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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 22:59

 

1083678-13773254ème partie : construire un nouveau système (Télécharger et/ou imprimer l'intégralité de cet article en pdf) 

Ce qui suit n’est pas un programme politico-économique. Simplement quelques pistes soumises à la réflexion du lecteur.

 

a/ La mondialisation s’est révélée catastrophique. Elle reposait sur une idée absurde : il faut comprimer au maximum les salaires et les impôts, donc la protection sociale qui en résulte, afin d’être plus compétitif pour exporter. Mais, si chaque pays tient le même raisonnement, à qui va-t-on vendre ? Aux Martiens ? Comme il est impossible d’imposer aux Européens les salaires chinois, on est passé à la vitesse supérieure du capitalisme mondialisé, caractérisée par les délocalisations des productions. On vend alors à crédit à des salariés occidentaux appauvris des produits fabriqués dans le tiers-monde par des prolétaires sous-payés et sans protection sociale, menacés eux-aussi de délocalisations lorsqu’ils obtiennent, par la lutte ou par les pouvoirs publics, de meilleurs salaires (on a commencé à transférer des activités de Chine vers le Vietnam et le Bangladesh). Socialement, c’est mauvais.

 

Ecologiquement, ce n’est pas mieux. Les mers et les autoroutes du monde sont polluées par des transports incessants de produits qui autrefois étaient fabriqués à proximité. Quelle logique économique y a-t-il à importer à Troyes des vêtements chinois, à Sochaux des voitures coréennes et en Languedoc du raisin chilien ? Un meilleur choix ? De meilleurs prix pour le consommateur ? Mais à quel coût social pour le consommateur-travailleur ? A quel coût écologique pour la planète ? Cela n’est pas seulement scandaleux, c’est tout simplement absurde.

 

b/ Il faut donc revenir à un protectionnisme assumé et intelligent. Le principe devrait être que ce qui peut être fabriqué sur place ne devrait pas venir d’ailleurs. Et lorsqu’un produit n’est pas fabriqué sur place, on doit se poser la question de savoir s’il ne peut pas être substitué par un produit local. S’il n’y a pas vin au Danemark, on y produit d’excellentes bières et les fruits des climats tempérés ne sont pas plus mauvais que ceux importés des tropiques.

 

Une objection d’apparence tiers-mondiste : si l’on n’achète plus rien au Tiers-monde, il ne pourra se développer. Faux. Les cultures d’exportation se sont développées au détriment des cultures vivrières et la production intensive de produits industriels eux aussi destinés à l’exportation, parce qu’elle repose sur des bas salaires, n’incite pas les autorités à œuvrer à l’amélioration des salaires locaux et à la satisfaction des besoins des autochtones. Tous les grands pays industrialisés, en dehors de l’Angleterre parce qu’elle a été la première à se lancer dans la révolution industrielle, se sont développé au 19èmesiècle en se protégeant et en misant sur leurs marchés intérieurs. C’est notamment le cas de la France, de l’Allemagne, du Japon, des Etats-Unis et aujourd’hui du Brésil.

 

Aujourd’hui, on commence à mesurer les limites et les inconvénients du tout export et du tout import. Au Sénégal, autrefois, le poisson, très abondant sur les côtes, était consommé par les populations locales. Ce produit, désormais exporté, est devenu un luxe pour les autochtones car les prix se sont alignés sur les prix mondiaux. En sens inverse, l’importation massive de riz a tué la production locale, sans doute moins performante, mais qu’il aurait été plus judicieux de développer (le pays ne manque pas de terres inondables) et de rationaliser plutôt que d’avoir recours à des importations qui enrichissent surtout les spéculateurs intermédiaires. Pis encore, l’ouverture des frontières aux voitures fabriquées à l’étranger tue toute possibilité dans beaucoup de pays du tiers-monde de se doter d’une industrie nationale alors que les marchés locaux sont considérables. En revanche, ceux qui se protègent, comme le Brésil, produisent les véhicules chez eux. Partout, les prix mondiaux s’imposent localement parce qu’on a ouvert les frontières, alors que les salaires sont très inférieurs, ce qui paupérise encore des populations déjà pauvres.

