaie et les relations extérieures, par Bruxelles.

4/ Dans ce contexte de déliquescence de l’Espagne, le nationalisme primaire de nombre d’Espagnols (une majorité sans doute) ne se manifeste plus qu’à l’encontre des Catalans et des Basques : on a tout abdiqué face à Bruxelles, mais toute revendication de plus d’autonomie à Barcelone ou à Bilbao a le même effet qu’un chiffon rouge agité devant un taureau.

La surenchère est au rendez-vous à Madrid : le Parti Populaire, largement issu des anciens franquistes, est maintenant concurrencé sur sa droite par des nouveaux partis tel « Ciudadanos », né en Catalogne parmi certains immigrés castillans ou andalous nostalgiques du temps où il était interdit de parler catalan, aujourd’hui langue officielle et d’enseignement en Catalogne, puis qui s’est implanté dans toute l’Espagne. Le Parti Socialiste (PSOE), lui, a préféré renier son passé en se ralliant au système monarchique et en se montrant aussi intransigeant que le PP face aux Catalans ; il est désormais concurrencé sur sa gauche par Podemos, parti lui-même au programme flou (notamment s’agissant de la Catalogne). Face à la crise économique et sociale (20% de chômeurs) et à la situation en Catalogne, aucun parti n’est en mesure d’avoir une politique claire et novatrice. Les gouvernements qui ont été au pouvoir au cours des dernières années ont été minés par leurs faiblesses, indécisions et, parfois, scandales de corruption : ces derniers ont fait chuté il y a deux ans la droite de Rajoy mais trois élections générales n’ont pu voir émerger des majorités cohérentes. Le gouvernement socialiste est tombé au début de 2019 parce que les partis indépendantistes et autonomistes catalans et basques l’ont lâché devant le refus du PSOE d’évoluer sur les questions régionales ; le PSOE est revenu au pouvoir après les élections d’avril mais ses discussions sans fin (auxquels on ne comprend rien) avec Podemos pour former un gouvernement n’ayant pas abouti, on revotera en novembre et on prévoit une forte abstention, tant les Espagnols sont lassés de ce jeu pseudo-démocratique stérile.

5/ Face à une Espagne en panne, les Basques et les Catalans ont choisi. Les premiers, et cela est dans leur tradition historique, ont renoncé à un Etat souverain mais élargissent tellement en  pratique leur autonomie qu’ils font ce qu’ils veulent chez eux (un peu comme la Flandre fonctionne de façon en fait indépendante dans une Belgique qui a perdu sa substance).

Les Catalans, et cela est sans doute leur erreur, ont choisi une voie plus maximaliste. Las d’attendre un feu vert de Madrid qui ne vient pas, ils ont eux-mêmes organisé le 1er octobre 2017 le référendum d’autodétermination, non reconnu par Madrid et boycotté par les anti-indépendantistes, et, s’appuyant sur le résultat, le parlement catalan a proclamé l’indépendance trois semaines après.

Madrid a répondu en envoyant la garde civile (gendarmerie) essayer d’empêcher la tenue du référendum (elle n’y est pas parvenue), en suspendant l’autonomie de la Catalogne et en arrêtant les principaux membres du gouvernement catalan ainsi que les présidents du parlement et de la principale association culturelle (Puigdemont, lui, est en Belgique, d’où il anime la résistance).  

6/ La réaction du gouvernement catalan a été absurde : il a proclamé l’indépendance sans s’en donner les moyens. Il n’en était pourtant pas totalement démuni : une police catalane assez nombreuse et bien équipée, une administration en place et, surtout, la mobilisation de la population. Face à la détermination de Madrid, décidé à employer la force, s’il y avait eu une détermination aussi forte de résister, les choses auraient sans doute été différentes : même moins fort qu’un adversaire, si on le convainc qu’on résistera, il peut réfléchir. C’est ce qu’on appelle la dissuasion. Les exemples ailleurs de telles dissuasions réussies abondent.

Mais les dirigeants catalans et toute la société ont choisi la non-violence, renforçant la certitude ailleurs en Espagne qu’il était possible d’obliger les Catalans à plier car incapables de se battre (je me souviens de la réflexion, il y a longtemps, sous Franco, d’un ami républicain de Castille qui, en dépit de son anti-franquisme, n’avait pas une haute opinion des Catalans : « ils parlent beaucoup, mais sur le terrain, des poules mouillées »).

Effectivement la réaction n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. De grandes manifestations ont eu lieu (et continuent) mais on a laissé la garde civile venir « cueillir » les ministres catalans sans l’ombre d’un début de résistance. J’ai vu à Barcelone des véhicules de la garde civile, symbole de l’occupation « étrangère », passer dans les rues sans réaction de la population, pourtant acquise à l’indépendance ; même pas sifflés !

Après avoir déclaré l’indépendance, les dirigeants catalans y ont renoncé de facto en acceptant de participer aux nouvelles élections au parlement catalan décidées par le gouvernement de Madrid après rétablissement de l’autonomie (sans doute anticipait-il une victoire des « espagnolistes ») : les indépendantistes les ont gagnées et la nouvelle majorité se prononce à nouveau pour l’indépendance. Le président Quim Torra, qui a remplacé Puigdemont, « empêché », a repris exactement le même langage que son prédécesseur. Dans une séance solennelle un peu surréaliste du parlement catalan (que j’ai suivie en direct sur internet sur la télévision catalane), avant-hier, il a parlé du verdict contre les dirigeants catalans comme d’une « farce » (ce qu’il est) et a annoncé la convocation prochaine d’un nouveau référendum d’autodétermination.  Décidément, à Madrid comme à Barcelone, on manque d’imagination et la rhétorique remplace l’action.

7/ La situation depuis le verdict inique marque une évolution, peut-être une rupture. Pour la première fois, la violence est apparue. Dès le lundi soir, des groupes de jeunes ont mis le feu à divers matériels urbains et n’ont pas hésité à affronter la police. Cela s’est répété tous les soirs jusqu’à hier, jour de la grande manifestation de Barcelone. Dans la soirée, il y a eu escalade dans le comportement de « certains groupes violents », comme le gouvernement catalan les appelle pudiquement. Des barricades ont été édifiées, les affrontements ont été plus violents avec la police (plusieurs dizaines de blessés, dont deux graves). La police a réprimé plus violemment aussi. Les rues de Barcelone ce matin sont celles d’un pays en guerre.   

On ne peut certes pas parler à ce stade de situation insurrectionnelle. Mais on est monté d’un cran. Les participants aux grandes manifestations pacifiques continuent à se différencier des casseurs. Mais, pour beaucoup, la condamnation de la violence est pour la forme. Nombre d’entre eux parlent de désespoir et laissent entendre à demi-mots que, lorsqu’on a tout essayé en vain, que certains choisissent la violence, même si on continue à la réprouver, cela peut se comprendre. Objectivement, les faits donnent une certaine raison aux casseurs : les violences de Barcelone sont relayées par les télés du monde entier alors que toutes les autres manifestations non-violentes étaient passées sous silence.

8/ La situation est désormais curieuse et il faut savoir la déchiffrer pour la comprendre.

Côté indépendantiste, on est divisé entre « Junts per Catalunya », dirigé par Quim Torra, et l’ERC (Esquera Republicana Catalana, son leader, Oriol Junqueras, qui était vice-président du gouvernement, est la principale personnalité condamnée) ; les deux partis sont alliés jusqu’à présent au parlement et dans le gouvernement mais ils divergent de plus en plus. Le premier est l’ossature de la droite au pouvoir depuis 1978, la seconde est de gauche et les deux sont rivaux dans les élections, l’ERC tendant de plus en plus à dépasser Junts dans les urnes (ce qui a été le cas dans les élections nationales espagnoles et au parlement européen). L’ERC a adopté une posture plus modérée que Junts : elle serait prête a discuter avec Madrid et, sans le dire, à renvoyer à plus tard l’indépendance. A cet égard, elle est réservée vis-à-vis du nouveau projet de référendum de Torra (qui ne l’a pas consultée avant de le présenter au parlement, sans, d’ailleurs, donner aucune précision). Et puis il y a les indépendantistes hors partis : ceux d’extrême gauche ou ceux des multiples associations culturelles ou locales de plus en plus enclines à choisir la violence devant l’impasse de la non-violence.

Le président Torra doit jouer les équilibristes. Il est dur vis-à-vis du verdict du procès (tout le monde l’est) et parait choisir l’épreuve de force (le nouveau référendum) mais, dans le même temps, ne veut donner aucune prise à Madrid pour, à nouveau, suspendre l’autonomie. Il a ainsi pris la parole à la télévision en pleine nuit dès le premier soir de violences pour les condamner (tout en faisant, évidemment, porter la responsabilité sur Madrid). Il assume surtout la répression des manifestations violentes : c’est la police catalane qui fait face aux émeutiers, avec cette situation curieuse que le gouvernement indépendantiste envoie sa police contre les indépendantistes avec l’appui de la police nationale (elle reste en deuxième ligne) qui obéit au pouvoir madrilène anti-indépendantiste. Les plus jusqu’au-boutistes parlent évidemment de trahison. L’ERC compte les points et attend sans doute son heure.

Côté espagnol, on est aussi « coincé ». Le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez, qui expédie les affaires courantes, ne peut que répéter en boucle qu’il ne laissera pas piétiner la constitution et que les émeutiers indépendantistes seront châtiés. Le ministre de l’intérieur est intervenu hier soir à la télévision espagnole : sans imagination, il a dit que la réponse était dans le code pénal et que les émeutiers risquaient des années de prison. Son collègue de Barcelone a parlé à la télévision catalane sur un ton plus subtil : il n’a pas cité le code pénal espagnol (qu’il récuse) mais a condamné les violences et a redit sa confiance dans la police catalane.

L’opposition espagnole de droite jette de l’huile sur le feu en accusant le gouvernement de faiblesse et en demandant (surtout pour la forme) la suspension de l’autonomie. Ses « challengers » de droite, « Ciudadanos », en rajoutent et leur relai à Barcelone, « ciutadans », encore davantage. Le discours de ces derniers rappelle les pires heures du fascisme ; ce sont les seuls à s’exprimer en castillan (espagnol) dans l’hémicycle du parlement et dans les médias au lieu du catalan, comme tout le monde, ce qui montre, au passage, qu’ils ne sont que des étrangers narguant les Catalans de souche (il y a près de la moitié de la population catalane issue de l’immigration espagnole : parmi eux, beaucoup sont assimilés, notamment les plus jeunes, formés par l’école catalane, mais d’autres le refusent, se comportent en colons et partagent une opinion largement répandue dans la péninsule selon laquelle la Catalogne n’appartient pas aux Catalans mais à l’Espagne « éternelle et indivisible » : quand bien mêmes seraient-ils majoritairement pour l’indépendance, cela, aux yeux des nationalistes espagnols, n’a aucune valeur).

9/ On en est là aujourd’hui. Le jusqu’auboutisme gagne du terrain à Madrid comme à Barcelone (le dialogue n’est toutefois pas totalement rompu). Il est clair que la seule solution intelligente et viable serait évidemment d’abord la libération des prisonniers politiques (que même la télévision catalane ne peut désigner ainsi sans tomber sous le coup de la loi – elle contourne l’obstacle en montrant abondamment les pancartes des manifestant portant l’inscription « llibertat pels presos politics »). Tant qu’un seul d’entre eux restera incarcéré, les émeutes se poursuivront.

Mais pour rechercher une solution, il faudrait un gouvernement à Madrid (les élections ont lieu le 10 novembre et la formation du nouveau gouvernement risque d’être longue) et que ce gouvernement soit suffisamment fort et courageux pour faire voter une amnistie ou, au moins, décider une mesure de grâce (« indulto »). On est encore loin du compte. Madrid s’est enfermé dans une impasse dont il ne peut sortir : les socialistes, depuis deux ans, n’ont rigoureusement pris aucune initiative sur la Catalogne ; leurs prédécesseurs étaient pires : ils avaient supprimé l’autonomie, avant de la rétablir. Les deux répètent en boucle que la justice est indépendante et que rien ne peut être fait contre la constitution (qui interdit le séparatisme). Il faudrait aussi un peu plus de réalisme à Barcelone. Du côté du  gouvernement catalan de Torra, c’est la fuite en avant qui ne peut aller que droit dans le mur.

10/ Les Catalans sont des victimes. Je ne vais donc pas commencer à les critiquer. Mais il faut avouer qu’ils ont fait preuve d’une naïveté confondante.

Sûrs de leur bon droit et de leur choix de non-violence, ils ont cru que jamais les Espagnols n’oseraient employer la violence contre eux. Ils se sont trompés : neuf dirigeants catalans, aussi pacifiques que leurs compatriotes, sont en prison pour avoir organisé un référendum. Lorsque je donnais un cours à l’université de Barcelone (j’ai arrêté l’an passé), j’avais dit à mes étudiants (avant le référendum de 2017) : « un jour les tanks espagnols seront sur les Rambles de Barcelone ». Ils n’y croyaient pas. Je leur avais alors cité l’expérience malheureuse de la Yougoslavie (pays que je connais bien aussi pour y avoir été en poste diplomatique), un pays européen, aussi développé que l’Espagne, un pays qui était, lui aussi, pacifique, ce qui n’a pas empêché la guerre. Aujourd’hui, l’armée n’est pas à Barcelone, mais la garde civile oui. Tout peut hélas arriver et je n’exclue pas le pire. Lorsque j’entends les Espagnols « de la rue » ailleurs en Espagne, y compris à Valence, où pourtant on parle aussi catalan, cela fait froid dans le dos. J’ai des amis d’ordinaire raisonnables qui deviennent presque hystériques dès qu’on leur parle des « droits » catalans ou basques.

Les Catalans croyaient aussi que l’Union européenne, à laquelle la plupart d’entre eux sont profondément attachés (un peu moins maintenant, avec les évènements), allait intervenir en leur faveur. Le verdict a été rendu. Il n’y a eu de protestation, ou même de réserve, dans aucun pays de l’Union. L’année dernière, j’ai été invité, avec cinq autres personnalités étrangères, à m’exprimer à Barcelone sur la situation en Catalogne. C’était devant un public acquis à l’indépendance. Après mon exposé, on m’a demandé : « qu’est-ce qu’on peut attendre de l’Union européenne ». Ma réponse a été immédiate : « res » (rien). J’ai senti des réactions plutôt de désapprobation dans l’auditoire (non exprimées car les gens sont polis). Sans doute certains commencent-ils à réfléchir. Comme sur la non-violence, ils évoluent.                                                                             

10/ A long terme, la solution pourrait être un système fédéral espagnol, union volontaire de peuples souverains. C’était le souhait de beaucoup parce qu’on peut se sentir à la fois catalan et espagnol, comme personnellement je me sens provençal, occitan et français. Ce ne devrait pas être l’un ou l’autre mais les deux en même temps : les identités peuvent s’emboiter comme des poupées russes.

Est-ce encore possible pour la Catalogne ? Le risque est que le divorce devienne irréversible.

Les Espagnols sauront-ils surmonter leurs vieux démons du passé, dont la tendance collective au suicide semble être la plus prégnante?

J’ose croire qu’ils auront la sagesse de se comporter de manière plus intelligente.

J’ose le croire sans en être sûr./.

Yves Barelli, 19 octobre 2019                                                    

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16 octobre 2019 3 16 /10 /octobre /2019 09:37

Neuf dirigeants catalans, emprisonnés depuis deux ans, ont été condamnés à des peines de 9 à 13 ans de prison pour avoir organisé le référendum d’autodétermination du 1er octobre 2017 et proclamé à sa suite l’indépendance de la Catalogne. Ce procès politique contre des dirigeants démocratiquement élus qui ont toujours prôné et pratiqué la non-violence est en soi évidemment un scandale qui rappelle les pires heures de l’histoire de l’Espagne et une parodie de justice qu’on espérait ne plus jamais revoir dans ce pays qui se dit « démocratique » et membre d’une Union européenne qui prétend défendre des valeurs démocratiques. Le second scandale est évidemment l’absence de réaction dans les pays de cette « Union », en particulier en France, alors que la Catalogne est une terre qui devrait nous être chère à quelques kilomètres de Perpignan.

J’ai beaucoup écrit sur l’Espagne et sur la Catalogne depuis que je tiens ce blog (notamment : « Catalogne, le combat continue », 15 septembre 2018, et « Espagne, élections, victoire socialiste », 2 mai 2019). J’y renvoie mes lecteurs. Je suis souvent outre-Pyrénées et je connais très bien la Catalogne. Je suis donc touché par cet outrage aux principes les plus élémentaires de la démocratie.

