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9 février 2018 5 09 /02 /février /2018 22:06

Le président Macron, qui s’est rendu en Corse le 6 février pour commémorer le vingtième anniversaire de l’assassinat du préfet Erignac, s’est montré, comme on s’y attendait, totalement fermé aux demandes exprimées par les représentants démocratiquement élus (voir mon article sur ce blog du 10 décembre 2017 : « Victoire nationaliste en Corse ») du peuple corse (auquel, d’ailleurs, on continue de refuser, en niant les réalités ethniques et historiques, ce qualificatif de « peuple »). Un sondage effectué après ce déplacement montre que plus de 60% des Français approuvent la fermeté du président français. C’est navrant et c’est inquiétant. Cela me rend pessimiste pour l’avenir : la France fait en Corse la même erreur que, par le passé, en Algérie, et la même erreur que l’Espagne, aujourd’hui, en Catalogne ; elle se comporte en pouvoir colonial hautain, méprisant les « indigènes » et leur refusant, quoi qu’ils en pensent et quoi qu’ils votent, le droit de décider de leur destin. Mais on peut se voiler la face et refuser de voir la réalité. Celle-ci vous rattrape pourtant tôt ou tard. Un divorce est en train de s’installer entre la Corse et la France. Il n’était pourtant pas inéluctable. La France est en train de perdre la Corse par sa seule faute. Combien faudra-t-il de préfets assassinés pour la ramener à la raison ? Lorsqu’un peuple ne peut rien obtenir par la voie pacifique, la lutte armée devient, hélas, la seule option.

1/ Les dirigeants corses, l’indépendantiste (qui accepte de remettre à beaucoup plus tard l’option de l’indépendance, et seulement, si les Corses le décident) Jean-Guy Talamoni et l’autonomiste (c’est-à-dire une Corse autogouvernée dans le cadre de l’Etat français) Gilles Simeoni, ont fait preuve depuis décembre d’une grande retenue, du sens des responsabilités (que je veux saluer), d’ouverture et d’une volonté de compromis avec le gouvernement français.

En pure perte, semble-t-il.

2/ Les revendications corses étaient pourtant raisonnables :

a/ La reconnaissance de la langue corse comme co-langue officielle (avec le français) de la Corse. Cette demande parait révolutionnaire, aberrante et donc inadmissible pour une majorité de Français. Dommage qu’ils soient aveuglés et intoxiqués par des siècles de centralisme et de jacobinisme intolérants au point d’être incapables de se rendre compte que la France est le seul pays en Europe à nier sur son territoire toute langue autre que sa langue dominante.

A titre d’exemple : en Espagne, le catalan, le valencien (appellation locale en Pays Valencien du catalan), le basque et le galicien sont langues officielles et d’enseignement (tout le cursus scolaire se fait dans ces langues et non en espagnol, enseigné à titre accessoire, un peu comme le français l’est en Algérie ou au Maroc) ; en Grande Bretagne, le gallois est langue officielle du Pays de Galles (qui dispose de chaines de télévision et de radio 24h sur 24 en gallois ; on peut dans cette « Nation » faire toutes ces démarches en gallois) ; en Italie, le français est langue officielle du Val d’Aoste, l’allemand du Sud-Tyrol tandis que le frioulan, le sarde, l’occitan et le slovène sont « langues protégées » et donc enseignées et subventionnées pour leur développement) ; en Allemagne, le sorabe est co-langue officielle en Saxe ; en Norvège, Suède et Finlande, le lapon est protégé, enseigné et utilisé dans l’administration et pour toutes les inscriptions sur la voie publique de Laponie ; aux Pays-Bas, le frison est co-langue officielle ; en Russie, chaque « sujet de la Fédération » (république, oblast autonome ou simple province) a, le cas échéant, sa propre langue officielle et d’enseignement en plus du russe ; et il y a les trois pays frontaliers de la France mieux connus encore : la Belgique avec le néerlandais en Flandre, le français en Wallonie, les deux à Bruxelles et l’allemand en plus en Wallonie orientale ; la Suisse, avec quatre langues officielles au niveau fédéral et co ou unique langue officielle dans les cantons ; le Luxembourg, avec luxembourgeois, français et allemand officiels. Je pourrais encore citer d’autres exemples ; Slovaquie, Monténégro, Autriche, Macédoine, etc, etc.  

Le monolinguisme officiel français, loin d’être la norme en Europe (et dans beaucoup de pays  ailleurs dans le monde) est une exception aberrante et scandaleuse. Il n’y a pas que la Corse qui est concernée. En dépit de la volonté constamment exprimée par les Bretons (avec des demandes votées par le conseil régional, les cinq conseils départements concernés et la majorité des communes), le breton n’a aucun statut en Bretagne, sa programmation sur FR3 est dérisoire (moins de deux heures par semaine) et il n’est enseigné qu’en option et pour une poignée d’heures hebdomadaires. Idem pour le basque, le catalan (Pyrénées Orientales), l’occitan (langue encore parlée par deux millions de personnes et au prestige souvent fort à l’étranger - j’ai enseigné cette langue dans la prestigieuse université Jagellone de Cracovie, en Pologne-) ou l’alsacien.

