Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 octobre 2019 3 16 /10 /octobre /2019 09:43

Macron, son gouvernement, toute la classe politique et les médias s’agitent depuis une semaine et condamnent, sans appel et sans même chercher à comprendre, l’intervention turque en Syrie. Il s’agit effectivement d’une agression telle que définie par le droit international et il n’est pas question pour moi de l’approuver. Ce n’est pas pour autant que je partage les larmes de crocodiles versées sur ce qui est présenté comme un quasi-génocide contre les Kurdes. J’ai eu l’occasion d’analyser (de manière que j’ai la faiblesse de penser un peu plus sereine que nos « commentateurs » attitrés ; d’autres, moins attitrés, ont parfois dit des choses plus intéressantes, mais on leur donne peu la parole) la situation dans mon article du 11 octobre (« intervention turque en Syrie »). Je n’y reviens pas, si ce n’est pour me réjouir que les faits semblent donner raison à mon analyse : cette intervention sera brève et les Kurdes rentreront au bercail syrien qu’ils n’auraient jamais dû quitter. La Russie en sortira grandie, la Turquie et la Syrie renforcées et les Etats-Unis momentanément affaiblis (mais ils sont si hégémoniques dans le monde qu’ils pâtissent rarement longtemps de leurs erreurs). Les Kurdes, qui, pourtant, ont droit à la création d’un Etat souverain, devront changer de stratégie (le choix de l’ancrage territorial en Syrie était mauvais car illégitime et le choix de l’alliance américaine une erreur grossière). Quant à la France et à l’Europe (qui n’existe pas politiquement), hors-jeu depuis longtemps, elles ont adopté une stratégie aberrante et se sont contentées de jouer un rôle dérisoire de « mouche du coche ». Il aurait mieux valu rester totalement en dehors à défaut de jouer un rôle intelligent. Je vais dire pourquoi s’agissant de la France (sur l’Europe, rien à dire puisqu’elle n’existe pas politiquement si ce n’est, en général, comme courroie de transmission de l’OTAN).

1/ La France se dit un Etat laïc et a même instauré cette laïcité en principe de base de ses institutions. Ce pays est en bute à l’agression de l’islamisme « radical » (pléonasme !) qui lui a déclaré la guerre, ainsi qu’à l’ensemble de la civilisation occidentale. Il serait en conséquence logique qu’elle choisisse ses alliés dans le monde « arabo-musulman » parmi les rares pays qui défendent la laïcité. La Syrie de Bachar-el-Assad est un Etat laïc qui fait face à la subversion islamiste financée, encouragée et armée (au moins au départ) par les monarchies wahhabites du Golfe, celles qui prônent l’islam le plus radical.

Elle aurait donc dû, comme la Russie, prendre le parti de la Syrie contre les agresseurs islamistes (le problème n’est pas ici de savoir si Bachar respecte les « droits de l’homme » ; ce n’est pas le cas mais cela l’est encore moins de l’Arabie Saoudite, pourtant notre « allié », sans doute parce qu’on y a de juteux contrats d’armements ; dans cette région, à peu près personne n’est clair sur les droits de l’homme : alors, mieux vaut choisir un criminel qui ne nous agresse pas et qui est laïc plutôt que des criminels islamistes qui nous agressent).

Malheureusement la France a choisi de soutenir la subversion contre le gouvernement de Damas (avec lequel Paris a rompu les relations diplomatiques). Comme les Etats-Unis, la Turquie et les monarchies du Golfe, elle a fourni une aide occulte aux soit disant « forces démocratiques », en fait les islamistes de diverses obédiences.

2/ Non seulement la France s’est enfermée dans ce choix erroné mais elle a fait de l’activisme. Elle a en effet envoyé ses avions (peu, parce qu’elle en a peu, étant déjà occupée sur d’autres théâtres d’opérations, en particulier au Sahel) se mettre sous commandement américain pour participer aux frappes aériennes américaines.

Pis, elle a été encore plus royaliste que le roi, en l’occurrence plus anti-syrienne que les Américains, en se montrant la plus virulente contre la Syrie (Hollande a, probablement pour compenser sa faiblesse intérieure, donné dans une agressivité verbale - plus encore que par ses faibles moyens militaires, que, d’ailleurs, elle ne peut utiliser à sa guise puisque qu’elle dépend des décisions américaines – dans les mêmes proportions insensées que Sarkozy l’avait fait pour lutter – et même l’assassiner – contre la Libye de Kadhafi, autre rare Etat laïc dans la région).

3/ Cette croisade anti-Assad a eu des répercussions en France même en encourageant les loubards musulmans de banlieue en mal de cause à défendre à soutenir les islamistes de l’Etat islamique (« Daesh ») et, pour plusieurs milliers d’entre eux, à partir en Syrie faire le « djihad » contre les « mécréants ».

Cette position aberrante du « régime » français (pour reprendre un mot que nos médias réservent à ceux qui ne sont pas d’accord avec le « système » qui les paye) n’est évidemment pas le seule cause des attentats terroristes islamistes qui frappent notre pays depuis cinq ans mais on ne peut que constater qu’il les a indirectement encouragés : il est difficile de présenter Bachar comme le diable et en même temps de condamner ceux qui partent faire le djihad pour le combattre, djihad dont le prolongement logique est d’aller frapper en son cœur cette civilisation laïque aux racines chrétiennes.

4/ Dans ce combat présenté comme celui des défenseurs des « droits de l’homme » contre cet « axe du mal » représenté par Bachar, Poutine, Orban et quelques autres, la France a choisi son camp, celui des plus extrémistes, plus encore que ceux qui sont à la Maison Blanche, Obama d’abord, Trump ensuite, en fait bien plus mesurés que Hollande et Sarkozy. Hollande est même allé jusqu’à regretter qu’Obama ne frappe pas plus durement Damas.

