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30 octobre 2014 4 30 /10 /octobre /2014 14:59

La coalition laïque a remporté les élections législatives tunisiennes du 26 octobre. Il faut s’en réjouir.

1/ La coalition « Nidaa Tunes », formée de membres de partis de gauche, d’autres formations laïques, de proches du syndicat UGTT, de membres de la société civile et d’anciens partisans du président Ben Ali, renversé en 2011 par ce qui fut la première révolution des « printemps arabes » (qui ont souvent tourné à l’hiver islamiste), a remporté 85 sièges au parlement tunisien contre 69 au parti islamiste Ennahda, qui avait été porté au pouvoir par les premières élections pluralistes de l’après-Ben Ali.

La participation, de 62%, a été en forte baisse par rapport au scrutin précédent (un million de votants en moins).

Le scrutin a été jugé honnête par les observateurs étrangers. Le parti Ennahda a reconnu sa défaite.

Ce bon fonctionnement de la démocratie tunisienne est suffisamment rare en Afrique et dans le monde arabe pour devoir être souligné, d’autant que la vie politique du pays n’a pas été un fleuve tranquille depuis trois ans, avec, en particulier, de nombreux crimes de personnalités laïques perpétrés par les salafistes (islamistes radicaux violents).

2/ Le chef de la coalition laïque, M. Essebsi, vétéran de la politique tunisienne (il fut ministre de Ben Ali), 87 ans, est bien placé pour emporter l’élection présidentielle, prévue pour le 28 novembre.

3/ On attribue la défaite islamiste à la mauvaise situation économique (notamment le tourisme, du fait de la montée de l’insécurité et de l’intolérance vis-à-vis du mode de vie occidental), à la prétention des islamistes au pouvoir d’imposer leur conception bornée de la société à ceux qui ne la partagent pas (tentative, avortée, d’introduire la « charia » dans la constitution et la justice) et à leur faiblesse face à la subversion de l’islamisme radical (exactions anti-laïques peu réprimées, incapacité à réduire les maquis islamistes dans l’ouest du pays).

4/ On ne peut que se réjouir du sursaut des forces laïques de Tunisie. Les laïques qui ont participé à la Révolution de 2011 ont compris que l’ennemi principal n’était pas l’ancien régime, mais l’obscurantisme religieux. Le régime de Ben Ali n’était évidemment pas exempt de reproches (manque de liberté politique ou de l’information, corruption et accaparement des richesses du pays par le clan Ben Ali), mais que, en revanche, pouvaient être mis à son actif la croissance économique et la protection des Tunisiens, notamment les femmes, vis-à-vis de l’obscurantisme religieux.

Le relatif haut degré d’éducation (le meilleur d’Afrique et du monde arabe) de la population est à mettre à l’actif de la Tunisie et explique la réticence de la plupart des Tunisiens à accepter des conceptions de la vie issues du moyen-âge et des régimes les plus rétrogrades du Moyen Orient. Cette situation appréciable est l’œuvre continue des dirigeants de ce pays depuis l’indépendance obtenue en 1955 : Bourguiba d’abord, Ben Ali ensuite. La Tunisie s’est dotée, en complément à son haut niveau d’éducation, des lois les plus progressistes du monde arabe en ce qui concerne le droit de la famille et la situation des femmes qui disposent des mêmes droits législatifs que les hommes (c’est notamment ce statut que voulait remettre en cause le parti Ennahda qui a perdu le pouvoir).

5/ Le vote islamiste après 2011 doit être vu non comme une adhésion des Tunisiens mais comme une réaction aux dérives de l’ancien régime.

Les Tunisiens semblent être revenus à un comportement plus sain et davantage en rapport avec leur histoire, tant ancienne (traditions berbères préislamiques, conception traditionnellement tolérante de l’islam maghrébin, fondé notamment sur le rite malékite, aux antipodes du wahhabisme saoudien) que moderne (depuis l’indépendance).

6/ Rien n’est évidemment définitivement acquis. S’il y a beaucoup de laïques en Tunisie, il y reste encore beaucoup d’islamistes. La pérennité de la Tunisie laïque dépendra en très grande partie de la capacité du nouveau pouvoir à rétablir la confiance des investisseurs et des touristes, mais aussi à donner aux Tunisiens une véritable identité fondée sur la démocratie et la modernité. Elle dépendra aussi de l’attitude du monde occidental et en particulier de la France vis-à-vis de ce petit et fragile pays.

A cet égard, on ne peut être malheureusement que modérément optimiste. L’Europe et la France sont en crise et il ne faudra pas attendre beaucoup de générosité ni de solidarité envers notre voisin d’outre-Méditerranée. La Tunisie est endettée et on peut craindre que les institutions financières internationales, sans imagination, ne lui fassent pas de cadeaux et lui demandent des « réformes », concept le plus souvent synonyme de davantage d’inégalités et de sacrifices mal répartis.

La situation politique et économique de la Tunisie est en outre aggravée par son environnement international. Le chaos libyen engendré par la criminelle et inconsidérée (criminelle, surtout du fait qu’elle était inconsidérée) intervention occidentale (dont Sarkozy, avec le soutien de Hollande, et quelques irresponsables, tels Bernard Henri Lévy, ont été les acteurs principaux) se répercute sur la Tunisie (et aussi sur l’Algérie et les pays du Sahel) avec un afflux de réfugiés, mais aussi de terroristes.

7/ Pourtant, le sort de la France et de l’Europe se jouent en grande partie aujourd’hui au Maghreb.

Les trois pays maghrébins apparaissent presque comme des havres de paix, de tranquillité et de tolérance (tout est relatif !) comparés au Moyen Orient en proie à la guerre civile et à l’obscurantisme barbare djihadiste attisé par la volonté des régimes wahhabites les plus obscurantistes (Arabie Saoudite et Qatar), la complicité des islamistes soit disant « modérés » au pouvoir, notamment en Turquie et par l’erreur (et même la faute) historique des Occidentaux qui ont systématiquement combattu depuis plus d’un demi-siècle les régimes laïques avec la complicité des monarchies obscurantistes du Golfe, et qui continuent de le faire (notamment en Syrie).

Les régimes algérien et marocain ne sont pourtant pas sans reproche, pas davantage que ceux de la Syrie ou d’Iran, mais il est aujourd’hui nécessaire de s’appuyer sur tous ceux qui combattent l’islamisme, dans le monde arabo-musulman et ailleurs (la Russie notamment).  

8/ L’heure est en effet venue pour l’Occident de faire une évaluation globale de la situation et des menaces qui pèsent.

Face à ces menaces, des alliances doivent être constituées.

Or, quelle est la menace ? L’islamisme ! Je dis bien « islamisme » et non « islam ». Je dis bien aussi « islamisme » tout court, et non « islamisme radical ».

L’islam est une religion. Tout le monde est libre de professer la religion de son choix ou de n’en professer aucune et toute religion est respectable dans la mesure où ses dogmes et ses pratiques ne sont pas en contradiction avec les valeurs universelles.

L’islamisme n’est pas une religion mais une idéologie politique totalitaire qui consiste à imposer l’islam, du moins l’idée que s’en font ceux qui professent cette idéologie, à l’ensemble d’une société, l’ensemble d’une nation et, même, pour les plus radicaux, l’ensemble du monde.

Cette idéologie est contraire aux principes de Liberté, de tolérance et de laïcité. Ces principes ne sont pas seulement ceux de la République française. Ils sont ceux du monde civilisé et ils figurent dans les traités, pactes et conventions adoptés par l’ONU depuis 1948.

Il y a donc un devoir à combattre cette idéologie dangereuse, pas seulement chez nous, mais partout dans le monde car cette idéologie viole les grands principes internationaux : liberté de religion, de culte et de pensée, égalité entre hommes et femmes, interdiction des châtiments inhumains ou dégradants, etc.

Dans ce contexte, il y a lieu de bannir cette idéologie et de combattre tous ceux qui s’en réclament. Pas plus que le nazisme, le racisme ou l’antisémitisme, l’islamisme n’a sa place dans le monde civilisé.

Ce n’est donc pas seulement l’ « islamisme radical » (pléonasme car l’islamisme, par nature, est radical et radicalement mauvais) mais toutes les formes de cette idéologie perverse qui doivent être combattues, y compris le soit disant islamisme « modéré ». A fortiori, l’islamisme wahhabite, forme particulièrement obscurantiste d’islamisme, au pouvoir en Arabie saoudite, au Qatar et dans quelques autres monarchies du Golfe, doit être également éradiqué. Quant aux pays gouvernés par des partis islamistes, tels la Turquie, mais qui n’ont pas, ou pas encore, imposés la charia, il faut les mettre en demeure de préciser leur position et de s’engager à se conformer aux principes internationaux civilisés.

9/ Dans ce cadre, il y a lieu de mener une véritable guerre contre l’ « Etat Islamique en Irak et au Levant », c’est-à-dire intervenir avec des troupes au sol et ne pas s’en tenir à des frappes aériennes qui s’avèrent insuffisantes. Ceci doit être fait avec ou sans appui des pays de la région. Rechercher dans cette optique le soutien des pays où l’islamisme est au pouvoir est illusoire et même contreproductif. L’attitude, par exemple, de la Turquie est à cet égard édifiante.

Dans les pays du Moyen Orient, mais plus encore au Maghreb, qui n’a ni la même sociologie ni les mêmes traditions, il s’agit de s’appuyer sur les forces laïques et de les conforter. Ces forces sont nombreuses, les élections en Tunisie viennent de le montrer. Mais elles sont aussi fragiles car le manque de perspectives, la perte d’identité ou la fermeture de l’Europe y sont les meilleurs alliés des obscurantistes.  

La situation du Maghreb doit nous interpeler nous Français au premier chef à la fois parce que cette région est en contact étroit avec nous mais aussi parce qu’une partie importante de nos compatriotes en est issue. L’affrontement entre islamistes et laïques traverse les sociétés maghrébines, il traverse aussi la France. Toute faiblesse vis-à-vis de l’islamisme en France, toute concession quant à la laïcité, est un coup porté à ceux qui là-bas ne veulent pas tomber sous sa dictature. C’est aussi du suicide pour notre pays car l’islamisme est en train de saper notre tissu social. Le problème n’est pas seulement celui du terrorisme, il est grave, mais il est, aussi et surtout, le danger de voir l’idéologie islamiste gangréner une partie de nos compatriotes.

Cette question devrait être l’une des priorités de la France dans les mois et les années à venir. Il faut lui consacrer un véritable débat national sans avoir peur de « stigmatiser » tel ou tel groupe de nos compatriotes.

A subversion globale de l’islamisme, il faut une réponse globale. Le combat doit être mené avec la même vision et la même détermination à Ryad, à Kobané, à Tunis ou à Aubervilliers.

 Tout se tient.

 

Yves Barelli, 30 octobre 2014   

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8 août 2014 5 08 /08 /août /2014 18:16

Ce qui se passe en Irak dépasse l’entendement. L’obscurantisme le plus anachronique et la cruauté la plus barbare sont à l’œuvre dans le nord de l’Irak du fait des agissements du soit disant « Etat Islamique d’Irak et du Levant ». Les minorités chrétiennes en sont victimes. Mais pas seulement elles.

1/ Le fanatisme paranoïaque de l’islamisme sunnite prétend imposer une « charia » folle à des millions de gens qui n’en veulent pas (parmi eux, une majorité de musulmans). Par une lecture bornée des textes sacrés de l’islam, les dirigeants du « califat » interdisent tout ce qui, à leurs yeux, serait « haram », c’est-à-dire illicite : alcool, mais aussi images, cinéma, tabac, visages découverts de femmes. Les statues sont détruises, les mosquées qui ne cadrent pas avec leur vision folle de la religion le sont également.

Non seulement cela s’applique aux musulmans sunnites, mais aussi à tous les autres, forcés à la conversion ou à l’exode. Cela touche les chrétiens, pourtant présents dans la région depuis l’époque du Christ, soit sept siècles avant l’islamisation. Cela touche aussi les chiites et les minorités religieuses issues du chiisme.

Quant aux combattants qui s’opposent à l’avancée du califat, troupes gouvernementales ou peshmergas kurdes, la cruauté la plus barbare est appliquée : les islamistes ne font pas de prisonniers ; ils exécutent sommairement tous ceux qui tombent entre leurs mains.

Le sort des minorités chrétiennes est particulièrement dramatique. Des milliers de personnes ont dû fuir en abandonnant tout. Certains errent dans le désert, condamnés à mourir de faim et de soif.

