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10 octobre 2018 3 10 /10 /octobre /2018 14:47

La Bosnie-Herzégovine (c’est son nom complet) est l’héritage et le symbole des drames qui ont accompagné entre 1992 et 1995 les guerres yougoslaves et l’éclatement de la fédération qui avait été créée et développée par Tito. Divisée en trois « communautés » antagonistes (Bosniaques, Serbes et Croates), pourtant de même langue et partageant une histoire commune, ce pays est un non-Etat avec des institutions strictement tripartites (il y a ainsi une présidence de la République collégiale avec trois présidents bosniaque, serbe et croate). Les élections qui viennent de se dérouler le 7 octobre ont donné, sans surprise, des majorités nationalistes (chaque communauté la sienne). Je connais bien ce pays pour y avoir séjourné plusieurs mois il y a quelques années.

1/ La Bosnie contemporaine est le fruit d’une histoire que ses habitants n’ont jamais maitrisée. A l’intersection des Balkans et de l’Europe centrale, elle a toujours été tiraillée entre les influences extérieures antagonistes. Elle se situait déjà lorsque l’empire romain a été divisé entre empires d’Occident et d’Orient à la charnière des deux. Au moyen-âge, alors que les Eglises de Rome et de Byzance se déchiraient, une part des Bosniens n’a pas voulu choisir et est devenue « bogomile » (de « bog »= dieu et « mili »= qui aime), une nouvelle croyance apparentée à celle des Cathares occitans. Ils ont échappé à la « croisade » pour les éradiquer en se convertissant à l’islam lorsque les Turcs ont envahi la région. C’étaient les ancêtres des « Bosniaques » d’aujourd’hui. Les autres sont restés catholiques ou orthodoxes.

Au 19ème siècle, l’Autriche-Hongrie a profité du déclin de l’empire ottoman pour pousser ses pions vers l’Est : la Bosnie est devenue un protectorat autrichien. Il suffit de se promener dans le centre de Sarajevo (où la principale artère s’appelle toujours l’avenue du maréchal Tito) pour voir la double influence : la vieille ville a un aspect turc manifeste tandis que la nouvelle, édifiée au début du 20ème siècle, est la sœur jumelle de Vienne, de Budapest ou de Prague (l’abondance des Skoda et des tramways de fabrication tchèque renforcent l’impression) ; dans la vieille ville, on vous sert du café turc et dans la nouvelle de la bière-pression type Pilsen (le houblon est importé de Tchéquie).

En 1914, la première guerre mondiale commença à Sarajevo par l’assassinat par un nationaliste serbe de l’archiduc héritier du trône des Habsbourg. Et pendant la seconde guerre mondiale, les « partisans » communistes de Tito y affrontèrent les « Oustachis » croates pronazis renforcés de milices musulmanes.

Seule la Yougoslavie de Tito apporta paix et prospérité, concrétisée par les fastes des Jeux Olympiques d’hiver de Sarajevo en 1984. La république de Bosnie avait l’avantage d’être la plus centrale de la Fédération dont elle reçut d’importantes dotations en faveur de l’économie, mais aussi de l’éducation et de la santé. Du coup sa marginalité passée, muée en centralité, se transforma en avantage, hélas annihilé lorsque les conflits yougoslaves se déchainèrent, en partie attisés par les Occidentaux (il faillait anéantir la Yougoslavie communiste), ce qui n’excuse en rien, évidemment, les criminels de tous côtés (chaque « camp » a eu les siens et il est bien difficile d’établir une hiérarchie dans l’horreur, ce que nos médias et nos politiques, à la remorque des Américains, ont fait sans vergogne, partant du principe que les Serbes communistes étaient forcément les « méchants » et les autres, « pauvres victimes », les « gentils » ; les informations auxquelles j’ai eu accès sur place  m’ont donné la conviction que l’opinion française avait été largement manipulée). Les conflits de Bosnie entre 1992 et 1995 (200 000 morts, des millions de déplacés) ont été les plus terribles de l’ancienne Yougoslavie car aux Croates et aux Serbes, qui y avaient exporté leur conflit, est venu s’ajouter le jeu dangereux de la direction bosniaque, aussi responsable que les autres.                                

2/ Il reste 3,5 millions d’habitants dans ce pays de 51 129 km2. Il y en avait près de 5 millions en 1991, lorsqu’il était encore l’une des républiques yougoslaves. 2 millions de Bosniens vivent à l’étranger (surtout Amérique du Nord, Allemagne, Autriche, Suisse et pays voisins : Croatie, Serbie ou Slovénie) ; ce sont les plus jeunes et les plus qualifiés. Sur place, on a 20% de chômeurs. Le pays n’est pas misérable mais pas riche non plus. L’économie informelle y occupe une grande place, notamment les trafics de toutes sortes avec l’Europe, en particulier celui des armes, recyclage auprès des malfrats de nos cités de l’arsenal accumulé pendant la guerre). La monnaie utilisée est le « mark convertible », qui a la valeur de l’ancien DM allemand, alors utilisé  quand la monnaie s’était, comme le reste, effondrée.   

3/ Compte tenu de la stricte parité intercommunautaire stipulée par les accords de Dayton-Paris qui mirent fin en 1995 au conflit bosnien, le pays est évidemment ingouvernable, avec deux « entités » séparées : la « Fédération de Bosnie-Herzégovine » (elle-même divisée en dix « cantons », avec chacun son président et ses « ministres » – il y en 300 dans l’ensemble du pays -) et la « Républika Srpska » (serbe).

La première regroupe en une cohabitation forcée difficile les Bosniaques de tradition musulmane (« bosniaque » est relatif à cette « communauté » et « bosnien » à l’ensemble des habitants du pays) et les Croates de tradition catholique (avec le repli communautaire, on peut être athée tout en étant « musulman » ou « catholique », mais la pratique religieuse a augmenté et les « radicaux » sont plus nombreux qu’autrefois ; du temps de la Yougoslavie, dans les recensements plus du quart des gens se revendiquaient seulement « Yougoslaves »). Cette cohabitation entre les deux ennemis d’hier – à Mostar, les Croates étaient allé jusqu’à détruire au canon, pour le symbole, le vieux pont turc et les massacres réciproques ont été nombreux – a été imposée par les Américains en échange de l’autorisation implicite donnée aux Croates de Croatie de procéder au « nettoyage ethnique » des Serbes de la région de Krajina, limitrophe de la Bosnie, où ils étaient majoritaires (500 000 ont été expulsés) ; la situation est souvent absurde : à Mostar, la municipalité qui « dirige » la ville en principe unifiée est largement fictive : elle ne se réunit que pour partager entre les parties bosniaque et croate de la ville les subventions qui viennent de l’UE.      

