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18 août 2018 6 18 /08 /août /2018 20:36

Au cœur des Alpes, là où nait la Salzach

 

Les chutes de Krimml (« Krimmler Wasserfälle ») sont situées au fond de la vallée de la Salzach, rivière qui constitue l’axe majeur du Land de Salzbourg, en Autriche. Ce cours d’eau, long de   230  km, prend sa source aux chutes de Krimml, se fraie un chemin entre les hauts massifs alpins, traverse la ville de Salzbourg et sert ensuite de frontière avec l’Allemagne avant de se jeter dans l’Inn, grande rivière tyrolienne puis bavaroise qui terminera sa course à Passau en un spectaculaire confluent avec le Danube.

 

Bien qu’appartenant au Land de Salzbourg, les chutes de Krimml sont en fait beaucoup plus proches de Kitzbühel (62 km) que de Salzbourg. Pour venir de la grande station tyrolienne, il faut franchir le col de Thurn, à 1273 m d’altitude. Des chutes, on peut aussi rejoindre Innsbruck et la vallée centrale du Tyrol par le col de Gerloss (1505 m d’altitude).Les chutes de Krimml sont en outre seulement à une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau du Sud-Tyrol (Italie), mais il n’y a pas de route. Seul un difficile chemin de randonnée y conduit. Il côtoie les magnifiques glaciers du Haut Tauern, montagne centrale de l’Autriche qui culmine au Grossglockner à 3798 mètres.   

 

Trois grandes cascades sur un dénivelé de 380 mètres

 

L’ensemble des chutes de Krimml se compose d’un impressionnant dénivelé entre un plateau situé à 1570 mètres d’altitude et la vallée en contrebas, à moins de 1200 mètres d’altitude, qui commence près du village de Krimml.

 

En haut, le torrent provient du massif du Grossvenediger (3674 m), qui fait partie des monts du Haut Tauern. Ce massif se trouve à la conjonction des trois parties du Tyrol, Nord (vallée de l’Inn), Est (région de Lienz) et Sud (au-delà du Brenner) qui entourent la haute vallée salzbourgeoise du Salzach.

 

Arrivé sur le bord du plateau, le torrent se jette littéralement dans le vide en une première cascade de 140 mètres.

 

Le torrent, désormais rivière, reprend alors en quelque sorte quelques forces. Il en a besoin pour aborder un peu plus loin la seconde cascade, haute de 100 mètres. Les immenses forêts et les sommets qui l’entourent lui donnent encore plus de majesté tandis que, en contrebas dans la vallée, le village de Krimml parait tout petit.    

 

Encore un effort et l’eau bouillonnante au débit impressionnant qui envoie de grandes gerbes en l’air que la lumière rasante du soleil transforme en arcs-en-ciel se lance une dernière fois dans le vide pour atteindre, troisième et dernière cascade, 140 nouveaux mètres plus bas l’altitude de la plaine. L’atterrissage, on peut l’appeler ainsi, est une apothéose. L’énergie dégagée par les trombes d’eau est impressionnante. Le malheureux qui se risquerait sous la cascade recevrait des tonnes d’eau et ne survivrait pas. Les effluves et la brume dégagées par la cascade, la plus impressionnante des trois puisque la rivière s’est renforcée depuis le sommet en quantité, du fait d’affluents latéraux, et en intensité due à la vitesse accumulée, produisent un ronflement permanent de tonnerre et jettent une masse humide et mouillée à des dizaines de mètres de la rivière.

 

La Salzach est alors entrée dans le club fermé des grandes rivières alpines. Elle est née dans la violence. Elle va maintenant poursuivre une carrière un peu plus sage, bien que jamais complètement calmée. Le passage par Salzbourg lui donnera ses lettres de noblesse. Son cours, toujours impétueux mais plus majestueux, se poursuivra accompagné de la mélodie de la « Flute enchantée » de Mozart jusqu’à se donner corps et âme à son maître, le puissant Inn, qui mêlera à la musique d’Amadeus le chant plus rustique des « tyroliennes » renvoyées en écho par les sommets sauvages de l’antique Rhétie. Ces eaux, partiellement issues des cascades de Krimml, partiront, une fois accouplées à l’impérial Danube, pas souvent bleu, même bercé par les valses viennoises, pour un voyage au long cours qui se terminera par un vaste delta qui n’en finira pas de se confondre avec la mer noire, souvent bleu, elle, malgré son nom.

 

La réalisation en 1879 par le Club Alpin Autrichien du chemin piétonnier, tracé le long des cascades et qui ménage des vues superbes depuis des belvédères bien disposés, a été un tour de force tant l’espace est étroit entre la montagne et le torrent et tant le dénivelé est fort.

 

Mais un sentier de montagne reste un sentier et celui qui le gravit doit, d’une façon ou d’une autre, fournir un effort proportionné à la différence d’altitude entre le bas et le haut. Ici, 380 mètres, soit plus que la hauteur de la Tour Eiffel.

 

Un tel spectacle se mérite donc. Le sentier est assez large (il le faut car, en saison, ce sont des centaines de personnes qui l’empruntent en même temps), mais très pentu. Ses concepteurs ont préféré les plans inclinés, souvent à 10%, aux escaliers. Comme le chemin n’est pas goudronné, il vaut mieux avoir de bonnes chaussures de marche. Il vaut mieux aussi le gravir par temps sec car sous la pluie, fréquente dans la région, le sol doit être très glissant. Ces conditions difficiles expliquent que le chemin ne soit ouvert qu’en été.

 

La montée jusqu’au sommet de la cascade supérieure prend un peu plus d’une heure et demie. Quasiment autant pour redescendre car il n’est pas question d’aller trop vite : ce sont les muscles antérieurs des jambes qui travaillent alors et mieux vaut attendre d’être en bas pour se remplir de bière que de s’abreuver en haut.

 

L’effort est récompensé par le spectacle des cascades mais aussi par la magnifique forêt de conifères traversée et par les vues plongeantes sur la vallée.

 

Consultez sur Wikipedia ou le site Bing.com les belles photos des cascades et vous aurez une idée de ce qu’on y voit.

 

Notre planète Terre est magnifique. Mais il n’est pas nécessaire d’aller trop loin pour l’admirer. Les Alpes, c’est notre environnement, presque notre banlieue. Allez-y ! Et marchez, c’est bon pour la santé.

 

Et profitez-en pour visiter Salzburg, joyau des Alpes autrichiennes, et bien d’autres endroits, notamment dans le Tyrol ou la Bavière voisins./.  

 

Yves Barelli, 18 août 2018

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18 août 2018 6 18 /08 /août /2018 20:00

 

Le Monténégro est un petit pays de l’ancienne Yougoslavie. Petit mais très varié, avec une côte découpée sur laquelle tombe souvent une montagne abrupte. J’ai eu la chance d’habiter ce pays il y a environ dix ans et d’y avoir quelques amis qui m’invitaient à des balades en bateau avec eux. C’est l’une d’elles que je décris ici. Elle se passe en juillet 2007.    

 

La mer et la voie terrestre n’offrent pas les mêmes visions des paysages. C’est en particulier le cas de la Bouche de Kotor et de la péninsule de Luštica que nous avons empruntée ou contournée en bateau à moteur grâce à Janko Vukotić, franco-monténégrin de Podgorica qui a une enbarcation de ce type et une grande maison juste au bord de la Bouche de Kotor.

 

Une grande maison traditionnelle sur la Bouche de Kotor

 

Nous quittons Podgorica en voiture un peu après 8 heures du matin et empruntons la route la plus directe vers Kotor qui passe par Cetinje, Budva et le tunnel, qui vient d’être modernisé et réouvert, qui relie les abords de l’aéroport de Tivat à l’ancienne Cataro. Trafic intense en cette journée estivale. Beaucoup de touristes le long des plages de Budva. Journée chaude (une trentaine de degrés au bord de la mer, plus à Podgorica) et ensoleillée.

 

Nos hôtes possèdent une grande maison en style traditionnel, c’est à dire vénitien, en belles pierres de taille avec un bâtiment principal (qui leur appartient) et deux ailes (qui appartiennent à d’autres). Cette demeure avait été acquise par le père de Janko dans les années 1950 à son retour d’Amérique où il avait réalisé quelques économies. Dans la salle de séjour trône une statue du grand-père de Janko qui avait été officier de l’armée du Monténégro du temps du royaume avant 1918. Au rattachement à la Yougoslavie, il avait suivi le roi Nicolas dans son exil en France, ce qui explique la double nationalité de sa descendance.

 

La maison est située dans le petit hameau de Ljuta, à 8 km au nord de Kotor. Il faut quitter la route principale qui passe un peu en retrait de la mer à cet endroit, et s’engager sur un étroit chemin goudronné qui longe le bord de l’eau. La maison est de plein pied sur la berge. Il n’y a qu’à traverser le chemin, où il n’y a aucun trafic car il s’arrête un peu plus loin. Le bateau est amaré sur le petit quai.

 

Un bateau à moteur de sept mètres

 

Après un café dans la maison, nous embarquons, Lenka, Eva, Janko, sa femme et moi. Ce bateau n’est pas celui de Janko, pas encore prêt, mais celui d’une connaissance.

 

Le bateau a sept mètres de long, il peut recevoir huit à dix passagers (qui seraient un peu à l’étroit: à cinq ou six, c’est mieux). La petite cabine est équipée de deux mini couchettes un peu spartiates, d’un réchaud, d’un frigo et, évidemment, d’un poste de pilotage. La vitesse de croisière est d’un peu moins de 20 km/heure. Le réservoir a une capacité un peu supérieure à  cent litres de gasoil, ce qui permet des croisères d’une douzaine d’heures sans avitaillement. Ce bateau est utilisable surtout pour le cabotage. Il pourrait à la rigueur traverser l’Adriatique jusqu’en Italie, mais ce ne serait pas prudent à la fois parce que le temps peut changer assez rapidement et parce que le croisement des très gros navires est dangereux. Il est assez stable, mais peu conseillé par gros temps.

 

Nous commençons notre équipée un peu après 11 heures et nous nous dirigeons d’abord sur la ville de Kotor, à une demie heure, où nous faisons le plein à la station service du port. Belle vue sur la cité médiévale et ses remparts.

 

A midi, nous entâmons les trois heures de voyage qui nous mèneront à Bigovo, petit hameau autrefois de pécheurs situé de l’autre côté de la péninsule de Luštica, côté adriatique donc. Nous allons par conséquent remonter l’intégralité de la Bouche de Kotor, gagner la haute mer et contourner la totalité de la péninsule. A Bigovo, s’achève cette péninsule qui se poursuit par un littoral tout aussi rocheux mais plus classique en direction de Budva (quelques minutes en voiture mais une heure de plus en bateau).

 

La Bouche de Kotor: un fjord de 30 kilomètres entourré de montagnes

 

La Bouche de Kotor, grand fjord d’une trentaine de kilomètres, unique dans la sud de l’Europe, est un bras de mer fermé qui se compose de trois golfes successifs séparés par des chenaux étroits: le golfe de Kotor-Risan, le plus intérieur, celui de Tivat, au milieu, et celui d’Herceg Novi, qui communique avec la mer adriatique.

 

Deux grandes péninsules montagneuses, d’une quinzaine à une vingtaine de kilomètres de long sur quelques kilomètres de large contribuent à dessiner cette configuration particulière de la Bouche: celle de Tivat, au centre du bras de mer, et celle de Luštica, bordée à la fois par la Bouche et par l’Adriatique. En face de la péninsule de Luštica, une autre péninsule, celle de Prevlaka, moins longue et moins large, mais aussi haute, complète le dispositif pour fermer la Bouche. Cette dernière péninsule sert de frontière entre le Monténégro et la Croatie sur la plus grande partie de sa longueur tandis que sa pointe est intégralement croate et constitue l’extrêmité méridionale du (relativement) grand voisin du Nord.

 

Remontée du golfe de Kotor

 

On longe d’abord la rive gauche du golfe de Kotor avec la petite cité de Prčan, ses palais du 18ème siècle et son église, de la même époque, qui est surmontée d’un campanile de style vénitien (de forme carrée terminée en sommet par une pyramide élancée). L’un des palais, que l’on voit bien depuis le bateau, a trois grandes fenêtres. Une légende dit que trois soeurs, éprises du même marin, guétaient son retour depuis ces trois fenêtres. Prčan, également accessible par une jolie petite route qui longe la Bouche, appartient à la péninsule de Tivat ; la localité est dominée par le mont Vrmac, haut de 768 mètres.

 

Sur l’autre rive, on longe la localité de Dobrota, avec son église Saint Ilijja, de même style vénitien dont le campanile est actuellement en cours de réparation, puis le hameau de Ljuta, d’où nous sommes partis tout à l’heure. A cette hauteur, la Bouche a deux kilomètres de large avant de se retrécir considérablement en face de Perast.

 

Perast et ses deux îlots-musées

 

Perast est l’une des plus belles perles de la Bouche de Kotor. Cette petite cité ancienne dont les palais se reflètent dans les eaux tranquilles de la Bouche, est l’une des villes soeurs de Kotor qui depuis le moyen-âge s’adonnent à la navigation. Elle connut son heure de gloire, elle aussi, au 18ème siècle. La petite cité possèdait alors alors 44 navires, fabriqués sur place, qui sillonnaient la mer Méditerranée. Ses familles patriciennes édifièrent les palais que l’on voit aujourd’hui.

 

Perast, est elle aussi au pied de la montagne qui, à plus de 1000 mètres d’altitude, protège la Bouche sur son flanc Est tant des vents froids continentaux que des attaques terrestres. Elle se trouve à la confluence des deux ressèrements. Le premier sépare le golfe de Kotor de son prolongement, le glofe de Risan. L’autre permet de passer à travers un étroit chenal vers le golfe de Tivat qui constitue la partie centrale de la Bouche de Kotor.

 

Au milieu de ces passages et juste en face de Perast, les deux îlots de Saint Georges et de Notre Dame de Srkpijel, constituent des figures emblématiques de la Bouche souvent reproduites sur les couvertures de guides touristiques.

 

L’île de Saint Georges abritait au 12ème siècle un couvent bénédictin. Le clocher de son église est le seul de la région a ne pas être coiffé par un campanile vénitien. Il est octogonal sourmonté d’une coupole, plus petite mais de même forme et même teinte (gris clair) que la coupole de l’église.

 

L’îlot de ND de Srkpijel est artificiel. Il s’appuie sur des rochers qui affleuraient la surface de l’eau, ce qui était dangereux pour la navigation; ces rochers ont été complétés d’autres rochers amenés de la rive et des restes de navires échoués. L’église Notre Dame est baroque du 17ème siècle. Elle abrite, comme Saint Georges, de très belles fresques et peintures murales, oeuvre de Tripo Kokalja, dont l’une mesure dix mètres de long. Ces deux églises, qui abritent d’autres oeuvres d’art (icones, broderies, objets précieux de culte) ont été transformées en musées.

 

Le chenal de Verige, passage du golfe de Kotor à celui de Tivat

 

Nous quittons à présent (nous naviguons depuis une heure depuis Kotor) le golfe de Kotor par le chenal de Verige, large de seulement 300 mètres en son point le plus étroit. Autrefois une chaîne, dont on voit les points d’ancrage, reliait les deux rives et était remontée lorsque des pirates ou des bateaux ennemis étaient signalés.

