Je suis choqué que l’on ait déployé d’aussi gros moyens et qu’on ait sacrifié deux soldats pour délivrer des « touristes » français inconscients et indisciplinés. Je suis encore plus choqué que le président de la république soit allé accueillir ces individus (transportés par un avion de la république) comme des héros en tentant une opération (d’ailleurs avortée compte tenu de la polémique) politicienne dans le cadre de sa campagne électorale si piteusement menée pour l’élection « européenne ».
1/ Ces individus se sont délibérément mis en danger (et les voyagistes qui les y ont envoyé sont sans doute au moins aussi coupables qu’eux) en allant faire du tourisme dans une région réputée dangereuse à cheval sur les zones « formellement déconseillées, quel que soit le motif » (elles figurent en rouge sur les cartes du site « conseil aux voyageurs » du ministère français des affaires étrangères) et celles « déconseillées sauf raison impérative ». Le tourisme n’en est évidemment pas une.
On écrit seulement « déconseillé » pour respecter la liberté de nos compatriotes de voyager ou non à leurs risques et périls, l’Etat français n’ayant pas jugé opportun d’ « interdire », le cas échéant, à ses nationaux les voyages dans certains pays. A cet égard, il ne serait sans doute pas incongru de réfléchir à la possibilité de légiférer pour transformer en délit le non-respect de ces prescriptions (de tels « délits » ou « crimes » existent par exemple pour les « voyages » en Syrie pour participer au « djihad » ou pour les crimes de pédophilie commis par des Français en dehors du territoire national, quand bien même de telles activités seraient légales ou tolérées dans certains pays, d’Asie du sud-est par exemple). Il faut parfois aller au-delà du simple respect de la liberté individuelle. Après tout, on n’est pas libre, par exemple, de conduire sans ceinture de sécurité, quand bien même on en accepterait le risque.
A tout le moins, si on s’en tient au terme « déconseillé », devrait-on spécifier sur les « conseils aux voyageurs » que, dans certaines zones, cela se fait aux risques et périls du voyageur et que l’Etat décline toute responsabilité, donc toute obligation de secours.
Il y aurait lieu aussi, me semble-t-il, de responsabiliser les voyagistes qui vendent des circuits dans des régions dangereuses. Je n’ai pas d’information particulière sur le cas d’espèce, celui de ces deux ex-otages. S’ils ont simplement acheté des billets d’avion sur Paris-Cotonou, rien à dire : Cotonou et la plus grande partie du Bénin sont en zone « vigilance renforcée », donc pas « déconseillée ». S’ils ont acheté sur place un circuit dans le nord du pays, la responsabilité du voyagiste français n’est pas engagée. En revanche, si ce dernier a vendu l’ensemble du circuit, pour moi sa responsabilité, au moins morale, est engagée.
2/ D’une façon générale, je crois que trop de nos compatriotes sont totalement inconscients des risques qu’ils prennent quand ils voyagent.
Personnellement, du fait de mon métier passé et de mon goût pour les voyages, j’ai une très grande expérience des déplacements à l’étranger (j’ai voyagé à ce jour dans 158 Etats ou territoires).
Voici ce que je fais avant d’entreprendre un voyage où que ce soit. D’abord, je consulte le site internet « conseil aux voyageurs » (on y accède facilement par un moteur de recherche ou via www.diplomatie.gouv.fr) qui a une rubrique très détaillée pour chaque pays avec des sous-rubriques « sécurité » (avec les cartes des zones mentionnées supra et les rubriques spécifiques « délinquance », « risques naturels », « terrorisme », sécurité sur la route, dans les airs et sur les eaux, législation locale sur les drogues, matériels politiques, pornographiques, etc), « entrée/séjour », « santé », « infos utiles », plus « dernière minute ». Ces informations sont constamment mises à jour sur la base des éléments fournis en permanence par les ambassades et validés par le Quai d’Orsay. Je puis dire par expérience le soin qui est apporté par nos missions diplomatiques à donner les informations les plus justes et actualisées. Un ambassadeur qui ne le ferait pas serait sanctionné. J’ajoute que, par principe de précaution, on a évidemment tendance à un peu exagérer les dangers mais pas trop (trop, c’est mettre en péril l’activité touristique du pays de résidence, ce qu’on ne fait pas à la légère pour éviter l’incident diplomatique ; pas assez serait mettre en jeu la responsabilité de l’ambassadeur : on reste donc en fait objectif).