 

Autre objection, à destination des Occidentaux, cette fois : « Si on n’achète plus aux Chinois, ils n’achèteront plus nos produits ». Ce n’est que très partiellement vrai. Si on fabrique chez nous, grâce aux protections douanières et règlementaires, une partie de ce que nous importons, au risque de moins exporter, il n’est pas sûr que nous soyons commercialement perdants. Nous serons, en tout cas, socialement gagnants, même si les prix d’achat de certains biens augmenteront. S’agissant des prix, cela vaut dans les deux sens. La demande de Champagne français est telle que son prix s’est envolé depuis vingt ans. Si on en exportait moins, le consommateur français s’y retrouverait.

 

Moralité, la mondialisation est une bonne affaire pour les capitalistes, mais pas, globalement, pour les peuples.

 

c/ Il ne faut pas fantasmer sur la « dictature » des « marchés » et sur l’importance des bourses financières. Seule une minorité de grosses entreprises sont côtées en bourse. La plus grande partie du capital des entreprises est directement apportée par ses propriétaires, résulte d’emprunts bancaires ou de financements publics. L’ouverture excessive des entreprises, transformées souvent en sociétés par actions pour la circonstance, au capital qui s’investit en bourse est un leurre et est dangereux, non seulement, parce que les entrepreneurs peuvent se voir déloger de leur poste de direction par des « OPA » hostiles, mais aussi parce que les cours boursiers dépendent beaucoup plus de la spéculation que des résultats économiques des entreprises. Le renforcement des banques d’affaires (celles qui s’intéressent vraiment aux entreprises, pas aux produits financiers artificiels), leur nationalisation si elles ne jouent pas le jeu, et la création de banques publiques d’investissement sont de nature à marginaliser la spéculation boursière (ce qui précède n’est pas une vue de l’esprit, c’est ce qui existait sous les trente « glorieuses », lorsque les Etats avaient encore une volonté économique).

 

S’agissant des taux d’intérêts, là encore la dictature des « marchés » n’est pas une fatalité. Autrefois, les taux d’intérêts étaient fixés par les banques centrales et influaient sur l’ensemble de l’économie. Depuis l’ouverture des frontières et la création de banques centrales indépendantes des Etats (mais pas des « marchés », donc du grand capital international), les Etats ont perdu quasiment toute emprise sur l’économie et sur les taux d’intérêts. Au lieu de s’imposer aux « marchés », ce sont les « marchés », c’est-à-dire, pour l’essentiel, la masse des capitaux flottants (de plus en plus considérables car, pendant que les Etats s’appauvrissent, les plus riches s’enrichissent encore du fait qu’ils sont de moins en moins soumis à l’impôt) détenus par des spéculateurs, qui s’imposent aux Etats. On peut, là aussi, revenir à une situation plus seine. Répétons-le, la dictature des « marchés » n’est pas une fatalité ! Quant à la spéculation sur les monnaies, qui, elle, n’était pas absente sous les trente « glorieuses », seule la coopération internationale, mais aussi des taux de change réalistes reflétant la situation réelle des économies, peuvent la combattre. Le FMI, sur le plan mondial, les organisations continentales, plus localement, peuvent organiser la maîtrise des monnaies. Cela concerne notamment l’Europe.

 

d/ Pour s’attaquer aux « marchés » et à la dérèglementation dangereuse des institutions financières, d’abord, re-règlementons. Par exemple en interdisant aux banques de dépôts, de se lancer dans des opérations au-delà de leurs fonds propres. Les bourses peuvent être « moralisées ». Moins de fonds de pension américains qui ne font que de la spéculation et davantage de vrais investisseurs, ce ne serait pas plus mal.