La seconde entité, la serbe, a une administration totalement séparée de la première. Elle couvre la moitié du territoire bosnien avec un découpage compliqué qui rappelle le jeu de « go » : chacun encercle l’autre tout en étant lui-même encerclé.

Les deux entités désignent les institutions fédérales du pays avec une parité tripartite systématique : pas seulement la présidence collégiale et le parlement mais tout le reste ; ainsi lors du dernier « mondial » de foot, la FIFA a hésité à agréer une délégation bosnienne qui n’arrivait pas à désigner un président unique comme l’impose le règlement de la FIFA.

On a poussé la schizophrénie jusqu’à ériger en « langues » différente la langue commune, le serbo-croate, parlé par tous. Le « croate », écrit en caractères latins, s’ingénie à inventer des mots nouveaux (du genre « champ d’aviation » à la place d’ « aéroport ») ou à ressortir des archaïsmes pour se différencier du serbe. Les Serbes de Bosnie mettent un point d’honneur à n’utiliser dans leur zone que l’alphabet cyrillique (alors qu’en Serbie, où le cyrillique est également la norme, on écrit aussi volontiers en latin, les deux étant obligatoires à l’école). Quant aux Bosniaques, ils ont aussi leur « langue » (les Monténégrins aussi) et ils ressortent quelques localismes d’inspiration turque pour se donner l’illusion de parler autre chose que les Croates et les Serbes ; tous, néanmoins, se comprennent parfaitement et on ne pousse quand même pas la bêtise jusqu’à mettre une traduction simultanée au conseil des ministres!         

Cette situation digne de Clochemerle serait comique si elle n’était la résultante de la   tragédie bosnienne. La Bosnie est devenue un non-pays que la « communauté internationale » (lisez les « Etats-Unis ») a figé en 1995 en cautionnant le partage « ethnique » issu de la guerre sans laisser l’option aux intéressés de choisir une vraie partition (l’Herzégovine, au sud, peuplée de Croates, aurait souhaité rejoindre la Croatie et la Republika Srpska aspire soit à l’indépendance internationalement reconnue soit à rejoindre le Serbie, mais cela lui est refusé : les Serbes sont victimes du « deux poids, deux mesures » : les Albanais du Kosovo ont pu avoir leur propre Etat, mais les Serbes de Bosnie n’ont pas ce droit, par quelle logique ?).       

Le pouvoir exécutif a été prudemment confié par les accords de Dayton au « Haut Représentant International ». C’est lui qui a le pouvoir effectif sous le contrôle de l’ambassadeur américain (assisté pour la forme du Britannique, du Français et de l’Allemand, à peine écoutés ; j’en sais quelque chose puisque j’ai participé à ces réunions-bidon) : la Bosnie est un protectorat de l’OTAN et de l’Union Européenne (les Européens payent et les Américains en tirent les bénéfices politiques et militaires ; ils ont notamment une base aérienne en Bosnie, utilisée en 1999 pour bombarder Belgrade). La présidence et les parlements élus le 7 octobre sont donc purement consultatifs.

XXX

Mon séjour bosnien a été instructif pour comprendre la réalité du pays, assez éloignée des « poncifs » véhiculés en dehors. Séjour triste aussi lorsque j’ai vu passer dans Sarajevo les centaines de cercueils des massacrés de Srebrenica (où l’assassinat délibéré et impardonnable de 8000 civils bosniaques sans défense a répondu à celui, du même genre, de 2000 Serbes ; mais l’histoire officielle, celle des vainqueurs, ne retient que le premier) ou lorsque mon chauffeur, qui me contait son vécu personnel, me dit un jour les larmes aux yeux, visant les responsables des trois « communautés » : «  ces salops ont tué mon pays et m’ont volé ma jeunesse ».

Pas étonnant qu’à Sarajevo, comme au Monténégro (où j’y ai ouvert l’ambassade de France en 2006) ou à Skopje, on soit majoritairement « yougo-nostalgique ». Je le suis moi aussi, surtout lorsque je me souviens du temps heureux de mon stage ENA à Belgrade en 1978, alors capitale d’un pays qui comptait dans le monde. Je me souviens aussi de la francophilie serbe qui y régnait et j’ai été assez honteux lorsque l’aviation française, au service des Américains, a participé au bombardement de Belgrade en 1999. Au moins nos avions, n’ont-t-ils pas touché ce magnifique monument à l’ « amitié franco-serbe » érigé avant la seconde guerre mondiale dans le parc du Kalemegdan juste en face de l’imposante ambassade de France à une époque où notre pays savait encore choisir ses amis. Les Serbes ont certes été aussi « bêtes » que « méchants » (ils n’ont pas été les seuls) et ils sont en partie responsables des malheurs qui se sont abattus sur eux. Mais ils conservent mon amitié.

La Yougoslavie était un beau pays. Comme les Yougoslaves, j’en garde le souvenir. Pauvre Bosnie !

Yves Barelli, 10 octobre 2018               

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1 décembre 2017 5 01 /12 /décembre /2017 21:39

Ce texte, écrit en 2005 reste valable aujourd’hui. Je n’y ai ajouté in-fine que les développements intervenus depuis. Il se veut une synthèse de présentation des divers conflits, liés entre eux, intervenus dans l’ex-Yougoslavie dans les années 1990.   

1/ Contexte et raisons de fond du déclenchement des conflits yougoslaves

La désintégration de la Yougoslavie en 1991 s’est accompagnée de plusieurs conflits simultanés ou successifs plus ou moins liés les uns aux autres : guerre entre la Serbie et la Croatie, conflit interne de Croatie entre la minorité serbe et la majorité croate, guerre de Bosnie, affrontements au Kosovo et intervention de l’OTAN contre la Serbie, troubles en Serbie, conflit inter-ethnique en Macédoine. Le conflit croato-serbe n’a pas été le plus meurtrier, mais il a été le premier et a été fatal à la Yougoslavie car il a opposé les deux républiques qui en constituaient jusque-là l’armature et la raison d’être.