Cette situation dramatique appelle une action immédiate de secours humanitaire. La communauté internationale semble enfin prendre la mesure du problème. Des parachutages de vivres vont enfin avoir lieu.

Mais au-delà, il faut s’interroger sur les responsabilités et, surtout, en tirer les leçons pour agir, et pas seulement sur le plan humanitaire.

2/ La situation en Irak est la conséquence directe de l’intervention irresponsable des Américains en 2003 (voir mon article du 20 juin : « que se passe-t-il en Irak ? »). Bush prétendait se débarrasser d’un dictateur, il en a suscité des dizaines. Il a prétendu « restaurer » la démocratie, il a créé le chaos. Non seulement, le sort des Irakiens ne s’est pas amélioré, mais il a fortement empiré. Sur le plan du niveau de vie, mais aussi sur celui de l’insécurité. Les clans s’affrontent à l’arme lourde et les voitures piégées font partie du paysage quotidien. Le pays est éclaté. Le soit disant gouvernement de Bagdad, asphyxié par la corruption et les querelles, ne contrôle presque plus rien dans le pays.

Saddam Hussein était certes un dictateur sanguinaire, mais le nombre de ses victimes était bien moindre que dans l’Irak soit disant démocratique. Au moins, sous Saddam, ka stabilité permettait une vie normale et les minorités, y compris chrétiennes, étaient protégées sous un régime à dominante laïque.     

3/ La conquête d’une grande partie du territoire irakien par les milices islamistes s’est faite à partir de la Syrie. Ces milices sont armées par les monarchies du Golfe, Qatar en premier lieu, mais aussi, indirectement par les Occidentaux qui, par un aveuglement ahurissant, sont partis en « croisade » contre le régime laïque de Bachar Al Assad.

Les yeux commencent enfin à s’ouvrir sur la Syrie. Désormais, de plus en plus d’ « observateurs » ont compris que le pouvoir islamiste, qui dans les zones qu’il contrôle, procède aux mêmes crimes de guerre qu’en Irak, est bien pire que celui de Bachar.

Mais le mal est fait. La Syrie est détruite, deux cent mille morts, des millions de déplacés. Fort heureusement, Bachar est en train de gagner. Mais la responsabilité des pousse-au-crimes occidentaux est écrasante. Hollande s’est malheureusement mis en première ligne. Si Obama n’avait pas renoncé au dernier moment aux « frappes » aériennes contre la Syrie, la France aurait envoyé ses avions. Le président français, tel l’arroseur arrosé, voit maintenant le résultat de son aveuglement : des centaines de « djihaddistes », encouragés par les cris de haines de Bernard Henri Lévy, ce soit disant philosophe toujours en première ligne quand il s’agit de souffler sur les braises (en Libye, en Syrie, comme en Ukraine), reviennent maintenant en France où ils veulent continuer leur « guerre sainte ».

4/ Il y a hélas une grande continuité dans l’aveuglement occidental. Depuis la seconde guerre mondiale, pour ne pas remonter plus loin dans le temps, les pays occidentaux ont systématiquement combattu tous les régimes laïques qui ont tenté de libérer les peuples du Moyen Orient de l’oppression obscurantiste. Ce fut Mossadegh en Iran, Nasser ensuite en Egypte (avec la scandaleuses expédition de Suez des Anglais et des Français, de concert avec Israël), plus récemment les agressions contre l’Irak de Saddam Hussein (2003) et contre la Libye de Kadhafi (2011, encore une opération d’initiative franco-anglaise). Aujourd’hui, enfin, les actions hostiles contre la Syrie.

Je ne dis pas que ces régimes laïques étaient, ou sont, l’idéal. Mais comparés aux régimes wahhabites de l’Arabie Saoudite, du Qatar et des autres monarchies du Golfe, il n’y a pas photo. D’un côté, l’éducation et la santé pour tous, les femmes dans la vie publique et professionnelle, de l’autre, des sociétés théocratiques médiévales où les femmes sont infériorisées et où le « crime » d’apostasie est passible de la peine de mort.

5/ Non seulement il est navrant et scandaleux que les peuples soient confinés dans l’obscurantisme et l’archaïsme médiéval par la faute des Occidentaux, mais, pis, on a laissé ces régimes exporter leur barbarie.

Aujourd’hui, les monarchies du Golfe arment et financent la subversion islamiste dans le monde entier, y compris, indirectement, en Europe et en Amérique. C’est l’image de l’arroseur arrosé évoquée plus haut. N’oublions pas que Ben Laden a été une création des Etats-Unis lorsqu’ils l’ont « inventé » en Afghanistan pour faire la guerre sainte contre le régime laïque mis en place par les Soviétiques.

Quant à la France, l’action insensée de Sarkozy en Libye, soutenue par Hollande, a permis de créer la base arrière du terrorisme islamiste qui sévit au Sahel et au Nigeria. La déstabilisation de la Libye a en effet entrainé celle du Mali, où nos troupes ont du intervenir. Conséquence « collatérale » annexe, en supprimant le régime de Kadhadi, on a fait sauter le verrou qui permettait de contrôler l’immigration en Méditerranée.

6/ Les fous qui sévissent dans le nord de l’Irak ne sont pas un phénomène isolé. Partout, les mêmes causes produisent les mêmes effets. L’islamisme fanatique (on pourrait dire la même chose de tout fanatisme religieux) est une idéologie qui engendre les mêmes crimes. Ceux de Mossoul sont exactement les mêmes que ceux des Talibans en Afghanistan, que ceux des  djihaddistes dans le nord du Mali, que ceux de Boko Haram au Nigeria ou que ceux d’un Merah en France : leur folie meurtrière fait de ces hommes des loups aveuglés par leurs théories fumeuses. Le fanatisme n’a pas de frontières et il est récurrent dans le temps. On ne compose pas avec lui. On le combat.       

7/ Il faut mettre un terme immédiatement à toutes les actions irréfléchies de l’OTAN. Cela vaut pour le Moyen Orient. Cela vaut aussi pour les Balkans (où on a livré le Kosovo aux mafias albanaises) et pour l’Ukraine (livrée à un régime au sein duquel les anciens nazis ont la part belle). Dans ce contexte, il est heureux que la Russie, affaiblie pendant deux décennies, relève la tête et s’oppose à l’impérialisme de l’OTAN (grâce à Poutine, le régime syrien est sauvé).

8/ Comprendra-t-on enfin que la Russie et ses amis syrien et iranien ne sont pas les ennemis majeurs de l’Occident ? Je ne dis pas que le régime des mollahs m’agrée, mais entre deux maux, il faut choisir le moindre. Pour le moment, le danger, c’est le fondamentalisme islamiste sunnite, pas le chiite, et encore moins les régimes laïques.

Si on veut éviter une déferlante terroriste islamiste en France et ailleurs en Europe, il faut rapidement réexaminer nos alliances. Il faut aussi se demander où est le cœur du problème, quel est le cerveau et le moteur de la subversion islamiste. La réponse est claire : le centre de cette subversion ses trouve à Ryad et à Doha, dans ces pays qui ont érigé le wahhabisme rétrograde en modèle et qui financent partout, et sous toutes les formes (fournitures d’armes et de matériel, télévisions qui inondent par paraboles interposées, nos cités, action « charitables » un peu partout, y compris dans nos banlieues).

Le sort des chrétiens d’Orient doit évidemment nous interpeler. Pas seulement ceux d’Irak. Les chrétiens du Liban et d’Egypte sont menacés aussi. Il faut agit vite. Il y a une extrême urgence. Une intervention militaire, pour une fois, serait justifiée.

Mais au-delà, il faut changer la stratégie occidentale au Moyen Orient. En s’attaquant à l’islamisme, en étant intransigeant en France sur la défense de la laïcité. Mais aussi, en obligeant Israël (que le soutien américain, mais aussi la complicité de Hollande, a assuré, jusqu’à présent de l’impunité) a reconnaitre l’Etat palestinien et à évacuer les territoires occupés.

Ce n’est que par une attitude juste et avec une vision à long terme qu’on redonnera l’espoir aux peuples en leur montrant que nous sommes capables d’offrir une réelle alternative aux élucubrations d’un autre âge des fous criminels qui agissent en Irak, en Syrie, mais aussi dans nos banlieues.

 

Yves Barelli, 8 août 2014

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9 juillet 2014 3 09 /07 /juillet /2014 21:55

Une fois de plus le ton monte et la violence redouble entre Israël et la Palestine arabe. Comme en de multiples occasions, le gouvernement israélien saisit le prétexte de violences à l’encontre de ses citoyens pour déclencher des actions de représailles disproportionnées.

 

Ce dernier épisode d’un conflit et d’une occupation qui durent depuis 1967 a commencé par l’enlèvement et l’assassinat le mois dernier de trois jeunes « colons » (habitants de colonies israéliennes illégales de peuplement en territoire palestinien occupé) israéliens.

 

Avant même d’avoir la moindre certitude sur les auteurs du crime et ses circonstances, le gouvernement israélien en a fait porter la responsabilité sur le mouvement Hamas, l’une des deux principales composantes des autorités palestiniennes (l’autre étant le « Fatah » de Mahmoud Abbas, président palestinien), implanté en Cisjordanie, mais plus encore dans la bande de Gaza qu’il administre. Pendant plusieurs jours, la ville de Hébron a été « bouclée » et plus de 400 dirigeants palestiniens ont été arrêtés. Plusieurs morts ont été déplorés dans les affrontements avec les troupes d’occupation.

 

Les obsèques des jeunes colons ont donné lieu à des débordements d’hystérie anti-palestinienne. En représailles, un groupe d’extrémistes a enlevé un jeune palestinien et l’a brûlé vif à mort. Cela a entraîné des protestations et des émeutes, laissant craindre une nouvelle « intifada » (insurrection généralisée).

 

Visant toujours le Hamas, l’armée israélienne a détruit des bâtiments administratifs à Gaza et des habitations de membres supposés du mouvement. Ces bombardements ou raids aériens, comme toujours, ont fait de nombreuses victimes collatérales parmi la population civile (au moins trente morts ces trois derniers jours).

 

En réaction à ces actions, le Hamas procède depuis deux jours à des tirs de roquettes sur plusieurs localités israéliennes. Ils n’ont pas encore fait de victimes.

 

On assiste à un remake des combats de 2008-2009 qui avaient vu l’armée israélienne pénétrer dans la bande de Gaza et faire plus de 1 000 morts. Une enquête de l’ONU avait estimé que l’armée israélienne avait commis des crimes de guerre et même des crimes contre l’humanité. Pour conserver un semblant d’équilibre, le rapport de l’ONU avait noté que certaines actions du Hamas pouvaient s’apparenter, aussi, à des crimes de guerre. Mais l’ « équilibre » s’arrêtait là. Côté morts et destructions, quelques morts côté israélien avec des dégâts légers, au minimum 1000 de l’autre avec une grande partie de la ville détruite.

 

A l’heure où sont écrites ces lignes, les tanks israéliens prennent position sur la frontière de Gaza, des milliers de réservistes sont rappelés et les navires israéliens sont encore plus près des côtes de la bande de Gaza (soumise à un blocus naval permanent). On s’attend à ce qu’une invasion du territoire palestinien d’aussi grande envergure que celle de 2008 soit lancée.

 

Voici mes commentaires :

 

1/ Cette nouvelle escalade est hélas classique. On sait comment elle commence, comment elle va se dérouler et comment elle prendra fin, jusqu’à la prochaine fois. C’est toujours la même logique de part et d’autre. Les Israéliens prennent le moindre prétexte pour essayer de « régler leur compte » aux Palestiniens. Ils s’attaquent de préférence au Hamas, mouvement islamiste que les Américains, soutiens inconditionnels d’Israël, ont inscrit sur la liste des « mouvements terroristes ». Par suivisme, l’Union européenne en a fait autant. Le Fatah, qui contrôle l’autorité palestinienne qui administre un pa     tchwork de mini-territoires en Cisjordanie (la Palestine se compose de deux parties séparées : la Cisjordanie, c’est-à-dire au-delà du fleuve Jourdain, et la bande de Gaza, qui ne communique avec l’extérieur que par des tunnels sous sa frontière avec l’Egypte et, de manière parcimonieuse et selon le bon vouloir israélien, par Israël). La bande de Gaza étant considérée comme dangereuse par les Israéliens, ils ont préféré l’évacuer, mais la bombardent souvent et, à l’occasion, y pénètrent, comme ils l’ont fait en 2008 et comme ils s’apprêtent sans doute à le faire à nouveau. Cela ne règlera rien. Le Hamas ne sera pas anéanti et tout recommencera comme avant. Mais « Tsahal » aura fait son « devoir » et nul en Israël ne pourra accuser le gouvernement de faiblesse. C’est le but principal, et dérisoire, de l’opération.    