 

Ce qui précède n’est pas nécessairement synonyme de bureaucratie étouffante. On peut alléger les formulaires inutiles et supprimer certaines démarches administratives qui ne servent à rien. Les contrôles peuvent être ciblés. Il s’agît aussi d’un état d’esprit. Les intéressés peuvent avoir intérêt à se placer sous le parapluie d’un Etat qui protège. Lorsque les capitalistes veulent toucher des subventions, ils n’ont pas peur de remplir des formulaires !

 

e/ S’agissant plus spécifiquement de l’Union européenne, une réflexion devrait être entamée. Quelle utilité de cette entité (on peine à trouver le terme pour la qualifier : fédération, organisation internationale, zone de libre-échange ?) qui règlemente le calibre des tomates mais n’a aucune politique industrielle ? Sa principale mission semble être de garantir la « libre concurrence » (mais sans s’intéresser aux disparités fiscales et de rémunérations qui la faussent) et la liberté de circulation des produits, ce que fait par ailleurs l’Organisation Mondiale du Commerce. Beaucoup considèrent désormais que les institutions européennes sont devenues un carcan peu utile et coûteux (que dire par exemple du nouveau service diplomatique européen, qui s’ajoute aux diplomaties nationales, heureusement conservées, alors que les Etats-membres ont des politiques étrangères souvent divergentes ?). Une coopération inter-étatique plus classique ne serait-elle pas préférable ?

 

Cette coopération serait non seulement plus efficace, mais elle rendrait leur liberté aux Etats-membres pour développer d’autres coopérations tout aussi « naturelles » que l’européenne et parfois d’autant plus justifiées qu’il y a complémentarité et que s’y rattachent d’autres justifications, culturelles pour la coopération ibéro-latino-américaine ou celle de la francophonie, ou de sécurité bien comprise. A cet égard, dans un monde où pourraient se reconstituer quelques ensembles fondés sur un co-développement protégé, une véritable coopération franco-Afrique francophone aurait un sens : on aide ces pays à se développer, on leur achète prioritairement leurs produits et ils achètent les nôtres, ce qu’ils feront d’autant plus que leurs marchés deviendront rentables. C’est une sorte de plan Marshall à l’intérêt partagé. Le développement économique de ces pays a un intérêt stratégique et culturel pour nous, il peut limiter, voire tarir l’immigration en France dont les effets négatifs sautent aux yeux (on n’émigre pas par plaisir, mais contraint par manque d’opportunités locales !). Il est intéressant aussi pour ces pays qui peuvent compter sur une aide de grande ampleur leur permettant de construire une économie, mais aussi leur appareil administratif, de santé et éducatif.

 

Accessoirement, cela pose la question de la pertinence des visas Schengen dans leur forme actuelle, système humiliant pour les intéressés, inefficace et dangereux (on « fabrique » au Maghreb des islamistes à la pelle par les refus de visas qui ne pénalisent que les demandeurs honnêtes alors que les malhonnêtes savent contourner les obstacles ; un meilleur contrôle des employeurs qui font travailler au « noir » serait plus utile que les visas-passoires tout en gardant présent à l’esprit que la seule façon durable de réduire l’immigration clandestine est d’aider les pays d’origine à se développer, « aide » tout aussi rentable économiquement pour nous que pour eux).

 

f/ L’euro, tel qu’il est, est nuisible. S’il n’est pas réformé, il éclatera de toute façon probablement avant cinq ans. L’idée d’avoir une monnaie européenne de référence et pour les transactions internationales est bonne. Conservons donc l’euro, mais doublons-le, pour les pays qui en ont besoin, de monnaies nationales gagées sur l’euro et ajustables par un commun accord du conseil européen. Tout observateur lucide et honnête sait qu’une dévaluation de 10 à 20% est nécessaire à l’Italie pour retrouver sa compétitivité internationale. Elle ne peut le faire avec l’euro et les plans de rigueur, au lieu de la renforcer ne feront que l’enfoncer. Ou l’euro est réformé, ou il tombera par l’Italie ou l’Espagne, voire la France, à moins que l’Allemagne, lassée de payer pour les autres, l’abandonne la première. Il serait donc plus utile de réfléchir à des solutions alternatives plutôt que de s’obstiner et s’épuiser à rafistoler un système condamné.