5/ Lorsque les Américains et les Turcs ont commencé à faire preuve d’un peu plus de discernement en se rendant compte que le véritable ennemi était Daesh et non Bachar, Paris a eu beaucoup de mal à changer de cap. Quand les autres reconnaissaient Bachar à demis mots, la France en était encore à refuser tout contact avec le « régime » (les services secrets syriens auraient pourtant pu nous donner quelques informations utiles sur les groupes islamistes qu’ils surveillent depuis longtemps, mais nous nous sommes privés de ces informations), Paris en était encore à parler de « boucher de Damas » et à encourager (presque à supplier) les Américains de le frapper.

6/ Par suivisme, encore et encore, envers les Américains, la France s’est trouvée de nouveaux « héros » avec les Kurdes de Syrie. Ceux-ci avaient en effet eu la « bonne » idée, « encouragés » (fourniture d’armes et d’argent) par Washington, de prendre leurs distances avec Damas (ils étaient pourtant plutôt en bons termes au début du conflit syrien avec le gouvernement laïc de Bachar, soutenu par toutes les minorités du pays : alaouites, chiites, chrétiens contre la majorité sunnite, soutien historique de l’islamisme). Les Américains ont joué un jeu certes cynique mais que seuls des néophytes en politique ne pouvaient voir : ils ont fait miroiter aux Kurdes la souveraineté sur le territoire qu’ils pourraient contrôler contre armes et argent. Le prix à payer était de refuser de marcher avec les Russes et le gouvernement de Damas et d’aller, au sol, jouer les supplétifs contre Daesh. Les Américains ont pu bénéficier aussi de l’engagement d’autres supplétifs : les « forces spéciales » françaises (probablement quelque centaines de militaires très entrainés et donc efficaces ; ces forces n’avaient aucune autonomie par rapport à leurs maitres américains), présentes au sol à côté des Kurdes.

7/ En refusant de collaborer, et même de parler, avec les Syriens, les Russes et les Turcs, la France s’est mise totalement hors-jeu.

Elle a tout misé sur les Américains et les Kurdes. Et aujourd’hui, elle ne peut que constater qu’elle a tout perdu : les Américains ne sont plus intéressés par la guerre en Syrie ; désormais, leur cible (et celle des Israéliens et des Saoudiens), c’est l’Iran (et la France, une fois de plus, se ridiculise, en jouant à Biarritz les « médiateurs » non sollicités entre Washington et Téhéran, alors qu’elle n’a absolument aucun moyen de peser) ; les Turcs ont eu le feu vert implicite de Washington et de Moscou pour entrer en Syrie et les protestations « scandalisées » de Paris ne changeront rien à la situation sur le terrain et n’auront pour effet que d’affaiblir un peu plus la présence de la France en Turquie, pays qui, pourtant compte et qui avait une amitié traditionnelle avec la France ; quant aux Kurdes, qui étaient nos derniers alliés dans la région, ils nous « trahissent » à leur tour en renouant avec Bachar et en accueillant l’armée syrienne sur ce qui reste de leur territoire.

8/ Résultat : la France est absente à Damas, elle est absente sur le terrain (les forces spéciales américains parties, les nôtres doivent aussi partir honteusement), absente en Turquie, quasi absente en Russie et totalement inaudible (parce qu’elle n’a plus rien à dire d’intelligent et parce que, de toute façon, plus personne ne l’écoute) dans les enceintes internationales (y compris à l’ONU, dont tout le monde désormais se fout).

La question syrienne est en passe d’être réglée par Vladimir Poutine qui, pendant que Paris gesticule stupidement, parle efficacement avec tout le monde : Damas, Ankara, Tel Aviv, Ryad (Poutine y est aujourd’hui), Téhéran. La question kurde reste en plan. Mais c’est ailleurs qu’en Syrie qu’on doit la régler (en Syrie, les Kurdes ont toujours été minoritaires et ils ne se sont taillé un territoire qu’à la faveur du vide de la guerre et de l’aide américaine ; maintenant, tout rentre dans l’ordre : les Kurdes auront leur place en Syrie, dans le cadre de la souveraineté restaurée de ce pays, et avec l’ensemble des acteurs, notamment toutes les minorités.

XXX

Ce qui précède est triste pour les Français et pour les amis de la France. Le pays des Lumières et du général de Gaulle mérite mieux que ce que ses gouvernements en ont fait depuis une décennie.

Au Moyen-Orient, nous avons tout faux. Laissons à d’autres mieux placés que nous le soin d’agir avec intelligence et efficacité. Redevenons un peu plus modestes et renouons avec nos interlocuteurs historiques. Il y a à Damas un lycée français qui tient le coup en dépit du lâchage de Paris et il y a en Syrie encore beaucoup de francophones et de francophiles ; il y a aussi des chrétiens qui, grâce au « régime » de Bachar, n’ont pas été massacrés (à la différence d’autres pays du Moyen-Orient). La Turquie est un partenaire traditionnel de la France depuis le 16ème siècle et l’alliance de François 1er ; certes, Ankara n’est pas exempt de critiques : le génocide arménien n’est toujours pas reconnu et bien des laïcs croupissent en prison mais si on veut faire progresser ces dossiers, c’est par le dialogue confiant, pas par la confrontation méprisante qu’on y parviendra. Et il a le Liban : nos relations avec ce pays frère se sont sensiblement détériorées en même temps que nous ostracisions la Syrie et ses alliés au pays du cèdre. 

Et puisque nous n’avons pas les moyens d’être partout, concentrons nos efforts sur l’Afrique. L’armée française s’y bat avec des moyens insuffisants (car redéployés en Syrie) contre l’islamisme au Sahel. Pis, nous nous sommes retirés économiquement du continent noir. C’est pourtant là que se joue l’essentiel de l’influence qui reste encore à la France et c’est là que se joue en grande partie notre avenir./.