 On a parfois tenté d’expliquer les violences par de vieilles haines ancestrales entre Serbes et Croates ou encore par les séquelles de la seconde guerre mondiale au cours de laquelle un Etat croate fasciste allié de l’Allemagne avait été créé ; le nationalisme croate aurait seulement été mis sous le boisseau par la main de fer de Tito et serait naturellement reparu après sa mort.

Ces explications sont peu pertinentes. Le développement économique de la Yougoslavie et la laïcisation de la société avaient fait oublier les soit disant querelles inter-ethniques ou inter-religieuses du passé (il y en eut en fait très peu au cours de l’histoire). Quant à l’écrasement du nationalisme croate sous Tito, la réalité le dément : Tito était lui-même croate, les Croates avaient été majoritaires chez les partisans qui avaient libéré le pays en 1945. Par la suite, le système fédéral yougoslave avait donné toutes les possibilités à chacune des républiques, y compris la croate, de s’épanouir, tant sur le plan linguistique et culturel qu’économique (système de l’autogestion). La seule nationalité qui a pu se sentir brimée était l’albanaise. Cela a d’ailleurs joué un rôle de détonateur.

La véritable raison des conflits doit être recherchée dans les ambitions concurrentes des personnels politiques qui ont émergé tant à Zagreb qu’à Belgrade après la disparition de Tito. Les nouveaux dirigeants ont pu alors utiliser les appareils bureaucratiques et les médias pour flatter le patriotisme local existant dans chacune des républiques. Celui-ci a servi de terreau sur lequel des minorités nationalistes se sont appuyées. A l’effondrement des régimes communistes dans les pays multinationaux, ce processus a été classique : Ieltsine a utilisé l’appareil russe pour chasser Gorbatchev en jouant le séparatisme ; les deux partis qui avaient gagné les élections à Prague et à Bratislava ont chacun trouvé leur compte à la séparation des républiques tchèque et slovaque (sans d’ailleurs consulter les populations). La différence avec la Yougoslavie est que le divorce tchéco-slovaque a été de « velours » et que la plus importante des républiques soviétiques a laissé partir les autres sans les retenir (et même en les poussant) pour les raisons exposées plus haut alors que l’éclatement de la Yougoslavie a entraîné une réaction en chaîne rapidement incontrôlée. 

Le contexte international a favorisé l’éclatement. Dans l’effondrement des régimes communistes à la fin des années 1980 et au début des années 1990, les Etats-Unis, suivis par une partie de l’Europe, ont systématiquement joué l’affaiblissement, voire l’éclatement, des anciens pays communistes. L’idéologie du « moins d’Etat » s’est appliquée là aussi. Dans le cas yougoslave, la vieille et ambiguë amitié entre l’Allemagne et la Croatie a été un facteur aggravant ; deux autres puissances, qui auraient pu aller à l’encontre de la désintégration de la Yougoslavie, ne l’ont pas fait : la France pour ne pas contrarier ses ambitions européennes, l’URSS parce que déjà en état de mort clinique. Un autre facteur aggravant a été que, à la fin de 1990, l’ensemble du monde avait les yeux tournés vers le Golfe où les hostilités contre l’Irak allaient être incessamment déclenchées.

2/ Une fédération yougoslave qui ne fonctionnait plus

La situation avait commencé à se dégrader dans les années 1970. La répression du « printemps croate » en 1971 comme l’arrêt porté aux tentatives serbes de libéralisation l’année suivante avaient figé le paysage politique. La nouvelle constitution qui en 1974 avait donné beaucoup plus de pouvoirs aux républiques n’avait sans doute pas été la bonne réponse aux demandes de changement apparues dans la société. Après la mort du maréchal Tito en 1980, le pouvoir de veto dont disposaient désormais les républiques dans de nombreux domaines commença à paralyser la fédération. Les jeux olympiques de Sarajevo de 1984 marquèrent l’apogée apparente d’un pays qui était déjà miné de l’intérieur.

Slobodan Milošević fut le premier à capitaliser sur les réactions nationalistes et populistes de la population serbe que la montée identitaire albanaise au Kosovo inquiétait (le Kosovo, considéré comme berceau historique de la nation serbe mais très majoritairement peuplé d’Albanais, n’était pas une composante de la Fédération mais seulement une province autonome de la Serbie).

En 1986, l’Académie des Sciences de Serbie publie un mémorandum alarmiste qui dénonce une menace de « génocide » anti-serbe au Kosovo. La crise qui se développe entre 1987 et 1989 est aiguë. Des troubles se produisent au Kosovo, qui aboutissent à la suppression du statut d’autonomie de la province mais aussi de la Voïvodine, autre région « autonome » de Serbie. Parallèlement des tensions se produisent entre la Serbie et les autres républiques qui s’inquiètent de ce qu’ils estiment être une volonté des Serbes de centraliser la fédération à leur profit. Il s’ensuit une paralysie des institutions.

Les élections de décembre 1990 donnent des majorités communiste en Serbie et au Monténégro, mais de droite en Croatie et en Slovénie. Aux provocations nationalistes de Milošević répondent celles de Tudjman ; le langage de ce dernier rappelle trop celui des oustachis fascistes. Par ricochet, les minorités dans les républiques s’inquiètent de la résurgence des nationalismes des majorités. En Croatie, la forte minorité serbe (près de      500 000 personnes) s’estime menacée. En Bosnie-Herzégovine, république pourtant la plus attachée à la Yougoslavie multiculturelle, un repli identitaire inédit s’exprime lors des élections de novembre 1990 où les trois partis à fondement communautaire obtiennent globalement 71% des voix, alors que, selon un sondage, 74% de Bosniens rejetaient ces partis quelques semaines auparavant.

3/ Le conflit croato-serbe 

Fin 1990-début 1991, la Slovénie et la Croatie s’éloignent inéluctablement de la Fédération. Leurs indépendances seront proclamées le 25 juin 1991, puis retardées après acceptation d’un moratoire à la demande des Européens. La situation devient vite incontrôlable : la Krajina (région de peuplement majoritairement serbe en Croatie le long de la frontière bosnienne) est en état d’insurrection ; le gouvernement de Bosnie-Herzégovine est paralysé par les antagonismes communautaires.