 

g/ Non seulement on devrait chercher à consommer local, mais il faudrait en outre fabriquer des produits plus durables. Aujourd’hui, les produits de grande consommation (électroménager, électronique, automobiles) sont, le plus souvent, calculés pour une durée de vie n’excédant pas cinq ans. On achète, on jette, on emplit les décharges, on pollue puis on achète à nouveau des produits plus ou moins utiles. Le consommateur semble s’y retrouver : il a le neuf et le « dernier cri ». Mais il le paye d’une autre façon, comme travailleur et comme contribuable. Facile à dire mais comment faire ? Davantage de règlementation (les productions sont soumises à des normes techniques légales et règlementaires), changement de mentalités, évolution aussi de l’environnement économique et commercial (la publicité outrancière est particulièrement nuisible sur des populations peu ou mal éduquées). Développer la durabilité et donc le secteur de la réparation serait, en outre, créateur d’emploi. Là aussi, l’action des pouvoirs publics, par la taxation ou au contraire l’encouragement fiscal et règlementaire, a sa place. Ainsi, un garagiste a aujourd’hui intérêt, souvent, à remplacer une pièce, qu’il facture avec un bénéfice confortable, plutôt que de la réparer.

 

h/ Redonner la prééminence à l’intérêt général. L’Etat doit retrouver son rôle de direction de l’économie. Si on considère une activité comme socialement utile, l’Etat peut et doit la favoriser et inversement si elle ne l’est pas ou peu. Il dispose pour cela d’un arsenal règlementaire étendu et peut agir sur les prix (lorsqu’on entend un ministre à la télévision s’émouvoir que les pétroliers trainent les pieds pour répercuter à la pompe les baisses sur le baril, pourquoi ne revient-il pas à un prix unique fixé par l’Etat comme cela était le cas autrefois et comme cela le reste dans de nombreux pays ? Lorsqu’on a fixé le prix unique pour les livres et les magazines, on a sauvé des librairies et protégé le consommateur. Cela serait efficace dans beaucoup d’autres domaines).

 

Certains objecteront que l’Etat peut se tromper. Mais le banquier aussi, la crise de 2008 le prouve. L’Etat représente les citoyens qui peuvent le sanctionner. Le banquier ne représente que des actionnaires et il est assuré de l’impunité car, lorsqu’il se trompe, il est renfloué par l’Etat. L’un des problèmes du capitalisme actuel est que les pertes des capitalistes sont mutualisées tandis que leurs bénéfices restent dans leurs poches.

 

Le budget de l’Etat est le moyen de redistribuer la richesse. Il faut en finir avec la phobie des prélèvements obligatoires agitée par ceux qui y ont intérêt. Plus de prélèvement, c’est davantage d’action économique de l’Etat au service de l’intérêt général. Moins de prélèvement, c’est non seulement accroitre les inégalités, mais c’est aussi diminuer les services publics, voire les supprimer. Aux Etats-Unis, il y a moins de cotisations sociales, donc moins de prélèvements, parce qu’il n’y a pas de sécurité sociale, mais les assurances privées y sont hors de prix. L’Etat américain dépense peu, relativement, pour l’éducation, donc prélève moins, mais si on veut une éducation correcte, il faut payer cher des écoles privées. Inversement, l’Etat allemand construit des autoroutes gratuites pour les usagers, donc prélève plus que l’Etat français pour ce secteur, mais l’automobiliste allemand, en moyenne, s’y retrouve. Il faut donc se méfier des chiffres fallacieux qui présentent par exemple la France comme un pays où les producteurs seraient étranglés par les prélèvements. Si cela était vrai, l’hexagone ne serait pas l’un des pays les plus attractifs pour les investisseurs étrangers. Ceux-ci ne sont pas masochistes ou amoureux de notre bon vin, ils viennent parce que, à côté des salaires, charges et impôts, ils tiennent compte aussi des facteurs positifs qu’ils y trouvent : services publics encore de qualité par rapport à d’autres, main d’œuvre éduquée dans des écoles gratuites et des universités qui le sont presque, infrastructures et télécommunications performantes, administration plutôt efficace quoi qu’on en dise et non corrompue. La marge pour plus de fiscalité est encore grande. Surtout si on ne cautionne pas l’évasion fiscale.