Yves Barelli, 15 octobre 2019       

Partager cet article
Repost0
11 octobre 2019 5 11 /10 /octobre /2019 00:22

C’est un « jeu » dangereux (et meurtrier par ses « dégâts collatéraux ») qui se joue depuis le 9 octobre à la frontière entre la Turquie et la Syrie du fait de l’intervention de l’armée turque dans le nord de ce pays contre les positions kurdes. Cette intervention, sans doute de caractère limité, était prévisible. Elle embarrasse les principaux acteurs présents sur le terrain (forces gouvernementales syriennes, Russie, Etats-Unis et, dans une moindre mesure, Iran – les pays de l’Union européenne sont, pour leur part, hors-jeu depuis longtemps -) et pourraient avoir des répercussions peu prévisibles (notamment la réaction américaine). Elle montre en outre, ce qui, hélas, était connu, le manque de maturité et de sens politique des Kurdes, manipulés par les forces extérieures, occidentales en particulier, et non payées de retour pour leur participation, souvent héroïque, à l’anéantissement de l’ « Etat islamique » (« Daesh »).

1/ L’armée turque a commencé son opération qui vise à prendre le contrôle d’une bande de trente kilomètres de large sur plusieurs centaines de long à l’intérieur du territoire syrien le long de la frontière turco-syrienne afin d’y déloger les milices kurdes qui se sont appropriées le terrain depuis quelques mois en y chassant les islamistes de Daesh et en y instaurant un pouvoir autonome de fait.

2/ Les Kurdes syriens avaient, avec la bénédiction et l’aide logistique et militaire des Etats-Unis et de leurs alliés, lutté victorieusement contre les terroristes de Daesh. Ils avaient réussi, ce faisant, à créer un « Kurdistan » autogouverné. Ils étaient convaincu que, ayant joué le rôle de supplétifs de la coalition dirigée par les Américains, ceux-ci, à défaut de reconnaitre de jure l’indépendance de ce territoire kurde, au moins, leur permettraient d’établir, comme en Irak, un territoire de facto souverain et qu’ils les protégeraient d’une intervention de la Turquie, qui n’a jamais caché qu’elle empêcherait toute tentative de créer, en Turquie ou au-delà de ses frontières, un Kurdistan indépendant, rêve de ce peuple sans Etat auquel des promesses en ce sens jamais tenues ont été faites de façon récurrente depuis la fin de la première guerre mondiale (et la disparition de l’empire ottoman).

3/ Depuis le début de la guerre civile de Syrie (2012), la stratégie (si tant est qu’il y ait effectivement une stratégie) américaine n’a jamais été claire et a donné l’impression de naviguer à vue. Au début, le but avoué était le renversement du régime laïc de Bachar-el-Assad en favorisant la subversion islamiste, soutenue en particulier par l’Arabie saoudite et les autres monarchies wahhabites du Golfe (d’ailleurs rivales des Saoudiens, notamment le Qatar). La Turquie d’Erdoğan, qui se voulait le leader naturel (comme au temps de l’empire ottoman) des musulmans sunnites militants, a, comme les Américains et les Saoudiens, aidé les factions islamistes (de Daesh mais aussi affiliées à Al Qaida), y compris en les armant et en achetant le pétrole de Daesh, à tenter de renverser l’Etat syrien.

Ce parti-pris anti pouvoir laïc des Américains (mais aussi, contre toute logique, de la France de Hollande, encore plus anti-Bachar que les Américains d’Obama, d’abord, puis de Trump) a été une folie dont le résultat a été la création d’un « califat » islamiste (« Daesh ») sur la moitié des territoires syrien et irakien, avec la barbarie et la cruauté que l’on sait et avec, conséquence qui n’a pas été la moindre, la perpétration d’attentats terroristes islamistes meurtriers en Occident (souvent d’initiative locale mais encouragée par les victoires sur le terrain syro-irakien des bourreaux sanguinaires de Daesh). On était en pleine absurdité : les « démocraties » occidentales aidaient sur le terrain ceux qui égorgeaient et assassinaient aussi chez nous.

La Syrie laïque n’a pu résister à la subversion que grâce à l’aide russe (et, dans une moindre mesure iranienne). Poutine, auteur du retour de la Russie sur la scène internationale après les tristes palinodies de son prédécesseur Eltsine (qui a vendu le pays aux intérêts capitalistes étrangers et aux « oligarques », enrichis sur le dos du peuple), a renforcé la Russie et son armée et l’a envoyée en Syrie défendre l’Etat laïc (criminel certes, mais dans ce pays, ils le sont tous et, à tout prendre, mieux vaut un criminel laïc qui n’agit pas contre nous que des criminels islamistes dont le but avoué est la fin de la civilisation occidentale ; les Israéliens se s’y sont pas trompés : ils n’ont pas participé à la guerre contre la Syrie car ils n’ont aucune envie d’avoir un Etat islamiste à leur frontière) contre la subversion islamiste.

4/ Les Occidentaux et la Turquie (elle aussi frappée par des attentats terroristes), ont fini par comprendre que la subversion islamiste était plus menaçante pour eux que la Syrie de Bachar, quand bien même était-elle alliée de la Russie de Poutine, à leurs yeux le continuateur de la politique de l’ex URSS. Ils se sont en conséquence enfin décidés à concentrer leurs forces sur l’élimination de Daesh (quitte à laisser Bachar en place).

Les Américains, toutefois, échaudés par leur calamiteuse guerre contre l’Irak (2003), ont préféré ne pas intervenir directement (si ce n’est par les bombardements aériens et la présence de « forces spéciales » au sol : une « force spéciale » est constituée d’unités d’élite, peu nombreuses mais remarquablement performantes dont la présence n’est jamais avouée officiellement) et ont utilisé les milices kurdes.