Une fois ceci fait, si je décide de poursuivre mon projet de voyage, je prends, dans les pays à risque, l’attache de l’ambassade de France. Pour moi, diplomate retraité, c’est évidemment facile. Mais j’ajoute qu’il est demandé, dans les pays à risque, à n’importe quel particulier d’informer l’ambassade de son projet en indiquant les régions qu’il compte visiter. Cela peut permettre d’informer les autorités locales qui peuvent renforcer la protection de notre compatriote (cela surtout, évidement, pour des déplacements professionnels d’intérêt mutuel).
D’une façon générale, je conseille à tout voyageur dans les pays à risque d’être accompagné par des locaux (cela était le cas pour les deux otages du Bénin mais cela, manifestement, ne suffit pas). A titre d’exemple, j’ai beaucoup voyagé au Brésil, pays dangereux ; j’y ai toujours été accompagné par des Brésiliens : ils connaissent les endroits dangereux (il y a même des cartes routières qui mentionnent les routes où les agressions sont les plus fréquentes). Idem, par exemple, pour l’Algérie. Je me suis aussi déplacé beaucoup au Venezuela (souvent seul en voiture mais en prenant des précautions).
La règle de base à observer est qu’il faut passer inaperçu au maximum. Donc oubliez les photos à faire en public. Dans un lieu peu sûr, il vaut mieux se déplacer en voiture climatisée toutes vitres fermées plutôt qu’en transport public ou à pied. Eviter par exemple les plages désertes. Ne pas sortir la nuit, même en ville. A l’arrivée à l’aéroport (lieu le plus vulnérable) dans le pays, s’arranger avant le départ pour être attendu : éviter les taxis. Dans beaucoup de pays (par exemple le Brésil), les lieux les plus visités sont protégés par la « police touristique » ; à titre d’exemple, pas de problème majeur à Rio de Janeiro dans les quartiers les plus visités, mais ne pas s’en écarter et, même là, faire attention (par exemple sur la plage de Copacabana, très large, mieux vaut rester sur le trottoir que sur la plage elle-même, sauf si vous êtes avec des « Cariocas »).
Pour passer inaperçu, il y a évidemment la couleur de la peau. Etre blanc et voyager en Afrique, ça se voit tout de suite. Un Blanc y est une cible potentielle tant pour les terroristes que pour les délinquants ordinaires. Il faut donc être accompagné par des locaux. J’ai ainsi circulé il y a deux ans au Togo, au Ghana et au Bénin : dans ces trois pays, j’étais évidemment en contact avec les ambassades de France. J’ai évité les régions musulmanes du nord (celle où les deux inconscients ont été enlevés), mais aussi la région proche du Nigeria (danger du fait des trafics) et je m’en suis tenu aux déplacements diurnes (à la fois parce qu’il faut être inconscient pour rouler la nuit et parce que certains quartiers sont des coupe-gorges la nuit). Avec ces précautions minimales, on peut encore se déplacer (à condition d’être un voyageur expérimenté) sans prendre trop de risques dans quelques pays africains comme la Côte d’Ivoire (il y a eu à Grand Bassam un attentat terroriste ; mais il y en a eu plus en France !), le Gabon ou le Sénégal (mais attention : sans jouer les oiseaux de mauvais augure, ce pays, en bordure du Sahel, va devenir dangereux d’ici peu ; j’ai circulé autrefois en voiture dans tout le Sénégal, je ne le ferais plus maintenant et je conseille à nos compatriotes de s’en tenir à Dakar). D’une façon générale, dans beaucoup de pays, il ne faut pas sortir de la capitale, plus sécurisée que le reste du territoire. En Afrique, et sans doute pour longtemps, la « brousse », c’est fini !
Compte tenu de l’actualité, il y a plus de risques, sauf exception, dans les pays musulmans que dans les autres. Les gens y sont certes majoritairement accueillants (c’est le cas quasiment partout dans le monde) mais la minorité islamiste activiste (qui inspire crainte ou adhésion des autochtones) nous cible. S’agissant du Sahel (y compris le nord du Bénin, mais aussi le Sénégal), on cumule les inconvénients de l’Afrique et de l’islam. S’y ajoute la présence de djihadistes très mobiles (donc qui peuvent frapper n’importe où) et des Etats faibles et souvent corrompus. Donc à éviter absolument.