Les unités de l’armée fédérale (JNA) stationnées en Croatie et en Slovénie restent fidèles à Belgrade, elles traversent la Slovénie pour « protéger » la frontière extérieure de la Yougoslavie. Les heurts avec les unités de défense territoriale slovène sont limités ; la JNA n’insiste pas : un cessez-le-feu est signé trois jours après et la JNA se retire de Slovénie après les accords de Brioni, favorisés par la médiation de la troïka de l’UE (7 juillet 1991).

C’est plus compliqué avec la Croatie. Dès le mois de juillet 1991, les combats sont violents entre, d’une part, les forces croates qui s’organisent (dans l’ex Yougoslavie, la défense territoriale était un élément fondamental de la défense du pays : chaque république avait son stock d’armes), et, d’autre part, la JNA (dont les cadres étaient souvent serbes), renforcée de miliciens serbes. L’artillerie et l’aviation sont utilisées. En juillet-août, diverses tentatives européennes de cessez-le-feu sont sans effet. Le 26 août, le gouvernement croate de Franjo Tudjman annonce une « guerre de libération » contre les Serbes et l’armée fédérale. Les hostilités ont déjà fait 400 morts depuis juin. [Parallèlement, la Macédoine devient indépendante sans problème le 17 septembre 1991 après référendum. Ce pays est, comme la Slovénie, désormais à l’écart du conflit]. En septembre, les ministres croates quittent officiellement le gouvernement fédéral (déjà moribond) et le dernier président fédéral, le Croate Stipe Mesić, démissionne en octobre. Il n’y a plus de Fédération.     

D’août à novembre 1991, Vukovar, ville croate à l’Est du pays, est assiégée et bombardée. Elle tombera à la mi-novembre. Plusieurs milliers de victimes croates sont à déplorer, dont 200 assassinées dans un hôpital par des miliciens serbes ; la ville est presque anéantie : on a atteint un point de non retour. Pendant ce temps, l’avance serbo-fédérale se poursuit : leurs forces occupent désormais 30% du territoire croate, la route magistrale de l’Adriatique est sous leur feu et plusieurs villes du littoral dalmate sont bombardées dont l’emblématique Dubrovnik (300 morts pour cette seule ville).

L’Union européenne accepte le principe de l’indépendance des républiques. L’Allemagne passe la première à l’acte le 23 décembre 1991; le 28, Zagreb est bombardée par l’armée fédérale. L’envoyé spécial du Secrétaire Général de l’ONU, Cyrus Vance, obtient enfin un cessez-le-feu le 1er janvier 1992. Des casques bleus vont être déployés. Le 15 janvier, l’UE reconnaît l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. En réponse, les Serbes de la Krajina proclament l’indépendance de la région, puis acceptent le déploiement des casques bleus. Le front va se stabiliser jusqu’en 1995.

4/ Le conflit en Bosnie-Herzégovine

La tension monte en Bosnie à l’automne 1991. En octobre, le parlement de Sarajevo déclare la souveraineté ; le SDS (principal parti serbe) boycotte ce vote. A Banja Luka, les milices serbes sont armées par la JNA. ; les Serbes de Bosnie menacent de créer leur propre république si la Bosnie devient indépendante. La commission d’arbitrage de l’UE présidée par le Français Robert Badinter estime dans un premier temps que les conditions de l’indépendance ne sont pas réunies puis suggère l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Celui-ci a lieu fin février 1992. 60% de participation (boycott serbe) ; 63% de oui (les Croates votent en majorité non). L’indépendance est proclamée le 3 mars 1992, immédiatement reconnue par les Etats-Unis et l’Union Européenne.

La réponse des Serbes de Bosnie est immédiate. Ils forment une « republika srpska ». Leur armée attaque Bosniaques et Croates dans le Nord de la Bosnie afin de se créer un couloir entre la région de Banja Luka et l’Est de la Bosnie, tous deux à majorité serbe. Des rafles massives de Bosniaques ont lieu à Banja Luka (où ils formaient une minorité importante), à Bjeljina et dans d’autres localités ; beaucoup sont internés dans des camps, des femmes sont violées ; des massacres ont lieu (200 personnes tuées et jetées du haut d’une falaise). Sarajevo, où le peuplement est mixte (mais minoritairement serbe) est encerclée. Le siège, qui débute le 6 avril, va durer trois ans, les batteries serbes situées sur les hauteurs voisines bombardant par intermittence la ville et l’aéroport tandis que des « snipers » tirent, lors des premiers mois du siège, sur les civils depuis de hauts immeubles afin de terroriser la population dont les 2/3 quittent la ville. Les casques bleus de l’ONU vont s’interposer, empêchant le contact direct mais pas les bombardements ; ils permettent toutefois de ravitailler la ville ainsi que des entrées et sorties de populations (à la suite d’accords ponctuels). 

D’autres régions de Bosnie s’embrasent, en particulier dans le centre du pays. Les armées sont désormais bien organisées de part et d’autre. Une solidarité internationale active se déploie en faveur des Bosniaques, tant dans les pays occidentaux (fort « lobby » en France avec des intellectuels de renom) que dans les pays musulmans qui envoient des « moudjahidines » islamistes. Chaque camp puise dans les réserves d’armes de l’ex Yougoslavie. A la mi-août 1992, il y a déjà 30 000 morts en Bosnie et les Serbes contrôlent 70% du territoire bosnien, tandis que les Croates sont maîtres de l’Herzégovine.

Début 1993, des pourparlers de paix à Genève ne débouchent pas. Au printemps 1993, les combats entre Croates et Bosniaques sont violents en Bosnie centrale (peuplement mixte) et pour le contrôle de Mostar (en novembre, les Croates détruiront le vieux pont). L’armée croate de Croatie intervient de façon à peine déguisée. Un accord implicite pour le partage de la Bosnie entre Serbie et Croatie paraît un moment se dessiner, mais sans frontière très nette. Il y a plusieurs enclaves encerclées par les uns ou par les autres. Dans celle de Bihać, de peuplement bosniaque, à l’extrémité occidentale de la Bosnie, une dissidence bosniaque se bat aussi contre les Bosniaques loyalistes.