 

Avec le Hamas, c’est la guerre, entrecoupée de trêves plus ou moins longues. Avec l’autorité palestinienne, qui siège à Ramallah, faute de pouvoir s’installer à Jérusalem-Est, « capitale » théorique de la Palestine, mais annexée illégalement en 1997 par Israël, il y a en principe un dialogue. L’ « autorité palestinienne » est reconnue par Israël (et par les Américains), mais pas l’Etat que les Palestiniens ont proclamé il y a trois ans, Etat reconnu par 124 pays dans le monde, qui siège à l’UNESCO et à l’ONU (en tant qu’Etat observateur).

 

Le soit disant « processus de paix », sous les auspices des Etats-Unis, se traine en longueur. Les Israéliens trouvent toujours un prétexte pour le remettre en cause. On discute, mais, pendant ce temps, le gouvernement israéliens poursuit méthodiquement la judéïsation de Jérusalem-Est (où les Palestiniens sont désormais minoritaires, en dehors de la Vieille Ville) et autorise régulièrement de nouvelles implantations de colonies de peuplement en Cisjordanie occupée (500 000 colons y sont désormais établis, au milieu des 3 millions de Palestiniens, avec leurs propres routes, leurs propres terrains et la protection permanente de l’armée israélienne). Dans le même temps, le mini-territoire en principe administré par l’autorité palestinienne, est en fait étroitement contrôlé par Israël. Les déplacements sont entravés par des check-points où les Palestiniens doivent souvent attendre des heures. En outre, un mur a été édifié par les autorités israéliennes pour séparer les territoires palestiniens d’Israël. Il englobe, côté israélien, des portions importantes de territoires palestiniens, y compris au-delà de ceux illégalement annexés en 1997.               

 

2/ Depuis 1997, Israël viole avec constance les résolutions du Conseil de Sécurité qui lui demandent de se retirer des territoires occupées.

 

Aucune condamnation internationale des agissements israéliens, qu’il s’agisse de l’occupation, des incursions armées, des assassinats ciblés de dirigeants palestiniens, de l’établissement de colonies de peuplement, de la construction du mur et de tous les actes multiformes de représailles ou d’humiliation envers la population palestinienne n’est possible du fait des vétos américains systématiques au Conseil de Sécurité.        

 

3/ Dans ces conditions, que faire ?

 

a/ L’action diplomatique : elle a permis de faire reconnaitre l’Etat palestinien par l’ONU, l’UNESCO et d’autres organisations internationales. 124 Etats l’ont reconnu. Les seuls réticents sont les Occidentaux. Certains d’entre eux ont établi des relations diplomatiques avec la Palestine, mais ils sont peu nombreux. La France et la plupart des pays-membres de l’Union européenne entretiennent des relations suivies avec l’autorité palestinienne par l’intermédiaire de leur consulat général à Jérusalem (la ville de Jérusalem, y compris sa partie ouest, n’a jamais été reconnue comme faisant partie d’Israël – sauf par les Etats-Unis ; en conséquence, les ambassades sont à Tel-Aviv et les consuls généraux à Jérusalem ne sont pas accrédités auprès du gouvernement israélien. Le gouvernement israélien accepte cet état de choses, hors normes diplomatiques ordinaires) ou des délégations palestiniennes dans les capitales européennes (celle de Paris a des relations avec le gouvernement français, mais n’a pas le statut diplomatique). Paris a voté en faveur de l’admission de la Palestine à l’ONU en tant qu’Etat observateur, ce qui équivaut à une reconnaissance implicite de cet Etat, mais il n’y a pas eu de reconnaissance formelle. Pourquoi cette timidité ?       

 

b/ L’action sur le terrain : les marges de manœuvre de l’autorité palestinienne sont très étroites. Le Hamas, non reconnu, par Israël et les Occidentaux (bien qu’il y ait des discussions de fait), n’a pas renoncé à la violence. Lorsqu’il en use, par exemple en lançant des roquettes sur Israël, il sait que des actions de représailles s’en suivent. Il fait le calcul que celles-ci ne font que souder davantage la population palestinienne derrière lui, ce qui lui permet d’accroitre son influence au détriment du Fatah. Les deux mouvements rivaux étaient en conflit ouvert ces dernières années. Ils se sont réconciliés, ce qui a rendu plus nerveux le gouvernement israélien.        

 

4/ Que va-t-il se passer maintenant ?

 

Malheureusement, la même chose que la dernière fois : quelques roquettes de plus sur Israël, des représailles massives de l’armée israélienne qui risquent de faire, à nouveau, plusieurs centaines de victimes, puis, un peu plus tard, une « trêve », peut-être sous les auspices des monarchies du Golfe qui entretiennent de bonnes relations, de fait, tant avec le Hamas qu’Israël. Sur le plan international, comme d’habitude aussi : on va déplorer des morts, on va lancer des appels à la « retenue des parties » au conflit. Il n’y aura aucune condamnation d’Israël puisque les Etats-Unis s’y opposent.

 

Quelques semaines plus tard et, en quelque sorte, quelques dizaines (ou centaines) de morts plus loin, on recommencera comme avant. Jusqu’à la prochaine fois.

 

Tout cela est évidemment désespérant et absurde. Et cela dure depuis plus de cinquante ans (et même bien avant si on remonte à la création d’Israël en 1948)!

 

5/ Quelles sont les responsabilités ?

 

Israël en premier lieu, évidemment. Les Etats-Unis en second puisqu’ils « couvrent » Israël. Les autres Occidentaux en troisième lieu puisqu’ils n’osent pas s’opposer aux Etats-Unis : l’Union européenne entretient des relations étroites avec Israël, y compris, pour certains de ses membres sur le plan militaire, et elle a signé avec Israël un accord avantageux d’association.

 

L’attitude des pays arabes n’est pas exempte de critiques non plus. Les Arabes ont fait des guerres avec Israël, mais depuis 1973, c’est chacun pour soi. En 1948, au lieu de favoriser la création d’un Etat sur ce qui restait de Palestine, ils se sont empressés, chacun de son côté, d’annexer les territoires israéliens, la Cisjordanie par la Jordanie et Gaza par l’Egypte. Aujourd’hui, beaucoup d’Etats arabes sont en pleine décomposition. Ceux qui restent,  entretiennent tous des rapports avec Israël. La Syrie était le seul à ne pas le faire : il y avait une paix armée, ou une guerre sans combat, comme on veut, à la frontière (une partie du territoire syrien, le plateau du Golan, a été annexée illégalement par Israël). Aujourd’hui, le gouvernement de Damas a d’autres chats à fouetter que de s’occuper des  Palestiniens.

 

6/ Une paix durable est-elle possible?

 

Oui, le jour où les Etats-Unis le décideront. Mais cela n’est pas simple. Israël dépend largement de l’aide économique et militaire américaine. Mais, en sens inverse, Israël est très impliqué dans la politique intérieure américaine. Le « lobby » juif y est très puissant et il y a une surenchère entre les Démocrates et les Républicains. Le sort de nombreux élus est tributaire du lobby juif. Barack Obama a de mauvaises relations personnelles avec le premier ministre israélien mais, en fait, c’est ce dernier qui « tient » le président plus que le contraire. De plus, les autres conflits de la région semblent avoir pris le pas sur la résolution du conflit israélo-palestinien.

 

Pour le moment, la situation est donc bloquée. La reconnaissance de l’Etat palestinien est une victoire, symbolique, importante (voir mon article sur ce blog du 28 novembre 2012 : « l’Etat palestinien à l’ONU »), mais, sur le terrain, cela ne change rien.

 

En fait, tout dépendra, in fine, de deux choses. La première est la situation d’ensemble du Moyen-Orient. Il y existe un faisceau d’alliances conjoncturelles changeantes et souvent contradictoires. Dans cette région l’adage selon lequel « les amis de mes amis sont mes amis et les ennemis de mes ennemis sont mes amis » est rarement vérifié. J’ai exposé cette question dans mon article du 20 juin consacré à l’Irak (« Que va-t-il se passer en Irak ? »). Il n’est pas impossible que la donne change avec un rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran (principal ennemi d’Israël) et, peut-être, une certaine prise de distance avec l’Arabie Saoudite et les monarchies du Golfe. Le terrorisme international étant sunnite, les Occidentaux pourraient se rapprocher des Chiites. Ils devraient alors revoir leurs positions sur le pouvoir syrien.

 

Mais si cette évolution se produit, quelle sera l’attitude des deux mouvements qui, sur le terrain, se battent contre Israël ? Le Hamas est sunnite tandis que le Hezbollah, installé dans le sud du Liban est chiite. Compliqué !

 

Le deuxième facteur d’évolution est l’opinion publique israélienne. Israël est une démocratie où on vote. Le gouvernement est l’émanation du peuple israélien. Ce dernier a choisi, plus encore depuis quelques années, de se doter d’un gouvernement extrémiste.

 

Peut-être les Israéliens en auront-ils assez un jour de vivre dans l’insécurité permanente, avec les risques de recevoir des roquettes ou d’être victimes d’attentats aveugles ? Peut-être en auront-ils aussi assez d’effectuer des périodes longues de services militaires, avec les dangers inhérents à la guerre, peut-être en auront-ils assez de tous ces contrôles permanents de sécurité dans les aéroports et sur les routes ? Peut-être en auront-ils assez aussi de ces mouvements juifs intégristes qui veulent imposer leurs règles anachroniques à une majorité de gens qui aspirent à vivre comme tout le monde ?

 

Dans ces conditions, les actions violentes du Hamas ou du Hezbollah risquent de souder les Israéliens derrière leurs dirigeants va-et-en guerre. Mais elles peuvent aussi lasser, à la longue, la population israélienne. Ne rien faire, se contenter de discuter sans fin et sans espoir de rien obtenir comme le fait l’autorité palestinienne, n’est sans doute pas la solution. Pendant ce temps, la colonisation, de plus en plus irréversible, continue.

 

La stratégie du Hamas est sans doute responsable de morts et de destructions. Mais, en absence d’autre levier, c’est peut-être la seule solution pour faire bouger les Israéliens. Nous avons eu aussi en France nos résistants pendant la seconde guerre mondiale. Leur action, parfois violente, a entrainé beaucoup de morts par représailles. Fallait-il, pour autant, rester les bras croisés et collaborer avec l’occupant ? On pourrait dire la même chose de tous les mouvements de libération dans le tiers-monde. Le colonisateur ou l’occupant « lâche » rarement l’étreinte de sa propre initiative. L’histoire montre que la lutte armée est parfois nécessaire. C’est regrettable, mais c’est ainsi.   

 

En ce sens, l’action du Hamas me parait légitime parce que la résistance à l’occupation étrangère est à la fois un droit et un devoir. On peut regretter certaines de ses actions. Un crime est un crime et la fin ne justifie pas toujours les moyens. Mais y a-t-il d’autres moyens ? Dans ces circonstances, le fait d’avoir mis le Hamas sur la liste des mouvements terroristes me parait choquant. En l’occurrence, le plus grand terroriste au Moyen-Orient est l’Etat d’Israël.

 

Ce qui précède ne signifie pas que je cautionne l’islamisme militant. Je préfèrerais que la résistance palestinienne soit laïque, comme cela l’était du temps de Yasser Arafat. Mais, chaque chose en son temps. Aujourd’hui, la priorité est de mettre fin à l’occupation de la Palestine. La lutte contre l’islamisme viendra après.

 

7/ Un mot enfin sur le crime qui a servi de prétexte à l’action belliqueuse actuelle d’Israël, l’assassinat de trois jeunes colons.

 

Ce crime est évidemment regrettable et condamnable. Je n’en connais pas les circonstances exactes. Sans doute ces trois adolescents étaient-ils innocents, comme le sont les enfants qui tombent à Gaza, comme l’étaient le jeune Palestinien brulé vif. On ne doit jamais se réjouir d’un crime, quel qu’il soit.