 

Le chenal s’élargit ensuite progressivement. Nous croisons la ligne des bacs qui transportent les voitures d’une rive à l’autre entre Kamenari (il y avait là des carrières du temps des Romains, d’où son nom de „carrières“, de „kamen“, la pierre) et Lepetani. Les rotations sont fréquentes. Ces bacs sont très gros comparés à notre petit bateau et la masse d’eau qu’ils déplacent constitue un certain danger compte tenue des vagues qu’elles soulèvent. C’est pourquoi, il vaut mieux les croiser à bonne distance. Il en va de même des navires à moteur qui dépasent vingt mètres et qui sont souvent rapides. Eux aussi, provoquent des vagues dans leur sillage.

 

Le golfe de Tivat, plus vaste et plus aéré que celui de Kotor

 

Le chenal donne accès au golfe de Tivat qui est beaucoup plus vaste que celui de Kotor. Il constitue un grand triangle dont les côtés dépassent dix kilomètres. Il tire son nom de la ville de Tivat qui possède un port et qui s’étend sur le flanc sud du golfe. A son extrêmité, le golfe est bordé par l’aéroport de Tivat, l’un des deux aéroports internationaux du Monténégro.

 

Le golfe de Tivat est donc plus large que celui de Kotor. Il est plus aéré aussi car les montagnes qui l’entourent sont moins hautes. La ville de Tivat et son aéroport débouchent sur une plaine qui met aisément en contact la Bouche de Kotor, Budva et le littoral sud du Monténégro.

 

Nous longeons la partie nord du golfe de Tivat et la route qui suit sa berge. C’est une région urbanisée qui porte à la fois des installations industrielles (chantiers navals), militaires et balnéaires.

 

Le chantier naval de Bijela est le plus imporant du Monténégro (il y en a un autre à Tivat). C’est l’un aussi des plus actifs de la mer adriatique. Nous voyons quatre navires en construction, dont un très gros. Ils sont sur deux formes de radoub parallèles.

 

Les plages se succèdent désormais, avec leurs parasols, leurs restaurants et leurs hôtels. Cette côte fait partie de la commune d’Herceg Novi qui est un centre touristique important.

 

Entrée dans le golfe d’Herceg Novi

 

A nouveau, le golfe se retrécit. La partie la plus étroite, de l’ordre d’un kilomètre, ferme le golfe de Tivat et donne accès à celui d’Herceg Novi, le dernier avant la haute mer.

 

Ce détroit est propice à la défense. C’est pourquoi, il abrite, sur la même côte que Bijela, une base de la marine, celle de Kumbor. Une longue jetée terminées par un fort l’abrite. Cette base est connue pour l’entrainement de ses commandos de marine, mais aussi des équipes de la protection civile. En face de Kumbor, côté péninsule de Luštica, on peut apercevoir l’entrée d’une ancienne base de sous marins: une galerie de béton s’enfonce dans la montagne. La base est aujourd’hui abandonnée. D’ailleurs, la plus grande partie de l’ancienne flotte de Serbie et Monténégro, qui est revenue au Monténégro, seule des deux républiques à avoir un accès à la mer, est maintenant démentellée. Il ne reste que quelques vedettes garde côtes (les armes lourdes terrestres sont parallèlement détruites, y compris 60 des 61 chars qui avaient échu au Monténégro; le 61ème sera exposé dans un musée).   

 

Entre Bouche de Kotor et mer adriatique, la péninsule de Luštica

 

La péninsule de Luštica, auparavant assez éloignée de nous compte tenue de la largeur du golfe de Tivat, est maintenant toute proche. C’est une vaste montagne d’une quinzaine de kilomètres qui donne d’un côté sur la Bouche de Kotor (nous y sommes) et de l’autre sur l’adriatique (on va y aller). Cette péninsule est l’un des coins les plus sauvages du littoral monténégrin. On ne peut en atteindre qu’une minime partie par la route. Les quelques hameaux qui la parsèment sont peuplés majoritairement de serbes. La plus grande partie de la péninsule fait partie de la commune de Herceg Novi, souvenir de temps anciens où elle n’était accéssible qu’en bateau. Seule sa partie méridionale dépend de Tivat.

 

L’altitude de la péninsule dépasse 500 mètres en son point le plus élevé, mais rares sont les espaces à moins de cent mètres d’altitude, de sorte que la côte est le plus souvent constituée de falaises. C’est probablement la raison pour laquelle elle est si peu développée sur le plan touristique (et sur tous les autres plans).

 

Nous contournons sur 180° l’extrêmité de la péninsule. On longe sa côte rocheuse à quelque distance pour éviter d’eventuels écueils. Nous pourrions probablement nous en rapprocher encore davantage tant la montagne plonge abruptement dans la mer, mais mieux vaut ne pas prendre de risque. Les risques seraient toutefois limités car la mer est vite profonde: la plus grande partie de la Bouche a une profondeur de trente à quarante mètres. Tout à l’heure lorsque nous aurons franchi le dernier cap donnant accès à la haute mer, la profondeur atteindra 100 mètres à quelques encablures du littoral.

 

L’extrêmité de la péninsule abrite un hameau du nom de Rose. On y trouve des pécheurs, une école de plongée et des résidences secondaires. On peut aller jusque là par une petite route qui vient de Tivat et qui monte progressivement jusqu’au dessus du village. D’en haut, la vue est magnifique sur toute la partie antérieure de la Bouche de Kotor.

 

Cette partie antérieure, c’est notre troisième et dernier golfe depuis le départ, celui de Herceg Novi. Il a la forme d’une grande boucle qui s’enroule sur l’extrêmité de la péninsule de Luštica.

 

Au fond, à droite, nous apercevons la cité de Herceg Novi, sa vieille ville, ses trois citadelles, ses hôtels sur la berge et sa végétation sub tropicale plus exubérante qu’ailleurs sur le littoral monténégrin parce que la station est bien protégée des vents continentaux.

 

La péninsule de Prevlaka, frontière entre le Monténégro et la Croatie

 

Nous avons ensuite en face de nous la péninsule de Prevlaka, autre montagne qui émerge au dessus de la mer. Elle atteint environ 500 mètres de haut. Sur sa droite, on distingue le passage plus bas entre les montagnes par lequel s’engouffre la route qui va de Herceg Novi à Dubrovnik.

 

La ligne de crêtes de cette péninsule, théâtre d’affrontements armés entre serbo-monténégrins et croates lors du conflit yougoslave des années 1990, constitue la frontière entre le Monténégro et la Croatie. Des forces d’interposition des Nations-Unies s’y sont mintenues jusqu’en 2003.

 

Du bateau, nous voyons la route qui longe la péninsule le long de la mer côté monténégrin, puis le poste frontière et, au delà, la route en territoire croate dont nous sommes tout proche. L’extrêmité de la péninsule, le cap Oštra,  est entièrement située en territoire croate. Il mesure six kilomètres de long et est occupé par des installations militaires.

 

(à suivre)

 

 

Yves Barelli, 18 août 2018                

 

 

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17 août 2018 5 17 /08 /août /2018 08:26

 

Lors d’un déplacement en Bolivie, en 2004, j’ai été invité par le gouvernement bolivien à survoler le pays dans un petit avion à hélices appartenant à l’armée de l’air. Expérience impressionnante…

Survol de La Paz et du Titicaca dans un petit avion

Dès 7h30 du matin, Maurice Torco, le pilote rencontré hier à la réception à l’ambassade de France et qui est en rapport avec l’armée de l’air bolivienne, vient me chercher avec son 4X4 et nous montons à l’aéroport d’El Alto où nous arrivons trois-quarts d’heure plus tard. Nous allons directement dans la partie militaire de l’aéroport et nous dirigeons vers un petit bimoteur Cesna qui va nous mener au-dessus de La Paz et de sa région, y compris le lac Titicaca.

Cet avion de six places contient deux réservoirs de 500 litres chacun placés sous les moteurs et les hélices. Sa consommation est de 100 litres/heure. Il vole à 350 km/h et peut monter jusqu’à 6 000 mètres d’altitude, ce qui est la limite pour une cabine non pressurisée, d’autant que nous ne serons pas munis de masques à oxygène. A cette altitude, on ne respire plus que 40% de l’oxygène qu’on aurait au niveau de la mer.

Cet avion va être piloté par un colonel de l’armée de l’air et co-piloté par notre compatriote, qui a aussi la nationalité bolivienne. La présence de deux pilotes est obligatoire à cette altitude car, compte tenu de la raréfaction de l’air, un malaise n’est jamais à exclure. Il est vrai que la perspective de se trouver seul en l’air avec un pilote évanoui n’est pas spécialement réjouissante. Pour animer la conversation, je demande au colonel : « Et si le deuxième pilote s’évanouit aussi ? ». Il me répond, « entonces, buena suerte ! » (alors, bonne chance !).   

En cas d’accident, ce serait évidemment dommage pour l’armée de l’air bolivienne, pas spécialement riche ; de plus ma disparition risquerait de compliquer les relations bilatérales et donnerait bien du souci à mon amie l’ambassadrice et à son vice-consul car les rapatriements de corps entraînent des formalités toujours compliquées…Alors, on fait attention à moi !

Tout ça me rappelle un survol des gorges du Verdon que j’avais effectué il y a bien longtemps avec un député du Var, Maurice Janetti, hélas décédé depuis, qui m’avait invité à l’accompagner dans un monomoteur. Au moment de m’installer à côté de lui, une troisième personne, que j’avais prise pour un passager, me tapa gentiment sur l’épaule, me faisant comprendre que la place lui revenait en me disant « eh, le moniteur, c’est moi ! ». Le député n’était qu’élève, mais ce Méditerranéen assez content de lui, m’avait parlé en de tels termes de ses prouesses aériennes que je pensais qu’il était un as du manche à balais. Ça n’avait pas été la seule mésaventure de l’excursion : au-dessus du cañon, une fuite d’huile dans le moteur avait commencé à obstruer toute vue sur le cockpit et il avait fallu toute l’expérience du moniteur pour se poser « à vue », si l’on ose dire, sur le petit aérodrome de Vinon. J’ai raconté cette anecdote qui m’est revenue en mémoire au colonel, à Maurice, qui, heureusement ne s’est pas senti visé par l’allusion aux faibles capacités de pilotage de mon hôte d’alors, et aux trois autres militaires aviateurs qui allaient nous accompagner dans l’aventure. Cela nous a permis d’attendre tranquillement le camion ravitailleur de kérosène, quelque peu en retard.

J’avais quelques autres histoires en réserve à leur raconter, comme par exemple cet exercice effectué en Canadair au-dessus du golfe de Saint-Tropez. Mais ça n’a pas été la peine. Quant aux pilotes, ils ont préféré ne pas commencer à me conter leurs aventures, sans doute pour ne pas m’effrayer et parce que, sans doute intarissables, ils ont préféré ne pas commencer. 

Le plein est enfin fait et nous démarrons vers 9 heures. Check-list, contrôle de tous les instruments et les niveaux, ça va ! On progresse vers la piste au milieu des quelques chasseurs de l’armée de l’air et de deux gros porteurs aux couleurs bariolées. On met les gaz et on accélère rapidement. Les moteurs font un bruit d’enfer qui va durer pendant tout le voyage ; le petit avion décolle.

Nous survolons d’abord les quartiers d’El Alto dont les églises bleues munies de clochers-minarets sont les seuls éléments qui tranchent dans un ensemble morne, plat et dépourvu de la moindre végétation.

Nous survolons ensuite la ville de La Paz, extrêmement impressionnante vue d’en haut. On aperçoit bien ce long cañon le long duquel a d’abord été construite la ville avant que des habitations plus ou moins « spontanées » ne viennent s’attaquer aux collines qui l’entourent.

La visibilité n’est pas parfaite, car le temps est malheureusement assez couvert. On aperçoit néanmoins les montagnes enneigées qui entourent la capitale bolivienne, en particulier le mont Illimani, qui est un volcan à trois cimes qui culminent à 6 439 mètres.

Nous nous dirigeons d’abord vers lui, puis bifurquons vers le Nord. Nous allons longer la « cordillère royale », succession de pics et de volcans qui marquent le rebord oriental de l’Altiplano. Devant moi, un écran GPS me permet de suivre en temps réel la position exacte de notre frêle aéronef.

Nous sommes alors très près des sommets. Le paysage est tout blanc, la neige est abondante. Parfois, un nuage vient cacher la vue et nous volons dans la mélasse. Ce serait dangereux si nos pilotes ne connaissaient pas par cœur les lieux. Ce sont de toute façon des bons. Le colonel est l’un des meilleurs de l’aviation bolivienne et Maurice a tout de même piloté non seulement l’ancien président de la république, mais aussi, l’année dernière, Renaud Muselier entre La Paz et Bogota. On ne confie pas le sort d’un président de la république française à n’importe qui !

Le mien non plus, du moins, je l’espère ! Mais je n’ai jamais eu peur en avion. De plus, je supporte bien cette altitude. Je n’étais jamais monté aussi haut sans pressurisation. Les avions commerciaux qu’on emprunte volent plus haut mais on injecte de l’oxygène sous pression pour créer un équivalent de 1 000 mètres d’altitude, ce qui est le plus confortable pour l’organisme. Je vérifie notre progression, non seulement avec les instruments de bord (je demande aux pilotes de m’expliquer), mais aussi avec mon petit altimètre que j’emporte toujours en voyage. Je ne l’avais évidemment jamais vu monter aussi haut, à tel point que la lecture en devient problématique car il n’est étalonné que jusqu’à 5 000 mètres.

Une belle éclaircie nous permet de voir d’un côté, la cordillère, de l’autre l’immense étendue du lac Titicaca. Nous descendons alors pour mieux le voir. On survole cette île mythique du Soleil, berceau de la civilisation inca, puis on fait quasiment du rase-motte sur Copacabana, cette localité où nous avions déjeuné dimanche.

Nous restons toujours au-dessus du lac et nous nous retrouvons dans l’espace aérien du Pérou. Heureusement que l’armée de l’air de ce pays ne nous prend pas en chasse. Les relations bolivo-péruviennes sont bonnes. Nous n’aurions sans doute pas fait cette incursion dans l’espace aérien du Chili, pays avec lequel existe un contentieux…

Nous ne verrons du Pérou que quelques voitures sur une route, nous sommes déjà au-dessus de la Bolivie. A vol d’oiseau – ou d’avion -, La Paz, et plus encore El Alto, ne sont pas loin. Nous apercevons déjà le début de l’agglomération. L’écrin enneigé des montagnes est toujours aussi beau. Au loin se profile déjà la piste.

Un petit avion est en définitive plus difficile à piloter qu’un gros. J’ai eu l’occasion plusieurs fois d’atterrir en compagnie de pilotes dans les cabines de gros « jets ». Sur un Boeing par exemple, tout est automatisé (et plus encore dans un Airbus où il n’y a même plus de manche à balais) ; le pilote enclenche la procédure d’approche automatique. Il a au préalable demandé à la tour de contrôle de lui indiquer l’itinéraire d’accès (dans les grands aéroports, il y en a plusieurs, selon les vents et le trafic) et de lui donner l’autorisation d’atterrir. Les procédures d’approche de tous les aéroports d’une région du monde donnée sont mémorisées par l’ordinateur auquel il suffit d’indiquer celle qui est choisie, et on laisse faire la machine, le pilote restant toutefois attentif qu’aucun incident n’intervienne. On peut alors atterrir quel que soit le temps, quelle que soit la visibilité, de jour comme de nuit, à condition toutefois que l’aéroport soit équipé des systèmes de balisage électroniques indispensables à l’utilisation de procédures automatiques.