En 1994, la situation va évoluer dans un sens défavorable aux Serbes. Les Américains obtiennent en mars non seulement un cessez-le-feu entre Croates et Bosniaques, mais aussi la mise sur pied d’une Fédération croato-bosniaque. On peut penser que cela a été obtenu en échange d’un feu vert donné aux Croates pour qu’ils récupèrent la Krajina. L’armée bosniaque reprend le contrôle de Bihač tandis qu’une offensive serbe sur Tuzla échoue en mai.

Débarrassés du front Sud, mieux armés, mieux organisés et, désormais, disposant d’un appui direct (milices islamiques) ou indirect de l’étranger, les Bosniaques non seulement tiennent bon à Sarajevo, mais progressent significativement en avril 1995 en Bosnie centrale (région de Zenica-Travnik-Jajce). Dans le même temps, l’armée croate progresse en Slavonie occidentale et pénètre en Bosnie, en cherchant à encercler la Krajina. En mai, les milices serbes prennent en otage à Sarajevo plusieurs centaines de casques bleus, ce qui contribue à l’évolution de l’attitude internationale vers moins de passivité.

Pris entre deux feux, les Serbes cherchent de leur côté à prendre les enclaves bosniaques qui fixent leurs troupes à l’Est. En dépit de la protection de l’ONU qui a déclaré ces enclaves zones de « sécurité », ils réussissent à s’emparer le 11 juillet 1995 de Srebrenica où des civils serbes avaient été antérieurement massacrés par des miliciens bosniaques. Cela peut partiellement expliquer, mais en aucun cas justifier, ce qui a suivi : les exécutions sommaires de sang froid de près de 8000 hommes, combattants ou seulement civils, et l’expulsion vers la fédération des femmes,  des enfants et des vieillards.

Dès lors, tout va très vite. L’OTAN menace d’attaquer les Serbes si les enclaves restantes sont touchées. Le 4 août 1995, l’armée croate attaque massivement la Krajina, conquise en quelques jours ; les 200 000 Serbes qui l’habitaient encore sont expulsés. L’armée croate poursuit son chemin en Bosnie et expulse également des dizaines de milliers de Serbes de la partie de l’Herzégovine qui était antérieurement majoritairement peuplée de Serbes. Ce « nettoyage ethnique » permet à la Fédération de relier l’enclave de Bihač au reste de son territoire.

Après le bombardement du marché central de Sarajevo qui fait plusieurs dizaines de morts (mais des doutes subsisteront sur l’origine des tirs) le 28 août 1995, l’OTAN bombarde (30 août) les positions serbes de Bosnie, sans toutefois procéder à des attaques massives.  Les troupes croates et bosniaques gagnent du terrain. Les Serbes, qui détenaient 70% du territoire bosnien, n’en ont plus que la moitié en octobre.

Dès lors représentants de la Republika Srpska et de la Fédération acceptent de passer à la table de négociation. Le 21 novembre 1995 les accords de Dayton (Etats-Unis) sont paraphés ; ils seront signés le 14 décembre à Paris. Ils établissent les bases de l’organisation actuelle de la Bosnie-Herzégovine : un Etat, deux Entités, trois peuples contraints de cohabiter, bon gré mal gré sous la tutelle d’un Haut Représentant de la communauté internationale et sous le contrôle direct d’une nombreuse force internationale. Le conflit bosnien a fait près de 200 000 morts ; la moitié de la population a été déplacée ; beaucoup sont restés à l’étranger (le pays a perdu 10% de ses habitants).                  

5/ Le conflit du Kosovo

La fin de 1995 voit la récupération par la Croatie de la totalité de son territoire et la fin du conflit bosnien. Reste deux questions à régler : le jugement des criminels de guerre et le Kosovo. Sur le premier point, un Tribunal Pénal International pour l’ex Yougoslavie (TPIY) est mis sur pied, sur décision de l’ONU, à La Haye. Son travail n’est pas encore terminé. Il a déjà jugé quelques dizaines de personnes, en majorité serbes, mais aussi Croates ou Bosniaques. L’inculpé le plus célèbre est Slobodan Milošević, livré par les nouvelles autorités serbes après le changement de régime à Belgrade intervenu au printemps 2000. En revanche Radovan Karadžić et Radko Mladić, les deux principaux dirigeants bosno-serbes, au premier rang des inculpés pour crimes de guerre, n’ont, à ce jour, pas encore été pris [Ils le seront quelques années plus tard] . 

 

S’agissant du Kosovo, les affrontements entre Serbes et Albanais s’intensifient en 1998. L’armée serbe occupe le terrain à partir de février et utilise des armes lourdes contre le début de guérilla de l’UCK. Le CSNU vote un embargo sur les armes.  Au printemps 1999, la Serbie est l’objet de bombardements massifs de l’OTAN. La légalité internationale de ces frappes est discutable (pas de résolution explicite du CS). Une force internationale de maintien de la paix (KFOR) est envoyée au Kosovo. Ce territoire passe sous contrôle international et est détaché de fait de la Serbie.

Fin 1999 et au cours de 2000, la situation est confuse à Belgrade : manifestations anti-Milošević, fermeture de l’université, plusieurs personnalités assassinées, élections contestées (et boycottées au Monténégro, république durement touchée par l’embargo, d’abord international puis, de fait, serbe). Vojislav Koštunica sort finalement vainqueur du bras de fer avec Svobodan Milošević (inculpé depuis le 27 mai 2000 par le TPIY, il sera arrêté quelques mois après un siège mouvementé et livré ensuite à La Haye).   

6/ Evolution ultérieure

Depuis que ces lignes ont été écrites, les conflits yougoslaves ont connu des épilogues : le Monténégro, qui a réussi à rester à l’écart des conflits après sa participation au siège serbe de Dubrovnik au début de la guerre, s’est prononcé en 2006 pour la séparation d’avec la Serbie : l’indépendance a été votée et obtenue pacifiquement et les relations avec la Serbie sont maintenant normalisées. De son côté, le Kosovo, qui était occupé par l’OTAN a obtenu une indépendance qui n’a pas été reconnue par l’ensemble de la communauté internationale (ni la Serbie, ni la Russie, ni certains pays de l’UE ne l’ont reconnue et le nouveau pays n’a pas été admis à l’ONU. De son côté, la Macédoine a eu des problèmes avec sa minorité albanaise, pas encore totalement réglés. La Slovénie et la Croatie ont été admises comme membres de l’UE et de l’OTAN.     