1/ Rappelons que depuis des années, la majorité indépendantiste du parlement catalan et le gouvernement qui en est issu réclament la tenue d’un référendum d’autodétermination, droit dont ont pu bénéficier les Québécois, les Ecossais ou les Kosovars par exemple, mais que le gouvernement de Madrid s’obstine à refuser sous le prétexte irrecevable que le droit à la séparation ne serait pas inscrit dans la constitution espagnole. Donc interdiction éternelle pour les nationalités pourtant reconnues (la Catalogne est une nation qui existe depuis le 10ème siècle, avant même la création de l’Espagne, avec un Etat qui fut souverain pendant plusieurs siècles) d’être indépendantes, interdiction même, pour le peuple, d’être consulté pour exprimer un avis sur la question. Interdiction, donc, de demander le divorce, même si le couple ne fonctionne plus.

Las d’attendre un bon vouloir de Madrid qui ne viendra jamais, les Catalans ont décidé en 2017 d’organiser eux-mêmes la consultation. En dépit de la répression policière (on a chargé dans les bureaux de vote des femmes et des vieillards simplement venus exercer leur droit de vote), le référendum a pu se tenir. Devant le refus de Madrid de le reconnaitre et même de discuter, le parlement catalan a voté la déclaration d’indépendance de la Catalogne le 27 octobre 2017.

Cette indépendance nominale n’a pas été suivie d’effet. Les dirigeants catalans y ont de facto renoncé en acceptant de participer à de nouvelles élections pour leur parlement (dans le cadre espagnol). Une nouvelle majorité indépendantiste en est issue et un nouveau gouvernement à son image. Le gouvernement espagnol a répondu à cette mobilisation du peuple catalan en emprisonnant ses principaux dirigeants, membres du gouvernement et président du parlement, restés à Barcelone. Le président catalan sortant, Carles Puigdemont, ainsi que plusieurs de ses ministres, ont pu s’échapper et se réfugier à Bruxelles, où ils sont toujours, sous la protection des nationalistes flamands et avec le consentement du gouvernement belge qui n’a pas répondu à la demande espagnole d’extradition.

2/ Le principal condamné du procès est Oriol Junqueras, dirigeant de l’ERC (« esquera republicana catalana » = gauche républicaine catalane) et vice-président du gouvernement catalan au moment de son arrestation.

Les autres appartiennent aux deux principaux partis catalans : Junts per Catalunya, celui de Puigdemont, et l’ERC.

3/ Les deux partis n’ont pas tout à fait la même appréciation sur la conduite à tenir. Ils sont d’ailleurs en concurrence : Junts, parti plutôt de droite, dirige la Catalogne depuis vingt ans mais l’ERC (gauche) tend aujourd’hui à le supplanter dans les urnes. Le premier se montre plus dur aujourd’hui que l’ERC qui serait davantage encline à rechercher un compromis avec Madrid.

4/ Les réactions à l’annonce du verdict ont été vives. Des manifestations spontanées se sont produites, l’aéroport de Barcelone et l’autoroute vers la France ont été un moment bloqués.

Traditionnellement, les manifestations en Catalogne sont toujours pacifiques. A mon avis trop. Les rassemblements jusqu’à un million de personnes (j’y ai participé l’année dernière lorsque j’avais été invité par les dirigeants catalans à m’exprimer sur place) et les chaines humaines à travers le pays n’ont aucun impact sur Madrid et sur la population espagnole qui, en dehors de la Catalogne et du Pays Basque, est massivement hostile non seulement envers l’idée d’indépendance catalane mais aussi envers toute discussion ou « faiblesse » envers les séparatistes.

J’ai constaté aussi, pour le déplorer, que les Catalans attendent trop de l’Union européenne. Convaincus de leur bon droit, ils ont la naïveté de penser que leur cause pourra être comprise dans les pays de l’UE.

Il est clair que tant qu’ils s’en tiendront à la stratégie sans issue adoptée jusqu’ici, les lignes ont peu de chances de bouger. L’UE a d’autres chats à fouetter sans s’occuper de ce dossier que peu connaissent en dehors des frontières de l’Espagne. C’est pourquoi, on en reste à l’hypocrite attitude de se cacher la tête dans le sable en refusant d’intervenir dans les « affaires intérieures » de l’Espagne.

5/ Quelles sont les perspectives ?

Les plus optimistes constatent que les juges de Madrid ont retenu l’accusation de « sédition » et non de « rébellion », ce qui a légèrement atténué le verdict. Ils veulent croire à la possibilité d’un « indulto » (« pardon » décidé par l’exécutif, ce qui n’est pas tout à fait pareil qu’une amnistie : on libère mais on n’efface pas le « crime »).

De toute façon, pour le moment l’Espagne n’a en pratique plus de gouvernement. Le socialiste actuellement au pouvoir, incapable de former une majorité à l’issue des dernières élections, expédie les affaires courantes en attendant le prochain scrutin, d’ici un mois. Cette instabilité dure depuis deux ans. En fait, l’Espagne est gouvernée pour la gestion des affaires quotidiennes par les « communautés autonomes » (régions), Catalogne comprise, qui ont des compétences très étendues (éducation, santé, police de proximité, etc) et, pour ce qui relève de l’économie et de la monnaie, de Bruxelles, l’Espagne n’étant plus qu’un pays à souveraineté limitée.

6/ Je n’ai pas de conseils à donner aux Catalans. Je ne puis toutefois pas m’empêcher d’être relativement critique sur la stratégie qu’ils ont adoptée jusqu’à présent : déclaration d’indépendance sans s’en donner les moyens, bras de fer avec Madrid sans vraiment combattre, absence de recherche d’alliés ailleurs en Espagne et, au contraire, attente déraisonnable de l’Union européenne qui sera pourtant la dernière à intervenir.

Quant aux Espagnols, si, pour une fois dans leur histoire, ils acceptaient la recherche de solutions de compromis et s’ils faisaient preuve, pour une fois aussi,  de mansuétude plutôt que de vouloir « punir » (c’est ce que demande l’ « homme de la rue », même parmi les moins excités, je l’ai constaté y compris dans le Pays de Valence où, pourtant, on parle aussi catalan) ceux qui ont l’outrecuidance de remettre en cause la mythique « Espagne, une et indivisible ».

Le pire n’est pas toujours nécessairement le plus probable, même en Espagne. J’espère que ce que je disais il y a trois ans à mes étudiants de Barcelone (où je donnais un cours de relations internationales à l’université), incrédules : « un jour, les tanks espagnols seront sur les Rambles de Barcelone et tireront sur le foule, comme on l’a vu en Yougoslavie, autre pays que je connais bien et qui avait l’air pacifique, avant », n’adviendra pas et que, enfin, les Espagnols reprendront leurs esprits. Eux aussi ont d’autres chats à fouetter : chômage, services publics, islamisme (en proportion d’une immigration qui s’accroit)./.

Yves Barelli, 15 octobre 2019                                                       

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26 mai 2019 7 26 /05 /mai /2019 21:11

Depuis des semaines, nos médias et nos politiciens nous rebattaient les oreilles avec l’élection des figurants (souvent des « recalés » du suffrage universel dans leurs pays ou, dans le nôtre, des jeunes sans doute plein d’avenir, désignés par les partis pour faire leurs  premières armes dans la vie politique) au « parlement » européen. La plupart de ces médias et politiciens, adeptes de la religion européiste ou/et au service du système mondialisé qui entend briser les nations et transformer les citoyens en consommateurs interchangeables d’un « territoire » (remplaçant les bons vieux « pays ») à l’autre (c’est dans cet esprit qu’on fait circuler des « travailleurs détachés », l’un des scandales de l’UE), ont souligné à qui mieux mieux l’ « enjeu historique» du scrutin (il fallait barrer la route aux méchants « populistes ») et l’importance capitale (désormais à leurs yeux supérieure aux vrais parlements, les nationaux) de ce « machin » coûteux qu’ils baptisent « parlement » (un vrai parlement représente le peuple dans un Etat ; or l’Union européenne n’est pas un Etat et ses habitants ne forment pas une nation). Ils ont pourtant oublié (ou alors ils n’en tiennent pas compte, ce qui est encore pire) que les peuples ne se sentent pas concernés par cette mascarade qu’est la « construction » européenne, œuvre de technocrates au profit de politiciens au service du système. En dépit de la propagande éhontée qui les abreuve, les Européens (c’est-à-dire les habitants du continent) sont étrangers à la machine bruxelloise à laquelle d’ailleurs ils ne comprennent pas grand-chose. C’est pourquoi à peine la moitié se sont dérangés pour voter et ceux qui l’ont fait ne l’ont fait, dans leur écrasante majorité, qu’en fonction de considérations politiques nationales, se souciant comme d’une guigne de ce qu’il adviendra de ce soit disant « parlement ».

1/ Vu ce qui précède, ce nouveau « parlement » « élu » ne mérite pas de commentaire particulier. Compte tenu du faible taux de participation, il ne constitue même pas un sondage d’opinion en grandeur réelle tant l’ « échantillon » n’est pas représentatif. Je me contenterai de me féliciter de la « montée » dans ce « parlement » du « populisme » « eurosceptique », comme on dit (terme, au demeurant absurde : l’Europe est une réalité géographique ; peut-on être sceptique vis-à-vis d’une réalité ? Réalité, j’ajoute, qui n’a rien à voir avec l’UE : personnellement, je me sens très Européen, parce qu’il y a, de l’Atlantique à l’Oural, et au-delà, une communauté de civilisation : dans le même temps, je souhaite qu’on mette fin à cette « Union européenne » qui ne sert à rien et qui est même nuisible pour le continent et ses peuples). Cette assemblée a très peu de pouvoirs mais, avec le peu qu’elle  a, si elle peut bloquer l’œuvre néfaste de la Commission (avant qu’on supprime celle-ci), ce ne sera pas plus mal.

2/ L’ «enjeu » en France était de sanctionner ou non Macron. C’est fait : en arrivant en tête, la liste du Rassemblement National de Marine Le Pen concrétise cette sanction. Je m’en félicite tout en gardant la tête froide. Fondamentalement ce vote-sanction a peu de signification : Marine Le Pen est loin d’être aux portes du pouvoir !

3/ Je regrette que la liste de Debout la France n’atteigne pas les 5% qui lui aurait permis d’envoyer des représentants au « parlement » européenne. Nombre de ses soutiens ont préféré voter « utile » en votant Le Pen. Je les comprends.

Je regrette aussi que les listes de François Asselineau et de Florian Philippot aient, comme celle de Dupont Aignan, souffert du vote utile. Ce sont des personnalités de qualité qui ont beaucoup de choses intelligentes à dire. Mais pourquoi se sont-ils obstinés à se lancer dans cette galère ? Ils auraient été bien plus utiles en rejoignant la liste du RN ou celle de DLF.

4/ Le mouvement des « gilets jaunes » a indirectement pesé sur le vote de ce jour. S’il a permis de « gonfler » le vote Rassemblement National, tant mieux. J’ai beaucoup de sympathie pour tous ceux qui ont passé du temps sur les ronds-points et qui défilent, dans le danger de la répression policière, tous les samedis depuis six mois. Cela a été utile et le reste. Mais cela ne saurait suffire : un prolongement politique est nécessaire ; être « gilet jaune », cela ne doit pas empêcher de voter ; au contraire, cela devrait inciter à le faire.

5/ Dans chaque pays, les votes ont reflété, plus ou moins (quand il n’y a que 15% de participation, comme par exemple en Tchéquie, cela reflète rien du tout), les rapports de force internes.

A cet égard, je me félicite de la victoire de la liste « Brexit » en Grande Bretagne, victoire cocasse et absurde, d’ailleurs, quand on sait que, le Royaume-Uni quittant l’UE, les élus britanniques au « parlement » européen ne siègeront pas.

Je me félicite aussi de celle des patriotes « populistes » d’Italie, de Hongrie (la liste Orban a la majorité absolue), de Pologne et d’ailleurs. Salvini ou Orban nous montrent la voie à suivre. Merci. 

En Espagne, la victoire des listes indépendantistes à Barcelone (on votait aussi en Espagne pour les municipales et certains parlements de Communautés Autonomes) me fait chaud au cœur. Manuel Valls, ancien premier ministre de Hollande, s’est ridiculisé en se présentant à l’élection de la capitale catalane aux côtés de la droite anti-indépendantiste. Ce personnage opportuniste qui se gargarisait du mot « république » lorsqu’il était à Matignon fait désormais campagne pour l’intégrité du « royaume » d’Espagne. Lamentable ! Aux poubelles de l’histoire, tant de la France que de la Catalogne. Il ne méritait même pas les cinq lignes que je lui ai consacrées.

XXX

Comme on disait autrefois « ce n’est qu’un début, continuons le combat ». Les peuples européens ne sont pas encore libres. Ils commencent à se libérer dans leur tête, préalable à la libération continentale./.

Yves Barelli

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2 mai 2019 4 02 /05 /mai /2019 10:04

Les élections législatives anticipées (les troisièmes en trois ans) du 28 avril ont consacré une suprématie socialiste sur laquelle peu auraient parié il y a trois mois. La nette victoire du PSOE constitue davantage un rejet de la droite qu’une réelle adhésion au parti de Pedro Sanchez. Elle s’explique par l’erreur stratégique du Parti Populaire (droite), déjà déconsidéré par les graves affaires de corruption qui avaient entrainé la chute du gouvernement de Mariano Rajoy, qui s’est laissé aller à conclure une alliance de fait avec le nouveau parti d’extrême-droite Vox, ouvertement hostile au régime démocratique instauré en 1975 à la mort de Franco. Ces élections se sont tenues sur fond de crise catalane avec une incidence à double détente : le séparatisme catalan a entrainé une exacerbation du nationalisme espagnol qui a d’abord profité à la droite, la plus anti-catalane et donc la plus en phase avec le sentiment populaire le plus répandu en Espagne, mais, dans un deuxième temps, a paradoxalement favorisé la gauche socialiste qui a su profiter des outrances fascisantes de Vox et de la surenchère des autres partis de droite.

Sanchez formera un nouveau gouvernement, soit minoritaire, soit en union avec Podemos et peut-être les nationalistes basques. Restera alors à s’attaquer enfin sérieusement au problème catalan, abcès de fixation de toute la politique espagnole depuis deux ans : le déni de démocratie qu’est le refus de reconnaitre le droit à l’autodétermination du peuple catalan, l’incarcération depuis plus d’un an de douze dirigeants catalans (un procès de type politique est en cours), pourtant pacifiques et démocratiquement élus, et l’absence de réponse institutionnelle de la part de Madrid ne pouvant se poursuivre encore longtemps au risque de rendre la situation intenable.

1/ Avec une participation en hausse, la victoire socialiste est nette. Le PSOE a recueilli environ 29% des suffrages, le Parti Populaire (droite classique) 17%, Ciudadanos (nouveau parti de droite formé en réaction tant à la corruption du PP qu’au séparatisme catalan) 15%, Podemos (gauche plus radicale, l’équivalent de la France insoumise) 13% et Vox (nouveau parti d’extrême droite) 10%, le reste (près de 30%). allant essentiellement aux partis nationalistes catalans et basques.

Le parlement espagnol est composé de deux assemblées : le « congrès des députés » (chambre « basse », la principale) et le sénat (chambre haute). Les deux sont élues dans un scrutin à un tour à la proportionnelle intégrale, sur une base nationale pour la première et départementale pour la seconde (ce qui donne une prime pour les grands partis, les petits n’ayant souvent aucun élu dans les circonscriptions peu peuplées).

Au congrès des députés, le PSOE (socialiste) détiendra dorénavant 123 sièges (sur 350), le PP 66, Ciudadanos 57, Podemos 42 et Vox 24. Les partis nationalistes ou régionalistes (très importants car ils sont indispensables pour former une majorité) ont les députés suivants : 22 pour les Catalans (15 pour ERC et 7 Junts per Catalunya – voir remarque infra), 10 pour les Basques (6 le PNB, nationaliste de droite, et 4 pour EH, nationaliste de gauche) et 6 pour d’autres « communautés autonomes » - Canaries, Navarre).

La majorité absolue étant de 176 sièges, aucun parti ne l’atteint au congrès des députés. Le PSOE devra donc conclure des alliances ou, au moins, bénéficier d’abstentions. En revanche, au sénat, le PSOE a la majorité absolue à lui seul, ce qui lui facilitera la vie (comme c’est généralement le cas en régime bicaméral, les projets de loi sont soumis à « navette » parlementaire, ce qui n’empêche pas la suprématie de la chambre « basse » mais peut la freiner).

2/ Pourquoi cette victoire ? On peut l’attribuer à deux facteurs.