Dans notre cas, on va procéder de manière traditionnelle. Mes pilotes me disent d’ailleurs que ça leur plait davantage. Pas de dialogue avec la tour de contrôle, on navigue à vue. Pas d’automatisme. Les pilotes se présentent au jugé en évaluant la distance (ils pourraient le faire également de nuit, mais c’est beaucoup plus difficile, c’est pourquoi, il faut une licence spéciale pour ce type de vol, qu’ils ont) et règlent en conséquence la vitesse et le positionnement de l’appareil.

A 4 000 mètres d’altitude, un atterrissage est plus difficile qu’au niveau de la mer. Les ailes sont moins porteuses et l’avion a donc tendance à « tomber » plus vite. Il faut donc plus de puissance et on se pose plus vite. Il faut encore mieux viser, ne faire ni trop court, ni trop long.

Mes pilotes connaissent bien cet aéroport. L’atterrissage est impeccable. Nous allons nous ranger devant le hangar où sera remisé le Cesna. On descend, on salue rapidement les aviateurs et nous repartons tout de suite en voiture. Nous ne sommes pas en avance pour mon prochain rendez-vous. L’excursion a duré 1 heure et 20 minutes.

J’apprends que l’entretien que je devais avoir au parlement en fin de matinée avec Evo Morales, leader de l’opposition (il deviendra président de la république l’année d’après) est repoussé à cet après-midi. Tant mieux, on va souffler un peu. Maurice me raccompagne à la résidence. Il me fait passer par une route encore plus escarpée que celles que nous avons empruntées jusques là.

Fin de l’épisode aérien. Du moins en petit avion. Ce soir je m’envole pour Santa Cruz, deuxième ville de Bolivie, où on m’a concocté un bon programme, tant de travail que de tourisme.

De nouvelles aventures m’y attendent…/.

Yves Barelli, 15 août 2018

 

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15 août 2018 3 15 /08 /août /2018 21:02

Cette épopée dont la montagne dominicaine a sans doute conservé le souvenir se passe en l’an de grâce 2004 dans cette magnifique terre tropicale de la Caraïbe.

Région de Samaná, dans le nord-est de la République dominicaine. Début de citation :

Nous reprenons la voiture et allons à une trentaine de km jusqu’à la localité d’El Limon. Je veux m’informer des conditions de promenade à cheval jusqu’à la cascade d’El Limon, point d’attraction assez connu de ce pays. La route pour aller dans la localité est fort jolie. Fortes déclivités et collines, beaux panoramas sur la mer, paysages de végétation luxuriante magnifique, quelques localités traversées avec leur ambiance de fin de semaine : gens dehors, musique déversée à fond par les haut-parleurs.

Je me dirige d’abord vers le ranch qui est recommandé par le « guide du routard ». Il s’agit d’un petit restaurant tenu par un Espagnol qui fait en même temps ranch. Prix 19$ par adulte, repas au retour compris. L’employée me dit que pour les réductions éventuelles, je dois voir avec le patron demain, mais qu’il y a de la place, il n’y a pas de problème. Un peu plus loin, je m’adresse à un autre ranch qui fait bonne impression. Les prix y sont bien plus bas : 150 pesos (3 à 4$) par personne, plus un pourboire pour les guides. OK, je leur dis que nous serons là demain à 10 heures.

Retour à Samana. Nous passons la soirée à l’hôtel. Bain dans la piscine. Coucher très tôt, ce qui nous permettra de nous lever plus tôt demain et, à Eva (notre fille de 7 ans), de se reposer car elle a, semble-t-il, un peu de fièvre.

Dimanche 15 février 2004

 

Petit déjeuner avec service pas très rapide bien que je les pousse beaucoup pour s’activer.

Nous retournons à El Limon où nous arrivons un peu avant 10 heures. Je me mets définitivement d’accord avec la patronne pour le prix.

Nous prenons possession des chevaux. On nous fait monter sur eux par un escabeau. On nous règle les selles et les étriers. En ce qui me concerne, il y a plus de 25 ans que je n’étais pas monté sur un tel animal à quatre pattes. Il y a bien longtemps, en Espagne, j’avais eu une certaine pratique des ânes. Mais le cheval, c’est pas trop mon truc. Lenka, c’est pas mieux.

Sur ce genre de moyen de locomotion, j’ai toujours un peu peur que l’animal glisse et tombe, entraînant avec lui son passager complètement prisonnier avec ses pieds coincés dans les étriers. Bon, c’est mieux de ne pas trop y penser. J’ai pas peur en avion où pourtant, on dépend d’un pilote qu’on ne connaît même pas. Alors pour le cheval, inch allah ! 

En revanche, Eva est la plus à l’aise. Elle a fière allure sur son cheval qui, lui-même est le plus à l’aise des trois parce que vingt kg, c’est quand même plus facile à porter que 80. Eva était déjà montée sur un cheval il y a deux ans en Tchéquie et ça lui avait plu (quelques années plus tard, elle deviendra une bonne cavalière). Elle a aussi la pratique du dromadaire et de l’éléphant, alors un petit cheval, ça ne l’impressionne pas ! A mon avis ça lui plaira tant qu’elle ne tombera pas. Après… ?, ce sera une autre histoire.    

Pour limiter les risques, il y a devant chacun des trois chevaux un guide qui marche à pied en tirant le « fidèle coursier ». Le mien, Cristian,  est très sympa et il m’explique en détails toutes les plantes et les arbres que nous voyons sur le chemin. C’est un jeune adulte du village. Tout ça, il connaît car il y est né et a toujours vécu là. Il me dit que dans cette région rurale, les chevaux, on naît quasiment avec : lui, il a commencé à monter à cheval à l’âge de 4 ans. Dans les villages, c’est le cas d’à peu près tout le monde.

On s’engage tout de suite dans un petit chemin qui traverse un hameau composé de maisons en bois multicolores typiques de l’île. De part et d’autres, des cultures et des arbres les plus divers. On voit des caféiers. Tout à l’heure au retour, nous prendrons un rameau de l’arbuste avec tous les grains rouges de café qui y sont fixés par grappes. On n’en voit pas trop dans les campagnes, car la plus grande partie a déjà été récoltée. Pareil pour le cacao. Sur une aire, sèchent justement du café et du cacao. Un monsieur nous en fait goûter.

On voit aussi des avocatiers et des bananiers en grande quantité. Un autre arbre porte des calabasses, plus grosses que celles que nous avons vues vendredi. Ces grosses calabasses servent pour fabriquer des instruments de musique très sonores.

Passé le village, le chemin devient assez escarpé et étroit. On monte puis on descend pour traverser une rivière. Sur les bords, des femmes et des petites filles sont en train de laver du linge. Elles le bâtent fortement sur les rochers.

Mon cheval, qui s’appelle « Morro » commence à souffler un peu. Il est content de s’abreuver dans l’eau claire et fraîche de la rivière.

Il en a bien besoin, car nous repartons aussitôt et cette fois, ça monte sec. Comme il a plu il y a quelques jours, le sol est trempé. La boue se mêle aux pierres et ce n’est pas facile pour le cheval qui, avec intelligence et une pratique certaine, sait exactement où il doit placer ses pattes pour avoir la meilleure prise. Il lui arrive de commencer à glisser, mais bien vite se rattrape avec ses pattes postérieures. Quand la pente est trop forte, il prend de l’élan, encouragé par le guide. Quand c’est délicat, il s’arrête et calcule au plus juste la trajectoire. Je me dis qu’il est bon et j’ai moins d’appréhension. Je me contente de bien me tenir à la selle, car l’équilibre est quand même assez instable. Eva, devant moi fait pareil. Elle donne l’impression d’avoir fait du cheval toute sa vie. Mais ce n’est qu’une impression. Il ne faudrait pas que sa monture fasse un mouvement trop brusque : comme elle est petite, ses pieds n’arrivent pas aux étriers ; elle n’a donc aucune prise. En Europe, lorsqu’on fait du cheval, on porte une « bombe », c’est à dire un casque spécial susceptible de protéger la tête en cas de chute. Ici, rien bien évidemment, à cheval pas plus qu’à moto. Mais il faut savoir prendre des risques. Sinon, autant rester à la maison…

Au bout d’une heure de chevauchée, on arrive sur un plateau d’où l’on jouit d’une magnifique vue sur la mer au fond et les montagnes environnantes. Devant nous, un peu en contrebas, la cascade du rio Limon, haute d’une cinquantaine de mètres qui tombe sur un petit lac au-dessous. Nous ne descendons pas jusqu’à la cascade. Notre but était de faire du cheval. La cascade, c’est bien, mais c’est secondaire.

Dans ce lieu perdu, un marchand de souvenirs. Comme il a la peau claire et un accent un peu différent, je pense qu’il est Espagnol. Il me dit qu’on le prend souvent pour un Espagnol (moi aussi d’ailleurs, ça arrive de temps en temps), mais il est de Puerto Plata, dans le nord de l’île. Il est sympa et ses prix ne sont pas exagérés. Je lui achète un collier avec un soit disant os de baleine, en fait sûrement un os de n’importe quoi. Il va très bien à Eva. Ça me coûte 300 pesos.

Je parle un peu avec les guides. Ils ne sont pas contents de la situation économique, comme tous les Dominicains. Ceux-là voteront pour Leonel Fernandez, le candidat de l’opposition, qui était déjà président de la République avant l’actuel, Hipolito Méjia. Si les élections ne sont pas truquées, ce dernier sera sans doute battu.

Retour dans la vallée. A la descente, c’est plus dangereux qu’en montée. Mais les chevaux se comportent bien. Bravo.

Yves Barelli, 15 août 2018

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15 août 2018 3 15 /08 /août /2018 20:48

Les gorges de l’Ardèche sont l’un des endroits les plus beaux de cette mini-province du Vivarais, partie sous l’ancien régime du Languedoc et aujourd’hui rattachée à la région Rhône-Alpes dont elle constitue l’un des départements, celui de l’Ardèche. C’est en fait une région intermédiaire entre le Midi de la France (la langue autochtone est l’occitan), le couloir rhodanien et le massif central dont elle constitue un piémont : la rivière Ardèche s’en écoule et rejoint le Rhône à la limite entre les départements de l’Ardèche et du Gard. Cette rivière est typiquement méditerranéenne : son cours n’est pas long, mais il est en forte pente et son débit peut brusquement monter lorsqu’un violent orange s’abat sur la montagne.

 

Le Vivarais est une terre essentiellement rurale (il n’y a aucune grande ville) partagée entre la vallée du Rhône et la montagne.

 

Le châtaignier est l’arbre roi qui donne sa matière première, la châtaigne, à quelques spécialités culinaires locales. Le murier était traditionnellement un autre arbre courant ; on y élevait les vers à soie dont les fibres alimentaient les soieries de Lyon. Le figuier, quelques vignes, des troupeaux de moutons complétaient le tableau, presque immuable depuis des millénaires : quelques grottes attestent que nos ancêtres de Cro-Magnon peuplaient déjà la région. Ils y ont laissé quelques belles peintures sur les cavernes.  

 

Dans ces villages, les populations se partagent traditionnellement entre catholiques et protestants. Ces villages sont restés attachés à leurs traditions si admirablement chantées par Jean Ferrat dans sa magnifique chanson désormais emblème de l’Ardèche, « la montagne » :  

 

« Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu’au sommet de la colline
Qu’importent les jours les années
Ils avaient tous l’âme bien née
Noueuse comme un pied de vigne
Les vignes elles courent dans la forêt
Le vin ne sera plus tiré
C’était une horrible piquette
Mais il faisait des centenaires
A ne plus que savoir en faire
S’il ne vous tournait pas la tête

Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver? »

 

. Cet art de vivre attire un grand nombre de résidents secondaires et de vacanciers. Pour les amateurs de vacances sportives, la descente des gorges de l’Ardèche en canoë est un « must ».

 

Si j’ai tenu de vous parler du Vivarais avant de vous présenter la descente des gorges, c’est que nous sommes ici sur une terre qui a une identité, une histoire et une culture. Certains ne viennent que pour y faire leur sport hors sol, en quelque sorte. Ils sont là comme s’ils étaient au milieu du Népal ou de l’Andalousie. Ils passent à côté d’une richesse

 

Ce n’est pas mon cas Partout où je vais, je respecte la terre où je me trouve et les gens qui y vivent. Les oublier, c’est retirer les trois-quarts de son intérêt à un voyage.        


Voici donc mon récit :

 

Il y a déjà bien longtemps, presque dans une première vie, j’ai fait l’expérience, belle mais fatigante, de descendre les gorges de l’Ardèche, rivière qui a donné son nom au département, en canoë. C’est un grand classique.

 

Système bien organisé : en plus du canoë et des rames, on fournit un conteneur hermétique en plastique pour y mettre ses vêtements, argent, papiers, clefs de voiture, etc. C’est indispensable.

 

On part alors à deux. Moi, débutant dans ce sport, j’ai eu la chance de faire équipe avec une Tchèque, très expérimentée dans cette activité très populaire en Tchéquie. Heureusement pour moi car si on ne sait pas naviguer, l’embarcation se retourne dès le premier rapide.

 

Départ à proximité du Pont d’Arc, une arche naturelle spectaculaire qui enjambe la rivière.

 

Le courant d’une rivière dépend de son débit, de sa profondeur, de sa largeur et de sa pente. Quand la pente n’est pas trop forte et que la rivière est large et profonde, elle peut s’écouler paisiblement, même quand son débit est fort (en climat méditerranéen cela dépend des pluies ; il est donc très irrégulier). Si le débit est élevé, il suffit de se laisser porter par le courant. On pagaye donc très peu. S’il est faible, il faut ramer pour avancer.

 

Lorsque la pente devient plus forte ou que la rivière se trouve entravée par des hauts fonds rocheux diminuant le tirant d’eau, ou par des resserrements dus au relief, on a un « rapide », c’est-à-dire un emballement du cours, la vitesse de l’écoulement de l’eau compensant son moindre volume. C’est dans ce cas que seul un leader expérimenté peut éviter la catastrophe.

 

Le principe est en effet de ramer plus vite que le courant et de le faire plus intensément d’un côté que de l’autre afin de pouvoir incurver la trajectoire, ceci étant d’autant plus nécessaire qu’il y a des rochers au milieu à éviter. Pas facile !

 

Et encore plus difficile en période d’affluence (c’était le cas : en été) avec des embouteillages d’embarcations ! Dans les pays disciplinés (j’ai refait ensuite deux ou trois descentes en Tchéquie : là les gens respectent les règles), les canoës ne s’engagent dans les rapides qu’un à un en laissant de l’espace entre canoës. Ce n’est hélas pas le cas chez nous. En plus des rochers, il faut donc aussi éviter les imbéciles qui font n’importe quoi (idem sur les pistes de ski, activité à laquelle j’ai renoncé en France pour cette raison). Moi, je me contentais de pagayer à gauche ou à droite selon les instructions. De toute façon, je ne voyais pas grand-chose : quand on porte des lunettes, la visibilité est rapidement réduite par les éclaboussures, parfois des gerbes violentes, reçues. Une sacrée expérience ! Quand on a franchi un rapide, on peut souffler un peu…jusqu’au prochain.    