5/ Après l’élimination de Daesh en tant que force organisée à assise territoriale (après les prises de Mossoul et de Raqqa, il n’y a plus de « territoire » de l’ « Etat islamique » ce qui ne signifie pas que le danger est écarté : les djihadistes qui n’ont pas été arrêtés ou qui n’ont pas fui sont disséminés et pourraient à nouveau être actifs lorsque l’occasion se présentera), la situation est la suivante : a/ l’autorité de l’Etat syrien est recouvrée sur les trois-quarts du territoire b/Un « Kurdistan » de fait a été constitué au nord de la Syrie c/Il y a encore une poche dans le nord-ouest de la Syrie (région d’Idlib) qui n’est contrôlée ni par l’Etat syrien ni par les Kurdes (c’est là où l’Etat syrien, les Russes, les Kurdes mais aussi les Turcs et les Américains avaient toléré le regroupement de ce qui restait de forces anti-Bachar hors Daesh, avec des restes de milices disparates ; les forces syro-russes n’ont pas encore donné l’assaut de ce réduit en attendant un moment plus propice, notamment pour ménager la Turquie vers laquelle des centaines de milliers de gens pourraient trouver refuge pour fuir les combats, s’ajoutant ainsi aux 3,6 millions de Syriens déjà présents sur le territoire turc – certains rentrent en Syrie ; il y a en fait un va et vient).

6/ Quelles sont les alliances et rapports entre Etats présents dans la région ?

La situation est complexe et avant de la préciser il faut rappeler une chose essentielle si on veut tenter de comprendre cet « Orient compliqué » (comme disait le général de Gaulle) : il n’y a pas un conflit mais des conflits dans le conflit ; il n’y a pas une alliance d’un côté opposée à une autre alliance de l’autre mais chacun a des intérêts individuels, parfois en concordance, parfois en opposition avec d’autres et l’axiome mathématique « les amis de nos amis sont nos amis et les ennemis de nos ennemis sont nos amis » n’a aucune valeur au Moyen-Orient : les alliances contrenatures conjoncturelles et changeantes sont le lot commun et des « amis » peuvent s’affronter. Il n’y a pas de « gentils » et de « méchants » à 100% (même si certains peuvent apparaitre plus « gentils » que d’autres) mais des protagonistes défendant des intérêts particuliers avec des stratégies évolutives.                                                 

La Turquie est un pays membre de l’OTAN, tout comme les Etats-Unis ou la France par exemple. Les Etats-Unis et la Russie s’affrontent sur de multiples « théâtres » dans le monde. Ils ont néanmoins toujours pris soin d’éviter un affrontement direct en Syrie. Pourtant, la Turquie d’Erdoğan a établi une coopération qui est devenue « stratégique » (c’est-à-dire pas seulement conjoncturelle) avec la Russie (alors qu’au début du conflit syrien elles étaient opposées), mais aussi l’Iran.

Au début du conflit syrien, les Kurdes de Syrie avaient des relations plutôt correctes avec l’Etat syrien de Bachar. Les deux se battaient contre l’islamisme et étaient en différend avec la Turquie qui, elle, avec les Occidentaux, soutenaient  en fait Daesh. Cette conjonction remontait aux fondements de l’Etat syrien, dominé par la minorité alaouite alliée à toutes les autres minorités (chiites, chrétiens et Kurdes) contre la majorité sunnite (dont est issu l’islamisme).  

Lorsque le recul de l’Etat syrien (à partir surtout de 2014) a entrainé une sorte de vide dans le nord de la Syrie et que les Kurdes ont réussi à résister à l’avance de Daesh, puis ont gagné du terrain, ceux-ci ont réussi à contrôler la longue bande de terrain qui va d’Idlib à l’Irak le long de la frontière turque (c’est là où ils sont présentement et où ils sont attaqués par les Turcs). Leur situation était toutefois fragile : d’un côté, les Turcs, bien décidés à ne pas tolérer un « Kurdistan » ; de l’autre Daesh, toujours menaçant ; sur un troisième côté, enfin, l’armée syrienne, en phase de reconquête. Sans compter les dangers internes : dans « leur » Kurdistan, les Kurdes sont moins nombreux que les Arabes.  Ils ont alors choisi l’alliance avec les Etats-Unis, garantie à leurs yeux d’être « sanctuarisés ».

7/ Cette sécurité n’était qu’illusion. Les Américains n’ont pas d’intérêts vitaux en Syrie et, maintenant que Daesh n’est plus une menace, l’alliance avec les Kurdes (pauvres, ne maitrisant aucune ressource naturelle et entourés d’ennemis avec lesquels les Américains ont intérêt à composer) ne leur sert à rien.

La géostratégie de la Syrie a changé. D’une part, le renforcement et donc la pérennité de Bachar sont désormais admis tant par les Américains (même s’ils ne le disent pas), les Turcs (ils peuvent s’en faire un allié contre les Kurdes puisque l’ambition de l’Etat syrien est de recouvrer le contrôle de la totalité du territoire) que les Israéliens (qui n’ont jamais voulu sa perte).

Mais il y a une autre raison, capitale : désormais, l’ennemi numéro un des Saoudiens et autres monarchies du Golfe, mais aussi des Israéliens et donc des Américains (qui n’ont rien à refuser à l’Etat hébreu qui contrôle, de fait, le Congrès à Washington) est l’Iran. Cela est une chance pour Bachar : plus personne n’éprouve le besoin de le combattre, d’autant que, et cela est important, tout le monde a intérêt à avoir de bonnes relations avec la Russie : elle est le seul élément stable et solide dans la région alors qu’on ne sait ce que feront les Américains. Aussi, l’Arabie saoudite, affaiblie, cherche à séduire Moscou (qui peut transmettre les messages avec Téhéran). Israël a d’excellentes relations avec la Russie, de même que la Turquie et l’Iran. La clef de toute solution au Moyen-Orient passe donc par Moscou, pas par Washington (pour le moment).