 

Mais qui est responsable dans le cas de la mort des jeunes colons ? D’hypothétiques Palestiniens non identifiés ? Peut-être, mais au-delà, la responsabilité des parents des jeunes assassinés est écrasante. Lorsqu’on s’installe, sous protection militaire, dans un pays occupé dont on chasse les habitants pour fonder des « colonies de peuplement », on participe, qu’on le veuille ou non, à une guerre, celle qui oppose colonisateur et colonisé, occupant et résistant. Quand on s’installe dans ces conditions en terre occupée, on prend la lourde responsabilité d’exposer ses enfants qui, eux, sans doute, n’ont rien demandé. Il ne faut pas s’étonner ensuite qu’il puisse arriver un malheur à sa progéniture. C’est triste pour les morts. C’est encore plus triste pour ceux qui supportent une occupation inhumaine depuis cinquante ans et qui, eux, ne pleurent pas trois morts d’enfants, mais des centaines.

 

Si les colons ne veulent plus risquer la vie de leurs enfants, qu’ils retournent chez eux et qu’ils laissent tranquilles les Palestiniens !

 

 

Yves Barelli, 9 juillet 2014  

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17 juin 2014 2 17 /06 /juin /2014 15:25

Depuis une dizaine de jours, les djihadistes de l’ « Etat Islamique en Irak et au Levant », qui contrôlaient les régions nord-occidentales de l’Irak proches de la Syrie, ont entamé une offensive qui leur ont permis de s’emparer de Mossoul, deuxième ville irakienne (nord du pays), ainsi que de plusieurs localités de la vallée de l’Euphrate. Ils menacent maintenant directement Bagdad dont ils ne sont plus qu’à quelques dizaines de kilomètres.

Je n’ai aucune information de première main sur ce qui se passe actuellement en Irak. Je serai donc prudent dans mes commentaires. Il convient en effet d’éviter les appréciations simplistes, du genre les « bons » et les « mauvais », les « terroristes» et les « démocrates ».

Essayons néanmoins d’y voir un peu plus clair.

1/ D’abord, un rappel. Depuis la guerre menée par les Etats-Unis en 2003 sans l’aval du Conseil de Sécurité (on se souvient de l’opposition de la France, de l’Allemagne et de quelques autres pays à cette guerre irresponsable et de la victoire militaire des Etats-Unis mais de leur défaite diplomatique à l’ONU) qui s’était traduite par l’élimination de Saddam Hussein, par une longue et coûteuse présence militaire en Irak qui ne put empêcher le chaos, puis par la décision de Barack Obama de retirer ses troupes d’Irak pour confier le pouvoir à un gouvernement « démocratique » issu d’élections « libres », la situation ne s’est jamais stabilisée en Irak.

Deuxième élément à prendre en considération : l’Irak est une mosaïque de « communautés » à base ethnique ou religieuse dont les principales sont les Chiites arabes (50 à 60%, selon les sources, de la population du pays estimée à 31M d’habitants ; installés surtout au sud de Bagdad), les Sunnites arabes (20 à 30%, au nord de Bagdad) et les Kurdes (15 à 20%).

Troisième élément : parmi les groupes présents sur le territoire irakien, les Kurdes occupent une place particulière. Il s’agit d’un peuple non arabe, de type « indo-européen » proche, en conséquence, des Iraniens. Les Kurdes, lointains descendants des Mèdes de l’Antiquité, qui sont majoritairement sunnites (mais l’ethnie et donc leur langue sont leur point de repère, pas la religion), forment une nation qui n’a jamais constitué un Etat et qui a été « oubliée » lors du démantèlement de l’empire ottoman après la première guerre mondiale. Ils sont répartis entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et, dans une moindre mesure, la Syrie. Leur nombre total serait de l’ordre de 25 à 40 millions.

En Turquie, les Kurdes sont en état d’insurrection depuis plus de cinquante ans. Niés en tant que nation avec une langue longtemps interdite (la Turquie a des traditions centralisatrices et jacobines inspirées de la France), leur guerre a connu des hauts et des bas. Ils ont obtenu quelques droits, notamment linguistiques, la guerre que menait le PKK est plus ou moins en sommeil, mais la région kurde (le sud-est de la Turquie) peut à nouveau s’embraser à tout moment.

En Iran, la cohabitation avec les autres ethnies (il y en a beaucoup : l’ensemble des « minorités » sont majoritaires par rapport aux Farsi, qui constituent le socle de la nation iranienne) se passe relativement bien et les Kurdes ne contestent pas le pouvoir central.

En Syrie, où les Kurdes ne sont que deux millions, groupés sur les frontières turque et irakienne, ils jouent leur propre jeu dans la guerre civile et ont réussi, en pratique, à s’auto-administrer.

En Irak enfin, et cela nous concerne ici dans le cadre de l’analyse de la situation dans ce pays, les Kurdes ont réussi à constituer un quasi-Etat indépendant dans le nord-est montagneux du pays. Cet état autonome, avec sa propre administration et ses propres frontières qui l’isolent du reste de l’Irak, est la seule zone irakienne stable. Elle connait une situation économique relativement florissante. Mais cet état n’a que deux millions d’habitants et seulement 42 000 km2 (le dixième de la superficie de l’Irak). La majorité des Kurdes d’Irak vivent encore hors de ce « Kurdistan », notamment dans la région pétrolière de Kirkouk, revendiquée par le Kurdistan, et, dans une moindre mesure, dans celle, contigüe, de Mossoul.

Depuis la chute de Saddam Hussein, les Kurdes jouent un jeu subtil. Ils sont indépendants de facto, mais participent au parlement et (selon les coalitions changeantes) au gouvernement de Bagdad. Leur état, le « Kurdistan » est reconnu de fait (la plupart des grands pays ont un consulat général à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, qui est en fait une représentation diplomatique officieuse). Le Kurdistan irakien n’a pas proclamé une indépendance unilatérale car il sait qu’elle ne serait pas reconnu par la « communauté internationale » et, surtout, parce que cela serait considéré comme un casus-belli par la Turquie, qui ne veut pas entendre parler de Kurdistan indépendant et qui a annoncé qu’elle interviendrait militairement si l’indépendance était proclamée.

Quatrième élément à prendre en considération. En Irak, comme souvent ailleurs au Moyen Orient, chaque acteur agit en fonction de ses intérêts et, pour les promouvoir, chacun forme des alliances variables (l’ennemi d’hier peut être l’allié de demain et vice-versa). Les Chiites sont les ennemis des Sunnites, les Kurdes des Turcs et des Arabes, les Américains des Iraniens. Les Syriens laïques de Bachar-el-Assad sont néanmoins les amis des mollahs iraniens, tandis que les anciens Saddamistes, laïques aussi, se retrouvent du côté des djihadistes sunnites. Les monarchies du Golfe combattent en principe le terrorisme d’Al Qaida mais soutiennent les djihadistes de Syrie qui en sont proches. Les Américains, qui combattent Al Qaida, soutiennent eux aussi, en principe, les djihadistes syriens qui luttent contre Bachar-el-Assad. Les Israéliens veulent détruire le régime iranien, mais, finalement, tolèrent Bachar car, à leurs yeux, c’est un moindre mal.

Le moins qu’on puisse dire, en conséquence, est que la situation est très compliquée et qu’il est difficile de faire des pronostics sur les alliances à venir, peut-être inverses des actuelles. On dit ainsi que les Etats-Unis, qui n’ont plus de relations diplomatiques avec l’Iran depuis trente ans, pourraient s’allier à Téhéran pour combattre les djihadistes d’Irak, les mêmes pourtant que ceux qu’ils soutiennent, de fait, en Syrie. Les Kurdes sont les ennemis des djihadistes sunnites, mais aussi des Chiites au pouvoir à Bagdad. Vont-ils aider ces derniers à le conserver ?

2/ Quels sont les rapports de force ?

Plutôt difficile à dire car on n’a pas beaucoup d’informations sur cet « Etat islamique en Irak et au Levant » (EIIL) et pas davantage sur ses soutiens à l’intérieur et à l’extérieur de l’Irak.

D’après les images vues sur les chaines de télé, l’EIIL dispose d’armements lourds (tanks ; il ne semble pas qu’il ait des forces aériennes), ce qui pose la question subsidiaire de savoir qui les lui fournit. On peut penser que ce mouvement est appuyé par une partie significative des sunnites d’Irak, mais aussi, semble-t-il, par une partie des anciennes forces de Saddam Hussein. Pour apprécier pleinement sa force, il faut parler de la Syrie. L’EIIL, dont le nom indique qu’il ne fait pas la différence entre la Syrie et l’Irak (ces deux pays font partie de ce qu’on appelle le « croissant fertile » aux liens historiques et humains anciens), est en Syrie l’une des composantes du fondamentalisme sunnite qui fait la guerre contre le régime avec l’aide active des monarchies du Golfe, Qatar en tête, et, de manière plus limitée, des Etats-Unis (ceux-ci sont désormais plus prudents vis-à-vis des soit disant « combattants de la liberté »). En est-il la composante principale ou minoritaire ?

Il est extravagant que, semble-t-il, personne n’ait vu venir cette montée en force de l’EIIL. En tout cas, pas les Américains qui paraissent découvrir aujourd’hui la vulnérabilité du gouvernement installé à Bagdad.

Ce gouvernement est issu d’élections, en principe « démocratiques » (mais il faut relativiser ce terme quand on parle d’Irak) qui ont eu lieu il y a plusieurs mois. Mais, faute de majorité cohérente au parlement, ce gouvernement n’a pas d’assise bien définie. Il reflète en fait la seule composante chiite, ce qui en dit long sur la responsabilité historique des Etats-Unis dans le chaos actuel. Ils ont combattu, et abattu, Saddam Hussein, qui certes était loin d’être l’idéal (c’est un euphémisme lorsqu’on parle d’un tyran avec autant de sang sur les mains), mais qui assurait la stabilité du pays et, surtout, la cohabitation des « communautés » (y compris de la minorité chrétienne qui était protégée, comme elle l’est encore dans la Syrie de Bachar-el-Assad, alors que son sort est dramatique dans l’Irak actuel et dans les zones de Syrie tenue par les djihadistes). A la place, ils ont mis le chaos, avec, pour les Irakiens, encore moins de liberté qu’avant et, surtout, avec une insécurité permanente (depuis dix ans, les attentats à la voiture piégée qui font des dizaines de morts sont quasi quotidiens). La soit disant démocratie irakienne, « œuvre « des Américains, est en fait un combat permanent entre communautés, chefs de guerre, clans tribaux et grandes familles, le tout dans un contexte de corruption (indispensable, car il faut financer ses milices) et de violence permanentes.

Le gouvernement actuel en place à Bagdad est donc uniquement chiite. Il est si impopulaire, même chez les Chiites (eux, pas plus que les autres « communautés » ne constituent un bloc compact, tant les luttes de clans et de tribus font partie du paysage), qu’il ne parait pas jouir d’un appui unanime dans cette communauté, majoritaire en Irak, rappelons-le. Comme l’Iran est chiite, ce gouvernement est, de fait, soutenu par Téhéran. Là encore, bravo les Américains ! Le régime des mollahs était (l’est-il encore ?) pour eux l’ «axe du mal ». Avec leurs amis israéliens, ils le vouaient aux gémonies. Ils ont néanmoins fait la guerre à Saddam, plus grand ennemi de l’Iran, avec pour résultat, d’installer, de fait, à Bagdad, un régime allié de l’Iran. Décidément, l’aventure américaine en Irak a été un fiasco total (merci à Chirac de s’y être opposé ; il a sauvé l’honneur de la France, à la différence de presque tous les autres Européens, valets des Etats-Unis au point de les suivre dans leurs guerres les plus imbéciles).

Il y aura donc un affrontement entre Chiites de Bagdad, soutenus par les Etats-Unis (qui ne voudraient pas s’engager mais qui vont être contraints de le faire) et l’Iran, et djihadistes sunnites aux soutiens plus souterrains (sans doute les monarchies du Golfe. Mais celles-ci étant les alliés des Etats-Unis, cela les place en situation difficile).

Les Kurdes sont en relative position de force. Pour le moment, ils campent dans la banlieue de Kirkouk. Il est évident que leur objectif est de s’emparer de cette ville, majoritairement peuplée de Kurdes, et de ses champs de pétrole. Mais ils n’ont aucune envie de servir de force d’appoint au régime de Bagdad avec lequel ils sont en très mauvais terme, d’autant que s’ils interviennent trop vite sur Kirkouk, ils risquent de réconcilier sur leur dos Chiites et Sunnites, tous deux arabes et anti-Kurdes (car aucun ne veut leur abandonner les champs de pétrole). Ils attendent donc le moment propice pour le faire. Cette attente est très certainement accompagnée de négociations avec Washington. N’oublions pas non plus la Turquie qui ne resterait pas insensible face à un trop grand renforcement des Kurdes pour la double raison qu’ils les combattent, chez eux et en Irak, et que le gouvernement islamiste d’Erdogan soutient les islamistes de Syrie (y compris, donc, de fait, l’EIIL. Ils sont un peu dans la même situation que les monarchies du Golfe : solidarité islamiste sunnite, mais souci de ne pas heurter les Américains).