L’ex Yougoslavie n’est pas encore totalement normalisée et les pays qui la composaient restent souvent fragiles. La partialité du TPIY n’a pas contribué à panser les plaies.   

= commentaires=

1/ La responsabilité de Milošević dans l’éclatement de la Yougoslavie est lourde. Mais Tudjman et Izbegerović ont aussi leur part.

2/ Le massacre délibéré de Srebrenica, crime de guerre le plus massif depuis la seconde guerre mondiale, a joué un rôle capital dans la « diabolisation » des Serbes. Cela n’exonère en rien les nombreux crimes croates et bosniaques, aussi coupables de nettoyage ethnique que les Serbes.

3/ Cette diabolisation et les bombardements contestables de Belgrade par l’OTAN ne sont pas la meilleure manière de panser les plaies et de favoriser la réconciliation, notamment en Bosnie et au Kosovo. Cela est d’autant plus regrettable que, à l’exception du Kosovo, la cohabitation intercommunautaire était une réalité avant 1991 et qu’aujourd’hui la « Yougo-nostalgie » est générale. Ce conflit absurde entre populations de même langue et de mêmes valeurs autrefois partagées a surtout été l’œuvre de minorités activistes et le fruit d’enchaînements incontrôlables que le contexte international a aggravé./.

Yves Barelli, juillet 2005 complété en décembre 2017

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1 décembre 2017 5 01 /12 /décembre /2017 20:03

Un général qui se suicide devant ses juges, un chef d’Etat qui meurt en prison, des juges ne connaissant rien aux affaires qu’ils « jugent », des incohérences dans les procédures, une partialité systématique. Vingt ans après sa création pour, en principe, punir = tous = les crimes de guerre qui ont marqué les conflits yougoslaves des années 1990, mais qui se contente de ne punir qu’un camp, celui des Serbes, le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie (TPIY), qui continue sa sale besogne une génération après la fin des conflits, est un scandale permanent qui déshonore ceux qui en sont les complices, actifs par haine idéologique ou passifs par lâcheté en fermant les yeux sur ce qui se passe à La Haye, où siège le TPIY. Cette « justice », qui n’est que de l’injustice, me révolte. Il se trouve que je connais bien cette question pour avoir été en poste diplomatique dans l’ex Yougoslavie. Elle ne me laisse pas indifférent et il est de mon devoir de témoigner.

1/ Le TPIY a été institué par la résolution 827 du 25 mai 1993 du Conseil de Sécurité de l’ONU afin de poursuivre les personnes s’étant rendues coupables de crimes de guerre au cours des conflits qui ont ravagé l’ex Yougoslavie au début des années 1990. Le projet de résolution, préparé par la France, fut adopté à l’unanimité. Il instaurait un tribunal en principe indépendant siégeant à La Haye.  

Il convient d’en rappeler les circonstances. L’opinion publique internationale avait été sensibilisée par les crimes commis en Yougoslavie, notamment le massacre de 8000 civils bosniaques à Srebrenica. On était à l’époque encore en pleine hystérie anti-communiste. L’Union soviétique venait de s’effondrer, Boris Ieltsine, qui avait renversé Gorbatchev, et dont les amis mafieux s’enrichissaient en marge de privatisations bidon au profit d’entreprises occidentales, à la tête d’un pays exsangue, était l’homme des Américains, la Chine, peu intéressée par les Balkans, n’avait pas encore la puissance qu’elle a désormais et le reste de la soit disant « communauté internationale » était presque en totalité, par adhésion ou par crainte, aux mains des Américains : désormais seuls maitres du monde, ils pouvaient frapper n’importe où ; ils venaient de le faire en bombardant Belgrade sans mandat de l’ONU, ils étaient intervenus en Afghanistan et s’apprêtaient à envahir l’Irak. On comprend mieux, dans ces conditions, l’unanimité du CSNU sur la Yougoslavie, d’autant que, les conflits étant terminés et la poursuite de criminels de guerre étant à priori une tache noble, nul n’avait d’intérêt particulier à défendre ou envie de s’opposer aux Américains sur ce sujet.         

2/ Un engrenage infernal s’est alors mis en place. Ce tribunal en principe indépendant mais sous forte influence occidentale (les 11 juges sont élus par l’Assemblée Générale de l’ONU  sur proposition du Conseil de Sécurité où les Occidentaux étaient hégémoniques ; le premier procureur, Carla del Ponte, une suissesse, a fait preuve d’un zèle tout particulier dans sa chasse aux Serbes ; celui qui lui a succédé est belge), s’est mis au travail.

Rien de pire que des magistrats « indépendants » grassement rémunérés : ils veulent se faire un nom dans l’histoire (Del Ponte a acquis une grande notoriété) et leur carriérisme opportuniste les pousse à aller dans le « sens de l’histoire », celui des Américains qui venaient de triompher du communisme et, lorsqu’on sait que la Serbie de l’époque était encore à direction communiste, on comprend mieux que ce sont ces crimes « communistes » qui les ont spécialement intéressés. En revanche, il aurait été contreproductif pour eux de s’en prendre aux Croates ou aux Bosniaques, ennemis des Serbes. S’ils l’avaient fait, on les aurait évidemment accusés de « partialité », seul l’antiserbisme et l’anticommunisme primaires étant « objectifs ». Aussi, ne l’ont-ils pas fait : il était préférable, pour leur carrière et pour aller dans le sens des médias aux informations et commentaires à sens unique, de ne s’en prendre qu’aux « méchants » Serbes.

D’ailleurs, le « travail » du TPIY a été grandement aidé par l’OTAN. Ce sont les troupes de l’OTAN, présentes en Bosnie et au Kosovo après la « victoire » contre la Serbie, qui se sont chargées de traquer et d’arrêter les accusés. Parler d’indépendance du tribunal dans ces conditions relève de la mystification.  

3/ Depuis sa première audience en novembre 1994, 161 personnes ont été poursuivies et 94 condamnées.

Comme par hasard, tous les dirigeants serbes de l’époque ont été recherchés en priorité. Parmi eux, le président de la République de Serbie, Slobodan Milošević, démocratiquement élu par des élections libres, le président de la République serbe de Bosnie, Radovan Karadžić. En revanche, ni le président croate, ni celui de la Bosnie, dont les armées et milices ont commis au moins autant d’attrocités que leurs homologues serbes, n’ont été poursuivis.