 

Sur la dizaine de kilomètres empruntée, il y a plusieurs de ces rapides qui procurent une émotion certaine, surtout dans la première partie du parcours. Dans la seconde, on est davantage en plaine avec de (trop) longues lignes droites où on ne s’arrête pas de ramer sans beaucoup avancer (en été le débit est plutôt lent).

 

Arrivé au terminus, on rend le canoë (que les organisateurs remontent sur des camionnettes spécialement aménagées pour en porter beaucoup) et on retourne au point de départ en minibus.

 

Pour ceux qui ne sont pas aussi sportifs (ou casse-cous) que moi, la trentaine de kilomètres qui sépare la plaine du Rhône de Vallon-Pont d’Arc, peut se faire en voiture. Spectaculaire aussi, avec quelques beaux points de vues sur la rivière…et ses rameurs. Il ne faut pas craindre les virages ; il y en a beaucoup

 

Cette aventure se passait il y a longtemps, au début des années 1990. Depuis, beaucoup d’eau a passé sous le Pont d’Arc. Mais la montagne a sans doute conservé la mémoire de mon épopée.../.

 

Yves Barelli, 15 août 2018              

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14 août 2018 2 14 /08 /août /2018 21:14

C’était une autre époque, pourtant pas si lointaine, presque une autre planète. Celle d’une Syrie qui était encore en paix, avant que la guerre ne la déchire, avant que ses villes et ses sites ne soient irrémédiablement endommagés, parfois totalement détruits, comme l’antique Alep.

Il est pourtant une construction qui a échappé à la bêtise des hommes. C’est une colossale forteresse du moyen-âge, construite par les Croisés dans leur folle prétention de s’accaparer une terre qui n’était pas la leur.

Les croisés n’ont fait que passer, mais la forteresse est toujours là.

Cette forteresse porte le nom de « Krak des Chevaliers » (le mot « krak » dérive de l’ancien syriaque et signifie forteresse). Elle occupe un site grandiose, entre Damas et la côte méditerranéenne, entre la plaine de Baalbek et la vallée de l’Oronte. A l’époque des Croisés, elle commandait la route d’Antioche à Jérusalem, d’où son importance.

Le « Krak » est aujourd’hui situé en Syrie, non loin de la frontière septentrionale du Liban. C’est l’extrémité du « Djebel el Ansarié », autrement dit la « montagne des Chrétiens » qui y sont encore nombreux aujourd’hui. Le « krak » figure depuis 2006 sur la liste de l’UNESCO du « patrimoine de l’Humanité ».

Je m’y suis rendu par la route en venant de Damas, avant de rejoindre Homs et Lattaquié, sur le littoral méditerranéen, puis de rentrer sur Beyrouth par la côte. C’était en avril 2002. Donc avant les « évènements » actuels. Le Liban, lui, avait déjà été frappé par la guerre civile. Je m’y étais rendu plusieurs fois et j’avais vu le cœur de Beyrouth totalement détruit, avant d’être reconstruit (il subira encore des dommages du fait de l’agression israélienne de l’été 2006, mais moins ; depuis, les dégâts ont été réparés).

La Syrie, elle, n’avait pas été touchée, ce qui ne signifie pas qu’elle était en dehors des conflits de la région. Son armée était intervenue au Liban et assurait une sorte de police d’interposition entre les factions. Avec Israël, l’état théorique de guerre n’a jamais cessé depuis le conflit de 1967 ; Israël s’était alors emparé du plateau syrien du Golan que l’Etat hébreux occupe encore à ce jour, mais on était, et on est toujours aujourd’hui, dans une paix armée que Tel Aviv a préféré ne pas rompre même au plus fort de la guerre civile qui frappe la Syrie depuis 2011, conflit en grande partie fomenté, en tout cas considérablement attisé, par les régimes islamistes du Golfe, invraisemblablement soutenus par les puissances occidentales qui se sont enfin aperçues aujourd’hui, mieux vaut tard que jamais, que leur véritable ennemi est « Daesh » et le terrorisme islamiste et non le régime laïque de Bachar-el-Assad. Certes, ce dernier a commis des crimes ; son père, déjà, avait presque rasé Hama quand les Sunnites s’y étaient révoltés. Mais le Moyen-Orient n’est pas une terre de démocrates et d’enfants de chœur. Alors, entre un criminel laïc et des criminels islamistes, la raison commande qu’on soutienne le premier. C’est le choix des Russes, c’est aussi celui d’Israël qui, à tout prendre, préfère encore Assad à l’islamisme ou au chaos et ménage Damas en conséquence. C’est aussi mon choix et je me félicite que ce soit, de plus en plus celui, des politiciens français les plus responsables (il y en avait bien peu en 2012 lorsque, aveuglés par les soit disant « printemps arabes », ils présentaient les « fous islamistes de Dieu » comme des « combattants de la Liberté »).

C’est déjà en faisant cette analyse que j’ai repris en 2002 le chemin de Damas et de la Syrie. Repris, parce que j’avais eu la chance d’y venir une première (et jusqu’en 2002 unique) fois en 1963. Je venais d’avoir 18 ans et, avec un groupe de jeunes Marseillais, nous avions parcouru le Liban, la Syrie, la Jordanie (qui incluait alors la Palestine actuellement occupée par Israël) et Israël. On passait à cette époque de Jérusalem-Est, alors jordanienne, à Jérusalem-Ouest israélienne par un poste de contrôle de l’ONU situé sur la Porte de Mandelbaum. Notre groupe parcourait la région en taxis collectifs et autres moyens de transport et était hébergé chez des religieux chrétiens. Ces pays étaient pauvres mais il n’y avait pas d’insécurité particulière (l’islam y était encore pacifique) et les gens étaient très accueillants. Un super souvenir, d’autant qu’à cette époque, les voyages lointains, avant le tourisme de masse, relevaient encore de l’aventure extraordinaire. Personnellement, le vol qui nous avait menés de Genève à Beyrouth, était mon baptême de l’air.

Ce premier contact avec la Syrie avait été spectaculaire. Nous nous étions trouvés à Damas au moment du coup d’état qui avait porté au pouvoir le parti du Baas, celui de la dynastie Assad, qui y est toujours. Les artères de la ville étaient occupées par des tanks et les avions sillonnaient le ciel. Par chance, pas de combats, pas de violence. Nous avons pu continuer tranquillement notre voyage et rentrer au Liban.

C’est pendant que je relatais ces souvenirs à la Libanaise francophone qui partageait avec moi le grand taxi, conduit par un chauffeur très sympa connaissant la Syrie et le Liban comme sa poche, que nous sommes parvenus au Krak des Chevaliers qu’on atteint par une petite route dans la région vallonnée de Talkhalak, un peu à l’écart de l’autoroute de Damas à Lattaquié.

Le krak des chevaliers, forteresse croisée colossale

La forteresse se voit de loin, sur un grand tertre qui domine la campagne. On devine déjà sa grande silhouette depuis l’autoroute. Nous la distinguons désormais de plus en plus nettement. 

Le Krak des Chevaliers mérite à lui tout seul un voyage. Il s’agit de l’une des forteresses les plus colossales qu’il m’ait été donné de voir. Ce château construit au 12ème siècle par les croisés est admirablement situé sur un piton rocheux et on comprend au premier coup d’œil que, à moins de l’attaquer par avion (et encore!), le prendre relève de la gageure.

La Syrie, y compris l’actuel Liban qui en faisait partie, a  constitué une  région importante des empires romain (1er siècle avant- 4ème après), puis byzantin (4ème – 7ème), avant  d’être, après l’expansion arabe sous la conduite du prophète Mohamed (7ème siècle) et de ses successeurs,  l’un des centres les plus prestigieux du monde arabe et musulman, dans lequel Damas, presque toujours en rivalité avec Bagdad, a souvent joué au Moyen-Age le premier rôle.

Dès le premier siècle de notre ère, des communautés chrétiennes importantes se sont formées dans la région (bien avant donc l’émergence de l’islam). Saint Paul, disciple converti à Damas, en a été le premier organisateur. Les Arabes, en propageant la foi du prophète Mohamed, ont entrainé la conversion à l’islam de nombreuses populations autochtones, mais, à la différence de ce qui s’est passé au Maghreb, le christianisme est resté solide au Liban (fief des Chrétiens maronites) et en Syrie, même s’il est devenu globalement minoritaire (et c’est l’un des mérites du régime actuel de Syrie de protéger la minorité chrétienne, souvent marginalisée, voire persécutée, ailleurs dans le monde arabe).

Les trois « religions du livre » se disputent depuis sept siècles le territoire de ce qui fut la Grande Syrie. La confrontation armée débuta en 1095 lorsque le pape Urbain V a lancé la première croisade en vue de la conquête de Jérusalem, obtenue en 1099. Les territoires « latins » (c’était leur nom) se sont ensuite agrandis au fil des croisades successives, s’étendant, de l’actuelle Turquie à l’Egypte, sur tout le littoral de la Méditerranée orientale et les régions adjacentes de l’intérieur. En témoignent aujourd’hui les colossales forteresses, toujours debout, que les croisés ont édifiées, et dont le « krak des chevaliers » est la plus  imposante. Les Francs vont réussir à rester près de deux siècles, mais au prix de combats incessants. Menacés par Saladin, dès 1187, ils seront finalement chassés par les Turcs à la fin du 13ème siècle.

Le « Krak » se compose d’un mur d’enceinte, d’un fossé, d’un deuxième mur, et d’un donjon. Des salles gigantesques sont construites à différents niveaux. Il y a même un bassin où l’on pouvait stocker des quantités considérables d’eau potable. La forteresse permettait d’abriter en permanence 2000 chevaliers et hommes de troupes. Elle était tenue par l’ordre militaire des Hospitaliers qui s’y maintint de 1142 à 1271.

Conservé dans un état parfait, cet édifice n’a pas pris une ride. La taille des blocs de pierre qui le composent est tout à fait stupéfiante.

Les murs d’enceinte sont si hauts et si faciles à défendre que toute possibilité d’escalade était exclue. On ne pénètre dans la forteresse que par une seule entrée par un système à la conception révolutionnaire à l’époque : il était constitué d’un long corridor entrecoupé de sas et surmonté de trous, constituant autant de meurtrières, qui auraient permis d’anéantir les assaillants avant même qu’ils ne parviennent à deux lourdes portes successives pourvues d’un système de poulies pour les ouvrir ou les fermer. Ce corridor, que l’on peut voir encore  aujourd’hui, débouche sur la salle d’armes de la première enceinte. Il y en a ensuite une seconde !

On estime que ce château est le prototype le plus parfait des forteresses médiévales. Il n’a que peu d’équivalents en Europe.     

Inutile de dire qu’une telle forteresse était imprenable et que, d’ailleurs, elle n’a jamais été militairement prise, du moins tant qu’elle a été gardée.

C’est par la ruse que Baybars, sultan des Mamelouks qui contrôlaient déjà toute la région, y entra : il persuada les assiégés d’abandonner, grâce à une fausse missive du grand Maître de l’ordre des hospitaliers qui leur demandait de quitter les lieux. La forteresse changea donc de camp sans combat. Les assiégés purent regagner l’Europe sains et saufs et même accompagnés jusqu’au port. Cela se passa en 1271. N’ayant plus rien à faire en « Terre Sainte », les derniers Hospitaliers, à défaut de combattre les « hérétiques » musulmans, purent pourchasser en Occitanie les derniers « hérétiques » cathares. On mène le combat que l’on peut ! A l’époque, l’intolérance était du côté chrétien et la tolérance dans le camp musulman. C’est le contraire aujourd’hui              

Ce château était le plus important de toute la série de forteresses construites dans la région par les croisés. Il en reste comme le symbole, à la fois certes de la puissance, mais aussi de la vanité de telles réalisations. Il n’a jamais été pris mais ses murs épais n’ont pas  empêché le royaume franc des croisés de s’effondrer.

Lors de la guerre civile syrienne, le château est rapidement passé aux mains des opposants islamistes au pouvoir légal de Bachar. Il a subi des tirs des Mig syriens le 13 juillet 2013, mais sans dégâts sérieux, preuve de la solidité de la muraille. Le 20 mars 2014, le Krak a été repris par les forces gouvernementales. En août 2016, une messe a été célébrée dans la chapelle des Croisés. La première depuis 1271. Nos médias et nos politiques, à commencer par le président Hollande, incompréhensiblement enclins à la complaisance envers l’islamisme, et qui ne se réveillent que pour dénoncer les soit disant crimes du « régime » syrien, ont passé cet évènement symboliquement important sous silence.

On a parfois l’impression que le monde occidental a le goût du suicide. Il est heureux que l’armée de Vladimir Poutine sauve en Orient l’honneur de l’Europe./.

Yves Barelli, 14 août 2018      

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14 août 2018 2 14 /08 /août /2018 20:55

 

Ayant habité en République Dominicaine et au Venezuela, j’en ai profité pour visiter la région, notamment le Mexique et tous les pays de l’isthme centre-américain. En avril 2004, je me suis rendu au Nicaragua, d’où je suis allé visiter en voiture le Honduras et le Salvador. Voici la description d’une partie de l’itinéraire (la totalité prendrait trop d’espace), le retour du Salvador au Nicaragua.

Les paysans salvadoriens et leurs machettes

SAN MIGUEL a 250 000 habitants. C’est la troisième ville du Salvador et la métropole de sa partie orientale. Son centre est classique. Plan en damier. Maisons basses et colorées. Place centrale avec cathédrale, hôtel de ville et théâtre. San Miguel est située dans une plaine à moins de 100 mètres d’altitude. Elle est dominée par un grand volcan

Nous traversons la ville et nous arrêtons quelques minutes sur la place centrale. Messe à la cathédrale. Marché sur la Grand Place. Beaucoup de paysans descendus des campagnes voisines. On les reconnaît à leur chapeau de paille, mais aussi à la machette enserrée dans un beau fourreau de cuir que presque tous portent à la ceinture. Nous constaterons qu’il en est de même dans les campagnes. Le type physique des gens va du blanc pur au type cuivré indien, avec beaucoup d’intermédiaires.

Nous quittons San Miguel vers 9 heures. Nous nous dirigeons vers La Union, ville et port sur le golfe de Fonseca (océan Pacifique). La route monte un peu pour franchir des collines qui entourent la ville. 50 km plus loin, nous débouchons sur cette ville de 50 000 habitants. Un joli « malecon » (bord de mer) le long du golfe. En face, on voit plusieurs îles et les montagnes du Nicaragua.

Une route à deux chaussées, pompeusement appelée « autoroute » permet d’entrer et sortir de La Union, qui se trouve sur une petite presqu’île. Elle a été construite par les Japonais, de même que le port porte-containers qui est sur le point d’être terminé.

D’une frontière à l’autre

 

Nous retrouvons ensuite la route qui mène à la frontière hondurienne, à 40 km de La Union.

Je fais exactement comme la veille [les passages frontaliers entre pays centre-américains sont toujours compliqués, du fait des bureaucraties locales et de la pagaille qui y règne ; hier, j’ai réussi à éviter tout contrôle en profitant de la cohue et du manque de vigilance des policiers et douaniers] et je réussis à passer incognito au Honduras. Ça permet de gagner du temps.