Le plus probable dans ce conflit est que les djihadistes sunnites ne parviendront pas à prendre Bagdad car ni les Américains ni les Iraniens ne les laisseront faire.

Ensuite ? Reconquête du territoire actuellement tenu par les djihadistes ou pourrissement de la situation ? Laissera-t-on, en outre, les Kurdes s’emparer du pétrole du Nord ?

Il est trop tôt pour répondre à ces questions.

Je n’ai pas encore parlé des autres acteurs au Moyen Orient.

Les Israéliens ? Pour le moment, ils observent. Leur ennemi principal est l’Iran, mais ils ne souhaitent pas que les fondamentalistes sunnites gagnent en Syrie, pas plus qu’en Irak.

Les Russes ? Eux aussi observent. Leur allié syrien est en train de gagner la guerre. Si une partie des ennemis de Bachar s’épuise dans une guerre en Irak, c’est tout bénéfice. Un renforcement diplomatique de l’Iran (ce serait un comble que les Américains demandent à Téhéran de les aider!) ne peut également que les arranger.

Les Chinois ? Pour le moment, ils sont hors-jeu au Moyen Orient. Dans ce vaste jeu de go qu’est le monde, les Chinois n’ont pas encore placé leurs « pierres » sur cette partie du « go-ban ». ça viendra plus tard, ils ont le temps. Pour le moment ils observent eux aussi. Cela ne signifie pas qu’ils soient indifférents. Eux aussi ont des terroristes islamistes chez eux (les Russes aussi, d’ailleurs. Quand réalisera-t-on enfin qu’ils menacent la totalité du monde ?)    

3/ J’en viens maintenant à l’enseignement majeur de cette situation irakienne.

Depuis dix ans, les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux, y compris la France (qui a la stupidité de se mettre en avant dans la lutte contre les régimes laïques), ont tout faux.

L’islamisme, sous toutes ses formes, est la principale menace pour les pays occidentaux, mais pas seulement pour eux, pour les peuples arabes aussi. L’islam est une religion respectable, comme toutes les religions, mais l’islamisme, idéologie totalitaire, brutale, obscurantiste, est totalement antinomique avec la démocratie.

La priorité devrait être de le combattre, là où il se trouve, mais aussi dans les pays qui en sont la source idéologique et de financement. L’origine de la subversion islamiste se situe dans les monarchies du Golfe. Il s’agit de l’idéologie wahhabite, au pouvoir depuis des décennies tant en Arabie Saoudite qu’au Qatar et dans quelques autres monarchies du Golfe, heureusement moins militantes. Le fait que les familles régnantes à Ryad et à Doha soient en rivalité (elles soutiennent toutes les islamistes, mais pas toujours les mêmes) est un facteur aggravant car source de surenchère.    

Il est paradoxal, scandaleux et suicidaire que les Etats-Unis et leurs alliés et satellites soutiennent les régimes saoudien et qatari. Là est la source de la subversion et du terrorisme islamistes.

Il est ahurissant que la France de Hollande, pour s’en tenir à ce pays, cultive de manière aussi indécente son « allié » qatari et combatte le régime syrien de Damas alors que, au même moment, on constate que les centaines de personnes de nationalité française (mais qui, en dehors, de leur passeport, n’ont rien à voir avec la France) qui sont parties au « djihad » en Syrie rentrent chez nous « gonflés » à fond et rêvent de poursuivre en Europe leur « guerre sainte » (cf le dernier crime du musée juif de Bruxelles, voir mes articles des 1er et 2 juin : «à propos du crime du musée juif de Bruxelles »). Il est tout à fait aussi ahurissant que la France de Sarkozy, approuvée en son temps par Hollande, se soit lancée dans sa « croisade » pour assassiner Kadhafi et instaurer à sa place un chaos utilisé désormais par les djihadistes comme base d’attaque des pays du Sahel, où nous avons dû envoyer des soldats pour les combattre.

Il serait temps que les Etats-Unis révisent totalement leur stratégie. Ils ne peuvent dans le même temps combattre Al Qaida et ses émules et, en même temps, déstabiliser les régimes arabes laïques et soutenir les Etats wahhabites qui inspirent, arment et financent les islamistes.

L’Iran, me direz-vous, est aussi un pays fondamentaliste, pas plus « présentable » que les autres. D’accord, les prêcheurs enturbannés d’Ispahan ne sont pas nos amis. Mais deux remarques. La première est que le régime iranien donne quelques signes d’évolution, insuffisants mais qui méritent d’être encouragés. Mais ce n’est pas la principale raison pour accepter le dialogue avec eux. La seconde remarque, essentielle, est que, si l’Iran de Khomeini a fait du prosélytisme à ses débuts, ce n’est plus le cas. L’Iran est chiite et il n’y a pas de Chiites en Europe. Le danger islamiste, visible notamment dans nos banlieues, est celui du sunnisme et il est activé par l’Arabie Saoudite et le Qatar, pas par l’Iran. Quant à la menace que constituerait l’Iran pour Israël, que les Israéliens s’en prennent à eux-mêmes. Ce sont eux qui constituent une menace pour le Moyen Orient, pas le contraire. Ce sont eux qui occupent illégalement (en contradiction avec les résolutions du Conseil de Sécurité) la Palestine arabe depuis 1967, pas le contraire. L’Iran veut la bombe atomique ? Mais Israël ne la détient-il pas depuis plus de vingt ans ?   

C’est donc l’intérêt bien compris de l’Occident de ne plus tolérer le wahhabisme saoudien et qatari. L’alibi du pétrole et de la finance pour « couvrir » l’Arabie saoudite et le Qatar est dérisoire. Le marché pétrolier est mondial. Quel que soit le régime à Ryad, on commercera de toute façon avec lui, et si ce n’est pas avec lui, il y a du pétrole ailleurs, en Iran notamment. Quant à la vente des palaces parisiens et du PSG au Qatar, c’est tellement dérisoire, qu’en ne devrait même pas en parler. La France est-elle devenue une prostituée qui se vend au plus offrant?

Les bonnes consciences de Paris et de Washington, si promptes à dénoncer les élections « truquées » de Téhéran, le « populisme » de Chavez ou celui de Poutine, devraient ouvrir les yeux sur la réalité à Ryad et à Doha. A Ryad ? Pas de partis, pas d’élections, des femmes mineures à vie qui n’ont même pas le droit de conduire une automobile, des exécutions au sabre sur la place publique par centaines chaque année. A Doha ? L’esclavagisme organisé : 7 morts par accident sur les chantiers du mondial de football au Brésil, environ 1200 (là, on n’est même pas à une dizaine près, il ne s’agit « que » de Népalais ou de Philippins, autant dire des sous-hommes, payés 200€ par mois et dont les familles ne seront jamais indemnisées après la mort, par accident ou à cause de la chaleur) au Qatar, et on n’est qu’au début des travaux. Il est vrai qu’il y a tellement de gens « arrosés » par le Qatar, que peu ont le courage d’en parler. Ce pays a érigé la corruption à l’échelle mondiale comme forme de gouvernement.

Il serait déjà honteux et immoral que les régimes occidentaux soutiennent les monarchies wahhabites par seul intérêt matériel. Mais cela va plus loin. En soutenant ces régimes, on se tire une balle dans le pied car on alimente la subversion tournée contre l’Occident. Cette attitude est suicidaire.

A quand un vrai débat sur cette question ?

Quand se décidera-t-il à jeter aux orties les vieilles lunes du politiquement correct ?

A quand la fin de l’invraisemblable  aveuglement et de la sinistre hypocrisie qui minent nos sociétés ?

Ne pas replacer le présent conflit en Irak dans ce contexte plus global, c’est se condamner à ne rien comprendre, donc à ne rien faire de pertinent. Après ce conflit, il y en aura d’autres. D’autres Syrie, d’autre Mali, d’autres Boko Haram, d’autres Bruxelles, d’autres Toulouse.

Ça suffit !

                                                           Yves Barelli, 17 juin 2014                                                         

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8 février 2014 6 08 /02 /février /2014 12:05

La nouvelle constitution tunisienne qui est entrée en vigueur le 7 février n’est pas seulement un texte juridique fondamental. Elle marque aussi une étape importante sur la voie de la démocratisation du pays et est la résultante d’une évolution des rapports de force politiques, désormais moins favorable aux partis islamistes.

Jusqu’en 2011 et la « Révolution du Jasmin » qui mit fin au pouvoir de Ben Ali, la Tunisie était régie par la constitution de 1959 mise en place par Bourguiba, le père de la Tunisie indépendante et moderne. C’était une constitution républicaine et présidentialiste en adéquation avec la personnalité exceptionnelle de son promoteur. Celui-ci, massivement respecté en Tunisie, avait mis en place un régime stable tourné vers le développement économique, l’éducation pour tous (le système scolaire tunisien reste le meilleur d’Afrique et du monde arabe), l’égalité entre les hommes et les femmes (sans équivalent dans le monde arabo-musulman) et, à défaut d’une véritable laïcité, une société libérée de l’emprise de la religion.

Le successeur de Bourguiba, Ben Ali, était resté dans la ligne bourguibienne s’agissant des réformes sociétales, mais s’était caractérisé par une dérive autoritariste quasi dictatoriale et par la mise en coupe réglée de la Tunisie par sa famille et les proches du pouvoir.

Le divorce de ce régime d’avec le peuple déboucha sur les émeutes, violemment réprimées, de l’automne 2011, et, quelques semaines plus tard, sur le renversement du régime et la fuite à l’étranger du dictateur.

Les premières élections libres de l’après Ben Ali furent remportées par le parti islamiste Ennahda, qui dispose désormais au parlement d’une majorité relative, par la mise en place d’un régime constitutionnel provisoire et par les velléités du nouveau pouvoir d’aller vers une Tunisie islamique en conformité avec la « charia » (corpus juridique fondé sur les préceptes de l’islam). Sous l’emprise du dogmatisme islamiste et sous la pression d’islamistes plus radicaux encore et ouvertement violents, le nouveau pouvoir multiplia les fautes : négligence tant de l’existence d’une société éduquée et ouverte de type laïque au profit d’un dogmatisme archaïco-religieux et, pis encore, négligence des réalités économiques.

En quelques mois, la situation économique se détériora rapidement, tant du fait du chaos social que de l’effondrement du tourisme (lié à la fois à la montée de l’insécurité et aux aberrations de l’instauration d’un soit disant « ordre moral »). Le chômage monta et le recul du niveau de vie des Tunisiens fut quasi général.

Or, les Tunisiens avaient voté massivement pour les islamistes en partie par aspiration au retour des valeurs traditionnelles jugées plus morales et parce que les dirigeants d’Ennahda, souvent emprisonnés sous la dictature, avaient l’auréole des résistants et étaient considérés comme plus honnêtes que ceux qui avaient profité du régime précédent.

La pratique des islamistes au pouvoir, en Tunisie comme dans d’autres pays ayant « bénéficié » des « révolutions » arabes, se révéla à l’opposé de ce que la population attendait : pas de croissance économique, pas plus de liberté et de justice qu’avant, pas moins de corruption et, en prime, si l’on ose dire, la pagaille, les crimes impunis de démocrates, les groupuscules extrémistes faisant la chasse aux étudiantes non voilées en fac et l’impression de millions de gens, les femmes en tête, de revenir soixante-et-dix ans en arrière.

Dans le courant de 2013, le pouvoir islamiste dut « mettre de l’eau dans son vin » (ce qui est un comble pour des islamistes !), le premier ministre fut contraint à la démission et, surtout, les députés de sa majorité comprirent enfin qu’ils n’auraient aucune chance de faire accepter une nouvelle constitution (en préparation depuis 2011) qui serait un simple copie-collé du coran.

D’où le texte finalement adopté à la quasi-unanimité qui reprend en grande partie la constitution de Bourguiba, avec toutefois un meilleur équilibre des pouvoirs entre le président et le premier ministre, mais en garantissant, fondement du bourguibisme, l’égalité entre l’homme et la femme.

Quels enseignements doit-on tirer de ce processus ?