La droite du Parti Populaire a fait une erreur stratégique de taille en s’alliant au parti néo-fasciste (voir infra) Vox. D’abord l’année dernière en Andalousie où il s’est allié à Vox pour chasser à l’occasion d’élections régionales les socialistes au pouvoir à Séville depuis 1975 et pour gouverner avec lui (Vox n’y est qu’une force d’appoint). Puis en tentant de rééditer l’opération au niveau national.

L’image des trois leaders de droite, Pablo Casado (nouveau leader du PP en remplacement de Mariano Rajoy, qui avait un peu plus de sens politique), Albert Ribera (Ciudadanos) et Santiago Abascal (Vox), côte à côte le mois dernier sur une estrade du paseo de la Castellana lors du meeting populaire de « grande ampleur » (mais qui n’a réuni qu’un nombre assez restreint de participants, la plupart venus gratuitement de toute l’Espagne en cars spécialement affrétés), a été catastrophique. Depuis, Casado a essayé de prendre ses distances avec Vox mais le mal était fait. Les socialistes et toutes les autres forces de gauche se sont engouffrés dans la brèche en sonnant le banc et l’arrière banc de tout ce qui compte d’antifascistes en Espagne. Cette faute politique du PP explique la plus forte mobilisation de l’électorat (plus de 70%) que d’habitude et largement la défaite de la droite.

Le deuxième facteur est la politique menée par Sanchez depuis un an qu’il était au pouvoir. Il a pris quelques mesures sociales (le smic devrait augmenter de 20%, ce qui peut poser des problèmes pour les petites entreprises) rompant avec les politiques d’austérité du passé imposées par Bruxelles (les socialistes espagnols se sont sans doute inspirés de la politique qui est un succès  menée par l’union de la gauche – socialistes et communistes – depuis deux ans au Portugal). S’y est ajoutée une mesure symbolique qui contribue à resserrer les rangs de la gauche : l’exhumation des restes de Franco du mémorial du « Valle de los Caidos » (vallée des morts) construit après la fin de la guerre d’Espagne, par des milliers de prisonniers politiques, pour y célébrer la victoire fasciste.                            

3/ Quelles sont les forces en présence dans le nouveau parlement ? Cinq formations nationales principales sont représentées au parlement. Deux de gauche et trois de droite. S’y ajoutent les partis indépendantistes.   

Le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) est un parti historique (qui existait déjà sous la république, avant la dictature franquiste). Depuis le rétablissement de la démocratie, il a gouverné à plusieurs reprises (sous Gonzales et Zapatero). Ses adversaires de gauche l’accusent d’avoir souvent mené une politique de droite et d’avoir trahi ses valeurs historiques en acceptant le rétablissement de la monarchie (ce qui peut se justifier par le compromis de 1975, mais est davantage incompréhensible quant à l’acceptation du roi actuel en remplacement de Juan Carlos, quasiment forcé d’abdiquer à la suite de scandales à répétition ; à noter que la monarchie, imposée par Franco avant sa disparition, n’est pas populaire en Espagne – les sondages le montrent -, que beaucoup la considèrent comme une injure faite aux victimes de la dictature qui s’était imposée par les armes contre la république démocratiquement légitime ; un facteur aggravant du rejet de la monarchie est qu’elle est incarnée par les Bourbon, famille d’origine étrangère imposée au 17ème siècle ; les Bourbon sont honnis en particulier dans les régions de l’antique couronne d’Aragon – Aragon, Catalogne et Valence – où la répression sanglante de l’époque a laissé un vif  souvenir jusqu’à aujourd’hui). Le gouvernement de Zapatero a été si impopulaire (notamment en appliquant les mesures d’austérité imposées par l’UE) que sa défaite aux élections de 2011 (voir mon article du 21 novembre 2011 : « Espagne-Elections-Leçons d’un suicide socialiste ») a été si cuisante qu’on pensait ce parti durablement écarté de la vie politique (situation du même type que celle du PS français après le mandat de Hollande). Le PSOE est « européiste » et atlantiste, donc « politiquement correct » vu de Bruxelles ou Washington.   

Le Parti Populaire, formé en 1975, a été considéré comme l’héritier du régime de Franco, mais il a eu l’intelligence de se rallier à la démocratie. Il est en fait dans la lignée des partis chrétiens-démocrates existant en Europe. Il incarne donc la tradition « nationale » (il est réservé vis-à-vis des autonomies régionales), chrétienne (tout en soutenant la laïcité) et « européiste ». Politiquement correct, donc, aussi. Le mandat de Mariano Rajoy s’est aussi mal terminé en 2016 que celui de Zapatero : scandales et politique antisociale, auxquels s’est ajoutée une gestion calamiteuse du dossier catalan (intransigeance certes populaire ailleurs qu’en Catalogne mais ne menant nulle part).

A ces partis de gouvernement, se sont opposés deux nouveaux partis créés ces dernières années. « Podemos » se veut un parti « jeune », « alternatif » et « innovant ». Son leader charismatique, Pablo Iglesias, issu de la société civile, a eu un certain succès, notamment dans la jeunesse. Il a capitalisé sur le rejet tant du PP que du PSOE. Il est toutefois handicapé actuellement par l’absence de ligne politique claire (aggravée par des dissensions entre dirigeants) et l’accusation qui lui est portée d’être trop accommodant envers les Catalans (Podemos, notamment en Catalogne, évite de se prononcer sur l’indépendance, se contentant de soutenir le droit à l’autodétermination, ce qui est une position sage mais impopulaire ailleurs qu’en Catalogne). Podemos se présente souvent aux élections en compagnie de l’Union Populaire et du Parti Communiste, formation historiquement importante, en perte de vitesse comme ailleurs mais qui conserve des partisans.

Ciudadanos est un peu l’équivalent de Podemos, mais pour la droite. Cette formation est née en Catalogne pour s’opposer au mouvement indépendantiste (elle y est soutenue essentiellement par des immigrés castillans ou andalous, les Catalans de souche anti-indépendantistes étant très minoritaires) et elle s’est développée en Espagne en opposition à la droite classique, embourbée dans les scandales de corruption.

Dans leurs motivations et fonctionnement, Podemos (« nous pouvons ») et Ciudadanos (« les citoyens ») ont quelques affinités avec le mouvement italien « Cinque Stelle » (Cinq Etoiles).

Vox est le dernier apparu sur la scène espagnole. Créé il y a moins d’un an en Andalousie en réaction au PSOE (qui gouvernait la région jusqu’à l’élection de 2018), il a adopté une posture radicale anti-gauche, anti-avortement, anti-homosexuels, misogyne, anti-Catalans, anti-autonomies régionales, anti-immigration et, finalement, anti-démocratie. Il est clairement Franco-nostalgique.

A ces partis nationaux s’ajoutent les partis nationalistes qui dominent la vie politique catalane et basque (même les partis nationaux, tels le PSOE, sont généralement présents en Catalogne et au Pays Basque sous des noms locaux).

En Catalogne, les partis indépendantistes sont majoritaires au parlement catalan (et sont donc représentés en proportion au parlement espagnol). Jusqu’à présent, « Junts per Catalunya » (ensemble pour la Catalogne), la formation de Carles Puigdemont, était majoritaire. La seconde formation, l’Esquera Republicana Catalane (ERC, gauche républicaine catalane), gouverne à Barcelone avec Junts. (Pour les détails de la crise catalane et l’évolution de l’Espagne voir sur ce bloc les 26 articles que j’ai publiés depuis 2012)   

Depuis quelques mois des dissensions sont apparues entre ces deux partis. Elles tiennent à la stratégie à adopter vis-à-vis de Madrid. Junts est le plus radical. Des négociations ont eu lieu avec le gouvernement de Pedro Sanchez. Elles ont achoppé sur le droit à l’autodétermination, refusé par Madrid. C’est ce qui a conduit les Catalans (Junts mais aussi l’ERC) a refuser de voter le budget 2019, ce qui a entrainé la chute du gouvernement de Sanchez et la convocation des élections qui viennent de se tenir).

L’ERC est un peu plus conciliante. La raison en est sans doute que son leader Oriol Junquera est emprisonné, en compagnie de onze autres dirigeants catalans, depuis plus d’un an pour avoir organisé la référendum d’autodétermination (non reconnu par Madrid) d’octobre 2017 et avoir participé à la proclamation de l’indépendance (Puigdemont et d’autres sont en exil à Bruxelles). Le procès des patriotes catalans est actuellement en cours et Junquera préfère ne pas jeter de l’huile sur lez feu. A titre anecdotique, je signale qu’il vient d’être élu député (5 autres emprisonnés l’ont été aussi), ce qui va poser des problèmes pratiques s’ils restent incarcérés.  

L’électorat catalan semble avoir donné raison à Junquera puisqu’il envoie à Madrid 15 députés de l’ERC et seulement 7 de Junts, inversant pour la première fois le rapport de forces entre les deux formations catalanes.

Le cas basque est un peu différent. Après le traumatisme de la lutte armée de l’ETA, le gouvernement de Vitoria (capitale d’Euskadi) préfère renvoyer à plus tard la revendication d’indépendance (majoritairement soutenue au Pays basque) et collaborer avec le pouvoir de Madrid. Cette stratégie est plutôt payante : les Basques ont obtenu pas mal d’avantages (notamment en matière fiscale ; ils sont en outre totalement autonomes pour la gestion courante du pays : ainsi le basque est langue officielle et d’enseignement – c’est aussi le cas pour le catalan en Catalogne). C’est ce qui explique qu’ils aient soutenu les gouvernements de Rajoy puis de Sanchez (tout en jouant un rôle de médiateur avec les Catalans). A noter que cette attitude renoue avec l’histoire basque, nation sans Etat qui réussit à sauvegarder sa spécificité en composant avec les pouvoirs centraux, y compris en France (où il n’y a même pas de département basque et où le basque n’a aucun caractère officiel ; pourtant toutes les municipalités basques ont formé une communauté de communes et, de fait, assurent avec un certain succès la promotion de la langue, de la culture et des intérêts basques).

Deux partis basques envoient des députés au parlement de Madrid, le PNB, conservateur, 6 députés) et EH (gauche radicale, 4 députés), auxquels s’ajoutent 2 députés de Navarre.                  

4/ Que sera le prochain gouvernement ? Le PSOE en formera l’ossature. Il avait le choix entre une alliance avec Podemos et avec Ciudadanos. Mais cette dernière possibilité est vite apparue irréaliste car les militants de base du PSOE y sont hostiles et Ciudadanos, par la voix de son leader, Albert Ribera, a fait savoir qu’il n’en était pas question. Ce parti aurait en effet beaucoup à perdre : il s’est constitué en parti « propre » contre les dérives du PSOE et du PP et s’est mis en avant sur le dossier catalan en affrontant les indépendantistes. Or, Sanchez est soupçonné, à tort ou à raison (s’il est intelligent, à raison) de vouloir rechercher un compromis (qui pourrait être la création d’un Etat fédéral) avec les Catalans.

Il est donc possible de Podemos participe au prochain gouvernement. Il le revendique (c’est aussi le vœu des syndicats exprimé le 1er mai). Une autre option, proposée par Sanchez,  serait un accord de programme avec soutien sans participation. Les discussions s’annoncent serrées et peut-être longues. De toute façon, cela ne suffira pas à assurer une majorité. Les deux formations ont ensemble 165 députés. Manquent 12 pour arriver à la majorité absolue. Le soutien du PNB basque est acquis. Il manquera encore 6 sièges : on trouvera sans doute des Navarrais et des Canariens pour s’en approcher.

Mais la majorité ne pourra être complètement sécurisée qu’avec le soutien ou au moins la neutralité bienveillante (abstention lors des votes importants, tel le budget, et pas de vote hostile) des Catalans. Peut-être au moins de l’ERC, surtout si Madrid a l’intelligence (on peut rêver !) de ne pas faire des patriotes emprisonnés des martyrs de la cause s’ils sont condamnés à de lourdes peines.                                        

5/ La question catalane sera en première place dans l’agenda du nouveau gouvernement.

Cette question est pendante depuis 2010. La Catalogne est une nation qui existe depuis le 10ème siècle (alors que l’Espagne ne s’est constituée en tant qu’Etat qu’à la fin du 15ème). Elle a sa langue, très vivante, sa culture, son histoire, ses traditions, son architecture et ses arts, sa sociologie, son dynamisme économique, sans oublier le prestigieux « Barça », « mes que un club » (plus qu’un club), l’un des porte-drapeaux de la Nation. Au cours de son histoire, elle a eu à subir maintes fois la domination et la répression de la Castille. Celle des Bourbons au 17ème siècle, plus récemment celle de Franco, enfin celle de Rajoy.

Depuis 1975 un compromis avait pu être trouvé sous la forme de la création de « communautés autonomes » (équivalent de régions ou, quasiment, d’états fédérés) disposant de compétences à la carte, celles étant les plus étendues pour les nationalités historiques que sont la Catalogne et le Pays basque. Cette autonomie, que peuvent envier les régions (autrefois nations) historiques de France, a dans l’ensemble bien fonctionné (en dépit des conflits de compétences entre la « Generalitat de Catalunya » et l’état central : à titre d’exemple le catalan est seule langue officielle (avec l’occitan, ce qui est anecdotique) de la Catalogne, mais le castillan est seule langue de l’Etat espagnol dont fait partie la Catalogne, ce qui peut être contradictoire ; il y d’autres exemples, en matière de routes, de police, etc).

La rupture psychologique entre Catalans et Espagnols est intervenue en 2010 lorsque le « tribunal constitutionnel » (conseil constitutionnel) de Madrid (formé de « juges » largement issus de la période franquiste ou en ayant conservé la mentalité) a « retoqué » le projet de nouveau statut (constitution) de la Catalogne, pourtant peu différent sur le fond du précédent, sous prétexte que son préambule parlait de « nation catalane » qui existe depuis mille ans (le tribunal a considéré, niant les réalités, que la seule « nation » est l’espagnole). Cela a été pris par les Catalans comme une gifle et cela a entrainé (visible dans les sondages d’opinion qui sont régulièrement faits) que le sentiment indépendantiste (mis en sommeil par opportunité) a explosé et est devenu majoritaire. Toutes les élections au parlement de Barcelone ont confirmé ce sentiment en y envoyant des majorités de partis indépendantistes. Dès lors, les Catalans ont demandé à exercer le même droit à l’autodétermination qui a été accordé dans un passé récent par exemple aux Québécois, aux Kosovars ou aux Ecossais. Refus de Madrid qui s’appuie sur la constitution espagnole qui ne prévoit pas ce droit. Donc droit au divorce interdit, ce qui est une conception bizarre de la démocratie. Cela n’est pas sans rappeler la constitution française qui ne prévoyait pas non plus le droit à la sécession de l’Algérie, alors partie intégrante de la France. Il y a fallu huit ans de guerre et des centaines de milliers de morts pour que ce droit puisse s’exercer (dans les pires conditions). Faudra-t-il la même chose en Catalogne ?

Pour l’heure, la volonté des Catalans n’est pas à la guerre. Ils multiplient depuis bientôt dix ans les marches et les manifestations pacifiques (j’ai participé en septembre 2018 à celle qui marque, comme chaque année, la fête nationale catalane : près d’un million de participants sur les dix kilomètres de la « Diagonal » de Barcelone, pas une seule vitre brisée). Leur pacifisme n’est pas récompensé. Las d’attendre que Madrid se décide, les Catalans ont organisé eux-mêmes ce référendum d’autodétermination tant attendu le 1er octobre 2017. On a alors vu les gardes civils de l’Etat espagnol matraquer à l’intérieur des bureaux de vote des femmes et des vieillards venus simplement exercer leur droit démocratique. En réponse à la répression et au vu des résultats du référendum (certes tenus dans des conditions particulières, et pour cause !), le parlement catalan a déclaré l’indépendance le 27 octobre, ce qui a amené le gouvernement espagnol à suspendre l’autonomie de la Catalogne et arrêter douze dirigeants catalans tandis que Carles Puigdemont, président catalan, et des ministres se sont réfugiés en Belgique. Le gouvernement de Rajoy a ensuite organisé de nouvelles élections au parlement catalan en décembre 2017, à nouveau remportées, avec une majorité amplifiée, par les indépendantistes.

On en est là. Jusqu’à présent la violence a été évitée. Le gouvernement catalan n’a pas demandé à sa police de s’opposer aux gardes civils venus de Madrid, il a accepté de ne pas tenir compte de la proclamation de l’indépendance (sans effet pratique) et de participer à nouveau aux élections espagnoles. Il a également accepté de discuter avec Pedro Sanchez.