Le long de la route qui mène à la grand-route Tegucigalpa (visitée la veille)-San Lorenzo, nous observons mieux les villages que nous traversons. Hier, nous étions pressés. Aujourd’hui, nous avons plus de temps et j’adopte donc une vitesse plus « touristique ». Dans cette région basse et chaude, pas mal d’arbres tropicaux. On voit aussi beaucoup de cochons. Chaque maison, construite en adobe (pisé), a à côté d’elle un grand four de terre. A plusieurs emplacements au bord de la route, sont exposés des produits d’artisanat. Le plus typique est constitué d’animaux, des coqs surtout, qui sont peints de couleurs vives, rouge en général. Ils doivent être en bois, à moins qu’ils ne soient faits de plâtre.

Après 80 km de route, on arrive à Choluteca, 100 000 habitants, la « capitale » de la région pacifique du Honduras. Cette ville n’a rigoureusement aucun intérêt. Ses rues qui se coupent à angle droit comme ailleurs sont presque désertes, même dans le centre. Une vieille cathédrale est en ruines, sans doute détruite par un tremblement de terre.

La route qui conduit au Nicaragua est bonne et peu encombrée. Elevage de bovins et de chevaux. Des cochons aussi. Il commence à faire chaud.

La frontière honduro-nicaraguayenne est aussi bordélique que les autres. Des tas de piétons affairés à se faire tamponner leurs documents. De longues files de camions bloqués. Des intermédiaires que je récuse. J’adopte la même tactique que pour la frontière précédente : aller le plus loin possible et ne s’arrêter que si on me le demande impérativement. J’arrive sur un pont. Les Honduriens me laissent passer une fois que je leur ai dit que la voiture était nicaraguayenne et que je rentrais au pays. « Mais vous n’avez pas de tampon ? – Non, c’est pas la peine ! - Alors, ça va, allez-y ! ». Côté Nicaragua, je contourne les bâtiments administratifs par une piste qui passe entre des camions arrêtés. Je shunte les contrôles et tombe, à la sortie, sur un fonctionnaire qui remarque que les passeports ne sont pas tamponnés.  Je lui dis que je ne veux pas perdre une demi-heure en revenant en arrière. Je dois déployer tous mes talents de persuasion pour le convaincre qu’il n’a qu’à faire semblant de ne pas m’avoir vu. Il recopie les numéros des passeports plus pour se donner une contenance qu’autre chose et me laisse filer.

Sur la piste poussiéreuse, au pied du volcan San Cristobal

 

De la frontière à Chinandega, il y a 80 km. Cette route n’a pas encore été modernisée. Pour le moment, c’est une piste en mauvais état. Ça me rappelle certains coins de la république dominicaine. A chaque camion qui passe, la poussière soulevée est considérable.

Mais heureusement le trafic est faible. En dehors des camions, pas beaucoup de véhicules. La région traversée est peu peuplée. Quelques villages avec leurs maisons basses d’adobe et leur bétail. Il fait chaud, bien plus de 30° probablement. Dans cette terre sèche et plate, à un moment, nous voyons une petite tornade. C’est un phénomène météorologique curieux qui prend la forme d’une grande colonne étroite qui monte tout droit depuis le sol et qui se déplace plus ou moins vite avant, parfois, de disparaître d’un coup. Ce phénomène est provoqué par une différence thermique importante entre le sol et l’air qui entraîne la création d’un courant d’air. L’air s’enroule alors de plus en plus vite et prend de la force. Sur son passage, il peut faire de gros dégâts et il soulève en l’air de la poussière et bon nombre d’objets légers. La tornade que nous voyons est relativement éloignée. Elle disparaît au bout de quelques minutes.

Peu à peu, grossit au loin la masse d’un grand cône volcanique. Il s’agit du volcan San Cristobal, haut de 1745 mètres et flanqué, sur sa gauche, d’un autre volcan, aujourd’hui éteint, le Chonco (1100m). Le San Cristobal est un volcan actif. Sa dernière éruption date de 2001. Il s’est un peu assagi depuis, mais son cratère continue de cracher d’énormes volutes de vapeurs qui forment un panache dans le ciel. Nous nous arrêtons pour pique-niquer devant ce volcan. C’est vraiment très beau. Sa forme est parfaite. Le volcan se détache majestueusement au-dessus de la plaine toute plate.

Chinandega n’a rien de particulier en dehors de ce volcan qui la domine. Nous reprenons une route normale qui nous conduit, 40 km plus loin, à Leon.

Leon, cité de la Révolution

LEON, peuplée aujourd’hui de 120 000 habitants, est l’une des deux villes historiques du Nicaragua qui ont rivalisé pour diriger la petite colonie espagnole d’alors. Granada a des traditions conservatrices et Leon, progressistes.

Leon a été fondée en 1524, mais sur un site, où nous passerons tout à l’heure, situé à 30km de l’actuel. La vieille Leon a été fort menacée par une éruption volcanique en 1610 et ses habitants jugèrent plus sûr de déménager. La ville est restée capitale du Nicaragua jusqu’en 1857.

La ville présente un plan classique en damier. Ses maisons basses colorées qui bordent des petites rues tranquilles rappellent celles de Granada, visitée deux jours plus tôt.

Au centre, le Parque Central (vaste esplanade, classique dans le centre des villes latino-américaines) est bordé de l’immense cathédrale, dont la construction, qui s’est étalée sur plusieurs décennies, a débuté en 1747. Style baroque espagnol typique. La cathédrale est une sorte de panthéon de la culture nicaraguayenne. Nous ne pouvons entrer à l’intérieur de l’édifice car il est fermé. Aucun écriteau sur aucune de ses portes n’en indique la raison ni ne mentionne les heures d’ouverture.

J’imagine donc à l’aide des descriptions de mon guide touristique l’intérieur avec son autel doré et les tombeaux de plusieurs célébrités de l’histoire locale. Parmi ceux-ci, celui de Ruben Dario, le grand poète national qui vécut au cours de la seconde moitié du 19ème siècle. C’est à peu près le seul auteur local dont la notoriété a franchi les frontières, lui donnant une certaine audience dans le monde hispanique. Comme je ne l’ai pas lu, je n’ai aucune opinion sur son œuvre dont je ne connais pas grand-chose. Je sais simplement qu’il fut diplomate de rang moyen. Etant né dans une grande famille, il avait évidemment des relations et il en fallait à cette époque dans ce genre de pays pour devenir diplomate (la situation n’a pas vraiment changé). Il fut ainsi consul général du Nicaragua à Paris, mais aussi, parce qu’on passait facilement d’un pays à l’autre, consul de Colombie en Argentine, ce qui était sans doute plus valorisant que de représenter le modeste pays dont il était originaire.

De l’autre côté de la cathédrale, un monument plus moderne marque le « mausolée des héros et martyrs » à la gloire des victimes de la tyrannie somoziste. Leon a été en effet un haut lieu de la lutte de libération de cette dictature. La ville est restée très attachée au sandinisme comme le montrent beaucoup d’inscriptions en faveur de la classe ouvrière ou de la révolution cubaine (la municipalité est sandiniste). Une grande fresque murale complète le monument.

Au bord du lac Managua, devant le volcan Momotombo

 

En sortant de Leon, nous prenons un petit chemin que m’a indiqué mon passager (un Français travaillant à notre ambassade à Managua) qui connaissait déjà Leon. Par ce chemin de terre qui traverse des vergers, nous sommes montés à un petit fortin d’où on domine la ville et ses environs.     

On quitte Leon pour La Paz Centro, à 30 km, d’où une route conduit aux ruines de Viejo Leon, au bord du lac de Managua. Le principal intérêt n’est pas de voir les ruines. Il n’en reste en effet pas grand-chose. Bien plus beau, et cela mérite largement le détour, est le panorama sur le lac et le volcan Momotombo qui le domine.

Quand nous arrivons au bord du lac, des jeunes sont en train de se baigner. La plage de sable noir est grande. L’eau est très peu profonde et l’on a pied longtemps. Je me mouille les pieds, mais je n’insiste pas. L’eau est chaude et sale, rendue opaque par des particules en suspension. L’eau de ce lac est notoirement polluée.

 

Je préfère admirer la vue. Le long de la grève, des paysans mènent un troupeau de vaches. Ils sont suivis par un gros cochon isolé. Grande tranquillité bucolique. Au milieu du lac, une petite île émerge, surmontée de ce qui reste d’un cratère volcanique. C’est le Momotombito, petit frère du volcan Momotombo. Ce dernier est sur la terre ferme. On le voit de loin. Lui aussi a un cône parfait qui culmine à 1280m. Il est actif en ce sens qu’il crache des gaz, mais la dernière éruption remonte à 1905. C’est un lieu de promenade prisé pour les habitants de Managua. On peut escalader le volcan au moyen d’une piste jusqu’à mi-hauteur, puis d’un sentier jusqu’au cratère.

Au moment de repartir, ma voiture s’ensable. Dans ces cas, plus on accélère pour tenter de sortir, plus ou s’enfonce. Comme j’ai déjà expérimenté ce genre de situation, notamment au Maroc, je trouve des palmes à proximité et les place sous les roues devant. Dans ce genre de pays, les gens sont extrêmement serviables. Quatre personnes viennent spontanément nous aider. Avec leur aide et celles des palmes sous les roues, je peux me dégager. Ce n’était pas bien méchant, mais, seul, je n’aurais jamais pu repartir.

Retour à Managua

 

Retour à La Paz Centro, puis route directe sur Managua, à 60 km où nous arrivons vers 15h30. Nous refaisons un tour de ville pour voir ce que je n’avais pas vu vendredi. Dans le centre, sur ces espèces de terrains vagues qui bordent l’ancien centre-ville (détruit par un tremblement de terre), une grande statue de Sandino ne passe pas inaperçue. En un style très soviétique, le personnage tient haut dans la main une mitraillette qui, l’histoire l’a prouvé, ne semble pas avoir suffi à impressionner les ennemis de la révolution.

Autre Sandino, que l’on voit, lui, de toute la ville, celui qui se trouve sur la hauteur de Managua, au bord de la lagune de Tiscapa, qui se trouve à proximité de l’hôtel Intercontinental.

Le lendemain, je reprendrai l’avion de Panama, puis celui de Saint-Domingue./.

Yves Barelli, avril 2004, mis en ligne le 14 août 2018  

 

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14 août 2018 2 14 /08 /août /2018 19:57

 

Dubaï est devenu une destination ultra courue.  L’émirat en a fait une promotion très habile si bien que toutes sortes de visiteurs s’y pressent. Certains y vont en voyage d’affaires : la cité, sorte de Singapour ou de Hong-Kong, est devenue la plaque tournante du Moyen-Orient et de l’Asie Occidentale. Port, aéroport et zones d’activités figurent désormais parmi les tous premiers au monde. D’autres y vont pour du tourisme classique : cela peut avoir un intérêt, mais y passer 24 ou 48 heures sont amplement suffisantes. Certains gogos vont y faire du « shopping ». Ce n’est pas mieux qu’ailleurs, ni en prix ni en variété ni en qualité. Et ceux qui y vont pour les plages se trompent d’adresse : la plus grande partie de l’année, il y fait si chaud que le farniente au bord de l’eau est désagréable et dangereux, d’autant que le Golfe arabo-persique, qui borde Dubaï, avec ses pétroliers qui y naviguent, n’est pas spécialement propre…

Allez à Dubaï, mais ne vous attardez pas et, si vous avez le goût de l’aventure, faites comme moi, échappez-vous vers le désert. Il commence aux portes de la ville et s’étend loin, vers l’Oman, l’Arabie Saoudite et au-delà. Le dromadaire ferait couleur locale, mais les autochtones les ont délaissés. Trop inconfortable et trop lent.

Comme eux, je suis allé dans le désert en voiture. Moins pittoresque mais plus pratique…

Direction, d’abord, une oasis à l’intérieur des Emirats Arabes Unis, à l’écart de l’autoroute Dubaï-Abou-Dhabi.  

Al Aïn (la source, en arabe, mais aussi l’œil) est la seule localité importante des EAU à l’intérieur des terres. Elle constitue une même agglomération avec Bouraimi, située dans le pays voisin, l’Oman, les deux villes partageant une oasis qui a été le lieu le plus anciennement occupé de cette partie de la péninsule arabique.

Autrefois accessible seulement par caravanes, cette double localité est maintenant reliée par autoroutes, tant à Abou Dhabi (160 km) qu’à Dubaï (150 km). Une bonne route conduit du côté omanais à Sohar (100 km), ville située sur le littoral de la mer d’Oman, d’où l’on gagne aisément par autoroute la capitale omanaise, Mascate, 240 km plus à l’ouest.

 

La partie emiratie de l’agglomération appartient à l’émirat d’Abou Dhabi. Al Aïn a été particulièrement choyée par l’émir Zayed, qui a été gouverneur de cette localité avant de monter sur le trône abou-dhabien (les Emirats Arabes Unis sont sept dont Abou Dhabi et Dubaï sont les plus importants. L’émir d’Abou Dhabi est constitutionnellement président des Emirats et celui de Dubaï vice-président, le premier a la suprématie politique et le second domine l’économie.

 

De cette bourgade de bédouins et d’agriculteurs, on a fait une ville active dotée d’un aéroport international et d’une université. Comme dans ce pays, on est avare de statistiques, je ne connais pas le chiffre exact de la population, mais compte tenu de son activité (à laquelle on ne s’attend pas lorsqu’on arrive) et de son étendue, on peut penser qu’il y a au minimum 100 000 habitants, peut-être le double ou même davantage.

 

L’histoire de l’oasis est un peu compliquée. Durant des siècles, les nomades qui la fréquentaient n’avaient probablement aucune idée du pouvoir politique dont ils dépendaient, pas plus sans doute que les habitants permanents eux-mêmes. Le fait qu’elle ait été partagée entre Abou Dhabi et Oman est le signe qu’elle se situait en fait à la limite des influences diffuses des deux monarchies qui ne devaient probablement pas s’en préoccuper beaucoup. Durant longtemps d’ailleurs, le grand désert qui s’étend dans cette partie de la péninsule arabique a été une sorte de no man’s land. Ce n’est qu’au 20ème siècle que les pays qui en sont riverains ont réellement commencé à s’y intéresser.

 

Mais Abou Dhabi et Oman n’ont pas été les seuls. L’Arabie Saoudite aussi. Ce pays, qui constitue la grande puissance régionale, est de création récente, puisque ce n’est qu’en 1932 que le roi Saoud a réussi à fédérer les diverses principautés de l’ouest et du centre de la péninsule autour de sa famille et de l’islam wahhabite. Le prestige d’être le gardien des lieux saints (La Mecque et Médine) et la puissance induite par la possession des plus fabuleuses ressources en pétrole (découvert en 1938) de la planète, allaient pousser encore les ambitions saoudiennes à dominer, voire à annexer, le reste de la péninsule. C’est dans cette perspective, que les troupes du royaume s’emparèrent par surprise de l’oasis en 1952. Dans un contexte de rivalité américano-britannique (quatre ans après, Washington allait obliger les troupes anglo-françaises à se retirer de Suez), les Anglais aidèrent le futur cheik Zayed à récupérer « son » oasis en 1955. Ce n’est qu’en 1974 que les Saoudiens allaient mettre définitivement fin à leurs prétentions territoriales.

 

Restait à régler la question des limites territoriales entre Abou Dhabi et Oman. Ce fut fait par un accord signé en 1966. Celui-ci fixa les frontières, y compris à l’intérieur de l’oasis. Le compromis qui fut trouvé est que Bouraimi retournait au sultanat, mais restait en union douanière avec Al Aïn, ce qui explique qu’il n’y a aujourd’hui aucun contrôle douanier et de police entre les deux localités. Le poste frontière est établi 50 km plus loin à l’intérieur du territoire omani.