Et tous ces acteurs parlent avec Ankara. Que pèsent les Kurdes face à la Turquie ? Rien. Pas seulement sur le plan militaire. Mais sur tous les autres plans aussi. La Russie est l’alliée de fait de la Turquie qui, par ailleurs, est toujours membre de l’OTAN. De par le monde, beaucoup ont leurs propres séparatistes. Donc, pas de sympathie à priori avec les Kurdes, les seuls à contester le statuquo territorial (en Syrie, en Turquie, en Irak et, potentiellement, en Iran – même si, pour le moment, ils ne contestent pas l’Etat iranien).

Et l’Europe dans tout cela ? Mais quelle Europe ? Politiquement, l’Union européenne n’existe pas, si ce n’est comme un appendice de l’OTAN. La France et la Grande Bretagne ont participé à la guerre des Américains en Syrie, mais sans aucune autonomie et seulement comme petite force d’appoint. Si les Américains lâchent les Kurdes, aucun Européen ne pourra rien pour eux, si ce n’est de prononcer quelques discours larmoyants à l’ONU.

8/ Que va-t-il se passer maintenant ?

Vladimir Poutine a été prévenu par Erdoğan de l’intention de ce dernier d’intervenir en Syrie. Sans doute a-t-il essayé de l’en dissuader ou, au moins, d’en limiter l’ampleur. Trump aussi. En annonçant deux heures après l’entretien téléphonique avec le président turc le retrait des forces spéciales américaines de la zone, cela, aussi, a équivalu à un feu vert.

La réaction de Bachar a été, en apparence, plus véhémente. Il ne pouvait en effet ne pas réagir à ce qui est, de par le droit international, une agression caractérisée. Il aurait même dit qu’il s’y opposerait militairement. Mais sans le feu vert russe, cela est improbable.

Une réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU est en route. Les consultations à huis-clos ont déjà commencé. On peut s’attendre à des discours très fermes des pays européens, la France en premier lieu. Paroles qui se perdront dans l’océan… Y aura-t-il mise aux voix d’un projet de résolution ? Ce n’est même pas sûr. On se contentera sans doute d’une déclaration de la présidence du Conseil de Sécurité appelant la Turquie à la « retenue ».

Cette saisine du Conseil de Sécurité se place dans un contexte d’affaiblissement durable du multilatéralisme. Il y a longtemps que les Américains, les Israéliens et quelques autres agissent quand et où bon leur semble sans aucun mandat international. Pourquoi pas la Turquie ? Quand bien même y aurait-t-il une résolution du Conseil de Sécurité, elle ne pourra que rester lettre morte.

Un gain de sable pourrait néanmoins se glisser dans les rouages. Le Congrès américain n’aime pas beaucoup Erdoğan. Il pourrait voter des sanctions contre la Turquie et forcer Trump à les appliquer. Cela aggraverait encore la situation de l’économie turque, déjà peu flambante. Erdoğan pourrait se venger en ouvrant la route des réfugiés vers l’Union européenne. Je ne crois pas beaucoup à ce scénario, mais on ne sait jamais. La tension turco-syrienne dans la poche d’Idlib pourrait aussi dégénérer. Sans doute Poutine parviendra-t-il à calmer le jeu.

Mais même lorsque le pire n’est pas le plus probable, il n’est jamais totalement improbable.      

9/ Mon évaluation est la suivante : l’intervention turque va être très limitée et l’armée turque ne s’installera pas. Mais ils obtiendront ce qu’ils cherchent : on ne parlera plus de « Kurdistan » syrien. Les Kurdes vont rentrer dans le rang et chercheront un arrangement avec l’Etat syrien. Dans le meilleur des cas pour eux, ils obtiendront un régime de fait d’auto-administration qui ne sera même pas une autonomie formelle.

10/ Cela est triste pour ce peuple courageux qui mérite mieux mais auquel, malheureusement, il manque beaucoup de sens politique. On l’a constaté en Irak (avec une déclaration d’indépendance avortée). On le voit aujourd’hui en Syrie. De tous les « Kurdistan » possibles, celui de Syrie était le moins viable. Il n’a pu émerger, provisoirement, que par la faiblesse de la Syrie. Il était en fait condamné dès le départ. Je crois davantage à la pérennité de celui d’Irak. Le seul possible, à condition qu’il s’en tienne à l’autonomie théorique, même si elle a l’allure d’une indépendance que, pour le moment, les Kurdes n’ont pas intérêt à proclamer officiellement. Les relations internationales ne sont pas une affaire de sentiment, pas plus que de « bon droit » légitime, mais de rapports de force./.    

Yves Barelli, 10 octobre 2019         

                                               

Partager cet article
Repost0
14 avril 2018 6 14 /04 /avril /2018 11:41

Les frappes aériennes opérées par les Etats-Unis (avec la participation symbolique de leurs vassaux britannique et français) contre la Syrie dans la nuit du 13 au 14 avril constituent une agression contre un Etat souverain en dehors de toute légalité internationale et ne sont qu’une gesticulation grotesque (car très limitée et donc sans incidence sur le cours de la guerre en Syrie). Le prétexte (une utilisation non avérée de l’arme chimique sans qu’on en sache ni la réalité ni les auteurs éventuels) est dérisoire et les véritables raisons n’ont rien à voir avec la Syrie (opération de politique intérieure américaine et à replacer dans le cadre de l’impérialisme américain dans le monde qui veut contrer tout pays, en l’occurrence la Russie, contestant son hégémonie). Il est navrant que, avec une triste constance depuis des décennies, les Américains s‘attaquent systématiquement au Moyen-Orient aux forces laïques et couvrent les régimes les plus obscurantistes alors que, nous le voyons notamment en France, le terrorisme qui nous frappe est islamiste et non laïque. Nos dirigeants ouvriront-t-ils un jour les yeux et nos médias se décideront-t-ils à en finir avec une désinformation qui ne les honorent pas ?