 

i/ Favoriser le civisme des citoyens. Un argument souvent avancé est que si on taxe trop les riches, ils se délocalisent. Cela n’est pas sérieux. Ils le font parce qu’ils jouissent de l’impunité assurée. L’administration fiscale, mais aussi, la diplomatie ne manquent pas de moyens (si l’on fait savoir à la Suisse que nous considérons comme un geste inamical de conférer à un chanteur, un joueur de tennis ou un industriel français le statut de résident alors qu’il habite et exerce en fait en France, il est douteux que ce pays persiste). Certains pays, comme les Etats-Unis, réussissent à faire payer des impôts à leurs ressortissants, quand bien même ils n’y résident pas. On peut faire la même chose. On peut aussi diffuser des listes de mauvais citoyens qui s’enrichissent en France sans y verser des impôts. S’adressant à des gens qui ont besoin du public pour vendre, cela peut s’avérer efficace. Mais il faudrait, au préalable, que le Président de la République s’abstienne d’inviter au Fouquet’s et de décorer des gens qui fraudent le fisc français. Commençons déjà par là.

 

j/ Davantage d’Etat permettrait de mieux faire fonctionner l’économie. Cela permettrait aussi de réduire les inégalités qui ont atteint des proportions inadmissibles. Pas seulement les inégalités de salaires, parfois non justifiées comme les rémunérations de dirigeants de sociétés qui touchent en un mois ce que certains de leurs salariés ne touchent pas en une vie de travail. Mais aussi et surtout, les inégalités de patrimoines. 10% des Français possèdent plus de la moitié de la France et celui du 1% le plus aisé croît de façon exponentielle. Il faut donc fortement taxer les successions, non seulement par sens moral mais aussi par intérêt économique.

 

k/ Dernière piste enfin. Assez de pensée unique. Assez de tabous. Assez de dogmes. Revenons au débat démocratique. Gardons quelques principes, mais soyons critiques sur leur application. La vérité d’hier n’est pas nécessairement celle de demain.

 

l/ Une dernière remarque. Toute réforme nécessite une volonté politique. Celle-ci sera d’autant plus difficile à mener à bien que des intérêts financiers privés considérables devront, souvent, être combattus pour réussir. Il faut le savoir. Pas d’angélisme !

 

XXX

 

La voie sur laquelle s’est engagé le monde capitaliste depuis trente ans n’est pas la bonne. Trop de marché et trop d’ouverture, loin de libérer, asservissent.

 

Il convient d’enclencher dès aujourd’hui les révisons déchirantes nécessaires avant que l’explosion du système ne nous contraigne à le faire dans les conditions les plus douloureuses.

 

Parmi les principes à réhabiliter, le premier doit être la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers dont la somme n’a jamais fait l’intérêt général.

 

Un deuxième principe est que les impératifs ou soit disant impératifs économiques ne doivent jamais primer le social, la culture et la sauvegarde de la planète.

 

Un troisième principe est que nous vivons en société et que la confrontation n’est bonne pour personne. Moins d’égoïsme et davantage de solidarité ne feraient pas de mal.

 

Suis-je un rêveur ? Un utopiste ? L’humanité a besoin de rêve. Seuls les idiots ne rêvent que d’argent. L’économie est un moyen, pas une fin en soi. Quant à l’utopie, elle est nécessaire au progrès, matériel mais aussi moral, de l’Humanité. Bien des avancées de l’Humanité ont commencé par des utopies.