1/ Il n’est pas exagéré de dire que le pouvoir à la tête d’un pays reflète sur le long terme la société. Lorsque ce n’est pas le cas, le pays ne fonctionne plus. On l’a vu en Tunisie depuis 2011. Or la Tunisie, grâce à Bourguiba mais grâce aussi à la sagesse de ses habitants, est, je l’ai dit plus haut et j’insiste parce que cela est capital, le pays le plus éduqué d’Afrique et du monde arabe. Il est logique que cela se traduise dans sa constitution. L’islamisme est, pour ce pays, un anachronisme purement conjoncturel.

2/ En dehors des extrémistes, minoritaires mais violents, les Tunisiens sont des gens pacifiques. Les dirigeants politiques de la majorité et de l’opposition ont finalement réussi à se mettre d’accord sans affrontement excessif, et cela est à mettre à leur crédit.

L’armée, faible en Tunisie, ne joue qu’un rôle marginal. D’ailleurs, c’est la police qu’avait privilégié Ben Ali pour asseoir son régime autoritaire (vis-à-vis duquel, à l’image de beaucoup de Tunisiens, je suis moins critique que d’autres : les Tunisiens n’avaient certes pas accès à des élections et à des médias libres, mais, au moins, les Tunisiennes habillées à l’européenne pouvaient se promener librement le vendredi devant les mosquées sans risquer les agressions de cinglés excités).

3/ Au contraire, il existe en Tunisie une société civile composée de gens souvent de grande valeur. Les syndicats sont puissants et ce pays est surtout constitué de classes moyennes ne devant leur niveau de vie qu’à leur travail et à leurs études.

4/ Le président Hollande a eu raison de faire hier le déplacement de Tunis. Il était le seul européen présent, mais la France n’est pas vraiment un pays étranger pour les Tunisiens. Beaucoup de nos compatriotes sont d’origine tunisienne et la majorité des Tunisiens considère que la France, dont on veut s’inspirer des valeurs, a un rôle important à jouer.

Il a eu raison d’estimer que la Tunisie pouvait être un modèle pour d’autres pays, en tout cas l’exemple d’une transition réussie. J’estime en revanche déplacée son appréciation sur le lien entre islam et démocratie. Venant du chef de l’état d’un pays laïque, cela est en contradiction avec nos valeurs. La religion doit être une affaire privée, en Tunisie comme en France et ailleurs. Il aurait dû se dispenser de ce genre de commentaire.

5/ Il y aura bientôt de nouvelles élections en Tunisie. La tendance est au recul des partis islamistes. On verra comment, concrètement, cela se traduira.

6/ Souhaitons bonne chance à la démocratie tunisienne. Le pays de Carthage a déjà apporté beaucoup à la civilisation mondiale. Souhaitons que cela continue. Ne nous laissons pourtant pas gagner par l’euphorie. La Tunisie était en avance sur le reste du monde arabe. Mais cela est relatif. La société tunisienne tranche certes avec celle de la plupart des pays arabes. Mais si on jette un coup d’œil deux cent kilomètres plus au nord et à l’est, au-delà de l’île de Lampedusa, concrètement en Sicile, où existait aussi il y a quelques décennies une société presque aussi archaïque qu’en Tunisie, on mesure l’ampleur du chemin qui reste à accomplir. Quand Tunis sera au niveau de Palerme, loin pourtant de l’idéal, on pourra dire que la société tunisienne ressemble à sa nouvelle constitution, pour le moment encore qu’un beau parchemin !

                                                                                  Yves Barelli, 8 février 2014

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15 août 2013 4 15 /08 /août /2013 17:57

J’ai réagi dès hier au massacre intervenu en Egypte la nuit précédente (« voir sur mon blog « Nouveau massacre en Egypte »). J’ai fait état, au vu des informations disponibles, d’au moins 200 morts par balles. J’étais loin du compte. On en est déjà, officiellement, à 525 morts. Le bilan réel pourrait être beaucoup plus lourd.

Des incidents sont signalés dans plusieurs localités du pays. Des bâtiments publics ont été incendiés par les islamistes, mais aussi des églises coptes. La guerre civile est en marche.

Le plus affligeant est que, loin de déplorer les morts, beaucoup, parmi les soit disant « démocrates », se félicitent de l’ampleur des assassinats perpétrés par les militaires. La haine, de part et d’autre, est telle que, pour ces excités, un « bon » Frère Musulman est un Frère Musulman mort. Cela rappelle le Far West où un « bon » Indien était un Indien mort, mais aussi la haine raciste du Ku Klux Klan, celle des colons contre les peuples colonisés, ou encore la phrase fameuse de Simon de Montfort lors du sac de Béziers dans la campagne de conquête française contre l’Occitanie au 13ème siècle (dont on souhaiterait que mention soit faite dans nos livres d’histoire) : « tuez-les tous, Dieu reconnaitra les siens !».

J’ai écouté ce matin sur France-Info l’interview d’une « blogueuse » ( !?) égyptienne vivant en France. Pour elle, l’armée avait eu raison de donner l’assaut. La haine qui transpirait de ses paroles était affligeante. Mais le plus affligeant est qu’une radio de grande écoute puisse donner la parole à une telle personne cynique sans aucune représentativité et encore moins de légitimité. Ils en sont venus, avec leur politiquement correct insupportable à me rendre sympathiques ces Frères Musulmans dont je suis pourtant à des années lumières de leurs théories théocratiques aussi ridicules que dangereuses.

 

Je ne sais si ces hérauts de la haine (il y en avait quelques autres au JT de France 2 de ce jour) sont représentatifs du peuple égyptien. J’espère que non. Si c’était le cas, il est clair que l’Egypte ne mériterait pas la démocratie. La démocratie, c’est le respect de ceux qui ne pensent pas comme soi, c’est la force des idées et des arguments, pas la bestialité des hommes en uniforme appuyant sur la gâchette et éliminant un à un, comme dans un jeu vidéo, des civils sans armes priant sur une place publique. Si ces soldats, après leur sale besogne, peuvent encore se regarder dans une glace sans sourciller, c’est que ce sont des bêtes, pas des hommes.

Yves Barelli, 15 août 2013            

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14 août 2013 3 14 /08 /août /2013 22:58

La barbarie est la barbarie, quels que soient les victimes et quels que soient ceux qui commettent les crimes.

Le massacre, car il s’agit bien d’un massacre, perpétré la nuit dernière par le régime militaire égyptien est inadmissible. Sans doute plus de 200 personnes civiles et non armées froidement assassinées par la soldatesque sur deux places du Caire. Plus d’un millier, probablement, de blessés par balles.

Il est évident que ceux qui ont donné l’ordre de tirer sur les militants islamistes sont des assassins primitifs doublés d’idiots.

Assassins primitifs car le rétablissement de l’ « ordre » par des tirs à balles réelles montre à la fois un mépris de la vie humaine et un manque navrant de professionnalisme. Dans les pays civilisés, on sait disperser des rassemblements en utilisant des gaz lacrymogènes et des canons à eau. Seuls des primitifs tirent à balles réelles sur la foule. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une « bavure » puisque depuis le coup d’état du mois de juillet, d’autres tueries de grande ampleur avaient déjà eu lieu.

Idiots parce que les Frères Musulmans ont obtenu les martyrs qu’ils espéraient et parce que tous les ingrédients de la guerre civile sont désormais en place.

Dans mon blog j’avais condamné le 4 juillet (« L’Egypte après le coup d’état ») la prise de pouvoir par les militaires et j’avais exprimé les craintes les plus vives sur l’évolution prévisible de la situation. J’avais estimé que le « camp » démocrate avait tort de se réjouir du coup d’état. Je confirme évidemment ce jugement. La démission du vice-président de « transition » El Baradei ce matin montre qu’il y a encore des gens censés en Egypte. Sans doute n’aurait-il pas dû accepter le poste.

Les réactions de ce qu’il est convenu d’appeler la « communauté internationale » (en fait, les Etats-Unis et leurs alliés ou satellites qui s’autoproclament en toutes circonstances la conscience et la voix du monde, dont ils ne constituent pourtant qu’une partie) sont affligeantes : les Etats-Unis désapprouvent mais continuent toutefois à accorder une aide massive aux forces armées égyptiennes. Cette aide, la plus considérable accordée à un pays du tiers-monde était la contrepartie de la paix signée entre Israël et l’Egypte de Sadate puis de Moubarak. La caution, de fait, au coup d’état militaire de juillet en est le prolongement. Washington, pour plaire à Israël, préfère une dictature militaire qui tire sur son peuple au risque d’un régime islamiste qui pourrait se montrer moins conciliant avec l’Etat hébreux.

La réaction de l’Union européenne mérite la palme de l’impuissance hypocrite. On a d’abord eu droit aux palinodies de l’inénarrable Madame Ashton, quasiment inconnue même en Europe, l’inutile « ministre » des affaires étrangères d’une Union européenne qui n’a ni politique étrangère ni politique de défense et dont les membres n’arrivent, parfois, à se mettre d’accord qu’en s’alignant sur les Etats-Unis. La « ministre » a passé quelques jours au Caire où elle a été poliment reçue par des responsables politiques des divers camps qui savent pertinemment qu’elle ne représente rien. Ce matin, l’Union européenne a ressorti le bon vieux vocabulaire des communiqués communs (j’ai personnellement passé en trente ans de carrière diplomatique, notamment à New-York-Nations-Unies, des centaines d’heures à contribuer à la rédaction de communiqués insipides censés exprimer des « positions communes » sur quantités de sujets, y compris lorsque, dans les votes à l’ONU, certains membres de l’UE votaient oui, d’autres non et un troisième groupe s’abstenait. Il est vrai que nous étions tous pour la paix, le progrès et la démocratie. Ça ne mange pas de pain !). Une fois de plus, donc, l’Union européenne, dans sa grande sagesse, lance un « appel » aux « parties » pour qu’elles exercent une « retenue ». La « retenue » consiste-t-elle, d’un côté à tuer légèrement moins massivement et de l’autre à mourir sans protester ?

Les lecteurs de ce blog savent très exactement ce que je pense de l’islamisme et des islamistes.

Quelle que soit l’absurdité et la dangerosité de cette doctrine et de ceux qui la soutiennent, personnellement, je ne cautionnerai jamais les actes de barbarie, quand bien même des « barbares » en seraient les victimes. Le faire retirerait toute légitimité morale au combat contre ce type de doctrine. C’est une chose d’employer tous les moyens, même violents, contre des terroristes ou des fanatiques voulant imposer leur totalitarisme par la force. La France l’a fait au Mali et elle a eu raison. Il faudrait le faire aussi en Tunisie pour punir les assassins de Belaid, de Brahmi et d’autres démocrates. C’est autre chose de tirer sur des civils non armés rassemblés, souvent en priant, sur la place d’une ville.

                                                           Yves Barelli, 14 août 2013                         

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27 juillet 2013 6 27 /07 /juillet /2013 17:40

Une fois de plus, l’islamisme « radical » a frappé en Tunisie. Le député laïque Mohamed Brahmi a été assassiné le 25 juillet par un fanatique dont on ne sait exactement s’il a été commandité ou manipulé par des salafistes ou des groupes plus ou moins liés au pouvoir en place du parti Ennahda. Ce meurtre intervient quelques mois après celui de Chakri Belaid (voir mon article du 8 février dans ce blog). L’émoi provoqué dans la population s’est traduit par des manifestations à travers tout le pays et une grève générale le 26 juillet.

Ce drame appelle de ma part les commentaires suivants :

1/ Le fracture entre démocrates et islamistes est plus forte que jamais en Tunisie. 42 députes laïques ont démissionné de l’assemblée nationale dominée par le parti islamiste Ennahda, ce qui enlève au parlement une partie de sa légitimité. La mobilisation dans l’opinion contre la dictature de l’islamisme est forte. Les islamistes sont-ils encore majoritaires en Tunisie ? En l’absence de sondages fiables, il est difficile de le dire, mais il semble qu’une bonne partie de l’électorat d’Ennahda, qui avait voté pour ce parti dans les circonstances exceptionnelles de l’immédiat après-Ben Ali, s’en détourne aujourd’hui. On reproche au pouvoir, tant son sectarisme que son incapacité à assurer la croissance économique.