 

Selon les standards émiratis, Al Aïn est une ville pittoresque avec sa palmeraie (ou ce qu’il en reste), son vieux fort et son marché aux chameaux. Mais cela est très relatif, tant le modernisme est passé par là presque aussi fortement que sur la côte. L’aspect le plus « authentique » est qu’il y a une proportion plus faible d’Indiens que sur la côte et donc que cette ville fait plus arabe. Mais pour qui connaît les souks de chameaux du sud marocain ou du sud tunisien, celui-ci fait piètre figure. Quant aux palmiers-dattiers, rien à voir non plus avec Tozeur et Touggourt. De plus, non seulement il y a moins de dattes, mais elles sont moins bonnes.

 

En fait, la physionomie d’Al Aïn, tend de plus en plus à s’aligner sur celle d’Abou Dhabi. Avant d’arriver au centre, on traverse par des routes à deux chaussées des quartiers périphériques très étendus aux parcs bien entretenus. Ce n’est qu’après avoir contourné une bonne vingtaine de ronds-points, que l’on arrive enfin au centre de la ville, paralysé par les embouteillages. On aspire alors à en sortir le plus vite possible. Tant pis si le vieux fort a été laissé de côté. Quand on a vu la petite bâtisse qu’est celui d’Abou Dhabi, on peut raisonnablement penser que celui-ci ne vaut pas mieux : la construction n’a jamais été la spécialité des autochtones de ce pays. Et d’ailleurs, pourquoi un fort, s’il n’y avait pas grand- chose à garder ?

 

Bouraimi est à peine moins moderne. On sent toutefois une certaine différence de niveau de développement entre les deux pays, donc entre les deux villes. Là où on avait une autoroute, on n’a plus qu’une simple route. Par contre, en matière de densité de mosquées, Oman n’a rien à envier aux émirats et, à l’heure de la prière, les hauts parleurs des minarets sont aussi performants que ceux de l’autre côté de la frontière. Le style des mosquées est également comparable. La grande mosquée de Bouraimi a une coupole d’un vert clair du plus bel effet. Il faut noter ici, même si cette localité est très périphérique par rapport au sultanat, que, à la différence des Emirats, pays moderne sorti du néant il y a moins de trente ans, Oman est depuis longtemps un vrai pays : il joua un certain rôle au moyen-âge en colonisant une partie des rivages de l’océan indien, y compris Zanzibar et les Comores, islamisés à partir de lui. 

 

Nous nous sommes ensuite engagés sur la route de Mascate avec pour objectif de tenter notre chance à l’entrée en Oman (nous n’avions pas de visas pour l’Oman et on ne peut en obtenir à la frontière). La route traverse un désert de sable et de pierres que la relative étroitesse de la chaussée (bon revêtement) rend plus pittoresque que ceux traversés par autoroute aux émirats. Des chameaux paissent ça-et-là l’herbe rare. Il n’y en a plus beaucoup aux émirats.

 

Après une trentaine de kilomètres d’étendues plates, avec la montagne en point de mire à l’horizon, la route commence à tourner et l’on s’engage sur un terrain plus accidenté qui passe par un petit col et amorce ensuite une descente vers le versant de la côte occidentale. Un peu plus loin, on arrive au poste frontière où l’on nous dit gentiment que sans visa, on ne peut pas passer. Tant pis, on pourra quand même dire et écrire que l’on est allé en Oman !

 

Sur la route du retour vers Bouraimi, j’ai l’idée géniale de m’engager sur une bifurcation menant à une localité située à une vingtaine de km à l’intérieur. D’après ma carte, il est vrai non détaillée (au 1/ 4 000 000ème, c’est à dire tout juste suffisante pour voir les grands itinéraires), c’est un cul de sac. Probablement sans grand intérêt, mais au moins, ça permettre de connaître autre chose que Bouraimi, qui est certainement la ville la moins omanaise de l’Oman.

 

Jusqu’à Maidah – c’est le nom de cette bourgade endormie en cette mi-journée de ce mois de ramadan-, pas un seul véhicule croisé. A la sortie de la localité, un panneau indique tout droit la direction de Bouraimi. C’est déjà pas mal, on pourra rentrer par une autre route. Puis, un croisement avec une route à droite indiquant une direction ne figurant pas sur ma carte. En auscultant tous les détails de celle-ci, on croit voir une piste qui a l’air d’aller, en direction du nord, soit à une petite centaine de km plus ou moins, jusqu’à l’autoroute qui va de Dubai à Sohar.

 

Et si on passait ? Mais il est clair que sans 4X4, il faut absolument se renseigner pour savoir si c’est réalisable. On s’engage quand même sur cette route en espérant y croiser une voiture (car il n’y a aucun piéton, sans doute dorment-ils). On tombe sur un rond-point (dans ces pays, ils sont encore meilleurs qu’en France en matière d’absurdité !) avec le choix entre deux directions ne figurant ni l’une ni l’autre sur la carte. Aucune de ces  deux petites routes ne paraît plus importante que l’autre. On se plante alors sur le rond-point en attendant une voiture. Un 4X4 conduit par un bel Arabe au regard perçant qui semble sorti, avec son habit blanc et son keffieh, tout droit du film « Lawrence d’Arabie », nous indique que la route est encore revêtue sur 25 km puis se transforme en piste praticable, que celle-ci va jusqu’à Hatta et que cette localité est située sur l’autoroute repérée sur la carte. Allons-y donc !

 

Comme indiqué, on ne tarde pas à rouler sur la piste. Cela me rappelle les pistes de l’Atlas au Maroc. Les premiers km sont encourageants : piste de poussière, donc sans pierres apparentes ; on peut tenir le 50 à l’heure, ce qui, si ça continue comme ça, nous permettra de retrouver la civilisation dans moins de deux heures, donc avant la nuit qui tombe vers 17 heures (il est alors environ 14 h 30).

 

A un carrefour de pistes, aux alentours du lieu-dit Sumayni, on prend la mauvaise piste, mais dans le village où l’on parvient juste après, on nous remet dans la bonne direction.

 

Puis, plus de problème majeur d’orientation. Il n’y a plus qu’une piste qui traverse des lieux quasi inhabités avec quelques 4X4 croisés. Par moments, le paysage est grandiose avec la montagne rouge pelée et des petits canyons. On ne voit pas un seul piéton, juste quelques chèvres et des chameaux. La piste continue à être assez roulante. Ça va, on a une bonne réserve d’essence et de coca-cola !

 

A un moment, un panneau indique qu’on entre dans une zone militaire. Un bâtiment surmonté d’un drapeau omanais nous confirme qu’on est toujours dans le sultanat, mais la frontière, si je me fie à la carte, ne doit pas être loin. Un militaire, kalachnikov en bandoulière, nous demande où l’on va. Heureusement qu’on nous avait indiqué le nom de Hatta, sinon, ça aurait pu faire suspect que des étrangers sans visa se baladent dans une zone militaire sans savoir où ils vont. Il nous demande les passeports, qu’il met dans le bon sens seulement après avoir vu les photos. Après avoir tourné plusieurs fois toutes les pages, il nous demande nos noms, preuve supplémentaire qu’il ne sait pas lire l’alphabet latin, puis nous rend les passeports et nous laisse partir. L’absence de visa ne l’a pas ému. Mais sait-il ce qu’est un visa ?

 

Quelques km plus loin, la piste, qui devient plus désagréable car il y a désormais pas mal de sable dessus, en rejoint une autre. On suppose que l’on est toujours dans la bonne direction, sans en être sûrs à 100%. Le ciel, qui en début d’après-midi, était dégagé, est maintenant un peu obscurci par des nuages de plus en plus denses. Va-t-il pleuvoir ? Ce serait le comble dans ce pays si sec. L’atmosphère devient quand même un peu oppressante. Sur la colline, au fond, on aperçoit un grand bâtiment et entre lui et nous une sorte de mur qui se prolonge sur la colline. C’est peut-être la frontière, et le bâtiment de l’autre côté peut-être un poste militaire emirati. Il ne manquerait plus que des mines pour faire encore plus vrai. On se rassure en se disant qu’on n’est quand même pas à la frontière entre le Liban et Israël.

 

Enfin, nous pensons voir en face de nous sur un long remblai ce qui pourrait être une route. Logiquement, ce devrait même être l’autoroute convoitée, mais logique et désert ne vont pas bien ensemble. On ne voit pas trace de trafic automobile. Etrange ! Un petit passage nous permet enfin de monter. On trouve une sorte de digue goudronnée. Elle doit bien mener quelque part, mais ce n’est pas une route. Au feeling, on la prend vers la gauche. Le lieu est toujours aussi désert. On débouche sur un passage à travers un grillage qui conduit à une autre digue. On a l’impression d’être en fait sur un barrage et ce qui s’étend devant nous paraît être une retenue d’eau à sec.

 

On ne saura jamais avec précision ce que c’était. Un peu plus loin, on débouche enfin sur la route. Derrière nous, un panneau « interdit à tout véhicule ». La route se transforme un peu plus loin en autoroute. Aucun poste frontière. Le contrôle, comme du côté de Bouraimi, doit être lui aussi en retrait de la frontière. On sera donc dispensés d’expliquer que nous rentrons aux Emirats sans en être sortis officiellement. Fin de l’aventure omanaise. Nous reprenons notre périple autoroutier. Une routine dans les émirats arabes unis…     

     

Yves Barelli, décembre 2002, mis en ligne le 14 août 2018

   

 

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13 août 2018 1 13 /08 /août /2018 22:05

Je n’ai pas résisté à donner ce titre, digne des romans d’espionnage qui servaient autrefois à meubler les soirées d’été avant qu’on invente internet, au récit de l’un de mes voyages en Afrique, concrètement celui effectué en  novembre 2011 dans la région du Zambèze où se rejoignent quatre Etats : le Zimbabwe, la Zambie, la Namibie et le Botswana. J’y suis venu en avion depuis l’Afrique du Sud et ai parcouru la région en voiture, moyen le plus pratique de visite, à condition toutefois d’avoir un passeport diplomatique afin de minimiser un peu les bureaucraties tatillonnes et parfaitement inutiles qui caractérisent la quasi totalités des passages frontaliers sur le continent africain.

Le Zambèze est le plus grand fleuve de la partie australe de l’Afrique. Long de 2750 km, il prend sa source en Zambie, fait une petite incursion en Angola, revient en Zambie où il forme la frontière d’abord avec la Namibie, puis le Botswana et enfin le Zimbabwe avant de traverser le Mozambique pour aller se jeter dans l’océan indien. C’est le quatrième fleuve d’Afrique par la longueur (après le Nil, le Congo et le Niger). Son débit est loin de celui du Congo, bien qu’à l’occasion il se gonfle considérablement.

A la limite entre la Zambie et le Zimbabwe, le fleuve Zambèze renferme un trésor, les chutes Victoria par lesquelles il s’engouffre dans une faille spectaculaire. Avec celles du Niagara et d’Iguaçu (Brésil/Argentine), c’est l’une des trois cataractes les plus connues dans le monde. Même si je préfère celle d’Iguaçu, celle de Victoria, mérite le déplacement.  

La partie centrale du bassin du Zambèze est un vaste plateau à une altitude à peu près de 1000m, ce qui permet un climat, sinon tempéré, du moins, moins chaud que dans les parties plus basses du continent, d’autant que la région est assez bien arrosée. Ce plateau était une composante de l’empire colonial britannique qui constituait le territoire de « Rhodésie-Nyassaland », zone de passage entre l’Afrique du Sud et la région des grands lacs.

Il n’y a pas que les chutes Victoria à voir du côté du Zambèze. Les grands animaux, notamment les éléphants, y sont nombreux, pas seulement dans les parcs nationaux, mais aussi en dehors (le spectacle d’un groupe d’éléphants traversant une route est toujours impressionnant). L’habitat rural est également intéressant avec ses villages pittoresques formés de maisons rondes.

Les quatre pays visités sont tous de langue officielle anglaise et on y circule à gauche. Pas d’insécurité particulière et réseau routier acceptable eu égard aux standards africains moyens. Ci-après le compte-rendu du séjour zambézien.

L’aéroport de Victoria Falls est petit. Cette localité du Zimbabwe est minuscule (la capitale est à Harare) et l’aéroport n’a qu’une fonction touristique. Deux avions par jour depuis Johannesburg, quelques autres depuis d’autres villes de l’Afrique australe. On peut regretter que la Zambie et le Zimbabwe ne se soient pas mis d’accord pour construire un aéroport unique desservant les chutes (celui de Livingstone, de l’autre côté de la frontière, n’est qu’à quelques kilomètres), ce qui donnerait sans doute des horaires plus commodes. Ce n’est pas le seul manque de coopération entre les deux pays : les chutes Victoria sont sur la frontière, mais il faut un visa pour chacun des pays et, pour passer une voiture d’un pays à l’autre, il faut subir des formalités assez longues et, en outre, s’acquitter d’une taxe.

Pas mal de pagaille dans cet aéroport. On peut y recevoir le visa (ce qui est mieux que dans beaucoup d’autres pays africains, notamment les francophones, où il faut l’avoir avant le départ). Prise de possession de la voiture Ford Fiesta chez Avis. Ce véhicule semble avoir fait la guerre : plus de 135 000 km et des chocs et bosses partout. Il fait plutôt chaud, de l’ordre de 35°. Soleil. On roule à gauche au Zimbabwe, comme d’ailleurs dans tous les pays visités au cours de ce voyage. Ça ne me gêne pas. J’ai déjà conduit des milliers de kilomètres de ce côté de la route. 20 km jusqu’en ville. 

Installation à l’hôtel « A Zambezi Lodge » (le « a » doit être l’article dans la langue locale. Ça permet à l’établissement de figurer en bonne place dans l’ordre alphabétique). Cet hôtel a été repris par le groupe Accor. Ce n’est pas pour autant qu’on y trouve des inscriptions en français ou des programmes de TV francophones sur les chaînes satellites. Beaux jardins le long du Zambèze. Toits de chaume pittoresques. Des singes courent sur les toits lorsque j’y arrive. Plus tard je verrai des phacochères. Tarifs de l’ordre de 140$ la nuit et buffets à 25$ plus boissons. Au Zimbabwe, tout est affreusement cher.

Promenade dans le centre en voiture. Supermarché Spars. La bouteille de 2 litres de coca y coûte 2,50$. Le Zimbabwe a connu une période agitée ces dernières années avec une économie qui s’est effondrée. La monnaie nationale s’est elle aussi écroulée, tuée par une inflation galopante. L’année dernière, cette monnaie  a été abandonnée. Le Zimbabwe utilise désormais le dollar américain et, accessoirement, le rand sud-africain. Les prix sont indiqués en dollars, mais on rend la monnaie en pièces de rands.   

Après le supermarché pour y faire une provision de boissons, je vais voir la frontière avec la Zambie (un ou deux km depuis le centre de Victoria Falls ; on pourrait y aller à pied). Une bande de singes est au bord de la route avec des mères qui portent des bébés. Ce doit être la saison des naissances : les femelles ont presque toutes des bébés accrochés à leur ventre. Natalité galopante ! Pour passer la frontière à pied, les piétons reçoivent, sur présentation du passeport, un ticket qu’ils doivent rendre au retour. De l’autre côté, il faut se faire établir un visa. On n’y échappe au retour que si on a pris la précaution de se faire faire un visa à entrées multiples (plus cher). Sinon, re-visa. Je ne passerai cette frontière que demain. Sur une petite route latérale, belle surprise : un troupeau d’éléphants, en liberté évidemment (en Afrique, les éléphants ne sont jamais domestiqués ; seuls les asiatiques le sont). Magnifique. Repas à l’hôtel le soir. Leur musique locale est vraiment lancinante et monotone. J’aime bien en général les musiques africaines. Mais pas celle-là.