Les rares non-Serbes qui ont été poursuivis par le tribunal, en général ont été acquittés. Cela a été le cas du général croate Ante Gotovina, accusé de crimes contre l’humanité, qui, dans un premier temps a été condamné à 24 ans de prison mais acquitté, et libéré, en appel (c’est la conception de la justice ou de la démocratie à la mode occidentale: quand un tribulal se  « trompe», on casse le jugement, et quand un peuple se  « trompe», comme les Français sur le référendum de 2005 sur la « constitution » européenne, on ne tient pas compte de son vote). Cela a été aussi le cas de l’un des chefs des milices albanaises du Kosovo, Ramush Haradinaj, libéré faute de témoins à charge, 9 personnes ayant été assassinées avant de pouvoir témoigner, ce qui ne semble pas avoir particulièrement interpelé les juges (il est vrai que poursuivre des Albanais était un peu délicat, les Albanais ayant été des victimes « héroïques » du « joug » serbe, comme tous nos médias bienpensants nous le répètent encore : le Kosovo, autrefois serbe -  c’est même le berceau de la nation serbe - avait été envahi par l’OTAN sans mandat de l’ONU et livré un peu plus tard aux mafias albanaises qui, aujourd’hui, dirigent l’Etat « indépendant » du Kosovo).

On pourrait encore citer quelques exemples qui montrent que, lorsque les non-Serbes ont été déclarés coupables de crimes de guerres (peu de cas), ils s’en sont tirés, pour des crimes comparables, avec des peines infiniment plus clémentes que les Serbes.

Bref, une parodie de justice qui n’honore ni les magistrats qui se livrent à cette mascarade, ni les politiciens qui ont instauré le tribunal.

4/ Cette soit disant justice, en fait, pose deux questions :

a/ Est-elle équitable ? La réponse est évidemment non.

b/ Sert-elle à quelque chose, autrement dit a-t-elle un effet dissuasif sur d’autres crimes qui pourraient être commis ailleurs ? La réponse, là aussi, est non.

Nul n’a été dupe de la partialité, donc de l’absence de légitimité du tribunal. Même ceux qui avaient critiqué la politique suicidaire pour la Serbie de Milošević ont souvent éprouvé une certaine sympathie pour lui compte tenu qu’il avait été un chef d’Etat et qu’il n’avait personnellement commis aucun crime. Il en est allé de même, par exemple, de  Karadžić. Je me trouvais en poste diplomatique au Monténégro lorsqu’il était recherché puis arrêté (en Serbie) en 2008 (il sera condamné à quarante ans de prison en 2016). Même les plus anti-Serbes (j’en ai parlé avec les dirigeants du Monténégro), lorsqu’ils étaient honnêtes, déploraient l’unilatéralisme du tribunal et estimaient que sa partialité entachaient gravement le but même que la communauté internationale lui avait fixé, punir des crimes.      

En fait, le TPIY  a complètement manqué sa cible : promouvoir les droits de l’homme, punir équitablement ceux qui les violent et établir les bases d’un monde plus juste. Il a en fait été une machine de guerre américaine au service de l’éradication du communisme partout dans le monde (sauf en Chine, parce que les Américains y font de juteuses opérations commerciales !). Du moins à ses débuts. Aujourd’hui, c’est une machine qui tourne dans le vide avec des magistrats qui continuent à « casser » du Serbe par la force de l’habitude, par carriérisme et, vénalement, par appât du gain (ce ne sont plus des juges mais des mercenaires).

On vient d’assister à une scène horrible : un ex-général serbe vient de se suicider il y a trois jours en pleine séance devant ses juges en avalant une fiole de poison. Les télévisions ont montré quelques images (on aime le sensationnel) mais sans rien expliquer pour la raison simple que la plupart des gens, y compris les journalistes, ont complètement oublié les tenants et les aboutissants de conflits vieux de vingt ans. C’est la pire situation : non seulement le TPIY a perdu toute légitimité, non seulement il continue d’attiser les rancœurs chez les anciens protagonistes alors qu’il faudrait promouvoir la réconciliation, ce que la diabolisation des Serbes ne saurait permettre, mais, aujourd’hui, des magistrats surpayés continuent de juger dans l’indifférence générale des faits et des hommes dont ils ignorent à peu près tout et, cela, pour une finalité que tout le monde a perdu de vue.

5/ Dans les années 2000, j’ai été en poste diplomatique d’abord en Bosnie puis au Monténégro. La situation que j’ai trouvée sur place n’avait qu’un lointain rapport avec ce que j’en connaissais auparavant en m’ « informant » au moyen de médias très influencés par les vues unilatérales des sources d’ « information » des Etats-Unis et de l’OTAN.

Je prends trois exemples : a/ quand je suis arrivé à Sarajevo, j’avais encore en tête cette image « vue à la télé » de « snippers » serbes tirant à l’aveugle sur de pauvres civils bosniaques traversant les rues ? Cela s’est effectivement passé, mais n’a duré que trois mois ; ensuite, ce qu’on ne disait pas, il y a eu des discussions et accords entre belligérants qui ont permis d’évacuer des civils : les Serbes n’étaient donc pas seulement les brutes sanguinaires qu’on nous a présentés. b/ le bombardement du marché de Sarajevo, qui a fait plusieurs dizaines de victimes a été présenté comme le crime de trop des Serbes qui a décidé, « enfin », l’OTAN a entrer dans le conflit en envoyant des avions bombarder Belgrade. Or, on a de bonnes raisons de penser (« on », ce sont des sources que je n’ai pas le droit de citer publiquement) que ce crime de guerre n’a peut-être pas été le fait des Serbes ; si on veut bien estimer que, quand on cherche un coupable, il faut aussi savoir à qui le crime profite, on constate que ce crime n’a pas servi les Serbes ; c/ le massacre de Srebrenica a été un crime de masse affreux et impardonnable (je suis allé sur place et j’ai vu passer devant chez moi des convois funèbres ; croyez-moi, à moins d’être dénué de toute humanité, cela ne laisse pas indifférent), mais il faut savoir que l’assassinat de 8000 civils bosniaques a répondu à l’assassinat de 1500 Serbes. Cela n’excuse pas le crime des 8000 mais on serait plus crédible en dénonçant aussi les autres crimes. Il n’y a pas eu que ceux des Serbes.