 

« I had a dream », ce rêve formulé un jour par Martin Luther King en des circonstances où il paraissait hors de portée, faisons-le aussi. Rêvons à un monde plus juste, à un Homme meilleur, à une économie au service de chacun et non le contraire. Faisons en sorte que ce rêve devienne réalité !


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Yves Barelli, 14 août 2011 relu le 24 août 2011, corrections de formes le 14 septembre 2011

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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 22:54

 

1083678-13773253ème partie : le système dans l'impasse (Télécharger et/ou imprimer l'intégralité de cet article en pdf)

 

1/ La remise à plat du système ne pourra plus être différée longtemps

Au cours de ces années « honteuses », malgré les apparences, on allait droit dans le mur (et ce n’est pas fini). La crise des « subprimes » a montré qu’il était illusoire d’espérer continuer encore longtemps de vendre, à coup de produits financiers artificiels, à des consommateurs sans pouvoir d’achat. Quant aux nouveaux marchés, on se rend compte aujourd’hui combien, eux aussi, reposent, en partie, sur des bases artificielles : la Chine, par exemple, a d’énormes besoins en machines et en matières premières ; mais la compétitivité de ses industries, entièrement tournées vers les exportations, repose essentiellement sur des bas salaires, de sorte que, en dépit de taux de croissance pharaoniques, mais à cause de la compression des salaires, le niveau de vie y demeure médiocre.

 

D’un côté, un pouvoir d’achat insuffisant, compensé en partie par le crédit et les importations de produits de consommation bon marchés, de l’autre, un marché intérieur sacrifié afin de maintenir des bas salaires : le schéma décrit par Marx au 19èmepour un pays est maintenant transposé à l’échelle de la planète. C’est globalement qu’il y a insuffisance de la consommation des salariés car une part accrue de la richesse créée par leur travail est confisquée au profit de détenteurs du capital, plus riches individuellement mais moins nombreux et dont la consommation ne peut compenser celle des non consommateurs. Le marché des Rolls, des jets privés et des villas « de rêve », ne s’est certes jamais aussi bien porté, mais, à lui seul, il est insuffisant pour faire marcher la machine économique.

 

Certains objectent que les réserves de croissance dans le tiers-monde sont considérables et que, même si le niveau de vie de la majorité de ses habitants reste faible, une proportion notable sort de la pauvreté (ce qui représente des centaines de millions de personnes) et assurera donc des débouchés aux produits industriels. Ce raisonnement n’est que partiellement vrai et donc non pertinent. Pourquoi ? D’abord parce que les marchés chinois, indiens ou brésiliens sont très protégés et donc que leurs consommateurs enrichis ne consommeront que marginalement les produits occidentaux (il ne faut pas fantasmer sur les débouchés « illimités » pour les sacs Vuitton ou les BMW. Une fois l’effet bling-bling propre aux nouveaux riches passé, des produits similaires seront fabriqués sur place). Ensuite parce que, toutes choses égales par ailleurs, le développement de ces pays s’accompagnera de l’appauvrissement et de la désertification industrielle des pays occidentaux pour la raison évoquée plus haut (protection des marchés). En outre, si, par incapacité à se réformer, le monde occidental plonge durablement dans la crise, celle-ci a toutes chances de s’étendre y compris aux pays émergeants. Ce système est dangereux, pas seulement pour les Etats-Unis et l’Europe, mais pour l’ensemble du monde.

 

La crise financière, puis économique, initiée aux Etats-Unis en 2007, s’est propagée à l’Europe. Le renflouement massif des banques par les pouvoirs publics a évité la brutalité de la crise de 1929, mais il n’empêche pas une dépression prolongée. La Chine et les « émergeants » ont encore des taux de croissance enviables mais ils seront probablement touchés à leur tour car les mêmes causes produisent les mêmes effets et que le monde est désormais globalisé (cf § précédent).