D’une façon générale, méfiez-vous des pays où l’Etat est faible ou corrompu. Donc, sauf raison impérative ou si vous êtes pris en charge localement (même dans ce cas certains pays restent dangereux), évitez le tourisme en Afrique noire francophone (en revanche l’Afrique orientale et australe anglophones reste possible, encore que moins sûre qu’autrefois : par exemple le Kenya ou l’Afrique du Sud). Dans certains pays, plus forts et donc plus sécurisés, on peut se déplacer en assez bonne sécurité. A titre d’exemple, j’ai récemment voyagé avec mon fils (qui est médecin, sécurité supplémentaire) en Iran, seuls en voiture de location (les routes sont dangereuses et il faut être bon conducteur et habitué à la conduite du tiers-monde, qui n’a rien à voir avec la nôtre) : notre impression a été celle d’une totale sécurité. Autre exemple : j’ai encore conduit, seul, au Maroc il y a quelques mois. Je m’y sens en fait davantage en sécurité qu’en France parce ce que la police est omniprésente et les contrôles nombreux ; mon sentiment de sécurité est renforcé parce que je connais très bien ce pays où j’ai vécu il y a quelques années (dans tout pays, il y a des « trucs » à connaitre, des choses à faire et d’autres à éviter). En Amérique latine, je sais éviter les zones à risque et ma connaissance de l’espagnol est un précieux secours (sinon, n’y allez pas seul). Je prends certes des risques, mais je les minimise.
Autre chose. Le terrorisme ou la délinquance ne sont pas les seuls dangers. Sans même parler des maladies tropicales, des séismes, des ouragans (il ne faut pas aller aux Antilles, par exemple, en automne ou en Inde et Asie du Sud-est à la saison des moussons ; ou encore à New-York en hiver : les tempêtes de neige, lorsqu’elles se produisent, bloquent aéroports et routes pendant plusieurs jours), il ne faut pas oublier que les routes sont souvent dangereuses et que, en cas d’accident, les services de secours aux blessés sont dans de nombreux pays (y compris en Europe), souvent lents, déficients, voire inexistants. Dernièrement, des centaines d’étrangers ont été immobilisés, en fait abandonnés par des autorités locales totalement dépassées, à Bali du fait d’une éruption volcanique. Bali est pourtant une destination très courue. Mais pas sans risque.
Ne pas négliger non plus les risques « politiques » ou liés aux mœurs. Si vous partez en célibataire pour aller « draguer », même les pays réputés sûrs peuvent être dangereux. Les Etats-Unis par exemple (voyez ce qui est arrivé à DSK) ou Dubaï (pourtant à la mode). A Dubaï par exemple notre consulat est sollicité de temps en temps pour tirer d’affaire certaines compatriotes parfois emprisonnées après avoir eu un différend avec un autochtone (auquel la police donne toujours raison contre un étranger, à plus forte raison une femme). A titre d’exemple, certaines jeunes filles françaises arabophones de confession musulmane sont fascinées par Dubaï ; bêtement, elles sortent en boite et se font draguer par des locaux ; quand elles résistent aux avances, les éconduits se vengent facilement en alertant la police qui arrête les « coupables » étrangères pour prostitution. Notre consulat les sort en général de cette mauvaise situation mais il gaspille des moyens limités pour sauver des filles n’ayant rien dans la tête (et trop dans le reste du corps !).
Un dernier mot sur les voyages « organisés » : leur sérieux, et donc leur sureté, sont très variables. Dans certains pays du tiers-monde où rien ne fonctionne et où la corruption est généralisée, les voyagistes locaux n’y sont pas à l’abri. Dans tous les cas, demander l’avis de l’ambassade de France. Elles connaissent les voyagistes et transporteurs locaux fiables. Dans le doute, abstenez-vous !
En résumé, le risque zéro n’existe pas mais, sous prétexte que, même à Paris, on n’est pas à l’abri (c’est vrai que Paris est devenue une ville qui peut être dangereuse, un peu pour les Parisiens mais beaucoup plus pour des étrangers ne connaissant ni le pays ni la langue ; cela étant, dangereuse pour les risques de vols et objectivement peu pour les agressions aux personnes, en tout cas moins que dans beaucoup d’autres pays), inutile de tenter le diable. Désormais, dans le monde dangereux qui est le nôtre, voyager est devenu plus risqué qu’autrefois. En dehors de l’Europe, de l’Amérique du Nord, de la plus grande partie de l’Asie (ce qui ne doit pas empêcher de se méfier même dans ces zones) et de quelques autres pays, les voyages doivent désormais être réservés aux voyageurs très expérimentés ou très bien encadrés (à titre d’exemple, vous pouvez aller en République dominicaine sans problème si vous avez acheté un bon forfait, si vous êtes en bonne santé et si vous restez dans les hôtels « tout inclus » et sécurisés, mais si vous ne parlez pas espagnol et que vous n’avez pas l’habitude de l’Amérique latine, n’en sortez pas).