6/ Les crimes, il y en a eu dans tous les camps avec hélas un engrenage massif qui, rapidement, s’est emballé et que plus personne ne pouvait arrêter. Ainsi, les trois « communautés » de Bosnie, les Bosniaques, de tradition musulmane, les Serbes, de tradition orthodoxe, et les Croates, de tradition catholique (auxquels s’ajoutaient ceux, nombreux, qui se disaient seulement « Yougoslaves » et qui, dans ce pays laïque, ne se reconnaissaient d’aucune religion ni communauté), qui parlent la même langue, vivaient en bonne intelligence dans la Yougoslavie de Tito. Le conflit avait commencé par une opposition politique (qui a tourné à l’affrontement militaire) entre la Serbie et la Croatie, républiques fédérées de la Yougoslavie, et il s’est étendu en Bosnie malgré les Bosniens (« bosnien » = habitant de la Bosnie, bosniaque = l’une des « communautés ») rapidement dépassés. Les partis « communautaires », auparavant très minoritaires, sont rapidement devenus majoritaires par enchainement : aux premières exactions, fait de provocateurs, ont répondu des représailles et, aux massacres, ont répondu des massacres, plus grands encore. Dans les Balkans, la culture de la vengeance est profondément ancrée. Elle a entrainé toutes les dérives.

Mon chauffeur à l’ambassade de France à Sarajevo était de mère serbe et de père bosniaque (ou le contraire, je ne sais plus) ; il était sans religion comme beaucoup de ses compatriotes. Il m’a parlé un jour longuement du conflit et, mettant tous les protagonistes dans le même sac, il a conclu : « et ces salops ont tué mon pays (la Yougoslavie) et gâché ma jeunesse ».

Alors, à Zoran et à tous les autres, n’allez pas parler du tribunal de La Haye et de son parti-pris antiserbe. Pour lui et pour la plupart des gens que j’ai côtoyés, la Yougoslavie de Tito était un âge d’or. Pour eux, dans les conflits, il y a eu beaucoup de criminels. Les Serbes, bien sûr qui ont souvent ajouté la bêtise au crime parce qu’ils ont finalement aidé ceux qui ont voulu les diaboliser, et avec eux le communisme yougoslave. Si on devait établir une hiérarchie du crime, ils seraient sans doute numéro un. Mais à peine devant les suivants, les Croates (champions des « nettoyages ethniques », pire encore que les Serbes), les Bosniaques (rois de l’hypocrisie, que Bernard Henri Lévy, qui a sévi là comme ailleurs, a réussi à transformer en victimes innocentes) et, sur le théâtre d’opération du Kosovo, les Albanais.

Et puis, il y a un autre criminel, extérieur lui, que jamais personne ne jugera parce qu’il a lui-même créé son tribunal, le TPIY, non pas pour juger des crimes mais, en fait, pour juger ceux qu’il a combattu, les communistes ex yougoslaves et, en les poursuivant, pour se dédouaner de sa propre responsabilité. Ce criminel, ce sont les Etats-Unis de Bush, les vas-t-en guerre contre, d’abord, le communisme, puis contre les régimes arabes laïcs, tel celui d’Irak qu’ils ont combattu sous le prétexte qu’il avait des armes de destruction massive qui, en fait, n’existaient pas (les seuls à en avoir étaient les Américains).

Ce criminel, il n’a eu de cesse que de casser l’Union soviétique et les autres pays communistes. Ils y ont réussi : l’URSS et la Yougoslavie n’existent plus. Mais leur victoire n’a pas été durable parce qu’il est plus difficile de tuer une nation que ses dirigeants. Aujourd’hui, la Russie est de retour sur la scène internationale et la Chine est devenue une superpuissance. Désormais, les Américains ont moins (mais encore beaucoup) d’impunité et c’est tant mieux.

Les Européens ont eu aussi une assez lourde responsabilité. Les Allemands ont un peu trop vite pris le parti de leurs anciens amis (du temps de Hitler) croates et les Français, en ce temps comme aujourd’hui, par parti-pris européiste, n’ont pas voulu contrer les Allemands, (alors que, de tous temps, les Serbes étaient francophiles : il y a un grand monument à Belgrade dédié à l’amitié pour la France).       

Les mauvaises langues demandent : pourquoi avoir envoyé  Milošević devant le TPIY (il n’a pu être condamné car il est mort en prison d’une crise cardiaque avant le jugement) et pas tous les autres chefs d’Etat responsables eux aussi de crimes de masse, à commencer sans doute par les présidents américains dont les interventions militaires ont été responsables de beaucoup de morts?

Poser la question, c’est reconnaitre qu’il est bien difficile de vouloir mettre sur pied une justice pénale internationale. Lorsque celle-ci prend l’allure de règlements de comptes des vainqueurs contre les vaincus, ce n’est plus de la justice. Le TPIY, mais aussi la mise en accusation des anciens dirigeants ivoiriens par exemple, est, je crois, tout à fait contreproductive car elle fait, le plus souvent, de criminels, des héros, surtout quand d’autres criminels, en face, ne sont pas inquiétés.

Dans une fin de conflit, je préfère la solution de Mandela. Il a passé de nombreuses années en prison, les victimes de l’Apartheid ont été nombreuses mais personne n’a été jugé, personne n’a été condamné. C’était la seule solution pour pacifier la « nation arc-en-ciel » et pour tirer un trait définitif sur le passé. Cela ne signifie pas qu’on oublie. Il faut aussi réparer et dédomager les victimes lorsqu’elles sont encore en vie. Mais chercher à tout prix des coupables perpétue, souvent, les conflits et empêche de construire les bases de l’avenir. Chez nous, le conflit algérien s’est soldé par une amnistie générale. Quel sens y aurait-il eu de poursuivre vingt après les crimes de l’OAS (en oubliant, de sursroi, ceux du FLN)? Aucun.  

C’est dommage qu’on n’ait pas appliqué la doctrine Mandela à la Yougoslavie.

Pour ceux que cela interesse, je mets en ligne en tant qu’article suivant de ce blog un résumé des conflits yougoslaves que j’avais rédigé lorsque j’étais en poste diplomatique dans la région. Il se limitait aux information du domaine public. On ne peut tout écrire mais cela suffit à la bonne compréhénsion du sujet.

Yces Barelli, 1er décembre 2017                                           

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