(le lendemain). Circuit en voiture de 450 km de part et d’autre du Zambèze sur cette vaste région de savanes plate et peu peuplée. Traversée des quatre pays : Zambie, Namibie, Botswana et retour au Zimbabwe. 

Départ vers 9 heures pour la Zambie. Temps couvert. Ce temps restera toute la journée, ce qui permet de voyager dans de bonnes conditions. Température agréable. Probablement autour de 30°. Cette voiture n’a pas de thermomètre, c’est dommage. En revanche, j’ai emporté mon altimètre : Je resterai autour de 1000 mètres d’altitude. Je roule sans clim. En roulant, aucune chaleur ressentie. Même à l’arrêt, c’est très supportable.

Traversée de la Zambie

Pour entrer en Zambie, on passe un grand pont métallique qui porte à la fois la route et la voie ferrée. Lorsqu’il a été construit en 1905 pour permettre le passage du chemin de fer qui devait ultérieurement relier Le Cap au Caire, ce fut un véritable tour de force. Le pont enjambe le Zambèze juste à la sortie des chutes Victoria. Le fleuve s’engouffre alors dans un canyon de 110 mètres sous le pont. Quelques casse-cous y font parfois des sauts à l’élastique. Il parait que c’est le record du monde pour ce type d’activité. 

Les formalités dans ce genre de pays prennent rarement moins d’une demi-heure, même pour un diplomate. Fiche de sortie du Zimbabwe, tampon pour le passeport et tampon supplémentaire pour la voiture, deuxième contrôle qui s’assure que tout a été fait, troisième contrôle avec barrière pour sortir du pays. Rebelote cinq cent mètres après, cette fois pour entrer en Zambie. Pour la voiture, il faut donner tout un tas d’indications du genre année de construction du véhicule, numéro de châssis et numéro de moteur. Je n’en ai pas la moindre idée. J’écris n’importe quoi et cela les satisfait totalement.

Je ne me ferai jamais à la bêtise de la bureaucratie, absurde et complètement inutile quand on laisse écrire n’importe quoi sans vérifier et on comprend qu’ils ne le fassent pas car ils s’en fichent et savent que jamais personne ne lira la fiche. Ubu roi de la Zambie et de bien d’autres terres de par le monde. D’ailleurs, c’est une règle que l’expérience m’a apprise : plus le pays est petit et merdique, plus ils font écrire n’importe quoi ! C’est à pleurer (il est vrai que pour les visas Schengen, c’est bien pire et plus cher, mais il y a au moins l’alibi de la lutte contre l’immigration clandestine. Qui voudra s’installer illégalement en Zambie ?).

Ces formalités ne servent à rien sauf à encaisser (mais ils pourraient simplement faire payer  comme pour un péage d’autoroute, ce serait plus rapide) : taxe pour la voiture : 30$. Visa 20$. Gratuit pour diplomate.

De Livingstone à Sesheke, sur le plateau zambien, à bonne distance du Zambèze

Passés le pont et les contrôles, me voilà en Zambie. Pour moi, c’est nouveau : un pays de plus à mon palmarès. Entre hier et aujourd’hui, ça va m’en faire trois de plus. Pas mal.

Route directe vers Sesheke qui évite Livingstone. Route de près de 200 km, en général toute droite à bonne distance du Zambèze qu’on ne voit jamais. Très peu de trafic. Bonne route. Pas mal de villages typiques avec des maisons rondes aux toits de chaume. En général, très propres. Savane avec de grands arbres clairsemés, la plupart des acacias.

Après Sesheke, petite capitale de province, on a récemment construit un nouveau pont sur le Zambèze. La frontière est immédiatement après, sur la gauche, mais il n’y a aucune indication. J’aurais dû s’en douter à cause des nombreux camions garés sur le côté. Plusieurs kilomètres de trop avant de revenir en arrière. Même genre de formalités que pour la frontière précédente. On est désormais en Namibie. Taxe pour la voiture 120R (12€). Pas de visa nécessaire. Formalités rapides. Ils sont un peu plus futés que dans les pays voisins.

La Namibie, un pays qui fait bonne impression

La première localité namibienne est Katima Mulilo. Lorsqu’on entre dans un pays, avec un peu d’habitude on voit tout de suite quel est son niveau économique. Ici, les gens sont habillés correctement, à l’européenne, la signalisation routière non seulement existe (ce qui n’est pas le cas partout en Afrique), mais en plus elle est bonne. Ce n’est même pas la peine de consulter les statistiques : manifestement, ce pays est un cran au dessus de la moyenne de la région. Il est vrai que la Namibie est bourrée de ressources dans son sous-sol, notamment des mines de diamants. Il est vrai aussi que les Namibiens ne sont pas nombreux, à peine deux millions pour plus d’un million de km2. Il y a de la place. Il est vrai aussi que, longtemps rattaché de fait à l’Afrique du Sud et dominée par une minorité blanche, même si celle-ci accaparait la plus grande partie des richesses, le niveau général était tout de même au dessus des standards africains.

Souvenirs, souvenirs…

Je ressens presque de l’émotion à être en Namibie. Pour ma modeste part, j’ai contribué à son indépendance. Dans mon premier poste diplomatique, à New-York, j’étais en charge à la mission française auprès de l’ONU des dossiers politiques africains et j’ai passé des heures et des heures en réunions consacrées à la Namibie qui était, finalement, mon dossier prioritaire. Il y avait notamment ce qu’on appelait un « groupe de contact » composé de cinq pays occidentaux (F, GB, USA, Allemagne et Canada) qui assuraient une sorte de médiation entre les Africains et l’Afrique du Sud. Je représentais la France dans ce groupe et les réunions étaient presque quotidiennes, notamment lorsque le Conseil de Sécurité était saisi de la question namibienne.

En dépit de cela, je n’avais jamais eu l’occasion de me rendre en Namibie, ni du temps de l’ « occupation illégale par le régime d’Apartheid », comme on disait à l’ONU, ni après l’indépendance obtenue en 1990. Lors de mon premier voyage en Afrique du Sud, en 1994, j’étais passé à moins de 200 km de la frontière, mais sans faire le détour au-delà du fleuve Orange. J’en étais resté frustré.

Me voilà donc en Namibie. Même si c’est pour quelques minutes, je suis satisfait. Cette incursion va en effet être courte, moins de 80 km dans l’extrême nord-est du pays. Les frontières issues de la colonisation sont souvent absurdes. Lorsqu’on regarde une carte de l’Afrique australe, on observe une longue bande de terre de près de 500 km de long sur à peine quelques dizaines de large qui s’enfonce comme un doigt entre l’Angola et le Botswana. Elle prolonge artificiellement la Namibie vers l’est jusqu’à toucher le fleuve Zambèze, précisément à Katima Mulilo. On appelle ce couloir la « bande de Caprivi », du nom d’un premier ministre allemand du 19ème siècle. Les ethnies présentes dans cette terre n’ont rien à voir avec le reste de la Namibie et sont au contraire communes avec les pays voisins.

Une curiosité historique : la bande de Caprivi

Il y a une explication historique à cette curiosité. La Namibie, alors Sud-Ouest Africain, était une colonie allemande, comme l’était, un peu plus haut sur la carte de l’Afrique, le Tanganyika. Alors que la présence britannique n’était pas encore bien consolidée sur l’actuelle Zambie, les Allemands avaient des visées sur la région. Les Anglais souhaitaient pour leur part établir un protectorat sur Zanzibar, au large du Tanganyika (à l’indépendance, ces deux territoires formeront la Tanzanie). Il y eut donc un échange : les Allemands laissèrent les Anglais s’installer sur le riche Zanzibar ; en échange, ils récupéraient Helgoland, une île au large de l’Allemagne occupée par l’Angleterre, et cette bande de Caprivi.

Après l’indépendance de la Namibie, une tentation séparatiste apparut dans la bande de Caprivi et pendant plusieurs années, ce territoire fut peu sûr pour des voyageurs étrangers. Le site du ministère des affaires étrangères, « conseil aux voyageurs », le déconseillait formellement. Aujourd’hui, la situation est normalisée et me voilà donc dans « ma » Namibie.

Excellente route de Katima Mulilo à Ngane à travers la « bande de Caprivi »

Une route secondaire mène de Katima Mulilo à Ngane, sur la frontière du Botswana. Elle est excellente, alors que je m’attendais à trouver une piste. Sans doute un programme d’aide internationale. Cela explique que, parfois, on trouve soudain une très bonne route déserte. Souvent en Afrique, on ne planifie pas vraiment les routes ; on attend l’aide internationale. C’est le cas ici.

Quelques villages traversés qui ressemblent à ceux de Zambie : des maisons rondes couvertes de toits de chaume. Des greniers à grain, des espaces publics, quelques personnes en général habillés à l’européenne. Comme en Zambie, c’est propre et d’un bon niveau apparent.

C’est un peu à l’image de la plus grande partie de l’Afrique anglophone qui, au premier coup d’œil parait le plus souvent plus propre, mieux organisée, plus disciplinée que l’Afrique francophone (il y a des exceptions, notamment le gigantesque et bordélique Nigeria). Cette discipline et bonne tenue est particulièrement spectaculaire sur les routes. Les usagers sont plus respectueux des règles, en général, que les francophones. Il faut reconnaitre que les Anglais ont mieux développé leurs colonies que les Français; cela se voit même en Afrique occidentale : j’ai visité le Ghana, d’un meilleur niveau que ses voisins francophones. 

Arrêt au bord de la route pour pique-niquer. Une grande termitière en face. Les termitières, en activité ou abandonnées, sont une caractéristique de l’Afrique. Dans la savane, il y en a partout. Ce sont des monticules de terre aux formes diverses, en général des cônes, qui peuvent atteindre plusieurs mètres de haut.

Le Botswana

Après la petite localité de Ngoma, on passe la frontière avec le Botswana. Ce pays ressemble un peu à la Namibie, avec un niveau de vie comparable. Lui aussi a moins de 2 millions d’habitants pour près d’1 million de kilomètres carré. Il est aussi riche en diamants. Le Botswana est l’un des rares pays africains à avoir eu une existence démocratique depuis l’indépendance, acquise dans les années 1960. Aujourd’hui, en plus des mines, ce pays vit du tourisme, sud-africain essentiellement, mais aussi d’ailleurs. Il y a plusieurs grands parcs nationaux. La nature sauvage est particulièrement belle dans le delta intérieur de l’Okavango. Il s’agit d’un fleuve qui se perd dans les sables du Kalahari. Vers la fin, ses bras alimentent des marécages où se concentre une faune très riche. Mais, c’est un peu difficile d’accès. Nicolas Hulot et Ushuaia y ont fait de beaux reportages.  

Comme pour la Namibie, le visa n’est pas nécessaire. Il y a en revanche une taxe de 160R (16€) à payer pour la voiture mais, comme c’est l’heure du déjeuner et que le préposé à cette taxe est allé se sustenter, le policier me laisse passer sans la payer. C’est pas fini. Il y a encore  un contrôle sanitaire, du type de ceux qui avaient été installés en Europe et ailleurs du temps de la grippe aviaire. Il faut descendre de voiture pour s’essuyer les pieds, passer sur un gué et ouvrir le coffre pour vérifier qu’on ne transporte aucun produit alimentaire. Curieux et anachronique. Mais sur ce continent (et sur les autres aussi), plus rien ne m’étonne en matière de règles absurdes et de bureaucratie hors du réel. 

Une petite rivière fait frontière. Des buffles et des zébus sont sur les bords de la rivière et dans les marécages qui la bordent. Près du poste-frontière, il y a aussi des singes qui semblent souhaiter la bienvenue au Botswana à l’ombre d’un baobab. 

Quelques kilomètres après la frontière, on traverse le parc national de Chobe, l’une des grandes réserves animales du pays. Belle route d’une soixantaine de kilomètres à travers la savane arborée. Nombreuses traces d’éléphants : bouses, troncs d’arbres lacérés. Arrêt pour observer une éléphante avec son petit à côté d’elle. Elle n’est pas effrayée. Magnifique. Quelques antilopes et gazelles. Beaux paysages.

Retour au Zimbabwe

Après cette petite incursion botswanaise, nouvelle frontière, la troisième de la journée. Cette fois, c’est pour revenir au Zimbabwe, quitté ce matin. Pas de visa à prendre, je l’ai déjà. Mais une taxe de 10$ à payer. La voiture est pourtant immatriculée au Zimbabwe, mais il faut quand même payer. Ne pas chercher à comprendre.

Traversée de la petite localité de Kazungula. Ensuite, route à travers le parc national du Zambèze sur près de 100 km. C’est la fin de l’après-midi, en principe l’heure la plus favorable pour voir les animaux, mais, là, aucun. Un parc national, c’est grand et c’est toujours imprévisible. Les animaux ne sont pas nécessairement là où on les attend. Ils bougent beaucoup. Ils sont libres. Tant mieux pour eux.

Toute la journée, le ciel a été couvert. Excellent. C’est plus confortable pour supporter les 35 ou 36°. Le soleil sort un peu. Retour à Victoria Falls vers 18 heures. Essence 1,50$ le litre, pizza 9$. On se demande comment les Zimbabwéens ordinaires peuvent vivre ! Comme les plus riches sont concentrés dans la capitale, on comprend que les routes soient dégagées. Il est vrai qu’aujourd’hui, quel que soit le pays, le trafic a été particulièrement fluide. C’est agréable de voyager quand la route vous appartient !  Route dans l’ensemble excellente. On peut tenir de bonnes moyennes, au moins sur les chaussées. Ce sont les postes-frontières qui la font baisser. Mais, pour aujourd’hui, peu importe, j’avais du temps et pas trop de kilomètres (450) à faire. 

Les chutes Victoria

(le troisième jour). Matinée au Parc National des chutes Victoria. Entrée 30$ valable pour une seule entrée. Les chutes Victoria, c’est un must dans un voyage en Afrique australe. Le site est le suivant : une grande faille pas très large mais longue de 1 600 mètres. En face, c'est-à-dire du côté zambien, le Zambèze s’élargit sur le rebord du plateau et se précipite dans la faille en une multitude de cascades. Cette cataracte est la plus longue du monde, davantage encore que les chutes d’Iguaçu, à la frontière entre le Brésil et l’Argentine, qui se présente un peu selon le même principe : l’eau s’y précipite dans la faille.

L’eau du Zambèze tombe de 108 mètres. A la saison des pluies, il y a tellement d’eau que l’ensemble de la chute est enrobée dans une sorte de brouillard avec un arc en ciel permanent. Nous sommes maintenant en saison sèche, plus précisément à la fin de la saison sèche, donc au niveau minimum. Il y a moins d’eau qu’à la saison des pluies et c’est donc probablement moins spectaculaire. Mais c’est peut-être mieux car on peut admirer les cascades sans se faire asperger et sans que la visibilité soit affectée par la vapeur d’eau.

