J’ai toujours été attaché à la liberté individuelle dans la mesure où cette liberté ne nuit pas à autrui. Chacun doit être libre de vivre sa vie sexuelle, familiale et sociale comme il l’entend. Je n’ai en conséquence rien contre les relations homo, bi ou hétérosexuelles, rien contre les pratiques communautaires, échangistes, rien contre la polygamie ou la polyandrie dans la mesure où cela se fait entre adultes consentants et dans la mesure où on n’extériorise pas des pratiques qui pourraient choquer des publics non avertis ou réticents à ces pratiques. En revanche, je suis hostile à la constitution de familles non naturelles avec des enfants qui, par définition, n’ont rien demandé et peuvent en conséquence souffrir psychologiquement de ces situations. Ma position n’est en rien dictée par des à priori idéologiques ou philosophiques. Seul l’intérêt de l’enfant me parait prioritaire. Il passe bien évidement avant les désirs, voire les caprices, d’adultes qui souhaitent avoir des enfants sans les concevoir, un peu comme certains veulent des chiens ou des chats pour leur tenir compagnie. Halte à la déresponsabilisation généralisée de cette société où certains croient que tout est possible du moment qu’ « on en a envie » sans mesurer les conséquences de ces envies égoïstes.
1/ Je n’ai pas été favorable au « mariage pour tous », non par homophobie mais seulement parce que, dans une société de liberté, le mariage, quels qu’en soient les protagonistes, me parait une prison dont on ne sort qu’en passant devant un juge (ce qui est humiliant, comme si les candidats au divorce étaient des délinquants) et après une procédure qui peut être longue et coûteuse (ce qui alimente la « justice-business »).
Que des couples homo aient pu être demandeurs d’une telle institution qui était l’un des principaux marqueurs des sociétés traditionnelles à fondement religieux m’a étonné alors que ces personnes, par leur choix de vie (que je respecte), allaient sciemment à l’encontre de ce mode de vie traditionnel idéologiquement connoté.
Longtemps, le mariage, en compensation de ses contraintes, comportait des avantages pratiques (stabilité juridique de la vie commune, facilitation de démarches communes, telles la contraction d’un prêt ou la location d’un appartement). L’invention du PACS a permis de se passer du mariage, tant pour des couples hétéro qu’homo. Quant aux enfants, nés d’un père et d’une mère, fort heureusement, grâce à l’évolution positive de notre législation, que leurs parents soient mariés ou non, c’est la même chose.
Dans ces conditions, le mariage, auquel beaucoup tiennent pour des raisons religieuses ou de principe, doit rester ce qu’il a toujours été : le lien d’un homme et d’une femme avec, pour conséquence possible, la conception d’enfants et donc la création d’une famille à composition traditionnelle. Même si je suis personnellement hostile à l’institution du mariage pour ce qui me concerne, je respecte le choix de ceux qui y tiennent. Et c’est parce que je respecte ce choix que je comprends que ces personnes aient la conviction que le mariage de deux personnes du même sexe est une trahison et une provocation. Laissons l’institution du mariage à ceux qui estiment que la famille doit être composée comme elle l’a toujours été, à leurs yeux d’une façon « naturelle ». Le concubinage et le PACS pour les autres. Où est le problème ? Un peu de tolérance, s’il vous plait : vous voulez vivre avec une personne du même sexe ? Soit, vous en avez le droit ! Mais respectez ceux qui pensent que ce mode de vie n’est pas « naturel ». Ils n’ont pas le droit, légal et moral, de vous empêcher. Vous n’avez pas non plus le droit de leur dire qu’ils ne sont que d’affreux « réacs » ringards. A chacun sa vie.
2/ La procréation médicalement assistée (PMA) pose un autre problème. Lorsqu’un couple formé d’un homme et d’une femme a des difficultés à avoir un enfant de manière naturelle, je suis ouvert à l’idée que la médecine les aide. Par exemple à l’aide des techniques de fécondation in vitro.
Je suis au contraire réticent lorsque la fécondation se fait au moyen d’un donneur extérieur au couple, qu’il soit anonyme ou identifié. Franchement, cela me gêne. On sait que cela peut être traumatisant pour l’enfant lorsqu’il l’apprend.
Ceux qui tiennent absolument à avoir un enfant peuvent en adopter un, encore que je sois réticent, aussi, au principe de l’adoption plénière. S’occuper et élever un enfant qui a perdu ses parents peut être respectable et méritoire, à condition de ne pas cacher la vérité à l’enfant. Lorsque cet enfant est issu d’un autre pays, en particulier un pays lointain, cela pose d’autres problèmes. On peut s’occuper de cet enfant (souvent cela lui assure une vie qu’il n’aurait pas), mais il faut éviter de le couper de ses racines, notamment linguistiques. On sait combien les adoptions internationales (il y a au Quai d’Orsay un service spécialement chargé de cela ; il est prudent et, souvent, réticent à juste titre : on voit trop de couples aller en fait « acheter » dans les orphelinats du tiers-monde l’enfant qu’ils ne peuvent avoir).
Et puis disons directement et franchement les choses, au risque de choquer certains parents adoptifs. Si la démarche de certains couples est effectivement altruiste, elle mérite respect et reconnaissance. Mais, souvent, elle est en fait dictée par l’égoïsme le plus pur : la joie d’avoir un enfant, mais, surtout, finalement, une sorte d’assurance que, devenus vieux, « leur » enfant s’occupera d’eux. Dans ce cas, l’intérêt de l’enfant est secondaire. Il n’est même pas, souvent, pris en considération.