1/ L’opération de la nuit dernière est ridicule et sans doute criminelle (il y a toujours des « dégâts collatéraux », en l’occurrence des victimes civiles ou de pauvres militaires présents au mauvais moment et mauvais endroit). Elle constitue de la pure « esbroufe » car ses auteurs ont pris soin d’éviter de toucher les Russes (prévenus précisément du lieu des frappes quelques heures auparavant afin qu’ils évacuent leurs hommes et leur matériel), les Iraniens (probablement indirectement prévenus par les Russes) et les centres de pouvoir syrien afin d’éviter que cette gesticulation ne se transforme en début de guerre internationale. L’objectif désigné (les centres de production et d’entrepôts d’armes chimiques) est lui-même ridicule : si armes chimiques il y a, on peut supposer qu’elles sont suffisamment enterrées pour échapper aux « frappes ».

2/ Il est clair que cette nouvelle gesticulation de Trump obéit à des motifs qui n’ont rien à voir avec la Syrie. Il s’agit d’un acte de diversion destiné à contrer les accusations de manipulation de la dernière élection présidentielle et à satisfaire les secteurs les plus agressifs du Congrès. Plus généralement, cette opération a vocation à tenter d’intimider la Russie qui a le « culot » (l’un des rares pays dans ce cas) de ne pas accepter comme les autres l’hégémonie mondiale de l’impérialisme américain.

A cet égard, on ne peut exclure que la soit disant attaque chimique du gouvernement légal de la Syrie contre les rebelles islamistes (armés par l’Arabie saoudite et les Etats-Unis) de la région de la Ghouta ne soit qu’une manipulation américaine (ou des rebelles, ce qui revient au même). Une telle attaque gouvernementale n’a en effet aucune logique, d’abord parce que la Syrie est en train de gagner la guerre contre la subversion, donc qu’elle n’a aucun besoin d’utiliser des armés prohibées par le droit international, ensuite parce que son gouvernement savait que Washington n’attendait que ce prétexte pour le « punir ».

Ce ne serait pas la première fois que les Américain mentent et tentent de manipuler. Qu’on se souvienne des soit disant armes de destruction massive de l’Irak en 2003 avec leurs « preuves » qui se sont révélées des faux grossiers ; elles avaient « justifié » l’agression américaine contre ce pays, agression dont nous supportons encore les conséquences car elle a marqué le début d’une déstabilisation générale de toute la région.

On peut même lier cette agression contre la Syrie à l’ « affaire » de l’empoisonnement de l’ancien espion russe vivant en Angleterre montée en épingle il y a quelques semaines. Cet espion et sa fille avaient été « empoisonnés » par un produit chimique à l’origine attribuée à la Russie, prétexte à une agitation antirusse de grande envergure. Notre bonne presse suiviste mais aussi le président Macron s’étaient alors indignés face à ce geste « barbare » commis par les hommes de Poutine sur le territoire d’un allié proche. Or, on vient d’apprendre que l’espion et sa fille étaient désormais tirés d’affaire et se portaient comme un charme après une guérison quasi miraculeuse. Bizarre, non?

3/ Nos médias vont nous seriner les oreilles à coup d’émissions spéciales au cours desquelles des experts ou soit disant experts nous expliquent combien ces frappes « chirurgicales » sont une merveille de technologie et de professionnalisme et combien il était nécessaires de réagir devant cette « barbarie » chimique du « régime » de Bachar. « Fiers de défendre la civilisation » qu’ils sont ! Cyniques et hypocrites plutôt, au moment où les Saoudiens massacrent des populations civiles au Yémen et au moment où l’armée israélienne tire dans le tas à Gaza, faisant déjà plus de morts que la soit disant arme chimique de Bachar (cette fois ; la dernière attaque d’envergure contre Gaza en avait fait plus de 1000). Lorsque l’ « émotion » est à ce point à sens unique, elle dépasse les pires limites de l’abjection.

Que Macron se prête au jeu, c’est déjà lamentable mais il a ses raisons de basse politique que la raison ignore. Que nos médias s’engouffrent dans cette manipulation et cette désinformation est tout simplement scandaleux et leur fait perdre toute crédibilité.

4/ Quelle va être la suite de cette agression contre la Syrie ? Sans doute aucune. Pure gesticulation, je le répète.

Cela serait purement « gratuit » s’il n’y avait la vraie guerre, celle que nous livre la terrorisme islamiste et ses « soldats » et complices de l’intérieur.

Une guerre n’est jamais propre mais une cause est juste ou elle ne l’est pas. La guerre menée contre le monde civilisé vient de l’idéologie islamiste. L’islamisme saoudien, qatari et tous leurs complices de Daesh et des frères Musulmans, les mêmes qui avaient réussi, avec la complicité et l’aide occidentales, à de débarrasser de tous les régimes laïques (depuis Nasser jusqu’à Kadhafi en passant par Saddam) au Moyen Orient, ont « mis le paquet » pour tenter de détruire la Syrie laïque (qui protège notamment sa minorité chrétienne alors que les Chrétiens d’Orient sont menacés d’extermination ailleurs). Elle n’a été sauvée que grâce à l’aide russe.

S’il y avait encore une logique et même le sens de l’intérêt bien compris dans cet Occident schizophrène aux comportements trop souvent suicidaires, on devrait considérer que la Syrie et la Russie sont nos alliés face à la barbarie islamiste. Ceux qui égorgent chez nous et tuent des innocents (dernièrement encore à Carcassonne), ce sont les islamistes. Pas les Syriens, pas les Russes, pas les Iraniens (ils l’ont fait il y a longtemps, mais, désormais, ils ont les mêmes intérêts que nous, ou plutôt, nous devrions avoir les mêmes qu’eux).