Ce matin à la télévision, un publiciste connu assez âgé disait qu’il avait fait une partie du tour du monde en 2CV mais que ce n’est plus possible aujourd’hui. Moi-même, j’ai traversé l’Europe en auto-stop : plus possible aujourd’hui ! J’ai rencontré il n’y a pas longtemps au milieu de la Bolivie deux jeunes (un garçon et une fille) faisant le tour du monde à vélo : franchement une folie à ne pas faire. Peut-être l’ont-ils réussi vivant et sans maladie sérieuse et en sont-ils fiers. On peut aussi traverser les yeux bandés une avenue fréquentée sans se faire renverser en comptant sur la chance et la capacité des automobilistes à vous éviter, mais une personne sensées ne le ferait pas.
Donc, si vous n’êtes pas un expert du voyage, privilégiez la Bretagne ou la Corse à Dubaï : le climat y est bien plus agréable et il y a plus à voir et à faire. Quant au Nord-Bénin, il y fait trop chaud, les moustiques et les mouches désagréables, les conditions d’hébergement sont déplorables et les parcs nationaux moins bien qu’en Afrique du Sud. Et pour voir des éléphants et des lions, Thoiry n’est pas mal non plus. Voyager sans expertise, c’est comme conduire sur une route mouillée avec des pneus lisses : c’est très dangereux !
3/ Quant à la polémique « fallait-il envoyer des soldats pour sauver nos compatriotes ? », les avis sont partagés. Certains disent qu’on va bien secourir en montagne des imprudents partis en tongs. Mais ce n’est pas pareil. Dans le cas du secours en montagne, il y a un risque pour les sauveteurs mais ce sont de bons professionnels qui savent calculer les risques. Dans le cas du sauvetage des otages du Bénin, on a affaire à des criminels prêts à tout et, à mon avis, on a trop demandé à nos soldats : ne pas tirer les premiers pour ne pas risquer d’atteindre les otages. En pareil cas, les Américains, les Russes ou les Israéliens, pour s’en tenir à ces exemples, auraient sans doute tiré les premiers. Raisonnons froidement, voire cyniquement : si je dois choisir entre la vie de ces deux idiots inconscients et celle de nos soldats, je choisis de privilégier nos soldats.
Je crois en outre que la première responsabilité a été celle du président de la république. Je pense qu’il n’aurait jamais dû prendre la décision de tenter l’opération. Ces deux individus étaient certes en otage mais pas immédiatement menacés de mort. C’est un cas très différent de celui où des otages sont détenus, où ils sont menacés de mort par exemple si on ne satisfait pas à des revendications irréalistes et, surtout, lorsque les terroristes ont commencé à mettre leurs menaces à exécution. Exemples : les otages du Bataclan, ceux de l’Hyper Cacher ou encore ceux de l’avion qui avait été détournés il y a quelques années par des terroristes algériens sur l’aéroport de Marignane. Dans ces cas, l’intervention était impérative. On en savait les risques. Ils étaient à prendre. Rien de tel pour les deux otages enlevés au Bénin.
4/ Hélas, on peut soupçonner le président Macron d’avoir saisi cette occasion pour faire un « coup » politique en se présentant comme le chef de guerre courageux sauveur de compatriotes en danger. D’où la mise en scène scandaleuse de cet avion « République française » filmé par toutes les télés convoquées atterrissant à Villacoublay et de ce président s’avançant au pied de la passerelle pour saluer les « héros ». Nous n’avons échappés au discours que parce que la polémique, déjà entamée, risquait de se retourner contre l’instigateur de ce mauvais scénario.
5/ Je rends hommage, évidemment, à nos deux soldats morts en service commandé. Ils étaient des militaires hors pair, des soldats d’élite d’un très grand professionnalisme et d’une valeur morale exceptionnelle. Ils étaient prêts à mourir pour la Patrie. Ils sont hélas tombés pour sauver deux coupables inconscients (qui, de mon point de vue, devraient passer en justice) partis en « voyage de noces » (ils forment un couple d’hommes) et pour permettre à un président de la république, au plus bas dans les sondages, de remonter un peu (si c’est possible ?) la pente de l’impopularité.
Bien sûr que l’hommage de demain aux Invalides est nécessaire et légitime. Toute la Nation doit y participer.
Mais quelle responsabilité pour ce président qui a envoyé ces soldats au casse-pipe, quelle honte pour ces ex-otages (même leurs mots prononcés à l’arrivée et préparés par les conseillers en communication de l’Elysée et du Quai d’Orsay qui les leur ont dictés dans l’avion sonnaient faux) !
Quel gâchis que ces vies brisées ! Quel scandale que tout cela ! Si seulement cela peut servir de leçon pour le futur, tout n’aura pas été perdu./.
Yves Barelli, 13 mai 2019