 

On est retombé aujourd’hui dans le même processus que lors des crises économiques du 19èmeet du début du 20èmesiècles. Cela se fait certes selon des modalités bien différentes, mais la réalité est comparable.  

 

Les politiques suivies par les gouvernements par des choix de « classe » ou, tout simplement, parce qu’ils n’ont pas les moyens ou le courage de faire autre chose (cas des pays de l’union européenne « tenus » par les critères de Maastricht et la monnaie unique), accentuent encore la concentration du capital et de la richesse : la baisse des impôts sur le revenu, le capital et l’héritage des plus riches « casse » les politiques redistributives autrefois mises en place et accentue les inégalités.

 

Les riches ont tendance à être plus riches et les pauvres plus pauvres. On peut encore se ruiner ou faire fortune en partant de rien, mais cela est de plus en plus difficile ; toutes les études menées aux Etats-Unis, en Europe ou dans les pays émergeants le montrent. En gros, dix pour cent possèdent à eux seuls plus de la moitié de la richesse et l’accumulation de leur capital continue ; dix pour cent ont déjà plongé dans la précarité absolue ; entre les deux, dix à vingt pour cent s’en sortent encore plutôt bien en valorisant des compétences recherchées ou en vendant quelques propriétés foncières ; les autres doivent « travailler plus » pour gagner souvent moins et dépenser plus (par exemple pour se loger compte tenu de l’accroissement de la rente au profit de la classe des propriétaires qui a accompagné la hausse du foncier).

 

Les castes dirigeantes et les oligarchies, arc-boutées dans leurs privilèges, s’auto-reproduisent. Nous ne sommes plus loin de la situation de 1789.

 

 

2/ Plusieurs crises se combinent dans la crise.

 

La baisse relative du pouvoir d’achat du plus grand nombre, le moins d’Etat et une gestion hasardeuse de la part des institutions financières (convaincues, de toute façon, qu’en cas de problème majeur, les Etats seront obligés de les aider pour éviter une banqueroute généralisée : c’est ce qui s’est passé en 2008) ont créé, aux Etats-Unis, dans un premier temps un endettement dangereux des ménages auquel le capital avait intérêt de vendre à crédit ; d’où la multiplication de produits financiers déconnectés de la réalité : en schématisant, on prêtait de l’argent qui n’existait pas.

 

Dans un deuxième temps (2008), les Etats ont renfloué les banques, ce qui a sauvé le système, mais au prix d’un endettement massif des Etats. Ceux-ci n’avaient déjà plus les moyens de fonctionner correctement depuis deux à trois décennie puisque les politiques de Reagan et consorts étaient, et sont, marquées par une baisse importante de la fiscalité sur les gros patrimoines (notamment la fiscalité sur les successions) et les hauts revenus. On avait déjà rogné sur les services publics, sur la protection sociale (cf en France les remboursements toujours plus faibles des dépenses de santé par la sécurité sociale ou le recul de l’âge de départ à la retraite). On avait aussi partiellement compensé la baisse de l’impôt sur le revenu et la fortune par divers subterfuges (transfert sur les collectivités locales de dépenses toujours plus nombreuses, création de nouvelles taxes, transfert au privé – donc payant – de prestations qui relevaient du service public). Mais, globalement, les baisses de recettes étant plus fortes que les baisses de dépenses, les Etats s’étaient déjà endettés. Le renflouement des banques a tellement alourdi la charge que le bateau menace maintenant de couler, d’autant que la mer est plus agitée.

 

Parallèlement à la paupérisation des Etats et d’une partie des populations, d’autres se sont enrichis sans que la collectivité y gagne compte tenu de la légèreté de la pression fiscale sur les gros patrimoines. Jamais le monde n’a été aussi riche, jamais les Etats ont été aussi endettés, jamais les pauvres ont été aussi pauvres, mais dans le même, temps jamais les plus riches n’ont été aussi riches. Cette richesse est économiquement peu utile (voire, parfois, nuisible lorsqu’elle influe à la hausse sur les prix, comme dans le cas de l’immobilier) ; elle est donc perdue pour la collectivité.