Les Israéliens ne s‘y trompent pas. Cyniques mais réalistes : ils ménagent la Syrie car ils préfèrent avoir à leurs portes le « régime de Bachar » plutôt que l’islamisme. Quand ils « frappent » sans vergogne en Syrie, ils ne s’en prennent qu’à leurs ennemis iraniens et du Hezbollah. Israël a en, outre, pour les mêmes raisons, d’excellentes relations avec la Russie. (Ce qui ne les met pas à l’abri de leurs propres contradictions : ils luttent contre le Hamas mais pactisent avec Riyad !).

5/ Conclusion plus réjouissante : la Syrie est en train de gagner la guerre et la Russie s’affirme de plus en plus comme une puissance sage et responsable susceptible, avec la Chine et quelques autres pays (y compris la petite Corée du Nord), de contrer efficacement l’insupportable prétention américaine à dominer le monde.

Le grand général de Gaulle, mais aussi, dans une certaine mesure, Jacques Chirac, l’avaient compris. Pas le petit Macron et les minuscules Sarkozy et Hollande./.

Yves Barelli, 14 avril 2018    

Partager cet article
Repost0
10 avril 2018 2 10 /04 /avril /2018 21:31

Ça y est, c’est reparti. Macron, petit chien fidèle de Trump et son maitre de Washington s’excitent à nouveau et veulent « frapper » la Syrie qui aurait utilisé l’arme chimique. Toutes nos chaines d’info en continu nous abreuvent depuis trois jours d’émissions spéciales. C’est l’ « horreur » : le « méchant » Bachar, avec la « complicité » de Poutine et des Iraniens, « tue » sa population à coup d’armes chimiques.     

De quoi s’agit-il ?

L’armée syrienne, qui est en train de reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire national, aurait ponctuellement utilisé des armes chimiques, tuant, parait-il,  une quarantaine de civils abondamment montrés par les images tournées par les rebelles islamistes retranchés dans la région de la Ghouta, en passe d’être reconquise par l’armée régulière. Vrai ou faux, on ne le sait pas, mais on désigne le coupable sans plus attendre.

Nos télévisions oublient de préciser que la Syrie, avec l’aide et sous le contrôle de la Russie, a donné toutes facilités aux rebelles et à leurs familles pour quitter les zones encerclées et rejoindre en autocars, fournis par la Syrie, à l’autre bout du pays ce qui reste du réduit islamiste. Il ne s’agissait donc pas d’une reddition sans condition mais d’une réelle possibilité de sortir sains, saufs et en sécurité de la zone de combats. Il en était allé de même lors de la libération d’Alep, seconde ville de Syrie, auparavant aussi aux mains des rebelles. On se souvient que nos « bonnes âmes » droit de l’hommistes (ou qui se prétendent telles) avaient alors crié à l’imminence d’un « désastre humanitaire » qui n’a pas eu lieu : tous ceux qui ont voulu partir sont partis et il n’y a eu aucun massacre.

Ceux qui s’obstinent à rester dans la Ghouta sont donc des jusqu’aux-boutistes purs et durs. Ils veulent mourir en martyrs et veulent entrainer dans leur suicide leurs femmes et enfants.

Dans ces conditions, qu’ils soient tués par des armes chimiques ou conventionnelles ne change rien. Plus vite ils seront éliminés, plus rapidement la Syrie sera libérée.

Je voudrais faire plusieurs remarques :

a/ Les crimes atroces, les violations massives des droits de l’homme et la cruauté sont hélas présentes dans tous les camps syriens et, d’une façon générale, du Moyen Orient. Oui, Bachar est un criminel. Les autres aussi. En Syrie, nous n’avons pas le choix entre des « gentils », qui n’existent pas (les « gentils », comme au Far West, n’y font pas de vieux os car pour survivre, il vaut mieux tuer avant d’être tué) et des « méchants ». Le choix il est entre ceux qui défendent des valeurs de laïcité, les nôtres, et ceux qui veulent imposer l’obscurantisme criminel islamiste (pas seulement en Syrie, mais aussi ailleurs ; nous l’avons constaté il y a encore quelques jours en France). Alors entre un Bachar criminel qui ne nous menace pas et des islamistes criminels qui, au-delà de la Syrie, ont déclaré la guerre au monde entier, je n’hésite pas.  Bachar est mon allié. Ceux qui veulent l’éliminer sont les alliés de « Daesh ». A eux de prendre leurs responsabilités s’ils veulent poursuivre leur politique absurde qui est suicidaire pour l’Occident.

b/ J’ai déjà eu l’occasion de m’insurger dans ce blog contre l’émotion à géométrie variable de nos dirigeants et de nos médias, les deux à la solde du « système », c’est-à-dire du capitalisme mondialisé. Ils sont cyniques et hypocrites et cela est insupportable. En outre, dans le cas syrien, ils sont irresponsables car ils jouent centre ce qui devrait être leur camp.  

Des exemples, pour rester dans la région : l’armée d’Israël, Etat voyou qui viole toutes les résolutions du Conseil de Sécurité ainsi que toutes les conventions relatives au traitement des populations civiles dans les territoires occupés, vient, ces jours derniers par deux fois, de tirer de manière délibérée sur une foule de civils manifestant pacifiquement à la frontière entre Israël et Gaza. Les victimes étaient côté gazaoui, donc en dehors du territoire israélien. Ils ont été tirés comme des lapins par des tireurs d’élite postés à plusieurs centaines de mètres. Il n’y avait même pas l’excuse d’une incursion en Israël. Une trentaine de personnes, y compris des adolescents ont été ainsi lâchement assassinées. Où sont les protestations de Macron et de nos médias ? Rien. Va-t-on faire des « frappes » pour « punir » le régime criminel israélien ? En aucune façon.