De toute façon, c’est beau et impressionnant. Je mesure toujours la chance que j’ai lorsque je me trouve en face d’un tel spectacle de la nature. C’est tout simplement magnifique. Nous avons la chance d’habiter une belle planète. Espérons qu’on pourra la préserver. Elle a déjà été suffisamment malmenée comme cela. Arrêtons de tout soumettre aux impératifs de l’économie. Assez de cette dictature des marchés. Assez aussi de cette « mondialisation » absurde. Quelle logique y at-t-il d’importer de l’autre bout de la planète ce que l’on peut produire sur place ? D’autant que ce commerce mondial a un double coût, celui de la moins-disance sociale et celui de la pollution due aux transports. La nature est fragile, arrêtons de la maltraiter ! L’homme est fragile aussi, cessons de tirer sur la corde ! Quand je dis « cessons », je veux dire « cessez », vous les capitalistes qui voulez vous empiffrer de profits et vous les gouvernements complices. Je refuse d’être culpabilisé. Leur mondialisation et leur capitalisme, ce n’est pas mon choix, je n’en veux pas !      

Promenade le long de la faille du Zambèze en face des chutes le long d’un chemin aménagé. Les divers points d’observation portent des noms pittoresques comme souvent en pareil endroit : « cataracte du diable », « cataracte du fer à cheval », etc. Sur le chemin, de nombreux singes. Souvent des mères qui portent leur petit accroché sous leur ventre. Aujourd’hui, le soleil est sorti. Forte chaleur, probablement entre 36 et 38°.

Dans l’après-midi, le temps se couvre et une forte pluie avec tonnerres et éclairs tombe. La première de la saison humide. Dans le jardin de l’hôtel, toute une colonie de singes se promène. En fin d’après-midi, sur la route de l’hôtel au centre-ville, un troupeau d’éléphants traverse la route. Ils sont magnifiques, très grands. La vue des voitures ne les émeut pas outre mesure. On voit qu’ils ont l’habitude. Là où les éléphants passent, on le remarque tout de suite : énormes crottes, mais aussi arbres et branches cassés. Sur la route qui longe le parc national à proximité immédiate des chutes (cette route prend sur la gauche juste avant la frontière), belle végétation. Vue d’aigrettes et de babouins. Un vieux baobab (le « big tree ») a 23 m de haut et 18 m de circonférence. Il est vieux de 1500 ans. Magnifique. 

Le lendemain, dernier jour de ce rapide mais intéressant séjour zambézien, promenade le long du Zambèze en amont des chutes. Petit parc naturel (30$, bien qu’il n’y ait aucun aménagement : dans ce genre de pays, les étrangers sont des vaches à lait). Grosse chaleur (37 à 38°). Mauvaise piste sur 20 km avant de rebrousser chemin. Peu d’animaux si ce n’est quelques phacochères, des singes, des antilopes et des hippopotames qui se prélassent dans le fleuve. Belle savane arborée. Zone très sèche avec quelques parties un peu plus humide. Belles vues sur le fleuve.

Il ne reste plus qu’aller reprendre l’avion. Bye bye Zambèze.

Sur les Chutes Victoria, une plaque contient la citation d’un sage indien, Sri Chinmoy, « ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco » : « Don’t stop dreaming. One day, your world-peace-dream will inundate the entire world!» (ne vous arrêtez-pas de rêver. Un jour, votre rêve de paix pour le monde inondera le monde entier).

Dans la beauté de l’immense savane, là où probablement l’Humanité est née, faisons nôtre cette affirmation. Même si le rêve ne devient pas toujours réalité, il faut savoir rêver à un monde meilleur. Ceux qui en sont incapables sont des moutons résignés. Ce n’est pas encore mon cas./.

Yves Barelli, 13 août 2018

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13 août 2018 1 13 /08 /août /2018 21:31

 

[Ayant habité en République dominicaine (en tant que diplomate) il y a quelques années, j’ai sillonné l’île dans tous les sens, y compris des pistes difficiles de montagne. Ci-après, la description de l’une d’elles]

A San Cristobal (30 km à l’ouest de Saint Domingue, la capitale), je prends de l’essence, ce qui me permet de me renseigner comment prendre la route des Cacaos, car je ne trouve pas tout de suite. Une première tentative me conduit sans succès sur un « barrio » populaire d’ailleurs pittoresque avec ses maisons basses peintes de diverses couleurs où le bleu domine et ses gens presque tous dehors en cette fin de semaine, en train d’écouter de la musique ou de jouer aux dominos.

 

Une fois renseigné, je sors de cette petite capitale provinciale, comme pour aller à Bani, autre petit chef-lieu de province sur la route du sud-ouest de la république. A l’intersection avec la voie rapide directe de Saint Domingue, une indication « Cambita » montre la petite route que je cherche.

 

Cambita est une petite municipalité (en RD, comme dans beaucoup de pays, seules les localités d’une certaine importante ont le titre de ville avec une municipalité élue, les autres, plus petites, relevant directement de la province. On trouve une organisation analogue aux Etats-Unis, mais aussi, par exemple, en Pologne) à moins de dix km de San Cristobal.

 

Ensuite, la route, assez étroite mais revêtue, est très tranquille avec un trafic insignifiant. Je ne regrette pas de l’emprunter car il y a une très belle végétation de part et d’autre avec toutes sortes de cultures tropicales que je commence à savoir reconnaître.

 

Des cacaos par exemple : ce sont des arbres de plusieurs mètres de haut avec des fruits verts ou marrons, selon qu’ils sont plus ou moins murs, d’une bonne dizaine de centimètres de long sur la moitié de large ; ces fruits contiennent les graines qui donnent le cacao dont on fait, comme chacun sait, le chocolat. C’est un fruit d’origine centre-américaine que l’on a acclimaté ensuite sur d’autres continents : les Aztèques connaissaient déjà le chocolat. Je vois aussi des avocatiers, presque aussi hauts que les cacaos et puis bien sûr, mais il est presque superflu de la mentionner tant on en voit partout, des bananiers. Même si ce dernier « arbre », ou plutôt plante, est commun dans tous les pays tropicaux, je ne m’en lasse pas. Je trouve qu’il anime bien les paysages en lui donnant un caractère exotique affirmé.

 

A côté des arbres fruitiers, il y a aussi pas mal d’arbres que l’on peut appeler « décoratifs » parce qu’ils donnent des fleurs. Certains en portent présentement. Je reconnais la « fleur du Pérou », qui est rose, et cette fleur nationale de la république dominicaine, appelée localement « callena » qui donne des fleurs roses également qui se présentent sous forme d’épis de cinq à dix centimètres de long sur quelques centimètres de large. Il y a aussi des flamboyants. Quand il est en fleur, c’est un arbre magnifique qui littéralement flamboie en une gigantesque auréole de cinq mètres ou plus de diamètre avec des centaines de fleurs dont on peut faire des guirlandes. La campagne couverte de flamboyants en fleurs change complètement le paysage. La floraison commence en général en mars et se poursuit jusqu’en juin. Quelques-uns peuvent être un peu en avance avec quelques fleurs isolées qui font office de précurseurs. J’en ai vu quelques-unes aujourd’hui, mais peu.

Quand le flamboyant n’est pas en fleur, on le reconnait à ses petites feuilles vertes disposées par groupes sur l’ensemble de l’arbre. Elles ressemblent un peu aux feuilles du frêne, arbre commun des pays tempérés. Ses fruits, petits et effilés inclinés vers le bas, aussi.

Autres arbres ou arbustes intéressants : l’acajou et le « raisin de plage ».

L’acajou est un assez grand arbre, mais pas un géant. Son tronc, habituellement, ne fait pas plus de cinquante centimètres de diamètre et il ne dépasse pas dix mètres de haut. Il ne paye donc pas trop de mine. Mais la «caoba », comme on dit en espagnol, est l’un des arbres les plus nobles qui soient car son bois est d’une incomparable qualité pour faire des meubles.

Le « raisin de plage » (uva de playa) est bien plus petit. C’est en fait un petit arbuste d’un à deux mètres de haut avec un tout petit tronc et des branches encore plus fines qui a des feuilles presque rondes d’une dizaine de centimètres de diamètre. Cet arbre porte des petits fruits qui ont la forme de grappes de raisins, d’où le nom. Ils sont comestibles, mais ne sont pas aussi bons que les véritables raisins de vigne. Il y en a souvent au bord des plages (par exemple à Juan Dolio, où je vais souvent), mais on peut en trouver également ailleurs.

Quelques kilomètres après Cambita, encore dans la plaine, la route se met à monter brusquement à l’assaut de la montagne. Nous sommes ici dans les derniers contreforts de la cordillère centrale, la plus haute, la plus longue et la plus massive de l’île. C’est cette montagne qui porte le pic Duarte, le plus haut des Caraïbes, qui doit être à une centaine de km à vol d’oiseau du lieu où je me trouve.

Au fur et à mesure que l’on prend de l’altitude, la vue est de plus en plus étendue sur les montagnes. Peu à peu le paysage change, la température aussi. Grâce à mon altimètre, je constate que nous nous élevons dans un premier temps jusqu’à six cent mètres. La température qui était de 30° en plaine, s’abaisse à 25 ou 26°. La végétation se compose toujours de plantations tropicales. S’y ajoutent désormais des pins. En pays tropical, le pin correspond au sapin des pays tempérés : on ne le trouve qu’en montagne. Les pins d’ici sont des pins sylvestres. Leurs troncs sont solides et droits ; ils portent de longues aiguilles vert foncé. Tout le long de la route, il y a sur les bas-côtés de jolies fleurs sauvages rouges et blanches.

La route est relativement bonne ; je ne m’y attendais pas. Tout est relatif : je ne dis pas que nous sommes dans une route du type de celle qui conduit à Courchevel. Ici c’est évidemment plus  étroit, le revêtement est loin d’être parfait, mais c’est mieux que la piste que je m’attendais à trouver.

Cette route, passé un col, redescend sur Los Cacaos. Elle devient un peu plus rudimentaire avec quelques passages non revêtus. On commence à avoir une impression de bout de monde.

Los Cacaos est un village typique avec ses maisons colorées basses et son animation du week-end : gens attablés devant les « colmados » (épiceries-bistrots) et leurs sonos au maximum qui diffusent du merengué. Beaucoup de gens qui se promènent. Des cavaliers, y compris des enfants, montent ces chevaux fougueux que l’on voit aux quatre coins de la république. Il n’y a aucune voiture. J’ai l’impression que je suis le seul automobiliste à des lieues à la ronde. Mais, apparemment, ça n’étonne personne.

Los Cacaos sont, sur ma carte, un cul de sac au fond de ce que je croyais être une vallée, en fait dans la montagne. Je constate sur ma carte que cette localité n’est pas loin de San José de Ocoa, peut-être vingt à trente kilomètres. De ce minuscule chef-lieu de petite province, une route permet de rentrer à Saint Domingue, en contournant la montagne.

Je demande à des gens qui conversent devant une vieille camionnette à l’arrêt, si délabrée que je me demande si elle est en état de rouler, où mène la piste qui commence au bout du village. Ils m’indiquent qu’elle arrive à un barrage et que là une piste conduit à San José de Ocoa. Ils disent qu’il n’y a pas de raison que je ne puisse pas passer (dans ce pays, on est optimiste même si on n’a aucun élément qui puisse permettre de l’être : en tout cas, on n’est pas contrariant et à une question appelant à répondre oui ou non, c’est toujours le oui qui l’emporte). Je continue donc.

La piste monte fort après le village. Il n’y a plus de revêtement du tout. On grimpe progressivement jusqu’à mille mètres avec parfois quelques descentes suivies de remontées. Ça roule pas mal. Je suis tout seul sur la piste. Je profite au maximum du paysage et de l’air pur. Des montagnes s’alignent presque à l’infini. Je ne croise personne, mais ce n’est pas le désert. Il y a des cultures en altitude : je vois sur les hauteurs, en me demandant comment les paysans peuvent arriver là, des alignements de caféiers et d’orangers.

J’arrive sans difficulté au barrage d’Higuey. il est gigantesque avec une hauteur impressionnante de plusieurs dizaines de mètres. La route traverse sur le barrage, avec le vide d’un côté, le lac de l’autre. Il n’y a rigoureusement personne. A ce moment, il est environ 17 heures. Température extérieure 17 à 18°, altitude environ 1 000 mètres.

Ce barrage est sur la rivière Nizao, qui vient de la « haute » montagne, à proximité de Constanza. Sur la carte, on voit une série de barrages, trois exactement, sur la rivière qui termine sa course dans la mer caraïbe cinquante km plus loin et plus bas à proximité de Palenque. Je suppose que ces barrages fournissent de l’électricité à la capitale.

De l’autre côté de la digue, deux pistes, une à droite, l’autre à gauche. Aucune indication, personne pour m’indiquer. Compte tenu en outre de l’heure un peu tardive, je me demande si je vais continuer ou rebrousser chemin. J’essaie la piste de gauche sur cent mètres. Elle est si mauvaise que je redescends et vois le début de l’autre : encore pire. J’ai quand même l’intuition que c’est la première qui est la bonne. Je me dis que la montée après le barrage est sans doute particulièrement mauvaise et qu’ensuite ça ira mieux. Je me fixe une limite de cinq km pour l’essayer. Si ça reste aussi mauvais, je redescendrai.

Pendant deux à trois km, c’est effectivement très dur. A un moment, je dois m’y prendre à deux fois, tant mes roues patinent sur la poussière et sur les rochers. Quand on est engagé sur de tels tronçons, les demi-tours sont impossibles à moins de repartir en arrière, ce qui est encore plus difficile que de continuer à monter. Je continue donc et me dis qu’en haut de cette côte, je fais demi-tour car c’est trop mauvais et en plus je ne suis même pas sûr d’être sur la bonne piste. En outre, la nuit maintenant ne va pas tarder à tomber, ce qui n’arrange rien.

En haut de cette côte pénible, il y a une sorte de plateau plus facile. Je vois une bourrique attachée à un arbre, puis quelques cultures : je suis tiré d’affaire ; il y a un village pas loin. Cette localité s’appelle « Derrumbao ». C’est vraiment un coin perdu, mais il y a quand même pas mal de maisons. Je m’informe et on me dit que je suis sur la bonne piste pour descendre à San José de Ocoa.

Mais ce n’est pas fini. La piste monte encore jusqu’à 1 300 mètres avant de descendre vers la vallée. En face de moi, loin sur d’autres montagnes, il y a un magnifique coucher de soleil. Le ciel est rouge orangé. L’atmosphère très calme. L’air agréablement frais.

C’est à la nuit que le rejoins San José de Ocoa. Ensuite, cent à cent cinquante km jusqu’à Saint Domingue. Jusqu’au croisement avec la route nationale n° 2 qui relie Saint Domingue à Barahona et à Haïti, la route descend fortement avec beaucoup de virages. Trafic assez fluide, mais pas mal de véhicules non éclairés.

Puis c’est la grande route, que j’ai eu l’occasion de parcourir plusieurs fois. Fort trafic avec des tas d’imbéciles qui ne baissent pas leurs phares. Ce n’est pas vraiment une partie de plaisir. Traversées de Bani, puis route directe sur la capitale dominicaine où j’arrive vers 20h30.  Je n’ai pas mis mon compteur à zéro en partant. J’ai dû faire entre 150 et 200 km. Je ne regrette pas d’avoir choisi cet itinéraire qui ne figure pas sur les guides mais qui, à mon avis, le mériterait./.

Yves Barelli, 8 février 2004, mis en ligne le 13 août 2018 

 

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