Côté espagnol, en revanche, l’intransigeance a prévalu. Le gouvernement de Rajoy s’est montré totalement fermé et a tenté, en vain, de passer en force. Pedro Sanchez a été un peu plus ouvert mais les discussions ont achoppé sur son refus d’accepter le référendum d’autodétermination. Dans le même temps la justice, soit disant « indépendante », poursuit son œuvre ; les douze arbitrairement emprisonnés sont actuellement en jugement (le procès pourrait durer des mois).

Pedro Sanchez, conforté par le vote de dimanche dernier, sera davantage en situation de rechercher, enfin, une solution au problème catalan. Il sera d’autant plus enclin à cette recherche qu’il a besoin des députés nationalistes basques et catalans pour conforter sa majorité précaire.

Mais en face, son problème est que l’opinion publique espagnole (hors Catalogne et Euskadi) est viscéralement anti-catalane. Agiter la menace d’une sécession catalane, donc amputer l’Espagne « éternelle », c’est comme agiter une cape rouge devant un taureau. J’ai pu personnellement constater (je suis souvent en Espagne et, aujourd’hui, ces lignes sont écrites depuis ce pays) que même des gens habituellement raisonnables peuvent devenir hystériques lorsqu’on aborde le sujet. Ces mêmes personnes sont aussi déraisonnables que ce que l’Espagne a souvent été dans son histoire : un peu comme un enfant qui préfère subir (« même pas mal !») plutôt que de chercher un compromis. En face, les Catalans restent déterminés (j’en suis le témoin). Ils sont déterminés à recouvrer leur liberté, à le faire pacifiquement (stratégie contestable l’histoire ayant  prouvé que les Espagnols ne lâcheront rien s’ils n’y sont pas contraints) et à la faire avec l’aide de l’Europe (quelle naïveté !).

Malheureusement, l’attitude des pays de l’Union européenne, à commencer par la France, n’a pas contribué à aider à trouver une solution. L’UE s’est hypocritement retranchée derrière la constitution espagnole et l’« état de droit », qui en fait est le droit de l’oppression, pour considérer la question catalane comme un non-problème international puisque « affaire intérieure » espagnole. Sans peur de la contradiction : l’UE avait soutenu le droit à l’autodétermination du Kosovo, pourtant partie intégrante de la Serbie (c’était même son berceau historique) depuis des siècles, et on trouve aujourd’hui nombre d’ « européistes » qui encouragent les Ecossais à demander un nouveau référendum d’autodétermination sous prétexte que, eux, étaient contre le Brexit. Et quand on voit le président de la commission européenne, issu d’un petit pays de moins d’un million d’habitants, le Luxembourg, déclarer qu’il est contre l’indépendance de la Catalogne (8 millions d’habitants et un PIB supérieur à celui de la majorité des pays membres de l’UE) parce qu’il y a déjà trop d’états en Europe, on atteint le ridicule.

Pourtant, tout espoir n’est pas perdu. Jusqu’à présent les Catalans ne sont pas tombés dans la violence (mais il ne faudrait pas attendre trop). Beaucoup de choses les lient aux Espagnols. Je suis convaincu qu’ils s‘accommoderaient, à titre de compromis, d’une plus large autonomie (sous forme par exemple de « souveraineté-association », c’est-à-dire d’un abandon volontaire de souveraineté) dans le cadre d’un Etat fédéral (avec plusieurs langues officielles comme au Canada, en Suisse ou en Belgique : la référence belge est intéressante, les deux nations y étant si souveraines qu’elles ne voient pas d’inconvénient majeur à conserver un Etat commun).

6/ La question catalane ne devrait pas occulter les problèmes économiques, sociaux et d’immigration. Bien que la situation économique soit un peu meilleure qu’après la crise de 2008, le chômage reste élevé (15%) et les salaires plus bas qu’en France (le coût de la vie aussi). La corruption endémique reste un problème (ainsi que le travail au noir qui lui est partiellement lié). L’immigration commence à être un problème avec un afflux d’immigrants illégaux (sud-américains, bien assimilés, Roumains et Bulgares, assez bien acceptés car soucieux, eux aussi, de travailler et de s’assimiler, mais aussi, de plus en plus musulmans qui forment des contre-sociétés et qui constituent les gros contingents de délinquants mais aussi de terroristes).

Jusqu’à présent, l’Europe et l’immigration n’étaient pas entrées dans la problématique politique. L’UE est finalement bien acceptée en dépit de l’austérité imposée (pour le comprendre il faut se souvenir que l’entrée dans l’UE a été vue comme la concrétisation que l’Espagne était devenue enfin un pays démocratique « normal » ; les Catalans sont aussi sur cette ligne). L’afflux d’immigrés à problèmes commence seulement à être ressenti par la population. Ceci explique qu’il n’y ait pas, actuellement, de parti « souverainiste » ou « identitaire » ou « populiste » comme c’est le cas dans un nombre croissant de pays. Considérer Vox comme un nouveau parti-frère du RN, de DLF, de la Liga de Salvini, du PiS polonais ou du FIDESZ d’Orban serait une grossière erreur et causerait sans doute les mêmes problèmes à ceux qui seraient tentés de marcher avec lui qu’au Parti Populaire espagnol (qui le paye en perdant l’élection). Vox a peut-être des positions sur l’immigration qui sont sans doute justes mais, foncièrement, ce n’est qu’un parti fasciste.         

7/ Avant que les discussions sur la Catalogne ne reprennent et avant même, peut-être, la formation du nouveau gouvernement, les Espagnols sont à nouveau appelés aux urnes le 26 mai. Pas seulement pour le parlement européen, mais aussi dans la plupart des « communautés autonomes » (pas en Catalogne ni en Andalousie) pour renouveler les parlements régionaux ainsi que les municipalités (les résultats de Madrid et Barcelone sont particulièrement attendus). Le PSOE devrait, globalement, logiquement voir sa suprématie renforcée./.

Yves Barelli, 2 mai 2019                                                                                                     

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10 février 2019 7 10 /02 /février /2019 23:09

Un parti socialiste minoritaire au parlement et dans l’opinion et revenu au pouvoir par la faillite d’une droite déconsidérée par les affaires de corruption et sa calamiteuse gestion du dossier catalan, une nouvelle droite et même extrême droite qui veut en découdre avec les partis traditionnels de gouvernement et qui a le vent en poupe dans une opinion très remontée contre les Catalans, des partis catalans indépendantistes eux-mêmes divisés, une justice qui n’a pas évolué depuis la fin de Franco, un procès scandaleux qui s’ouvre contre douze dirigeants catalans emprisonnés depuis plus d’un an, seulement pour avoir demandé l’autodétermination pour la Catalogne, un gouvernement en passe d’être renversé au parlement, l’Espagne est en crise. Plus que jamais. Saura-t-elle surmonter ses travers historiques : nationalisme intolérant, divisions, incapacité à trouver une voie viable face à ses nationalités et à une Union européenne qui l’enferme dans sa politique d’austérité sans fin ?

1/ L’Espagne, qui a un régime parlementaire fondé sur la proportionnelle, a une représentation parlementaire qui, du fait de l’apparition de nouveaux partis et de l’importance des partis régionalistes et indépendantistes, n’a plus, depuis plusieurs années,   aucun parti dominant. Lors des élections de décembre 2015, le Parti Populaire (droite traditionnelle) avait obtenu 28,3% des voix (et à peu près, en simplifiant car le système avantage les petites provinces rurales, la même proportion au congrès des députés et au sénat, où la droite est un peu plus avantagée), le PSOE (socialiste) 22% (son gouvernement sortant, qui avait eu une gestion calamiteuse, avait été sanctionné), le nouveau parti de gauche Podemos (sorte de France Insoumise ou de Cinq Etoiles) 20,7%, Ciudananos, nouveau parti de droite concurrent du PP (il avait fait une campagne visant la corruption de nombre d’élus du PP) et encore plus jacobin que lui (très anti-catalan), 13,9%, le reste, près de 20% cumulé allant surtout aux partis indépendantistes ou nationalistes basques et catalans (ils sont majoritaires au pays basque et en Catalogne). A noter qu’il n’y a pas, en Espagne, d’équivalent du Renouveau National ou de Debout la France (il n’y a que des partis européistes et, jusqu’à présent, l’immigration n’était pas un thème de campagne).    

Aucune coalition gouvernementale n’ayant pu être mise sur pied malgré six mois de tractations, de nouvelles élections ont eu lieu en juin 2006. Elles ont donné une légère progression du PP, un léger tassement de Podemos et à peu près le maintien de tous les autres. Un gouvernement monocolore PP dirigé par Mariano Rajoy a pu être formé du fait du refus de Podemos de servir de force d’appoint au PSOE et d’un arrangement avec certains partis régionalistes (en particulier le PNV basque, qui y a trouvé son compte grâce à des avantages consentis aux Basques, qui bénéficient d’une autonomie de plus en plus effective : en ne demandant pas l’indépendance, ils n’ont pas la même stratégie que les Catalans) et, sur des points particulier, aux Catalans.

2/ Le gouvernement de Rajoy a pu tenir deux ans. Dans l’intervalle, la majorité indépendantiste élue en Catalogne, a demandé en vain l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Las de ne rien obtenir, elle l’a organisé elle-même le 1er octobre 2017. On a alors eu le sinistre spectacle de « gardes civils » venus de Madrid matraquant dans les bureaux de vote des femmes et des personnes âgées venus exercer leur droit démocratique. Les anti-indépendantistes ayant boycotté le vote, celui-ci n’a eu qu’une signification partielle. D’ailleurs, le pouvoir et la justice espagnols l’ont déclaré nul. Poursuivant sa logique, le parlement catalan, fort de sa légitimité démocratique (il est élu au suffrage universel) et du résultat du référendum, a déclaré l’indépendance de la Catalogne le 27 octobre 2017 (ce faisant, il a commis l’erreur de sous-estimer la réaction espagnole). Le pouvoir espagnol (soutenu par son opposition socialiste et l’opinion publique) a répondu en suspendant l’autonomie de la Catalogne, en dissolvant son parlement, en arrêtant les principaux leaders des partis indépendantistes (le président catalan, Carles Puigdemont, a pu fuir en Belgique où il se trouve toujours) et en convoquant, un peu après, de nouvelles élections catalanes. Le nouveau parlement catalan, élu le 21 décembre 2017 (avec un taux de participation de 82%) a redonné une majorité absolue indépendantiste (légèrement renforcée), désormais présidée par un ami de Puigdemont, Quim Torra, membre du PDcat, avec participation de l’autre grand parti catalan, ERC (Esquera Republicana Catalana), dont le leader, Oriol Junquera, est emprisonné. Le nouveau gouvernement catalan est, bien entendu, en étroite relation avec les exilés de Bruxelles.

L’affaire catalane a occupé l’essentiel de l’activité du gouvernement de Mariano Rajoy et de l’attention des Espagnols. En pratique, la faiblesse de ce gouvernement, minoritaire, rappelons-le, et la surenchère nationaliste (seuls les partis basques soutiennent les Catalans) rappelant les plus mauvais jours du franquisme, a empêché toute tentative sérieuse de rechercher une solution à la crise catalane, d’autant que la justice, en principe « indépendante », mais formée en grande partie de nostalgiques de Franco, a mis en route la procédure judiciaire anti-catalane : neuf dirigeants sont en prison sous l’accusation de « rébellion ».

C’est pourtant sur un tout autre motif que le gouvernement de Rajoy est tombé le 1er juin 2018 à la suite d’une affaire de corruption de grande ampleur qui a éclaboussé le PP jusqu’au sommet de l’Etat et rendu intenable le maintien au gouvernement de Mariano Rajoy, renversé par une motion de censure votée par tous les autres partis.

Nul n’ayant vraiment envie d’aller tout de suite à de nouvelles élections, c’est un gouvernement socialiste minoritaire dirigé par Pedro Sanchez qui a été formé (selon la disposition de la constitution espagnole qui stipule que l’auteur d’une motion de censure qui réussit est chargé de former le gouvernement). Nul ne lui prédisait une longue vie.

3/ Ce gouvernement socialiste est en effet pris entre deux feux.

D’un côté, il a besoin du vote positif des indépendantistes catalans pour faire adopter son prochain budget (on doit voter dans les prochains jours). Il doit donc adopter une position plus conciliante envers les Catalans que le gouvernement précédent, d’autant que ceux-ci bénéficient de la bienveillance des Basques et (moins avouée) de Podemos (et que les socialistes catalans essaient de conserver une position, intenable, d’équilibre entre indépendantistes et espagnolistes – ils sont pour l’autodétermination mais contre l’indépendance -).

C’est pourquoi Sanchez a entamé des discussions avec le gouvernement catalan. Mais l’exercice a deux limites : on ne peut pas parler d’autodétermination qui serait contraire à la constitution espagnole qui ne prévoit pas le droit à l’indépendance, et on ne peut pas parler non plus des prisonniers politiques en se retranchant derrière l’ « indépendance de la justice ». Tout au plus, Sanchez a-t-il accepté le principe de la nomination d’un « facilitateur » neutre pour organiser le dialogue entre les gouvernements espagnol et catalan.  

D’un autre côté, toute concession aux indépendantistes est vue par la droite comme une « trahison », accusation d’autant plus populaire que tous les sondages montrent qu’il existe une large majorité des Espagnols (en dehors de la Catalogne et du Pays Basque) qui réagit de manière épidermique dès qu’il s’agit d’un risque d’atteinte à l’unité de l’Espagne (j’ai moi-même constaté la prégnance de ce sentiment y compris chez des gens peu politisés et « raisonnables » qui changent immédiatement de ton dès qu’on parle des Catalans (ou des Basques): certains vont jusqu’à dire que la seule solution est d’envoyer l’armée à Barcelone pour y faire le « ménage » ; ces réactions sont visibles pas seulement en Castille, de tradition jacobine, mais aussi dans une région où je suis souvent, le Pays de Valence, pourtant de même langue que la Catalogne (pour se différencier on y nomme la langue le « valencien »). Le projet de nomination du « facilitateur », qui mettrait à égalité les deux gouvernements, alors que constitutionnellement l’un est national et l’autre seulement « régional », est considéré par la  droite (et certains socialistes) comme un franchissement de ligne rouge.   

Le résultat est que Sanchez ne sait pas comment prendre le problème et qu’il est en train de  braquer contre lui tant les Catalans que les autres.

4/ Les Catalans sont aussi embarrassés que les socialistes madrilènes. S’ils contribuent à renverser le gouvernement espagnol, ils risquent de se retrouver avec un pouvoir encore plus fermé et répressif. Le parti de Torra et Puigdemont est tenté par l’intransigeance. Celui de Junquera, emprisonné, serait davantage porté au compromis pour des raisons évidentes.

Mais il en est d’autres qui, constatant que l’action non violente adoptée depuis toujours par les Catalans pour se libérer de la domination espagnole n’est pas payante, commencent à envisager des modes d’action moins pacifiques.

5/ La surenchère d’un côté comme de l’autre a provoqué la rupture du dialogue entre Madrid et Barcelone : les Catalans ont fait savoir que, si Madrid refuse leurs demandes, ils ne voteront pas le budget, ce qui précipitera la chute de Sanchez, et les partis de droite demandent maintenant la démission du gouvernement socialiste.  

6/ C’est pour obtenir une caution populaire que les partis de droite ont organisé la manifestation qui a eu lieu le 10 février à Madrid.

Deux partis (le Parti Populaire et Ciudadanos) ont appelé à cette manifestation et un troisième, un nouveau venu sur la scène politique (Vox) s’y est associé. (Et un « outsider », Manuel Valls, qui ne recule devant aucune bassesse pour tenter de retrouver à Barcelone une place qu’il a perdu à Paris : pour le moment les sondages ne lui donnent aucune chance pour la mairie de la « cité comtale » ;  sans doute espère-t-il faire le plein des voix de droite et des nostalgique du fascisme, qui a pourtant détruit sa famille, pour tenter d’y parvenir : triste fin pour cet ex socialiste qui manifeste avec la racaille facho, cléricale et monarchiste  contre un gouvernement socialiste, lui le « républicain » qui voulait barrer la route à l’ « extrême-droite » française !).         

Le succès de cette manifestation est moyen : 200 000 personnes rassemblées sur la place de Colon à Madrid selon les organisateurs, 45 000 selon le gouvernement. La vérité est entre les deux. L’audience est significative mais ce n’est pas vraiment un raz-de-marée sachant que des centaines de cars ont été affrétés et payés par le PP et CC pour amener (gratuitement) à Madrid tous ceux qui voulaient y venir. Vox, avec moins de moyens, n’a pas mis en place ses cars.