Nos langues dites « régionales » sont en train de mourir. Non de leur belle mort, comme on dit, mais parce qu’elles sont assassinées par l’Etat français : une langue qui n’est pas valorisée par son enseignement, sa diffusion sur les médias et son utilisation officielle est une langue condamnée à mort ; seul le volontarisme peut la sauver. A l’étranger, plusieurs langues qui étaient menacées sont aujourd’hui sauvées par ce volontarisme : il y a vingt ans, il y avait un million de bretonnants et autant de gallophones ; il en reste autant au Pays de Galles et plus que 200 000 en Bretagne. Au Pays Basque espagnol, où le basque n’était plus la langue que d’une minorité de Basques, le nombre de locuteurs recommence à augmenter.

L’occitan a beaucoup plus reculé en France qu’en Italie et en Espagne, où il est la langue traditionnelle de populations quantitativement réduites dans les régions frontalières des Alpes et des Pyrénées. En Italie, il est langue « protégée », c’est-à-dire utilisable par les habitants, y compris dans l’administration et la justice. En Espagne, dans le petit Val d’Aran (où la Garonne prend sa source), peuplé d’à peine 10 000 habitants, l’occitan est langue officielle, toutes les inscriptions sont dans cette langue utilisable dans toutes les circonstances. Le gouvernement de Catalogne (le Val d’Aran en fait partie) l’a instauré comme deuxième langue officielle de la Catalogne (à titre d’illustration, les bulletins de vote du référendum du 1er octobre dernier étaient bilingues, avec « oui » et «non » en catalan et en occitan).

Reconnaitre le corse comme co-langue officielle de la Corse serait donc la moindre des choses. Cette revendication est d’ailleurs modérée : dans la plupart des régions d’Europe concernées, la langue « régionale » est le plus souvent la seule langue officielle. Ainsi, à Genève, vous ne trouverez aucun mot d’allemand, pourtant langue parlée par 75% des Suisses ; à Valence d’Espagne, où je suis souvent, les noms de rues, de villes et les inscriptions officielles sur la voie publique ne sont rédigées qu’en valencien (langue, il est vrai, facile à lire pour un Espagnol ; au Pays Basque espagnol, on traduit davantage car le basque est difficile).

b/ Les Corses demandent la reconnaissance d’un statut de « résident » qui conditionnerait l’autorisation d’acheter une propriété à la résidence effective dans l’île pendant cinq ans.

Une telle restriction est courante dans de nombreux pays. En Pologne et en Suisse par exemple. Aux Etats-Unis, à New-York (les législations varient avec les Etats), vous le pouvez être locataire ou acheter un appartement dans une copropriété qu’avec l’accord des autres copropriétaires. En Algérie, il faut une autorisation particulière à un étranger pour acheter un bien.

Ces restrictions sont destinées à protéger les nationaux de la spéculation ou de la venue de personnes non souhaitées. En Corse, les acquisitions de propriétés par des étrangers à la Corse pour y construire des résidences secondaires ont entrainé une inflation sur les prix et la désertification pendant l’hiver de régions littorales car une majorité d’autochtones ne peut suivre la hausse des prix.

Cette demande me parait légitime. Elle serait étendue à la nécessité d’être d’ascendance corse ou d’y avoir des attaches prouvées que cela ne me choquerait pas. La demande corse, en l’occurrence, comme celle pour la langue, me parait modérée.

c/ L’amnistie. Tout conflit doit, pour ne pas laisser de séquelles susceptibles de ranimer le conflit, se terminer par une amnistie générale. Ce fut le cas pour la guerre d’Algérie en dépit de crimes affreux commis par le FLN ou l’OAS. L’assassinat du préfet Erignac était certes un acte impardonnable comme l’ont été les crimes du FLN et den l’OAS. Impardonnables mais inamnistiables. Il faut savoir tourner la page. Ce qui ne signifie pas l’oubli.

3/ Toutes ces demandes ont été rejetées en bloc par le président Macron et son gouvernement.

Cela ne va pas aider les dirigeants corses à calmer ceux de leurs compatriotes qui seraient enclins à utiliser à nouveau la violence.

En persistant dans son intransigeance, la France commettrait une erreur historique.

Va-t-elle se reprendre et retrouver la raison tant qu’il en est temps ?

Les Corses ont prouvé leur maturité.

A Paris de démontrer la sienne.

Yves Barelli, 9 février 2018                                                          

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