Deuxième exemple : l’armée saoudienne est en train d’effectuer un véritable génocide au Yémen, tuant de manière indiscriminée des milliers de civils avec des armes vendues, notamment, par les France. Va-t-on effectuer des « frappes » sur Riyad ? Bien sûr que non. Au contraire, on reçoit à Paris le prince héritier du royaume.

On pourrait aussi citer les bombardements israéliens sur les bases iraniennes de Syrie ou encore le nettoyage ethnique opéré par la Turquie à l’encontre des Kurdes dans le nord de la Syrie.

c/ Alors pourquoi ces deux poids deux mesures ?

Essentiellement à cause de l’unilatéralisme de Trump (son prédécesseur n’était pas mieux). L’Amérique a deux alliés dans la région, Israël et l’Arabie Saoudite. L’ennemi commun de ces deux « régimes », pour reprendre un terme que nos médias réservent habituellement à leurs ennemis, est l’Iran. Israël ménageait plutôt la Syrie car, à tout prendre, elle préférait avoir à sa porte Bachar plutôt que les islamistes. Mais la Syrie est soutenue par l’Iran et par le Hezbollah. Du coup, l’Etat hébreux est un peu moins bienveillant envers Damas mais sans aller jusqu’à la guerre. On peut dire la même chose de l’Arabie saoudite, qui, elle aussi, veut la peau du « régime » des mollahs.

Les Etats-Unis ont deux raisons de s’en prendre à la Syrie. La première est qu’ils soutiennent Israël et donc, les ennemis des amis étant des ennemis, l’Iran est l’ennemi des Etats-Unis et comme l’Iran soutient la Syrie, les Etats-Unis font la guerre à la Syrie (allant, au début, jusqu’à y aider la subversion islamiste, y compris « Daesh »).

La seconde raison est que les Etats-Unis ont décidé de contrer les Russes partout, reprenant ainsi leurs vieux réflexes de la guerre froide. Tant que la Russie, avec Eltsine, leur a livré des pans entiers de son économie pour des bouchées de pain et les a laissé avancer l’OTAN loin vers l’Est, y compris à une partie du territoire ex soviétique (les pays baltes), ça allait. A partir du moment où Poutine a redressé la Russie et lui a redonné sa place dans le monde en s’opposant à l’impérialisme américain, le « régime » russe a rejoint l’ « axe du mal » dans lequel les Américains enferment tous ceux qui ont la moindre velléité de s’opposer à leur hégémonie. Poutine et quelques autres sont les empêcheurs de tourner en rond, je veux dire empêcheurs pour les Américains de dominer le monde et d’imposer leur loi en toute impunité.

Mais le Moyen Orient est compliqué et les alliances ne sont pas nécessairement logiques. Ainsi, la Russie a maintenant d’excellentes relations, non seulement avec l’Iran mais aussi avec la Turquie (pourtant membre de l’OTAN) et ses relations ne sont mauvaises, ni avec Israël ni avec l’Arabie saoudite, ce qui contribue à l’agacement de Trump.

Quant à Israël, pour comprendre le soutien américain, il faut connaitre le contexte intérieur des Etats-Unis : le « lobby » juif y est si fort qu’il « tient » la maison Blanche et plus encore le Congrès. En l’occurrence, on ne peut parler de « dépendance » d’Israël par rapport aux Etats-Unis, mais du contraire, celle des Etats-Unis par rapport à Israël.

d/ Et la France de Macron ?

C’en serait comique si ce n’était pitoyable. On prétend aller « punir » Bachar sans en avoir vraiment les moyens. Tout au plus, fera-t-on ce qu’on fait en Syrie et en Irak depuis plusieurs années. On met quelques avions à la disposition des Américains et on les suit, noyé dans la masse de leur armada. Et, comme on a peur de ne pas se faire remarquer, tant, objectivement, on compte si peu au Moyen Orient, on aboie très fort, plus encore que le maitre de Washington. Hollande, si faible par ailleurs, ne se montrait fort qu’en paroles hostiles envers la Russie, la Syrie ou l’Iran. Macron donnait l’impression, au début, d’être un peu moins partial et ridicule. Il est en train de rattraper son prédécesseur.

Comment peut-on être aveuglé à ce point alors que notre ennemi est ailleurs qu’à Damas? L’islamisme nous frappe directement au cœur. C’est en France qu’il tue, mais aussi en Afrique. Or, c’est sur le continent noir que nous avons des intérêts à défendre. Nos armées seraient bien mieux employées au Sahel, où leurs effectifs sont très insuffisants, plutôt qu’en Syrie.

Il est triste que nos médias servent ainsi d’instruments de propagande pour une cause qui ne va pas dans l’intérêt de la France. Les émotions et dénonciations à géométrie variable desservent totalement une cause qui chacun devrait avoir à cœur de défendre, celle des droits de l’homme, de la justice, de l’équité, du progrès.

En vous servant de cette cause pour participer à un combat hypocrite et cynique qui ne devrait pas être le nôtre, Messieurs de l’Elysée, de BFM-TV et de France-info, vous salissez les belles valeurs que vous prétendez défendre !

C’est scandaleux. C’est dramatique. J’espère que vous, amis lecteurs, vous n’êtes pas tombés dans ce grossier panneau.

Excusez le ton un peu véhément de ce texte qui ne sied pas vraiment avec celui, froid et désincarné, qu’on pense être celui d’un diplomate. Mais c’est un cri du cœur. Ce concert des pleureuses à sens unique (les « pleureuses », dans certains pays, c’est une profession : on pleure pour celui que l’employeur demande de pleurer. Nos politicards et nos soit disant journalistes, profession qu’ils déshonorent, sont des mercenaires) m’est insupportable./.    

Yves Barelli, 10 avril 2018                                                                   

Partager cet article
Repost0

Recherche