Vox est un nouveau parti difficile à classer. Il est né à l’automne en Andalousie (il est encore peu présent ailleurs) où il a obtenu 10% des voix aux « régionales » qui viennent de s’y dérouler. Il participe désormais au gouvernement de Séville après de longues tractations (ses élus étaient indispensables pour renverser la majorité socialiste sortante). Vox a été élu sur un programme anti-immigration (c’est le premier parti à en faire son thème central : d’autant plus populaire que le gouvernement Sanchez en décidant d’accueillir les immigrants clandestins a suscité pour les passeurs une nouvelle route d’entrée en Europe, celles des Balkans et de l’Italie étant désormais fermées), mais aussi misogyne, anti-homo, traditionnaliste et, sans vraiment le dire, nostalgique du fascisme franquiste. Il est, comme on s’en doute, en pointe dans l’anti-catalanisme.

C’est cette surenchère qui a décidé les deux autres partis de droite à organiser la manifestation. Ciudadanos y avait intérêt (le parti est né il y a deux ans de la réaction en Catalogne de la part de certains citoyens anti-indépendantistes, le plus souvent d’origine andalouse ou castillane – en dehors de Manuel Valls, il y a peu de Catalans hostiles à l’indépendance, hostilité née, rappelons-le, de la politique obtuse suivie par Madrid concrétisée par le « tribunal constitutionnel », équivalent de notre Conseil Constitutionnel,  qui, niant les réalités, a retoqué en 2010 un nouveau projet de constitution locale, pourtant peu différente de la précédente, pour la simple référence dans son préambule à la « nation catalane qui existe depuis le 10ème siècle » : alors que les indépendantistes étaient, selon les sondages d’opinion, minoritaires avant – en tout cas nul ne mettait l’indépendance à l’ordre du jour – ils sont devenus majoritaires après -) car ses sondages sont bons. Pour le PP, c’est plus difficile car, compte tenu des « affaires », il a encore une mauvaise image.

7/ Les jours qui viennent vont voir les oppositions s’exacerber. Mardi 12 commence en effet le procès contre les indépendantistes emprisonnés. Selon les chefs d’inculpation qui seront retenus, ils risquent jusqu’à 25 ans de prison.

C’est en plein procès que risque de tomber le gouvernement de Sanchez, précipitant l’Espagne dans une crise dont on ne sait sur quoi elle va déboucher.

En cas, probable, de renversement du gouvernement socialiste et de nouvelles élections, il est plausible que la droite ait une majorité relative (PSOE et Podemos devraient sortir affaiblis) mais selon l’ordre d’arrivée de ses trois partis, la formation du gouvernement risque d’être difficile. Quel sera le score de Vox et donc sa place (peu probable) dans un nouveau gouvernement ? Si Ciudadanos arrive en tête (on s’y attend), le Parti Populaire acceptera-t-il d’être une force d’appoint? Et si Ciudadanos forme le gouvernement quelle sera sa politique. Pour le moment, c’est un parti de protestation (contre le PP, contre les socialistes, contre les Catalans) et on décèle mal chez lui un programme de gouvernement - il est vrai que, pour l’économique et le social, c’est à Bruxelles que ça se passe, et pour ce qui est quotidien, c’est surtout dans les régions, y compris, par exemple, pour l’éducation).    

Le nouveau gouvernement héritera, de toute façon, du dossier catalan et sera tenté (poussé en fait par ses électeurs et la surenchère) à la fermeté envers les Catalans, allant peut-être jusqu’à une nouvelle suspension, voire suppression, de l’autonomie. Les Catalans risqueraient alors de réagir moins pacifiquement, surtout si des innocents sont condamnés dans le procès qui commence après-demain et qui a déjà l’allure d’une parodie de justice.

On attend aussi la réaction des pays de l’Union européenne qui ont préféré se mettre la tête dans le sable pour ne pas regarder la réalité en face. Que signifie cette posture de s’arcbouter sur un soit disant « était de droit » qui, en l’occurrence est un déni de démocratie ? Pourra-t-on encore longtemps se retrancher derrière le « respect de la constitution » sachant que celle-ci ne laisse qu’une option aux Catalans, le statu quo ? On peut comprendre les réticences des Etats à accepter la sécession ailleurs sachant que tous ou presque ont leurs propres séparatistes, avérés ou potentiels. Mais selon quelle logique y aurait-il à accepter l’autodétermination au Kosovo (sans même remonter à la dissolution de l’URSS et de la Yougoslavie), au Soudan du Sud, en Ecosse ou au Québec et pas en Catalogne, alors que cette nation a dix siècles d’existence (plus que l’Etat espagnol qui n’en a que cinq), une langue très vivante, une capitale qui a un large rayonnement international et un Pib qui la placerait dans les dix premiers de l’UE ?

Plutôt que de soutenir la position intransigeante de Madrid, nos gouvernements auraient sans doute mieux fait d’encourager l’Espagne à proposer aux Catalans un Etat fédéral, union égalitaire entre tous les peuples qui la composent. Ce que les Québécois ont accepté dans le cadre canadien, la majorité des Catalans qui, il y a encore dix ans, n’avaient rien contre une Espagne démocratique, l’aurait accepté (je peux l’affirmer compte tenu de mon contact permanent avec Barcelone). Est-ce trop tard ? Peut-être pas tout à faire mais vite, le temps presse. Et la seule solution possible, c’est l’autodétermination (il est cocasse d’entendre le président de la Commission de l’UE, se prononcer contre l’indépendance de la Catalogne sous le prétexte qu’il y a déjà trop de pays en Europe alors que le sien, le Luxembourg, paradis fiscal, a à peine un demi-million d’habitants. Quand on prétend incarner des valeurs démocratiques, il vaudrait mieux le faire intelligemment !) Aux Catalans donc de se prononcer. Si on leur propose une bonne Espagne il n’est pas inévitable qu’ils quittent le navire. Et s’ils le font, ils ne seront pas moins légitimes que le Luxembourg ou l’Ecosse (que nos « européistes » appellent quasiment à faire sécession maintenant que le Royaume-Uni est engagé sur le « Brexit » !).

A court terme, les Etats européens seraient avisés, à tout le moins, de conseiller au gouvernement espagnol quel qu’il soit, la modération s’agissant du procès des dirigeants catalans. Ils pourraient s’appuyer sur la jurisprudence de la justice allemande qui, saisie d’une demande d’extradition de Carles Puigdemont, intercepté en Allemagne de retour par la route de Scandinavie, l’a refusée, considérant que le crime de « rébellion » n’était pas établi. /.

Yves Barelli, 10 février 2019                                            

                                                          

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16 septembre 2018 7 16 /09 /septembre /2018 17:36

Je viens de passer quatre jours à Barcelone à l’invitation de « Foreign Friends of Catalonia » (« Foreign.cat »), une association créée il y a quelques mois à peine par des citoyens sans affiliation politique particulière qui se proposent de populariser la cause catalane auprès de personnalités étrangères de la « société civile ». L’occasion de ce séjour a été la « diada catalana », c’est-à-dire la fête nationale, qui se tient chaque année le 11 septembre. Compte tenu du contexte politique sensible de l’Espagne, cette fête est aussi une journée de mobilisation et de protestation dont les thèmes majeurs étaient cette année l’exigence auprès du nouveau gouvernement (socialiste) espagnol de la libération des neuf prisonniers politiques en prison sans jugement depuis près d’un an et le retour des exilés, dont le président Puigdemont, et la volonté de tout un peuple de créer une « république catalane ». J’ai participé à cette manifestation dans Barcelone en compagnie d’un million de personnes. Le matin, j’ai été reçu, avec les autres participants étrangers venus dans le cadre de Foreign.cat, par le président catalan, Qim Torra. La veille, avec cinq autres personnalités étrangères, je me suis exprimé à l’université sur la situation en Catalogne, puis ai participé à un dîner de solidarité avec les prisonniers politiques.   

1/ La « diada » (=journée ou fête) catalane commémore chaque année l’entrée dans Barcelone en 1714 des troupes de Philippe V de Bourbon au terme de la « guerre de succession d’Espagne » qui opposait le prétendant au trône d’Espagne soutenu par la France à celui soutenu par la maison autrichienne de Habsbourg. La victoire du candidat français s’accompagna d’une répression féroce dans toute l’Espagne et plus encore en Catalogne qui avait choisi le parti autrichien. Pour punir les Catalans de ce choix, le nouveau roi abolit toutes les institutions catalanes (pourtant garanties depuis l’union entre le royaume catalano-aragonais et la Castille en 1472) et interdit l’usage du catalan.

Il est exceptionnel dans l’histoire des peuples qu’on commémore une défaite plutôt qu’une victoire (un peu comme si les Français célébraient Waterloo plutôt qu’Austerlitz), mais si les Catalans le font c’est parce que, à la fois, ils ne veulent pas oublier par qui et comment on mit fin à leurs libertés et ils veulent surtout célébrer la résistance continue du peuple catalan depuis cette date.

2/ Cette commémoration est plus que jamais d’actualité : le roi actuel, Philippe VI de Bourbon, descendant du monarque étranger liberticide de 1714 et fils de Juan Carlos, installé sur le trône d’Espagne par le tyran Franco, a pris nettement parti l’année dernière, en sortant de la réserve qui sied habituellement à un chef d’Etat non partisan, sans pouvoir constitutionnel et en principe représentatif de tous les citoyens, pour appuyer le gouvernement de Mariano Rajoy dans la répression en Catalogne. Cela éclaire encore mieux l’un des deux mots d’ordre de la « diada » de cette année : « Faisons la République catalane » (le second étant « liberté pour les prisonniers politiques »). Cette revendication très populaire (même chez ceux qui ne sont pas partisans de l’indépendance) symbolise de manière évidente le rejet massif de la monarchie espagnole par les Catalans.

3/ J’ai expliqué dans plusieurs articles de ce blog l’évolution de la situation en Espagne, les raisons de la montée du sentiment séparatiste en Catalogne et les modalités de l’affrontement entre Catalans et pouvoir espagnol.

Je les résume : après la dure répression sous le franquisme, le rétablissement de la démocratie avait instauré un régime, fruit d’un compromis à l’échelle de l’Espagne, intermédiaire entre Etat unitaire et fédéral avec des « autonomies » à la carte pour chacune des 17 entités qui composent l’Espagne. Avec le Pays Basque, la Catalogne était, logiquement compte tenu du passé et des particularités nationales, dotée de compétence étendues.

A partir du début des années 1980, le gouvernement de centre-droit de la « Generalitat de Catalunya », dirigé par Jordi Pujol, et appuyé par toutes les forces politiques, y compris l’ « Esquera Republicana Catalana » (gauche républicaine), et par l’ensemble de la « société civile », a intelligemment occupé tout l’espace de liberté que lui permettait la constitution espagnole en mettant en place ce qui s’apparenta très vite à un Etat (auquel il ne manquait, quasiment, que la souveraineté internationale) : la Nation catalane s’autogouvernait de fait et un consensus s’établit pour que la question de l’indépendance soit mise de côté. La Catalogne se dota donc d’une administration propre, d’une police, d’un système d’enseignement et de santé, de services publics et d’infrastructures sur lesquels Madrid avait peu de droit de regard. Les conflits de compétence étaient certes incessants (comme dans n’importe quel système fédéral : à titre d’exemple, le catalan est seule langue officielle de la Catalogne – avec l’occitan, parlé dans la minuscule vallée pyrénéenne d’Aran, mais cela est anecdotique - mais l’espagnol (castillan) est la seule langue officielle de l’Espagne avec, selon la constitution, le droit et le devoir de tout Espagnol de l’utiliser) mais, globalement, cela fonctionna.

Le principal acquis de l’autonomie a été la mise en place d’une école, du jardin d’enfant à l’université, entièrement en catalan avec, aussi, des programmes d’histoire décidés localement mettant en valeur la Nation catalane depuis ses origines au 10ème siècle (cela a toujours suscité des critiques à Madrid) : les enfants scolarisés depuis bientôt quarante ans, qui commencent aujourd’hui à être aux responsabilités, n’ont pas connu le système ancien,  l’appartenance à la Nation catalane et l’utilisation dans toutes les circonstances de la vie du catalan (allez à Barcelone et vous verrez que seul le catalan est présent sur la voie publique, ce qui n’empêche pas tout le monde d’être parfaitement bilingue) est pour eux une évidence. Ce passage d’une langue à l’autre et d’un système à l’autre n’a pu se réaliser que par une forte volonté politique (comparable à la récupération du français au Québec ou du néerlandais en Flandre) et l’adhésion de la population. La tâche était pourtant ardue : les adultes de 1980 parlaient un catalan truffé de mots castillans et ne savaient quasiment pas écrire leur langue ; il a fallu former des enseignants, des journalistes, des comédiens, des fonctionnaires, tous individus maniant au départ mieux le castillan, langue de leur formation, que le catalan. Aujourd’hui, la réussite est là : à titre d’exemple, la « Vanguardia », principal quotidien (qui existait déjà sous Franco), plutôt réticent au début au catalanisme, qui ne paraissait qu’en castillan, s’est doté (il y a moins de dix ans) d’une seconde édition en catalan qui, aujourd’hui, est davantage achetée que la castillane ; les médias audiovisuels privés en catalan sont, parallèlement, plus nombreux que ceux en castillan et internet utilise massivement le catalan.

Lorsqu’on connait le contexte ci-dessus, que j’ai tenu à rappeler pour mieux vous faire apprécier la situation, on comprend que la décision du « tribunal constitutionnel » (Conseil constitutionnel) en 2010 de censurer la nouvelle mouture du préambule du « statut » (constitution catalane, qui doit être approuvée par le parlement catalan, le parlement de Madrid et être conforme à la constitution espagnole) de la Catalogne parce qu’il y était écrit que la Catalogne « est une Nation depuis le 10ème siècle » a déclenché le séisme duquel le pays n’est pas sorti aujourd’hui. Cette décision de la plus haute instance constitutionnelle, où siègent nombre de nostalgiques de Franco, a été reçue par les Catalans, même les moins nationalistes, comme une gifle. On eut alors une montée en flèche dans les sondages des partisans de l’indépendance, question qui ne se posait même pas auparavant.

Depuis cette date, les élections au parlement catalan ont régulièrement donné une majorité indépendantiste et la célébration de la « diada », mais aussi d’autres manifestations (tels cette chaîne humaine des Pyrénées à l’Ebre ou la pavoisement des villes, villages et maisons particulières aves des drapeaux indépendantistes – le catalan traditionnel avec une étoile en plus -) , s’est transformée en revendication d’indépendance et le gouvernement qui en est issu, appuyé par la société civile, s’est orienté vers l’organisation d’un référendum d’autodétermination que l’on aurait souhaité conduire en accord avec Madrid mais qui, devant son refus, l’a été unilatéralement le 1er octobre 2017.

Ce jour-là, le gouvernement de Rajoy a envoyé sa police matraquer une population pacifique, y compris des femmes et des vieillards, en train de voter. L’Espagne reprenait sa plus sale figure du fascisme réprimant les partisans de la Liberté.

Les choses se sont accélérées ensuite : proclamation du résultat (positif, d’autant plus que ceux qui sont hostiles à l’indépendance l’ont massivement boycotté) et vote par le parlement catalan, au cours d’une séance empreinte d’émotion et retransmise en direct par la télévision catalane, de l’indépendance le 24 octobre.

Le gouvernement espagnol a réagi en déclarant le référendum et la proclamation  d’indépendance nuls et non advenus et en appliquant l’article 155 de la constitution qui permet au gouvernement espagnol de suspendre une autonomie lorsque celle-ci ne peut plus fonctionner. Nombre de responsables administratifs ont été limogés, l’immeuble de la « Generalitat » (au centre de Barcelone) occupé et neuf responsables catalans, dont le numéro 2 du gouvernement et chef du parti Esquera Republicana, ont été arrêtés et placés en détention provisoire (cela dure depuis près d’un an) en attendant leur procès pour « rébellion » et « détournement de fonds publics » (puisque la Generalitat a contribué à l’organisation matérielle du référendum). Plus de 1000 autres personnes, restées en liberté, sont menacées de poursuites judiciaires. Le président catalan, Carles Puigdemont, avec quelques ministres, a réussi à échapper à la police espagnole en quittant le territoire national par la route pour aller se réfugier à Bruxelles où il se trouve toujours (notamment sous la protection des nationalistes flamands). Les Catalans ont choisi de répondre à la violence par la non-violence, y compris de la part de la police catalane, désormais placée sous la coupe de la Guardia Civil espagnole.

Le gouvernement espagnol a préféré ne pas rééditer le « coup » de Philippe V de 1714 : il a finalement rétabli les institutions catalanes en organisant le 21 décembre 2017 de nouvelles élections pour le parlement catalan : en dépit de la difficulté de faire campagne (président en exil et vice-président en prison), la majorité indépendantiste a été confirmée et même amplifiée. Le nouveau gouvernement catalan, présidé par Quim Torra, un proche de Puigdemont, reprend le programme de l’ancien : créer une république catalane.