2/ En Tunisie, en Egypte, en Turquie les mêmes causes produisent les mêmes effets, même si les conditions sont spécifiques à chacun des pays. Il n’y a pas d’islamisme « modéré », pas plus qu’il n’y avait un catholicisme modéré du temps de l’Inquisition. Lorsqu’on prétend qu’un livre « saint » (saint pour une partie de la société mais pas pour d’autres), coran, évangile ou tout autre, sous prétexte qu’il serait l’émanation de la volonté divine, est au-dessus des lois, constitue même « la » loi, il n’y a évidemment aucun terrain d’entente possible avec ceux qui ne partagent pas cette croyance. En ce sens, l’islamisme soit disant modéré est en fait radical et l’expression « islamisme radical » devient un pléonasme. Les salafistes et les multiples chapelles proches de l’idéologie des Frères musulmans peuvent différer sur les méthodes, plus ou moins violentes, et sur la stratégie (faut-il imposer la volonté divine par la coercition, la séduction, maintenant ou plus tard ?), mais ils se retrouvent sur la philosophie même de leur totalitarisme contraire à la démocratie en ce sens que, pour eux, le vote ne peut être que confirmation d’un ordre établi par leur dieu.

3/ La démocratie est certes le gouvernement de la majorité et, même si les conditions de l’accession au pouvoir des islamistes ont été historiquement exceptionnelles, on ne saurait mettre en cause la légitimité de gouvernements issus d’élections (à peu près) régulières. C’est pourquoi je ne cautionne pas le coup d’état militaire en Egypte contre le président Morsi (mon article sur le blog du 4 juillet).

Mais avoir une majorité au parlement, même légitime, n’autorise pas à faire n’importe quoi. Si la majorité a le droit d’appliquer son programme, elle a aussi le devoir de respecter les grands principes qui constituent le fondement d’une démocratie et d’une nation (s’il n’y a plus de principes et de valeurs faisant consensus, on est dans une situation de guerre civile, ce qui est le cas en Egypte et risque de l’être aussi en Tunisie) et, également, le devoir de respecter la minorité. C’est pourquoi, il existe dans tous les pays démocratiques des institutions spécifiques (conseil constitutionnel, cour suprême, etc) qui sont des garde-fous aux tentations dictatoriales des gouvernements. Ces institutions ne sont pas infaillibles mais elles ont le mérite d’exister. Les pays sans tradition démocratique manquent souvent de telles institutions à l’autorité incontestée. C’est pourquoi, l’armée y supplée souvent, avec tous les dangers et dérives qui peuvent accompagner cet « arbitrage » (parfois bénéfique, comme en Algérie, mais, dans d’autres cas, au contraire, dramatique et condamnable, comme, souvent, il n’y a pas si longtemps, en Amérique latine).

4/ Lorsque les minorités ne sont pas respectées, il y a un devoir d’ingérence extérieure. Ne pas le faire, c’est laisser la place libre à d’autres ingérences. On se souvient de la non- intervention honteuse des démocraties lors de la guerre d’Espagne dans le même temps où l’Allemagne nazie bombardait Gernika. Aujourd’hui, les pays les plus rétrogrades du monde arabe (Arabie saoudite et Qatar en particulier) fournissent une aide importante aux islamistes, au pouvoir ou dans la subversion, en argent, armes et prosélytisme religieux. Il est du devoir des démocrates, notamment français et en particulier vis-à-vis de la Tunisie sœur, d’intervenir pour empêcher les « fous de Dieu » de tuer impunément et d’imposer leur idéologie (que je ne veux pas qualifier. C’est leur droit d’en avoir une. Ce n’est pas leur droit de l’imposer).

5/ Selon les informations de presse, il semblerait que l’assassin de Mohamed Brahmi soit un franco-tunisien de France. Ce n’est pas la première fois que des Français binationaux sont impliqués dans des actes terroristes. On en trouve dans les maquis islamistes de Syrie. On en a même trouvé au Mali, luttant contre les troupes françaises. Il ne s’agît pas d’actes isolés. Des organisations salafistes existent en France. Elles sont dangereuses. Le sinistre Mohamed Mérah en a été l’exemple le plus médiatisé.

Ecrivant cela, je vois déjà la réaction d’une certaine gauche (rejointe par une partie de la droite « civilisée ») bien-pensante : « attention aux amalgames », « ne stigmatisons pas les musulmans de France ». Disant cela, cette gauche-là s’impose le silence et voudrait, par la même occasion, nous l’imposer. Je crois au contraire qu’il faut parler. La majorité de ceux qui se réclament de l’islam (et qui s’en réclament parfois un peu trop fort, ce qui est en contradiction avec notre république laïque où les convictions et pratiques religieuses ne doivent, en principe, relever que la sphère privée) n’a certes rien à voir avec le terrorisme. La plupart sont de braves gens qui ont une pratique tolérante de leur religion et qui, notamment, en cette période du ramadan, sont prêts à faire le bien et à faire l’effort de s’améliorer (ce qui est le sens premier du mot « djihad »). Pourtant, je ne peux que déplorer que bien peu d’autorités religieuses musulmanes condamnent la vision bornée de la religion qu’ont les islamistes. Cela doit interpeller. Il ne suffit pas de dire qu’on n’a rien à voir avec le terrorisme. On attend davantage. Sans quoi, le silence peut être assimilé à la complicité.

6/ Le problème n’est pas de savoir si l’islam et ses textes saints sont la porte ouverte à l’islamisme et à ses dérives. Toute religion est bonne ou mauvaise. C’est une question d’interprétation des textes fondateurs qui, le plus souvent, sont à double ou multiple sens. Je me refuse en conséquence de me lancer dans ce débat stérile.

Nous avons la chance en France d’avoir un régime laïque dont la principale caractéristique est de fonctionner autour de valeurs et de principes qui ne sont pas innés mais qui ont mis du temps à s’imposer. N’oublions pas que, au 19ème siècle et au début du 20ème le combat pour imposer la laïcité a été long et difficile. Il existe désormais un consensus, même si celui-ci est parfois rompu (cf les différends sur l’école privée, l’avortement, et, tout récemment, le « mariage pour tous »). La convivialité entre personnes de religions différentes ou sans religion est toujours un équilibre instable qu’il faut sans cesse fortifier. Lorsqu’on croit dans une religion, il n’est certes pas facile d’admettre que la loi des hommes est au-dessus de celle de son Dieu et lorsqu’on est athée, il peut être pesant de faire des concessions à des croyances que l’on estime surannées. La démocratie et la laïcité nécessitent des efforts réciproques et l’équilibre auquel parvient la société n’est pas souvent l’idéal de chacun.

C’est pourquoi, la défense de la laïcité devrait être la priorité des priorités pour vivre en société. Le problème n’est pas de stigmatiser telle ou telle religion, telle ou telle soit disant communauté (déjà se définir comme appartenant à une « communauté », c’est se placer en dehors de la seule communauté qui doit exister, la communauté nationale). Le problème est de vivre avec les règles de la République qui doivent s’imposer à tous. Dans ces conditions, il est impératif de refuser quelque dérogation que ce soit aux règles de la République pour motif religieux. Cela ne vise aucune religion en particulier et s’applique à tous. Si ces règles gênent certains pratiquants d’une religion particulière, c’est à eux de s’adapter aux lois de la République et non le contraire. S’ils ne le veulent pas, ils tombent sous le coup de la loi et doivent être sanctionnés. S’ils ne le peuvent pas, qu’ils quittent la France. Ils pourront trouver des pays plus compréhensifs vis-à-vis de leurs pratiques.

7/ On a trop laissé faire en France sous prétexte d’éviter de stigmatiser. Ce laxisme a produit les Mérah et autres assassins de Belaid et de Brahmi. Il est temps de réagir.

Il en va de la cohésion de la société française. Il en va aussi du combat magnifique et héroïque que nos frères tunisiens, algériens et d’ailleurs mènent chez eux pour sortir leurs pays de la barbarie et y instaurer, enfin, la Civilisation (avec un C universel majuscule). Toute faiblesse avec « nos » islamistes, toute dérogation acceptée dans nos cantines scolaires, dans les piscines et les gymnases, dans les hôpitaux ou sur la voie publique est un coup de poignard dans le dos de ceux qui luttent contre l’obscurantisme intolérant de l’autre côté de la Méditerranée, mais aussi, plus près de nous, dans certaines des cités de nos banlieues.

8/ Pour terminer sur la Tunisie, l’enjeu de ce qui s’y passe est capital pour l’avenir, non seulement de ce pays, mais aussi de tous ceux qui sont de tradition musulmane. La dérive des « printemps » arabes vers un « hiver » islamiste a pu nous inciter au pessimisme et au déterminisme du « choc des civilisations ». On peut, désormais, être davantage optimiste. Dans cette Tunisie, petite par la taille, mais grande par le niveau d’éducation de sa population (merci Bourguiba, mais aussi, que ça plaise ou non, Ben Ali), les aspirations à la démocratie, au progrès et à la modernité, un temps « sonnées » par les circonstances de la chute de Ben Ali au cours de laquelle démocratie a semblé rimer avec islamisme soit disant « modéré », reprennent le dessus. Des millions de gens ne veulent pas être traités en enfants jamais émancipés. A l’image des Turcs réunis sur la place Taksim, ils veulent dire « je bois de l’alcool ou je n’en bois pas, c’est mon affaire, pas celle du gouvernement », « je jeûne pendant le mois du ramadan, si je le veux ; c’est mon choix, pas celui de l’Etat ». Et même, (ils n’osent pas encore le dire mais cela viendra parce que les Tunisiens ont droit aux mêmes libertés que les autres) : « j’avorte si je veux, c’est mon corps » ou « je suis homosexuel, c’est mon choix ».  

C’est cela la démocratie, c’est cela la laïcité, c’est cela la liberté. A Tunis, à Montfermeil et partout !          

                                                        Yves Barelli, 27 juillet 2013                                                

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4 juillet 2013 4 04 /07 /juillet /2013 15:52

Cette foule sur le place Tahrir du Caire faisant la fête après la destitution du président Morsi par l’armée et embrassant les militaires présents, me fait penser à ces hordes de supporters criant « on a gagné, on a gagné » et félicitant l’arbitre qui a accordé le pénalty imaginaire de la victoire. Tous les moyens sont bons, pourvu qu’on batte l’autre, si possible en l’humiliant et même par la triche !

J’ai analysé dans mon article du 1er juillet la situation en Egypte. J’ai souligné les fautes des islamistes au pouvoir. Ils ne sont plus là. Je ne vais pas les pleurer, mais…

Mais, d’évidence, la démocratie n’y trouve pas son compte. Un président régulièrement élu déposé, des centaines d’arrestations de gens dont le seul crime est d’appartenir à un parti qui a gouverné (mal, mais qui a gouverné) après des élections régulières, cela ne peut me satisfaire, ni ne satisfaire, je crois, aucun démocrate.   

Pis, si le coup d’état réglait le problème égyptien, on pourrait dire qu’il est un moindre mal. Mais ce n’est pas le cas.

Que le parti des Frères Musulmans ait échoué sur toute la ligne, nul de bonne foi ne le conteste. Je l’ai écrit. Echec économique avec une situation proche du chaos. Echec politique avec cette volonté d’imposer une islamisation primitive et ridicule (jusqu’à vouloir interdire à l’opéra les danseuses en tutu : c’est une injure à l’islam de vouloir prendre des mesures aussi puériles !) à tous les Egyptiens, même, parmi les musulmans, à ceux qui n’en veulent pas, et même aux non musulmans. Echec tactique en négligeant une concertation minimale avec l’armée, seule force organisée qui reste en Egypte.

Mais face à un gouvernement qui échoue, dans une démocratie, on n’envoie pas les tanks. On manifeste pacifiquement, on fait grève, on tente de provoquer une dissolution du parlement ou on attend la prochaine élection pour sanctionner le pouvoir.

Les Frères Musulmans étaient sans doute bien placé pour subir une déroute électorale lors des prochaines élections. Mais, de coupables d’échec au pouvoir, on les transforme en victimes d’un déni de démocratie. Cela pourrait les servir.  

Visiblement, peu parmi les protagonistes de la scène égyptienne sont des démocrates. Ni les frères Musulmans, ni ceux qui ont manifesté sur la place Tahrir. Ni bien sûr, sans doute, les militaires.  

Ce refus de ces manifestants, comme des Frères Musulmans de ne reconnaître une élection que lorsqu’elle est gagnée, voire de vouloir changer le cours sans élection, est inquiétant.

Une telle attitude porte en germe la guerre civile. D’autant que, si les Frères Musulmans, ne sont pas des modèles de démocrates, il est d’autres islamistes, bien plus radicaux qu’eux, qui ne veulent même pas entendre parler d’élections pour une simple « raison », c’est que la volonté de Dieu prime sur les choix des hommes et que cela est antinomique à l’idée même de démocratie. On ne peut exclure que les salafistes appuyés par une partie des Frères prennent le maquis et se lancent dans le terrorisme. L’Algérie a connu une décennie de guerre civile avec 100 000 morts à la suite de l’interruption d’un processus électoral où les islamistes du FIS étaient en passe de remporter les élections (de manière d’ailleurs plus contestable qu’en Egypte, tant les élections, en Algérie, dépendent souvent plus des luttes de clans militaires que de la volonté populaire). Cette situation peut se reproduire en Egypte.