3/ Parmi les techniques de PMA, il y a la GPA : grossesse par autrui. Là, on touche à ce qui est, pour moi, l’inadmissible. C’est le cas où on insémine le sperme du mari, ou d’un donneur extérieur au couple, dans l’utérus d’une femme tierce qui va porter l’enfant et qui le « rend » aux « parents » une fois l’accouchement fait. Qu’une femme puisse le faire pour « rendre service » de manière désintéressée, peut-être. Mais il ne doit y en avoir beaucoup. L’écrasante majorité de celles qui l’acceptent le font pour de l’argent. Elles vendent leur corps un peu comme une prostituée vend le sien dans des rapports sexuels, à la différence près (et elle est de taille) que ces derniers rapports sexuels ne mettent pas en cause un enfant.
Cette dérive de marchandisation du corps est abjecte parce que la plupart des femmes qui se prêtent à l’opération sont issues de milieux très défavorisés. On peut évidemment dire qu’elles ne sont pas contraintes de le faire et donc qu’elles sont libres. Pourquoi pas ? On peut en discuter. Il n’empêche que les enfants qui sont nés dans ces conditions ont de quoi être passablement traumatisés. Je suis donc hostile à la légalisation de cette pratique et, par voie de conséquence, à la reconnaissance de paternité lorsque cela a été fait dans un pays où cette opération est légale. Je pense qu’il convient de s’en tenir à un concept simple : la mère est celle dont est issu l’enfant à l’accouchement et le père celui qui le reconnait.
Qu’on me comprenne bien ! Je ne suis pas en train de dire qu’on doive laisser faire la nature (certains diraient la « volonté de dieu ») sans la maitriser. Une grossesse doit être voulue, d’où la légitimité de la contraception et de l’avortement. Pas d’enfant sans volonté d’en avoir. Mais pas non plus d’enfant sans se préoccuper du sort, de l’équilibre et de la volonté future de l’enfant à naitre.
4/ Ce qui précède est déjà problématique pour un couple hétérosexuel. Cela devient scandaleux pour des couples homosexuels.
On a en effet maintenant une demande de couples homo pour avoir artificiellement (par définition) un enfant grâce à la PMA et à la GPA.
Je m’élève sans nuance et sans exception contre ces demandes. Je reviens à ce que j’ai écrit supra en introduction : chacun vit comme il veut et j’accepte toutes les pratiques sexuelles entre personnes adultes consentantes.
Mais, là, on est au-delà de la limite de l’acceptable. N’importe quel psychologue, s’il est honnête, vous dira qu’un enfant a besoin d’un père et d’une mère. Lorsqu’un enfant est orphelin de l’un de ses deux parents ou, lorsqu’il ne connait pas son père parce que celui-ci est inconnu, son traumatisme peut être grand. On peut certes le dépasser lorsque l’amour de son seul parent compense celui qu’il n’a pas de l’autre. Si certains continuent à en souffrir, d’autres vivent en apparence d’une manière parfaitement épanouie.
Mais de là à créer artificiellement une situation qui peut déjà être difficile lorsqu’elle est « naturelle », il y a un pas qu’il me parait dangereux, voire criminel, de franchir.
Que chacun ait la vie sexuelle qu’il veut, soit, mais s’il n’y a pas un père et une mère, tout simplement il ne doit pas y avoir d’enfant. C’est un choix de vie. Il faut l’assumer.
Je me refuse à l’idée qu’on puisse avoir un enfant « à la commande » comme on va au supermarché pour se payer un produit ou comme l’on va au refuge de la SPA pour se payer un chien ou un chat.
Un enfant n’est pas un produit, un enfant n’est pas là pour satisfaire tel désir ou tel caprice d’adultes.
5/ Il est clair que si on devait accepter cette idée saugrenue que tout adulte est libre d’avoir un enfant si tel est son désir quand bien même il ne le concevrait pas, ce serait la porte ouverte à toutes les dérives. On sait que la médecine et la biologie font des progrès stupéfiants. Il est nécessaire de ne pas laisser faire n’importe quoi même si, et surtout si, techniquement, cela est possible. L’éthique doit constituer la limite au-delà de laquelle on ne peut aller.
Parce que, aller au-delà, ce peut être aussi le clonage ou la modification de l’embryon pour le modeler à son goût : on veut en faire un artiste ? Modifions l’embryon en conséquence. On le veut supérieurement intelligent ? Allons-y !
Jusqu’où ?
Veut-on nous acheminer vers une société de monstres ?
J’ose croire que collectivement nous ne le voulons pas. Alors attention : ne touchons pas à la procréation « naturelle ». Que les adultes fassent ce qu’ils veulent. Mais leur liberté s’arrête où commence l’intégrité et l’équilibre de l’enfant.
Et que cela plaise ou non à ceux qui veulent aller faire leur « marché » de bébés, l’enfant a besoin d’un père et d’une mère.
Il est vrai aussi qu’il a besoin de vivre dans une société où existent des valeurs autres que celles de la marchandisation généralisée et de la consommation de tout et n’importe favorisée, et même crée, par une publicité omniprésente qui flatte en permanence l’égoïsme le plus vil sur fond de démagogie et de facilité artificielle (« je me le paye parce que je le mérite!»).
C’est une autre affaire, mais elle est liée, aussi, à la question de la procréation.
Yves Barelli, 6 octobre 2019