La chute du gouvernement de droite Rajoy le 1er juin 2018, renversé par une motion de censure à la suite de graves affaires de corruption de son parti, et la formation d’un gouvernement socialiste, minoritaire mais qui peut tenir du fait de l’abstention ou du soutien d’autres formations politiques, y compris les indépendantistes catalans et basques, a détendu l’atmosphère. Dirigeants catalans et espagnols se parlent à nouveau mais rien n’est réglé : les neuf sont toujours en prison (le gouvernement espagnol se retranche derrière l’ « indépendance » de la justice) et Puigdemont à Bruxelles où il est désormais en sécurité, la tentative de la demande d’extradition du gouvernement Rajoy ayant fait long feu du fait du refus de la justice allemande (le président avait été appréhendé lors d’un déplacement en Allemagne) de considérer l’action de Puigdemont comme une « rébellion » (le gouvernement Suarez a abandonné la demande d’extradition).

Nous en sommes là.

3/ C’est dans ce contexte que la « diada » 2018, à laquelle j’ai participé, s’est tenue. Comme au cours des années passées, la mobilisation a été massive. Dès la matinée du 11 septembre, des centaines de personnes vêtus de tee-shirts rouges avec l’inscription « Fem la republica Catalana », ornés de rubans jaunes, signe de solidarité avec les prisonniers politiques, et portant des pancartes demandant leur libération et des drapeaux indépendantistes, déambulaient dans les rues de Barcelone dans une atmosphère bon-enfant. Quelques policiers espagnols étaient présents, sans agressivité et sous le regard indifférent des passants, tandis que des hélicoptères, espagnols aussi, survolaient la ville.

Dans l’après-midi, la foule, immense, a commencé à se grouper sur l’avenue « Diagonal », qui, comme son nom l’indique, traverse Barcelone en diagonale, depuis la Place des Gloires Catalanes jusqu’au quartier des nouvelles universités (où se trouve aussi le stade de Camp Nou, siège du Barça, « plus qu’un club », comme le dit sa devise car, aussi, âme et symbole de la Nation catalane, y compris sous la dictature quand 80 000 spectateurs chantaient à chaque match l’hymne national catalan, alors interdit, sans que la police ose intervenir). Cette belle avenue, plus large que les Champs-Elysées, a six kilomètres de long. Les participants à la Diada, estimés à un million, l’ont intégralement remplie. Au bout de l’avenue, donc au début du cortège (en fait statique) une estrade accueillait les orateurs et animateurs (le président et le gouvernement étaient, eux, mêlés à la foule, à quelques mètres de l’endroit où je me trouvais) et portait une immense inscription en lettres rouges : « INDEPENDENCIA ». Quasiment tous les participants étaient en tee-shirt « Fem la Republica Catalana » sous une floraison de drapeaux nationaux. Aucune agressivité dans la foule, aucune crainte non plus (dans les manifestations catalanes, il n’y a jamais de débordement ; c’est pourquoi on peut y venir avec de jeunes enfants), une discipline totale face aux mots d’ordre.

Un peu avant 17h14, qui rappelle la date fatidique de 1714, un silence total s’est fait et les drapeaux ont été abaissés, puis dans une sorte de grondement de tonnerre diffusé par les hauts parleurs, à l’heure précise une « ola » s’est propagée sur les six kilomètres de l’avenue, les drapeaux se sont levés et le peuple catalan a chanté « Els Segadors », dont les paroles qui rappellent un peu la Marseillaise, commémorent une première révolte populaire (celle de paysans munis de faux se soulevant contre la noblesse qui les exploitait), et crié longtemps « LLIBERTAT ».

Moment intense, émouvant (on ne peut être que pris par l’émotion ambiante), atmosphère que je résumerais d’une expression utilisée en France, celle d’une « force tranquille ». Les Catalans ne sont pas des Méditerranéens classiques : ils sont calmes, déterminés et disciplinés. En fait, ils me rappellent un autre peuple que je connais bien, les Tchèques, à l’histoire duquel j’ai également été associé en 1968, face aux tanks russes (lire les articles que j’ai mis en ligne autour du 21 août) et, en 1989, sous la « Révolution de Velours » : même détermination, même intensité d’émotion et même non-violence ; même célébration aussi de défaites (celle de 1620 pour les Tchèques), mais avec la conviction que, s’ils ont la force physique ou militaire, nous, nous avons le droit et la force morale et que, devise de Jean Hus, brûlé en 1415 par les papistes comme hérétique, in fine, « la Vérité vaincra » et que, comme l’avait pris comme slogan Vaclav Havel en 1989, « l’Amour et la Vérité vaincront la haine et le mensonge » (j’ai écrit un livre sur les évènements tchèques portant ce titre). J’ai retrouvé à Barcelone la même atmosphère, la même détermination et la même dignité qu’à Prague. C’est peut-être ce qui m’aide à comprendre encore mieux les Catalans. Comme les Tchèques, ils forment une nation, petite par la taille, mais immense par la valeur morale, et, tôt ou tard, ils gagneront.

Et quand la manifestation s’est terminée, deux heures après son début, tout le monde est rentré tranquillement chez lui. Moi, je suis allé dîner avec mes amis catalans, la vie a repris son cours. Jusqu’à la prochaine occasion de se mobiliser, sans doute le 1er octobre, premier anniversaire du référendum. Les Catalans sont patients, mais, comme les Tchèques en leur temps, ils ne lâcheront rien…

4/ Venons-en maintenant à l’association Foreign.cat et aux circonstances de ma participation à la « diada ».

J’ai été contacté il y a plusieurs semaines par l’une des animatrices de l’association qui vit en Belgique (mais sans lien particulier avec Puigdemont). Avec l’équipe de direction, elle avait épluché les blogs, articles de journaux ou déclarations de personnalités étrangères non politiques. Ce que j’avais écrit sur mon blog sur la Catalogne leur avait plu. Dans un premier temps, on a sollicité mon autorisation pour les reproduire, ce que j’ai accordé sans réticence (étant retraité, je n’ai plus aucune obligation de réserve ; c’est pourquoi je tiens ce blog).

J’ai ensuite été invité à participer à la Diada à Barcelone. Une centaine de personnes venues de pays les plus divers, l’ont été. Nous avons voyagé à nos frais mais avons été logés à Barcelone dans des familles catalanes : les organisateurs avaient sollicité des volontaires sur les réseaux sociaux pour héberger les participants (sans rémunération évidemment) : ils ont été surpris de recevoir en quelques jours plus de 600 propositions : ils ont pu alors sélectionner les meilleurs logements et les plus proches du centre. Personnellement, ainsi que mon fils, qui m’accompagnait, avons été hébergés dans un vaste appartement d’un quartier résidentiel disposant d’un parking privé (où j’ai garé ma voiture) par une charmante personne architecte d’intérieur qui nous a fait rencontrer ses nombreux amis (avec lesquels nous avons partagé les repas) appartenant à l’élite catalane et nous a transportés avec sa voiture. Ceux qui sont venus en avion ont été attendus à l’aéroport et ceux qui ne parlaient ni catalan ni castillan ont été hébergés par des personnes connaissant leur langue. En outre, une visite privée de Barcelone et du musée d’histoire de la Catalogne a été organisée (en groupes selon les langues, le nôtre était mené par des guides francophones).

Voila une belle démonstration d’hospitalité et de dévouement pour la « cause ».

La veille de la diada, Foreign.Cat a organisé une conférence dans le grand auditorium de la faculté de médecine devant plusieurs centaines de personnes. Organisation, là aussi, impeccable : bonne sono, retransmission sur écran géant et sur écrans individuels, traduction simultanée anglais-catalan. Allocution du président Puigdemont depuis Bruxelles nous remerciant de notre participation.

Je faisais partie des six personnes choisies pour s’exprimer (les autres étaient deux Italiens, un Allemand, un Québécois et un Américain ; quatre universitaires, un politicien - le Québécois - et moi, seul ex-diplomate ; deux des conférenciers avaient fait une partie de leurs études à Barcelone). L’animateur, qui s’exprimait en catalan (en passant à l’anglais pour s’adresser aux orateurs qui ne le comprenaient pas) nous a donné tour à tour la parole. Les deux qui connaissaient le catalan (un Italien et l’Allemand) se sont exprimés dans cette langue. En ce qui me concerne, j’ai alterné le catalan (pour les parties préparées) et le castillan (pour répondre aux questions de l’assistance ou lorsque j’avais à improviser : je suis plus à l’aise en castillan qu’en catalan, langue dans laquelle je ne m’exprime pas habituellement en Catalogne, tous mes interlocuteurs étant bilingues). Les autres ont parlé anglais. Nous avons, chacun, dit pourquoi nous étions à Barcelone et pourquoi nous nous sentons concernés par le déni de démocratie constaté en Espagne et par le silence complice de l’Union européenne. J’ai pris le soin d’indiquer que, habituellement, j’évite de m’ingérer dans les affaires intérieures de pays amis mais que le caractère inadmissible de l’attitude espagnole et plus encore de l’Union européenne, y compris la France, m’autorisait à déroger à cette règle. J’ai évité de me prononcer sur l’indépendance de la Catalogne en disant que ce n’était pas mon affaire mais celle des Catalans, mais que, en revanche, ce qui était mon affaire et celle de tous les démocrates était d’aider le peuple catalan à obtenir le droit à l’autodétermination. A lui ensuite de choisir. Au public, majoritairement catalan, s’étaient joints les participants étrangers, parmi lesquels des Français (y compris des Corses), mais aussi des nationalistes écossais. Parmi les Italiens, un ancien membre du gouvernement de Prodi, avec lequel j’ai sympathisé bien que nous n’ayons pas la même vision de l’Italie et de l’Europe : il y a des gens raisonnables dans tous les camps !   

La conférence a été suivie par un grand dîner (payant avec recette versée aux familles de prisonniers politiques) au Palais Royal (qui, ironiquement, appartient au gouvernement catalan, favorable à la république) auquel près de mille personnes ont participé.

Le lendemain, soit quelques heures avant le début de la Diada, les participants invités par Foreign.Cat ont été reçus par le président Quim Torra, qui a fait l’effort de s’exprimer en anglais.

Quim Torra (Quim est l’abréviation de Joaquim) est un avocat, écrivain et éditeur né à Blanes, localité du sud de la Costa Brava, comarque de la Selva, entre Barcelone et Girone. Il a 56 ans, sans affiliation directe à un parti (il fait le lien entre « Junts per Catalunya », le parti de Puigdemont, et l’Esquera Republicana) mais militant de toujours du « camp » indépendantiste. Il a notamment présidé l’Omnium Cultural, conglomérat de mouvements militant pour la langue, la culture et la souveraineté catalanes. Torra m’a donné l’impression d’être une personnalité remarquable alliant qualités intellectuelles, détermination et modestie.

XXX

Il est difficile de dire ce que sera l’avenir de la Catalogne. On peut espérer que le plus dur est passé, bien que le pire ne puisse être totalement exclu. Mais je peux témoigner de la détermination de tout un peuple (il y a, bien sûr, des anti-indépendantistes, la plupart des citoyens originaires d’Andalousie ou de Castille, mais quelques Catalans aussi, tel Manuel Valls, marginalisé en France qui voudrait se refaire une santé à Barcelone ; il y a, en sens inverse des Andalous qui se sentent pleinement catalans, tandis qu’une frange hésite car elle se sent autant espagnole que catalane ; actuellement, les indépendantistes sont majoritaires).

Les Catalans ont récupéré leur Nation. Cette nation est l’une des plus anciennes et des plus solides en tant que Nation de notre continent. Lorsqu’on voit Barcelone, l’une des plus belles capitales d’Europe, les œuvres de Gaudi ou de Miro, lorsqu’on écoute Pau Casals ou Lluis Llach, lorsqu’on assiste à un match du Barça, on réalise tout ce que cette Nation a donné au monde. En lui refusant le droit à l’autodétermination, l’Espagne offre son plus mauvais visage. En cautionnant la politique criminelle et stupide (parce que plus on s’y oppose, plus le sentiment national catalan est fort) de Madrid, l’Europe ne s’honore pas ; elle se couvre au contraire de honte.

Mais tôt ou tard, les Catalans récupèreront leur liberté. Ce pourra être dans le cadre d’un Etat souverain ou ce pourra être dans le cadre d’une Espagne, union volontaire de Nations (la basque en est une autre). Ce sera à eux de choisir. C’est cela la démocratie. Mais c’est à nous, démocrates, de les aider à obtenir le droit légitime à l’autodétermination. C’était le sens de ma participation à la Diada Catalana de 2018. Je suis prêt à retourner à Barcelone aussi souvent que nécessaire./.

Yves Barelli, 12 septembre 2018                

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16 mai 2018 3 16 /05 /mai /2018 21:55

Avec l’élection le 14 mai de Quim Torra comme nouveau président pour son gouvernement, à défaut de Carles Puigdemont, contraint à l’exil, la situation en Catalogne tend à se normaliser, au moins dans la forme, après six mois de crise institutionnelle. Le bras de fer avec Madrid continue néanmoins avec, pour les Catalans, un objectif réaffirmé d’indépendance encore rappelé par le nouveau président dans son discours d’investiture. La mise sous tutelle de la Catalogne par application de l’article 155 de la constitution espagnole pourrait être levée. Toutefois, rien n’est réglé : Puigdemont, actuellement retenu en Allemagne en attendant l’examen de la demande d’extradition de l’Espagne, reste provisoirement hors-jeu tandis que cinq autres conseillers sont réfugiés en Belgique et que six autres leaders catalans sont en détention à Madrid depuis six mois sans jugement ; tous sont accusés d’appel à la sécession. Le déni de justice et de démocratie continue donc en Catalogne où le droit à l’autodétermination est refusé par le pouvoir néo-franquiste de Madrid. Cela en dépit de la volonté manifestée par une majorité du peuple catalan d’instaurer une république souveraine et dans un contexte de complicité des pays membres de l’Union européenne qui, sans peur de la contradiction, ont une politique de défense des droits de l’homme et des droits des peuples à géométrie variable (droit à l’indépendance, par exemple, pour le Kosovo ou le Sud-Soudan, mais pas pour la Catalogne ou le Pays Basque).

1/ Quim Torra (Quim est l’abréviation de Joaquim) est un avocat, écrivain et éditeur né à Blanes, localité du sud de la Costa Brava, comarque de la Selva, entre Barcelone et Girone. Il a 56 ans, sans affiliation directe à un parti (il fait le lien entre « Junts per Catalunya », le parti de Puigdemont, et l’Esquera Republicana) mais militant de toujours du « camp » indépendantiste. Il a notamment présidé l’Omnium Cultural, conglomérat de mouvements militant pour la langue, la culture et la souveraineté catalanes.

S’il a été choisi, c’est parce qu’il a la confiance de Carles Puigdemont, ex président formel du gouvernement catalan et toujours considéré comme son président légitime qui a dû quitter le pays pour ne pas être arrêté par le pouvoir espagnol pour « crime » de sécession pour avoir été à la tête de la Catalogne lorsqu’elle a proclamé son indépendance, non reconnue comme chacun sait par l’Espagne. C’est aussi parce qu’il est l’un des rares à avoir eu la chance de ne pas être poursuivi par la justice espagnole pour « sédition ».  

Quim Torra, dès son investiture, a prononcé un discours très ferme en rappelant le droit et la volonté des Catalans d’établir une république indépendante, en dénonçant la répression menée par le pouvoir espagnol et en rappelant la légitimité de Pugdemont, lui-même ne se considérant que comme président par intérim. Il a dit que toutes les décisions continueraient à être soumises à Pugdemont. Symboliquement, il n’occupera pas le bureau présidentiel au siège de la « Generalitat de Catalunya » à Barcelone.

2/ Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, qui s’est concerté avec le leader de l’opposition socialiste, Pedro Sanchez, et celui du parti des « Ciudadanos » Albert Rivera, a indiqué qu’il jugerait Torra à ses actes et non à ses déclarations, mais que ce dernier restait sous surveillance afin qu’il ne franchisse pas la « ligne rouge » de la « légalité » (sous- entendu de la légalité espagnole qui n’est pas, en l’occurrence, la légitimité catalane).