Jouer aux démocrates lorsqu’on ne l’est pas, c’est encore pire que refuser des élections. D’ailleurs, à quoi bon faire voter les gens si on ne leur reconnait pas, à l’avance, le droit de ne pas faire le même choix que soi-même. Autant avoir un parti unique comme sous Ben Ali, ou pas de parti du tout, comme au Qatar. Au moins, c’est plus clair.

Que doit faire ce qu’on appelle la communauté internationale ?

Pour le moment, rien si ce n’est que, à défaut de démocratie, au moins on évite les arrestations arbitraires et les tortures dans les casernes.

Et, surtout, laissons travailler les Egyptiens. La fête est finie au bord du Nil. Il est temps de se mettre au travail. Il faut reconstruire l’économie, faire fonctionner à nouveau les services publics, distribuer les aliments de première nécessité aux plus pauvres (seule chose que les Frères Musulmans savaient faire). Si, en plus, les touristes reviennent, ce sera parfait.

La démocratie attendra des jours meilleurs…

 

                                                               Yves BARELLI, 4 juillet 2013                

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1 juillet 2013 1 01 /07 /juillet /2013 19:56

L’Egypte n’est pas seulement un pays important par sa population (80 millions), son territoire, son économie et sa position stratégique (avec le canal de Suez), c’est aussi, et surtout, une grande civilisation, celle des pharaons de l’Antiquité, bien sûr, mais aussi celle qu’elle porte depuis plus de dix siècles, au cœur de la culture arabe. L’université Al Azhar a un rayonnement international, son cinéma, sa chanson, sa littérature confèrent à l’Egypte un immense prestige dans tout le monde arabe et au-delà, à tel point que tout Arabe se sent un peu égyptien. En 1956, Gamal Abdel Nasser libéra l’Egypte, et avec elle le monde arabe, de la domination étrangère. Son souvenir demeure, et avec lui celui d’une forme particulière de socialisme laïque.

Les successeurs de Nasser ne surent pas en assumer l’héritage. En troquant le Sinaï et la paix contre la reconnaissance d’Israël et la soumission aux intérêts américains, le pays a un peu perdu de son âme et s’est mis, pour quelques temps, en marge du monde arabe.

La « révolution » de 2011 a suscité, de nouveau, de grands espoirs. L’Egypte redevenait un phare sur la voie de la liberté des peuples. Un monde nouveau allait-il naître sur la place Tahrir ? Pas sûr, tant les revendications, dans un souci d’unanimité, furent minimalistes. Elles se résumèrent, en fait, au fameux « dégage », mot d’ordre d’abord utilisé en Tunisie contre Ben Ali, puis extrapolé à Moubarak au bord du Nil.

Si les mots d’ordre, à Tunis, au Caire et ailleurs furent aussi minimalistes, c’est parce que des aspirations contradictoires se faisaient face. Pour les uns, il y avait une soif de démocratie et de modernité, pour les autres, c’était le retour à l’ordre moral islamique, tant le « raïs » déchu, avec ses détournements, son népotisme et son clientélisme avait symbolisé l’immoralité.  

Qu’avaient en commun les jeunes instruits et ouverts sur la « world-civilisation », les Frères Musulmans, aux intentions souvent respectables pour lesquels le salut était inscrit dans le coran, y compris par la charité (la zakat ») envers les plus pauvres, et les islamistes extrémistes, qui confondent révolution et « djihad » violent ? A peu près rien, si ce n’est ce lancinent mot d’ordre « dégage ».

Les bonnes âmes occidentales crurent qu’il suffisait d’organiser des élections libres, honnêtes et transparentes (auparavant, elles ne l’avaient jamais été) pour que l’Egypte devienne un pays démocratique comme un autre et pour qu’un président élu s’appuyant sur une majorité parlementaire représentative du peuple puisse entreprendre une politique économique et sociale adéquate capable de sortir le pays du sous-développement.

Mais les choses ne sont pas si simples. Les Frères Musulmans ont gagné les élections, le président Morsi, qui en est l’émanation, a été porté à la tête de l’Etat. Ces islamistes, que l’on disait pacifiques, voire « modérés » (comme ceux de Turquie), se révélèrent en fait des dictateurs violents et intolérants. Le peuple les a porté au pouvoir pour « moraliser » l’Etat et la société, pas pour imposer leur conception bornée de l’islam non seulement à des musulmans qui n’y aspiraient pas, ou pas complètement, mais aussi aux non musulmans (les Chrétiens coptes, dont les ancêtres, les plus vieux habitants de l’Egypte, exerçaient déjà leur religion plusieurs siècles avant la conquête arabe et musulmane, sont 10% de la population, et d’autres Egyptiens, soit sont sans religion, soit ne veulent pas mélanger islam et organisation de la société).

Ce fut la première faute de Morsi et de son gouvernement : imposer leur bigoterie à ceux qui n’en veulent pas.

La seconde faute est de penser que le coran a tout résolu et tout prévu une fois pour toutes. Malheureusement pour eux, le coran est un livre respectable qui donne quelques règles de vie destinées initialement aux bédouins du désert dans l’Arabie du 7ème siècle, celle du prophète Mohammed, qui donne aussi, et cela devrait suffire, des orientations morales destinées à conduire les fidèles sur la voie de l’amour du prochain et de leur propre salut, mais le livre saint ne constitue pas un programme pour une politique économique et sociale à mener dans l’Egypte d’aujourd’hui.

Et il y a une troisième faute, rédhibitoire en Egypte (et, souvent, ailleurs). Morsi a négligé l’armée, il l’a même humiliée. Or, l’armée est une force considérable, militaire mais aussi économique. Dans ce pays qui va à vau l’eau, c’est même la seule force organisée qui subsiste.

Aujourd’hui quelle est la situation ?

1/ Sur le plan économique, catastrophique. L’Egypte de Moubarak avait des taux de croissance nettement supérieurs à la pression démographique. Le tourisme, mais aussi l’industrie, l’agriculture, les services fonctionnaient (plus ou moins bien). Le pays commençait économiquement  à compter dans cette partie du monde ; le niveau de vie moyen restait très bas (à des années-lumière des pays pétroliers du Golfe, sensiblement inférieur aux pays du Maghreb), mais il augmentait. Certes, la corruption, l’édification de fortunes indécentes côtoyant la misère, la bureaucratie, les dysfonctionnements de toutes sortes assombrissaient considérablement le tableau. Mais aujourd’hui, une nouvelle classe parasite s’est constituée dans le sillage des islamistes, la corruption est aussi forte qu’avant, les dysfonctionnements encore pires. Mais, surtout, il n’y a presque plus de tourisme et il n’y a plus de croissance. L’économie est complètement désorganisée, les prix des denrées de première nécessité s’envolent et, malgré les organisations charitables des « Frères », la pauvreté s’étend.

Au lieu de se consacrer à l’économie (sans doute attendait-on tout du « ciel »), le gouvernement islamiste s’est employé à tenter d’islamiser la société à marche forcée. Tel bistroquet est sanctionné pour avoir servi de l’alcool, telle prof est admonestée parce qu’elle a osé, dans une tenue « indécente » (sans le « hidjab »), présenter un tableau équilibré de l’apport des religions (alors que seule la « charia » doit être évoquée). Les coptes sont soumis à des brimades et les universitaires qui ne sont pas dans la ligne de cette charia sont  ostracisés (et menacés par les « barbus »).

2/ Une chape de plomb serait tombée sur l’Egypte si, un peu contre toute attente (en tout cas avec une ampleur imprévue), une partie de la société ne s’était dressée contre les prétentions du pouvoir.

Les manifestations qui se déploient depuis quelques jours en Egypte sont sans précédent. Même au plus beau temps de l’occupation de la place Tahrir il y a deux ans, aucune contestation de cette ampleur n’avait été constatée. La manifestation qui s’est déroulée le 30 juin a rassemblé plusieurs millions de participants.

Le slogan « dégage » a été ressorti, à l’encontre du président Morsi cette fois.

3/ L’armée commence à sortir de sa réserve. C’est sans doute le phénomène le plus important depuis hier. Non seulement, elle ne s’oppose pas (la police pas davantage) aux manifestants, mais elle les soutient de fait. Peut-être même certains sont manipulés par elle. En Egypte comme ailleurs, l’armée est garante d’une certaine forme de laïcité (pas à la française. L’islam est la référence, mais les militaires entendent mettre une limite à cette référence : elle ne saurait être autre que symbolique et rituelle).

4/ On peut être inquiet sur l’évolution de la situation. Visiblement, la démocratie, tout le monde en parle, mais peu l’acceptent lorsqu’elle constitue une limite à ses convictions. Même si on peut éprouver de la sympathie pour eux, on ne peut dire que les anti-Morsi soient des démocrates. Bien que régulièrement élu, ils ne lui reconnaissent aucune légitimité. En fait, ils veulent le renverser par la force. S’ils sont soutenus par l’armée, ils peuvent y parvenir. Mais, il sera difficile de parler alors de démocratie.

De l’autre côté, les élections n’ont été qu’un prétexte pour imposer un pouvoir théocratique. D’ailleurs, il y a contradiction entre démocratie et théocratie. Si le coran a tout prévu et si les élections ne servent qu’à souscrire à la parole de Dieu, sans qu’aucune alternative ne soit même envisagée, il n’y a pas non plus de démocratie.

Qui est majoritaire dans l’opinion ? Nul ne le sait. Pour le moment, la seule question est : qui est le plus fort ? C’était Morsi. La force est en passe de changer de camp. A moins qu’elle soit finalement récupérée par d’autres (les militaires) aux motivations sans doute différentes (chez certains généraux, l’enrichissement personnel est la première).

5/ Force est de constater que la démocratie n’est pas l’aspiration unanime des Egyptiens. Il semblerait même que personne n’en veut car tous veulent imposer leurs vues, avec ou sans élections. Avec élections peut-être, mais à condition de les gagner (si on perd, on n’en reconnait pas le résultat).

6/ L’Egypte, pour sortir du sous-développement, a besoin de stabilité. La démocratie n’est pas quelque chose d’inné. Elle s’apprend. C’est le résultat d’un processus, d’une évolution des mentalités qui permet de passer de la loi de la jungle, du pouvoir imposé par le plus fort, à quelque chose de plus élaboré qui consiste à accepter la loi d’une majorité sans que celle-ci ne brime la minorité. Ce n’est pas facile, même chez nous, où l’austérité est imposée aux peuples sans qu’on les consulte et où la loi des « marchés » semble primer sur le suffrage universel.

Alors de quoi l’Egypte a-t-elle besoin ? D’une pacification des esprits, si c’est possible (on peut être pessimiste à court terme). D’une croissance économique certainement. A défaut de démocratie, qu’au moins le niveau de vie augmente.

Et, j’ajouterais, l’Egypte a besoin d’un nouveau Nasser. Quelqu’un qui lui rende sa fierté, qu’il lui fixe un idéal qui ne soit ni le rabâchage des versets du coran ni la copie sans imagination de ce qu’il y a de pire dans l’ « American Way of Life ».

On peut rêver. Ce ne sera pas pour tout de suite. Mais ça viendra.

Ce qui se passe en Egypte, mais aussi en Turquie, en Tunisie, en Algérie, voire dans nos banlieues, est à suivre de près en essayent d’observer une attitude qui ne soit ni l’interférence ni l’indifférence. L’islamisme est un combat global. Il est inspiré par une idéologie. Il est impulsé et financé par quelques monarchies pétrolières (avec d’ailleurs une concurrence entre Arabie saoudite et Qatar). Il peut prendre plusieurs formes, violentes, terroristes ou plus pacifiques, mais il n’est pas modéré parce que, fondamentalement, il est totalitaire (en ce sens qu’il veut diriger non seulement le pouvoir politique mais aussi les individus). Nous avons le devoir d’aider ceux qui s’y opposent. Ceux qui veulent créer une forme de laïcité (même si le sens du mot et la réalité peuvent varier).

 

Le combat sera frontal. Au moins tant que les uns et les autres n’accepteront pas de tolérer autre chose que leur point de vue. Lorsqu’ils l’accepteront, on pourra commencer à parler de démocratie./.

                                          Yves BARELLI, 1er juillet 2013                                                      

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