Dans ce contexte tendu de retour à la « légalité », l’article 155, qui suspend une « autonomie » lorsque la « communauté autonome » (région) ne peut fonctionner normalement, sera à nouveau mis en réserve : le gouvernement catalan devrait recouvrer ses prérogatives. Elles sont étendues, mais pas suffisamment au goût des Catalans : la tutelle du gouvernement central reste présente, avec un « tribunal constitutionnel » (équivalent du Conseil Constitutionnel) entièrement acquis aux conservateurs centralistes dans la lignée de Franco : c’est lui qui avait déclenché la colère des Catalans en censurant en 2010, le projet de nouveau « statut » de la Catalogne avec pour « motif » principal que le préambule parlait de « peuple » et de « nation » catalanes existant depuis plus de 1000 ans. Quand le dogmatisme est au pouvoir, on n’a pas peur d’y nier les évidences ! (Il est vrai que cela n’est pas exceptionnel : en France, on fait la même chose s’agissant de la Corse).

Maintenant que la Catalogne a, à nouveau, son président et bientôt son gouvernement, elle va pouvoir être à nouveau gouvernée. On peut s’attendre rapidement à des conflits de compétence avec le pouvoir de Madrid : ainsi, Torra a annoncé son intention de rétablir dans leurs fonctions tous les fonctionnaires destitués par Madrid depuis six mois, notamment le chef des « mossos d’esquadra », la police autonome catalane. Le pouvoir madrilène laissera-t-il faire ?

3/ Où en est-on aujourd’hui en Espagne et en Catalogne ?

Le processus judicaire à l’encontre de ceux qui se sont mis en avant dans la convocation du référendum d’autodétermination du 1er octobre dernier et dans la proclamation de l’indépendance qui l’a suivi est toujours en cours. Les six emprisonnés risquent trente ans de prison et des demandes d’extradition pour les six (dont Pugdemont) réfugiés à l’étranger ont été transmises aux gouvernements concernés. La Belgique vient de faire savoir le 16 mai qu’elle n’entendait pas y donner suite s’agissant des ex membres du gouvernement catalan ou députés du parlement (Toni Comin et Maetxell, membres de l’ERC – Esquera Republicana Catalana - , et Lluis Puig, de Junts per Catalunya). Elle met en avant des vices de forme. On se souvient que les indépendantistes catalans ont reçu l’appui des partis et du gouvernement flamand.

S’agissant de Puigdemont, c’est un peu plus compliqué. Il a fait l’erreur de quitter le territoire belge pour se rendre en Scandinavie (pour une rencontre politique) par la route via l’Allemagne : surveillé par les « services » espagnols et dénoncé, il a été intercepté par la police allemande, incarcéré quelques jours avant d’être libéré mais assigné à résidence à Berlin dans l’attente de l’examen de la demande d’extradition espagnole : une partie des griefs a été refusée par la justice allemande, mais il reste l’autre partie, toujours en cours d’examen.

En Catalogne, on reste sur la ligne suivie jusqu’à présent : non-violence et respect de la légalité, attitude quelque peu illogique dans la mesure où la déclaration d’indépendance était « illégale » et que, si on reste dans la « légalité » espagnole, il n’y aura jamais d’indépendance puisque la constitution l’interdit.

Pour l’heure, la situation est calme. Mais le calme peut toujours précéder une tempête. Chacun vaque à ses occupations, les drapeaux indépendantistes sont moins nombreux mais toujours présents, y compris sur les panneaux officiels des municipalités. A titre d’exemple, j’ai traversé la semaine dernière la localité de Vilafranca del Penedès, entre Barcelone et Tarragone : les drapeaux indépendantistes (drapeau catalan traditionnel avec, en plus, une étoile sur le côté) sont présents tout au long de l’avenue principale et sur la mairie. C’est le cas ailleurs dans la quasi-totalité des cités catalanes. Le pouvoir espagnol préfère laisser faire pour éviter tout incident.

A Madrid, le gouvernement de Rajoy continue d’afficher sa fermeté. Il est soutenu par le PSOE (socialistes), ce parti qui fut autrefois républicain et qui a tout abdiqué, tant son socialisme que son républicanisme. Affligeant ! Les « Ciudadanos » (citoyens), nouveau parti de droite qui taille des croupières dans les sondages au Parti Populaire (droite au pouvoir) en surfant sur la vague nationaliste et anti-catalane qui submerge l’opinion espagnole depuis le début de la crise catalane, accuse Rajoy de mollesse. Seul « Podemos » (gauche radicale), refuse de hurler avec les loups. Il montre de la compréhension, sinon pour l’indépendance catalane (il ne prend pas position), au moins pour le droit à l’autodétermination (il a soutenu le référendum du 1er octobre sans appeler à voter oui ou non). Cela lui vaut une sérieuse baisse dans les sondages.

Le gouvernement de Rajoy est placé devant une contradiction : pas de pitié pour les « sécessionnistes » (tout en respectant hypocritement l’ « indépendance » de la justice), mais, en même temps, on est prêt à composer avec le nouveau gouvernement catalan.

Il est vrai que Rajoy est sur une corde raide. D’un côté, il doit se montrer ferme, mais il sait que sa majorité parlementaire ne tient que par l’apport des voix du Parti Nationaliste Basque (PNB) au pouvoir à Vitoria, qui soutient le gouvernement espagnol à la suite d’un compromis budgétaire favorable aux Basques, mais qui apporte aussi un soutien aux nationalistes catalans : le PNB apporte donc un soutien conjoncturel à Rajoy, mais pas au-delà d’une ligne rouge s’agissant de la répression anti-catalane.

Pour l’heure, nul n’a intérêt à précipiter une crise gouvernementale à Madrid. On est déjà resté six mois sans gouvernement il y a deux ans et nul ne veut recommencer. De plus, des élections anticipées se traduiraient par un recul tant du PP que du PSOE au profit des Ciudadanos, tandis que Podemos, en recul aussi, ne saurait être une alternative à Rajoy, même dans l’hypothèse d’une alliance avec le PSOE. Aucune majorité ne pourrait être trouvée.

4/ Il n’est pas encore l’heure de faire le bilan de la crise catalane puisqu’elle est toujours en cours. Je ne vais pas l’analyser aujourd’hui en profondeur. Je l’ai fait dans les articles précédemment publiés sur ce blog où le lecteur peut les retrouver.

Disons seulement trois choses :

a/ Il y a une volonté indépendantiste très majoritaire chez les Catalans « de souche », ce qui devrait donner une courte majorité en cas de référendum incontestable (celui du 1er octobre, boycotté par les « espagnolistes », ne pouvait l’être), les immigrés étant un peu moins nombreux que les vrais Catalans.                 

b/ Il y a un déni de démocratie en Espagne où la ligne officielle, hélas appuyée par une majorité d’Espagnols, est que la Catalogne n’appartient pas aux Catalans mais à l’ensemble des Espagnols et donc que les Catalans, quelles que soient leurs opinions, ne peuvent sortir unilatéralement de l’Espagne.

c/ Cela les Catalans le savaient. Cela ne les a pas empêché de commettre trois erreurs d’appréciation.

La première a été d’avoir sous-estimé la détermination du gouvernement de Madrid, mais aussi de la population espagnole hors Catalogne (y compris, c’est un paradoxe, au Pays Valencien, où je suis souvent, encore la semaine dernière : on y parle catalan, qu’on nomme localement le « valencien », mais on y est aussi anti-catalan qu’ailleurs) de défendre coûte que coûte l’intégrité de l’Espagne : remettre en cause celle-ci, c’est comme agiter une cape rouge face à un taureau ; cela suscite des réactions épidermiques qui peuvent tourner à l’hystérie (et je pèse mes mots en l’écrivant).

La seconde a été de penser que les Espagnols n’oseraient pas réprimer la volonté démocratiquement exprimée des Catalans : or, ils l’ont fait en envoyant les policiers matraquer le 1er octobre ceux qui votaient, puis en arrêtant les dirigeants indépendantistes et en lançant des procédures d’extradition pour ceux partis se réfugier à l’étranger.

La troisième erreur a été de penser que, au vu de l’évidence de leur bon droit, l’Union européenne allait les soutenir : c’est le contraire qui s’est produit, tous les Etats-membres et la Commission de Bruxelles se sont cachés derrière la non-ingérence dans les affaires intérieures espagnoles et le respect de la « légalité » espagnole, sachant pourtant que dans le cadre de cette « légalité » la seule évocation du droit à l’autodétermination et à l’indépendance est déjà passible de la justice et donc interdit tout changement de statut. Cette attitude européenne a été pour les Catalans, pourtant les plus « européistes » parmi les « européistes », une véritable douche froide.                                                                                     

Sans m’envoyer des fleurs pour ma clairvoyance (j’aurais préféré me tromper), cela je l’avais dit il y a plus de deux ans à mes étudiants de la faculté de sciences politiques de l’université de Barcelone où j’ai donné trois années de suite un cours de relations internationales (je les avais fait notamment travailler sur les processus d’accession à l’indépendance qui se sont produits dans d’autres pays). Je leur avais prédit la réaction forte du gouvernement espagnol (je leur avais même donné l’image forte de tanks espagnols sur la Rambla au cas où l’indépendance aurait été effectivement mise en application, ce qui n’a pas été le cas) et je leur avais dit qu’ils n’avaient rien à attendre de l’Union européenne, sorte de « Sainte Alliance » de la conservation d’un ordre immuable. Ils ne m’avaient pas cru.

Il est clair que, de ces erreurs d’appréciation, les Catalans doivent maintenant tenir compte pour réviser totalement leur stratégie. Ce n’est pas à moi de leur donner des leçons ou de leur prodiguer des conseils, à moins qu’ils me le demandent.

Mais, et cela est valable partout, pas seulement en Catalogne, il ne suffit pas d’avoir raison pour gagner. Et encore moins d’avoir raison tout seul contre tous les autres. Lorsqu’on engage un combat, il faut analyser lucidement la situation et voir les rapports de force. Si on a un bon espoir de gagner, on peut engager le combat. Et dans ce cas, on a intérêt à rechercher des alliés (ce que les Catalans n’ont pas cherché à faire en Espagne). Dans le cas contraire, il vaut mieux temporiser, attendre un meilleur moment pour lancer l’attaque et, en attendant, chercher des compromis.

De toute évidence, en Catalogne, ce n’était pas le moment idéal pour lancer le processus d’indépendance. Parce que la droite est au pouvoir à Madrid (la gauche traditionnelle ne vaut pas beaucoup mieux, mais un peu quand même, et elle ne peut accéder au pouvoir qu’avec Podemos, mieux disposé envers les Catalans). Parce que le gouvernement de Rajoy est faible : les gouvernements faibles sont incapables de bouger de leur ligne car, s’ils le font, ils peuvent être renversés par les « gardiens du temple ». Enfin parce que l’Europe, après le « Brexit » et face au mécontentement des peuples (ce qui se traduit par la montée des votes « populistes » et eurosceptiques), est elle-même en crise et que, dans les périodes de crise, on n’innove pas et on ne prend pas des positions courageuses ; on se réfugie au contraire derrière la défense de la « légalité », celle de Madrid en l’occurrence, et derrière la non-intervention dans les affaires intérieures.

Dans l’attente d’un meilleur moment, l’heure est peut-être venue aux compromis, ce qui peut se concrétiser dans l’approfondissement du statut actuel d’autonomie. Il est d’autres exemples de compromis qui fonctionnent : le Pays Basque a obtenu beaucoup plus que la Catalogne (notamment sur le plan fiscal). Ailleurs, la Flandre fonctionne pratiquement comme un Etat indépendant tout en restant dans le cadre institutionnel belge.

Il est vrai que pour un compromis, il faut être deux. Les Espagnols y sont-ils prêts ? On peut hélas avoir des doutes : six politiciens catalans, qui n’ont jamais commis aucune violence, sont sous les verrous depuis six mois ; les libérer aurait permis de faire baisser la tension. Ce n’est pas le cas. La guerre au Pays Basque est terminée, l’ETA s’est auto-dissoute, le gouvernement basque est coopératif et évite de parler d’indépendance. Pourtant, il reste  plusieurs centaines de prisonniers politiques basques ; non seulement on leur refuse l’amnistie mais on n’a même pas satisfait la demande de les incarcérer près de leurs familles.

On peut certes demander aux Catalans d’être plus réalistes et de se contenter, dans l’immédiat, du possible. Mais il faudrait aussi, de l’autre côté, faire preuve de souplesse et de générosité.

Sans quoi, à terme, il ne restera qu’une alternative : la soumission ou la lutte armée. Il se pourrait que l’heure de cette dernière soit un jour l’ultime possibilité.

A moins que l’intelligence s’installe enfin à Madrid. L’histoire de l’Espagne a souvent été une suite de tragédies. Cela devrait inciter à ne pas retomber dans les travers du passé. Je n’engagerais toutefois pas les paris sur la probabilité que la sagesse triomphe…/.

Yves Barelli, 16 mai 2018           

 

   

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25 mars 2018 7 25 /03 /mars /2018 19:13

L’histoire est un éternel recommencement. Carles Puigdemont, président en exil du gouvernement catalan qui a dû fuir son pays parce que l’Espagne foule aux pieds les droits démocratiques les plus élémentaires et qui résidait depuis quatre mois en Belgique, a été arrêté ce jour en Allemagne alors qu’il rentrait en voiture de Finlande où il a donné une conférence et s’est entretenu avec des leaders politiques.

Il semble que les services secrets espagnols, qui le suivaient (le dirigeant indépendantiste ne se cachait pas), aient donné l’information aux autorités allemandes qui l’ont fait intercepter un peu après son entrée dans le pays par la police autoroutière.

La dernière fois que les Allemands ont arrêté un président catalan, c’était pendant la seconde guerre mondiale. La gestapo s’était alors emparée de Luis Companys, réfugié en France à la suite de la « guerre d’Espagne », et l’avait livré à leurs complices fascistes espagnols du sinistre France qui fit fusiller le président catalan.

L’Espagne est une soit disant démocratie qui refuse au peuple catalan le droit de se prononcer sur son avenir et l’Allemagne est, parait-il, un état de droit.

Puigdemont s’est déplacé ces dernières semaines dans plusieurs pays de l’UE (entre autres Pays-Bas, Suède, Finlande, Danemark, sans compter la Belgique où il réside. Ces pays n’ont pas touché à sa personne. Les Allemands n’ont eu ce tact, cette humanité et ce sens politique.

Oseront-t-ils le livrer aux néo-franquistes de Rajoy et de sa bande ?

En attendant, sitôt la nouvelle parvenue au pays, les Catalans sont descendus en masse dans les rues pour demander la libération  de leur président légitime mais aussi des cinq autres patriotes catalans, dirigeants de partis légaux qui mènent un combat pacifique pour la Nation catalane et qui sont emprisonnés depuis quatre mois.

L’Union européenne se comporte comme la « Sainte Alliance » du début du 19ème siècle, union de monarchies rétrogrades et répressives qui bâillonnaient les peuples d’Europe épris de liberté.

Face à la barbarie, la lutte pacifique atteint vite ses limites…

Les Catalans commencent à s’en apercevoir.

Yves Barelli, 25 mars 2018        

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22 décembre 2017 5 22 /12 /décembre /2017 01:52

Une gifle pour le pouvoir espagnol. Une autre pour l’Union européenne : mobilisation sans précédent (82% de participation) et majorité absolue indépendantiste (sensiblement renforcée) au parlement catalan en dépit d’un contexte difficile marqué par le déni de démocratie (campagne électorale inéquitable, refus de Madrid d’envisager l’autodétermination quelle que soit la volonté des Catalans) et la répression de l’Etat espagnol (le chef de l’un des deux grands partis indépendantistes en prison et l’autre, le président sortant Carles Puigdemont, contraint à l’exil à Bruxelles) sur fond d’hystérie anti-catalane en Espagne.

L’indépendantisme catalan, chassé du pouvoir par Rajoy par la suspension de l’autonomie, est donc de retour en force et les protagonistes restent face à face dans une situation en apparence bloquée. Il est pourtant nécessaire de sortir de cette crise catalane qui est en même temps celle de l’Espagne. Peut-être le pouvoir madrilène acceptera-t-il enfin d’évoluer vers plus de réalisme et de compromis ? Peut-être aussi que l’Europe, qui a adopté jusqu’à présent une attitude complice envers la répression espagnole, se décidera-t-elle enfin à faire respecter ce qu’elle prétend être ses « valeurs » démocratiques ? Il y a urgence car cette crise pourrait avoir des répercussions au-delà des Pyrénées. On ne pourra éternellement nier le droit à l’existence d’une nation qui veut vivre et qui a largement prouvé sa maturité. La Catalogne existe. L’Espagne, par son intransigeance et sa bêtise, en a perdu les cœurs et les esprits (et dans la jeune génération encore plus que chez les ainés). Il est douteux qu’elle puisse les récupérer un jour.  

1/ Rappel (rapide) des faits (pour les détails, je vous renvoie à mes articles précédents sur ce blog) :

a/ en 2010, le « tribunal constitutionnel espagnol » a rejeté un nouveau projet de « statut » de l’autonomie catalane (pourtant pas fondamentalement différent du précédent) au motif que son préambule rappelait que la Catalogne constitue depuis dix siècles une « Nation ». Ce refus de réalité par une institution sans légitimité démocratique bornée dans des conceptions hyper-centralistes issues du franquisme, a été ressenti comme une humiliation et une provocation par une majorité de Catalans, pas nécessairement indépendantistes au départ mais qui le sont devenus (ce qui est attesté par l’évolution des sondages d’opinion) face à l’intransigeance de Madrid.

b/ les élections au parlement catalan ont dégagé des majorités favorables, sinon formellement à l’indépendance, du moins à la tenue d’un référendum d’autodétermination que le gouvernement de Madrid a refusé avec constance car « inconstitutionnel » puisque la constitution espagnole ne prévoit pas la possibilité de l’indépendance d’une « région » de cette Espagne « une et indivisible », quel que soit la volonté de ses habitants. Le parlement catalan élu en 2010, puis en 2012 (après dissolution) et enfin en 2015 (nouvelle dissolution) est dominé depuis 2010 par les forces qui souhaitent l’organisation du référendum d’autodétermination. Les présidents ont été successivement Artur Mas et Carles Puigdemont.

c/ le gouvernement catalan (issu de la majorité parlementaire) a procédé en 2014 à un référendum consultatif (formellement organisé par la « société civile » afin de ne pas être en contradiction avec les règles fixées par Madrid). Seuls ceux qui étaient favorables à l’indépendance ont voté (les autres l’ont boycotté), la participation ayant été proche de la moitié du corps électoral ; le oui l’a évidemment emporté

d/ la campagne pour les élections de 2015 a été faite sur le thème de l’indépendance ; ses partisans l’ayant emporté, le gouvernement catalan a organisé unilatéralement (devant le refus de Madrid) le 1er octobre 2017 le référendum ; la police espagnole est violemment intervenue pour tenter de l’en empêcher, faisant plusieurs centaine de blessés ; près de la moitié des Catalans ont pu néanmoins  s’exprimer ; comme en 2014, les « unionistes » l’ont boycotté

e/ considérant que le peuple catalan avait voté, le parlement catalan a proclamé le 27 octobre 2017 l’indépendance de la « République catalane ».

f/ le gouvernement espagnol, soutenu par les socialistes, a déclaré nulle cette décision, a suspendu l’autonomie catalane, a emprisonné ceux de ses dirigeants restés à Barcelone et a entamé une procédure européenne d’extradition (qu’elle a suspendu depuis) à l’encontre du président Puigdemont et des autres ministres réfugiés à Bruxelles.

g/ il a convoqué ensuite l’élection de ce jour d’un nouveau parlement catalan. Contre toute logique, les dirigeants de la république autoproclamée de Catalogne n’ont pas cherché à s’opposer au coup de force de Madrid (ils n’ont même pas retiré le drapeau espagnol du siège de la présidence !) et ont accepté de participer à l’élection du parlement « régional » décidée par le gouvernement espagnol qu’en toute bonne logique ils n’auraient pas dû considérer comme compétent pour le faire.           .                          

J’ai rappelé cette chronologie pour permettre au lecteur peu familier avec la crise catalane  de mieux l’apprécier.  

2/ Les résultats de l’élection de ce jour sont les suivants : 135 députés à élire à la proportionnelle (majorité : 68). 82% de participation (record historique).

Le bloc indépendantiste remporte 70 sièges (10 de plus que la dernière fois) se répartissant entre Junts per Catalunya (centre-droit de Puigdemont, 34 sièges), la Gauche républicaine (ERC, d’Oriol Junqueras, actuellement emprisonné, 32 sièges) et 4 à l’extrême gauche (CUP)

Les « unionistes » obtiennent 57 sièges, dont 37 pour « Ciutadans » (centre-droit), en forte progression, 17 pour les socialistes (stable) et seulement 3 pour le Parti Populaire (au pouvoir à Madrid : encore moins que d’habitude).

Entre les deux, En Comu Podem (Podemos) qui chute de 11 à 8 sièges, victime de la bipolarisation et du flou de son message (pour le référendum d’indépendance sans dire s’il est pour ou contre celle-ci).          

3/ Voici mes remarques sur le scrutin et la situation :

a/ Les indépendantistes reviennent encore plus nombreux et ont la majorité absolue. Ils pourront en outre compter sur les 8 de Podemos pour exiger avec eux le référendum d’autodétermination. En face, Ciutadans apparait désormais comme une force majeure dans le paysage politique catalan.    

b/ Carles Puigdemont sort renforcé de son bras de fer avec Mariano Rajoy. Je note que les indépendantistes ont adopté une stratégie un peu difficile à suivre mais apparemment payante. Ils ont choisi la non-violence, ont accepté de revenir, de fait, sur la proclamation de l’indépendance et ont décidé de jouer le jeu institutionnel espagnol.

Ils ont gagné les élections. Mais après ?  

En face, le pouvoir madrilène a campé sur sa position d’intransigeance.

La stratégie indépendantiste est-elle la bonne ? Je suis personnellement assez critique pour trois raisons. La première est qu’ils ont engagé le combat pour l’indépendance au mauvais moment : le gouvernement de Rajoy, qui ne dispose que d’une majorité relative, est faible et est donc condamné à l’intransigeance (seul un négociateur fort peut accepter des concessions sans paraitre abdiquer) s’il veut avoir le soutien de l’opinion publique espagnole, de fait anti-catalane (un mouvement spontané de boycott des produits catalans dans les commerces s’est traduit par un effondrement des ventes de ces produits, notamment alimentaires, en cette période de veille des fêtes). Il aurait sans doute été plus judicieux d’attendre un peu (il n’était pas impossible que ce gouvernement soit renversé au profit d’une majorité Podemos-Socialistes, désormais exclue dans les circonstances actuelles).

La seconde est que les indépendantistes ont sous-estimé la réaction de Madrid (ils ne pensaient pas que Rajoy oserait envoyer ses policiers le 1er octobre) et surestimé le soutien qu’ils pourraient recueillir de la part de l’Union européenne. Or, Madrid a « osé » et, j’en suis convaincu, n’hésiterait pas à envoyer des tanks dans le centre de Barcelone s’il estimait qu’il y a un risque de sécession effective. Quant à l’UE, elle se comporte comme une « Sainte Alliance » de tous les Etats existants face au risque de contagion d’autres sécessions ailleurs sur le continent. Les professions de foi démocratiques de l’UE ne sont que des mots qui ne résistent pas devant des situations qui gênent. Tant pis donc pour la démocratie en Catalogne et en Espagne.

La troisième raison est que lorsque, comme le font les Catalans, on prévient à l’avance qu’on n’utilisera jamais la force, on laisse évidemment le champ libre à ceux d’en-face qui, eux, n’hésitent pas à l’utiliser.

d/ Ce qui précède me renforce dans l’idée que l’Espagne n’acceptera une indépendance que contrainte et forcée. Je connais les sentiments des Espagnols (autres que Basques et Catalans). Beaucoup avaient déjà des difficultés à accepter les inscriptions en catalan lorsqu’ils passent en Catalogne. L’idée même que la frontière ne pourrait plus être sur le Perthus les rend majoritairement hystériques. Je pèse mes mots. Je dis bien « hystériques ». J’y vois une compensation à la faiblesse de l’Espagne et à toutes les « couleuvres » qu’ils ont dû avaler de l’Union européenne (programmes d’austérité très durs) : ils ont abdiqué sur tout et ne redeviennent forts que lorsqu’il s’agit de « casser » du basque ou du catalan.

Contrainte et forcée ce ne sera sans doute pas par un combat frontal (la police catalane, à supposer que le gouvernement catalan veuille l’utiliser, ne ferait pas le poids face à l‘armée espagnole). Ce ne sera sans doute pas non plus un secours hypothétique de l’UE qui, à mon sens, ne viendra pas.

Contrainte et forcée, ce ne peut être qu’en rendant la vie impossible à l’Espagne sur une période suffisamment longue. Une stratégie complémentaire serait la politique du fait accompli en s’arrogeant de plus en plus de pouvoirs (il y en avait déjà beaucoup : l’enseignement intégralement et obligatoire en catalan, qui est sans doute allé au-delà de ce que les textes espagnols prévoyaient, depuis 20 ans a créé une situation de fait de nation catalane en marche) sans formellement déclarer l’indépendance, « chiffon rouge » qui transforme les Espagnols en taureaux enragés.

e/ En dépit des apparences, je ne considère pas la situation comme sans espoir. Je note que, jusqu’à présent, l’attitude pacifique a prévalu sur place tant chez les indépendantistes (trop pacifique !) que chez leurs adversaires. Des millions de gens défilent dans les rues depuis des années (y compris des anti-indépendantistes ces dernières semaines). Ils le font dans un calme remarquable. La seule violence est venue le 1er octobre de la police espagnole. Jusqu’à présent, non seulement il n’y a jamais eu de mort, mais même pas de blessé très grave. Cela est tout de même remarquable.

Les canaux de communication entre Catalans et pouvoir madrilène ne sont probablement pas totalement rompus. Dans sa politique agressive, le gouvernement de Rajoy a fait preuve d’une relative retenue : la procédure d’extradition à l’encontre de Puigdemont a été abandonnée (peut-être pour ne pas mettre le gouvernement belge dans une situation impossible). Je ne serais pas étonné que les cinq leaders emprisonnés bénéficient d’un « indulto » (mesure de « pardon » sans équivalent en France) avant la fin de l’année (pour l’anticiper, je me base sur un sens politique minimal de Rajoy, mais je peux me tromper : les Espagnols ont prouvé plus d’une fois dans leur histoire un goût irrationnel pour le suicide collectif !).    

On verra ensuite si des compromis sont possibles. Diverses formules existent : plus d’autonomie, fédération, voire confédération). Il est trop tôt pour se prononcer.

f/ Un mot enfin sur la présentation des évènements catalans par les médias, les « observateurs » et les politiques français. On nous parle d’une « fracture » de la société catalane qui serait partagée à peu près à égalité entre indépendantistes et anti-indépendantistes. Les chaines de TV nous montrent des « Catalans » interrogés dans la rue. On leur pose des questions en espagnol auxquelles les Catalans sont suffisamment gentils pour répondre dans cette langue. On pourrait peut-être envoyer des journalistes s’exprimant en catalan (il y en a quelques-uns à Perpignan) ou utiliser des interprètes. Nul n’y a sans doute pensé à Paris tant le mépris pour les langues « régionales » est grand. Je note en tout cas que presque tous ceux qui s’expriment contre l’indépendance ont, quand ils parlent espagnol, un accent andalou ou castillan prononcé, parfois « à couper au couteau ». il n’y pas, en fait, de fracture de la société catalane, mais un clivage entre la société catalane et celle des immigrés (un tiers de la population de la Catalogne), celle-ci étant surtout composée de gens plutôt âgés maitrisant mal le catalan (alors que leurs enfants nés en Catalogne et éduqués en catalan se considèrent de plus en plus comme Catalans : l’avenir joue pour l’indépendance, le passé pour l’Espagne). Je note aussi que les déclarations des leaders des partis (que j’ai suivis en direct sur la chaine catalane TV3) indépendantistes, de Podemos et des socialistes sont faites en catalan alors que Ciutadans et Le PP ont choisi l’espagnol : visiblement ils s’adressaient à « leurs » Andalous. J’estime qu’il y a un manque évident de considération pour les natifs d’un pays lorsque des « étrangers » à ce pays prétendent décider à leur place et s’expriment de surcroit dans une langue étrangère à ce pays. Personnellement, si j’habitais en Corse et que les Corses étaient appelés à se prononcer sur leur avenir, j’éviterais de prendre part à un débat sur lequel je n’aurais aucune légitimité à le faire.

Il y a évidemment des Catalans hostiles à l’indépendance. Ils sont minoritaires. Il y a en outre des Catalans (ils sont sans doute majoritaires) qui n’ont rien contre l’Espagne et qui se sentent même partie prenante à ce pays mais qui, face à la manière dont ils sont traités par Madrid, se sentent contraints de choisir l’indépendance, même s’ils auraient préféré ne pas avoir à le faire (dans un divorce, on ne divorce pas par plaisir mais parce que la vie commune est devenue impossible).                     

4/ Et maintenant ? La balle est dans le camp espagnol et accessoirement européen. Les Catalans ont clairement confirmé leur aspiration à l’indépendance.

On ne pourra éternellement leur refuser le droit de choisir. Il est peut-être encore temps pour Madrid de leur proposer un bon compromis. Mais il y a urgence. Et à Bruxelles, le temps de la surdité est passé. Comme l’a déclaré ce soir depuis Bruxelles Carles Puigdemont « nous avons gagné le droit d’être écoutés ». /.

 Yves Barelli, 21 décembre 2017

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27 octobre 2017 5 27 /10 /octobre /2017 19:21

Je salue la décision des représentants légitimes du peuple catalan qui ont proclamé ce jour l’indépendance de la Catalogne, nation vieille de 1000 ans, l’une de celles qui ont apporté le plus à la culture et à la personnalité européennes. Je condamne la surdité du gouvernement espagnol qui a obstinément refusé depuis 2010 tout dialogue avec Barcelone en se retranchant derrière des arguties juridiques d’un autre âge et je déplore la myopie des dirigeants européens, en premier lieu, les français qui, eux aussi, se retranchent derrière ce soit disant « état de droit », qui n’est que celui des oppresseurs de refuser le droit des peuples (avec un tel raisonnement, la Révolution de 1789 aurait été « illégale », puisque en contradiction avec l’ « état de droit » de l’ancien régime et le général de Gaulle, dans l’illégalité vis-à-vis du régime de Vichy, n’aurait pu conduire la résistance française). J’aurais préféré une Espagne fédérale, union de peuples libres et non prison qui les enferme. Mais c’est trop tard. Le gouvernement espagnol a créé les conditions de la déchirure de l’Espagne. Face à son aveuglement, le peuple catalan a tranché. Vive donc la République catalane libre.

Reste à organiser le divorce. Espérons que l’Espagne saura surmonter ses vieux démons, ceux du refus du dialogue, de la propension à utiliser la force, jusqu’au suicide si nécessaire, comme, hélas, l’histoire de ce pays l’a souvent illustré. Quant aux dirigeants européens, ils  seraient bien inspirés de procéder à une introspection. Pourquoi les peuples se démarquent-ils de plus en plus de cette Union européenne qui ne leur apporte qu’austérité, recul social, déni des identités et une mondialisation financière dont ils ne veulent pas ?

1/ Le parlement catalan a adopté ce jour à 15h15 par 70 voix pour, 10 contre, 2 bulletins blancs sur 135 membres (les autres, hostiles, ont préféré ne pas prendre part au vote) la motion qui proclame la République catalane souveraine. Il l’a fait en présence de plus de 1000 maires (une majorité absolue) catalans, ce qui a accru encore la légitimité du vote. Tous les présents ont ensuite entonné l’hymne national catalan, tandis que des milliers de citoyens, rassemblés devant le parlement, exprimaient leur joie en ce moment historique. Comme beaucoup, j’ai pu assister en direct à l’évènement en le suivant sur TV3-Catalunya, principale chaine de télévision en catalan. Les chaines françaises et espagnoles d’information en continu ont également couvert la proclamation, puis les rassemblements populaires devant le palais de le Généralité à Barcelone. Des scènes comparables de liesse se sont déroulées dans toutes les localités catalanes.

2/ Continuant dans sa logique folle, le gouvernement espagnol a fait adopter à Madrid la mise en œuvre de l’article 155 de la constitution espagnole sur lequel il entend s’appuyer pour supprimer l’autonomie de la Catalogne, destituer son président et traduire en justice (sa justice) les dirigeants catalans et nombre de responsables de la société civile. Il a également annoncé son intention de prendre le contrôle des administrations et médias catalans.

3/ On est entré dans une période d’affrontements et d’incertitudes.

Je suis incapable de prévoir qui va l’emporter. L’indépendance va-t-elle pouvoir entrer effectivement dans les faits ? Et dans ce cas, quelles seront les conséquences politiques, économiques et internationales?

Le gouvernement espagnol va-t-il pouvoir reprendre le contrôle de la Catalogne ? Quelle sera la résistance effective des Catalans ?

Et si les Catalans  résistent effectivement, Rajoy osera-t-il envoyer les tanks à Barcelone et fera-t-il tirer sur la foule ?

Autre incertitude, quels seront les pays qui reconnaitront le nouvel Etat ? Il y en aura sans doute.

Je suis, en tout cas, convaincu que l’indépendance de la Catalogne est irréversible, aujourd’hui ou plus tard.  

A suivre.

Yves Barelli, 27 octobre 2017                     

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