 

A cette cause structurelle et principale de la crise, s’en ajoutent d’autres, secondaires ou conjoncturelles.

 

L’économie mondiale est dominée par quatre pays ou entités : les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Union européenne. Les autres, y compris les « émergents » (pays en transition entre sous-développement et développement, tels le Brésil, les autres pays latino-américains, l’Inde, la Russie, l’Asie du Sud-Est et quelques autres), pèsent trop peu, globalement, pour avoir une influence décisive sur l’économie mondiale.

 

Les Etats-Unis ont été durablement affectés par la crise des « subprimes ». Ayant avec le dollar la monnaie de référence mondiale, ils ont pu certes s’endetter plus que les autres, mais la crise de gouvernance à laquelle ils sont confrontés (majorité république au Congrès qui bloque l’administration démocrate d’Obama), avec le petit psychodrame de début août 2011 sur le vote de l’autorisation, automatique en temps normal, conférée au gouvernement de s’endetter à nouveau, a sapé la confiance jusque là absolue dans les capacités de l’économie américaine à continuer à diriger le monde (toutes les économie mondiales sont liées, de près ou de loin, à l’économie américaine). D’où la petite mais inédite baisse de la « note » américaine par l’agence Standard & Poor’s intervenue le 5 août 2011, peu significative en soi (l’économie américaine reste objectivement solide) mais aux effets psychologiques dévastateurs.

 

La Chine a une croissance très forte. Mais, étant le premier exportateur mondial de produits industriels, elle dépend des marchés occidentaux. De plus, étant fortement créancière des Etats-Unis, toute menace sur le dollar et l’économie américaine est une menace sur la Chine.

 

Le Japon, la Corée et quelques autres ont le même problème. De plus, le Japon a été fortement affecté par le séisme du début de 2011. Il est durablement touché, ce qui vient après de longues années de croissance relativement faible.

 

L’Union européenne a un problème spécifique. Elle a les apparences d’un Etat fédéral mais elle est loin d’en être un. Sa monnaie, l’euro, est une monnaie artificielle car une monnaie a besoin, pour être viable sur le long terme, d’être gérée par un Etat avec une politique économique et sociale unique. Or, dans la réalité, l’Union européenne est un ensemble d’Etats avec des institutions diverses et des régimes fiscaux non unifiés. Il n’y a quasiment pas de budget européen (il est marginal par rapport à la somme des budgets des Etats-membres) et chaque Etat, parce qu’il représente des peuples divers, défend légitimement ses intérêts nationaux. Comme leurs sociétés ne se comportent pas de la même façon, notamment vis-à-vis des prix, et qu’il y a des pays économiquement forts et d’autres faibles, on s’aperçoit depuis quelques mois, dix ans après sa création, des limites de la viabilité de l’euro. Aujourd’hui, l’Europe est en double crise : la sienne propre et celle qui vient des Etats-Unis. Ça fait beaucoup.

 

 

3/ Que va-t-il se passer ?

 

Il n’est pas sûr que cette crise soit décisive. On peut encore rafistoler le système. Le malade est très atteint mais les antibiotiques sont puissants ; la chambre à air est bonne à jeter mais une nouvelle rustine peut lui permettre de durer encore un peu.

 

Le pire scénario consisterait à ne rien faire de sérieux. C’est ce qui s’est produit en 2008. On a renfloué le système bancaire avec beaucoup d’argent et de grands discours sur sa nécessaire moralisation non suivis d’effet. On est reparti comme avant. La soit disant reprise a été un leurre. Rien n’a été réglé. On le voit aujourd’hui.

 

Le second scénario est à peine meilleur. Comme on ne veut pas taxer les « riches » (sous l’idée fallacieuses que, si on le fait, ils se délocalisent et donc investissent ailleurs, comme si ce n’était déjà le cas dans le cadre de l’économie mondialisée !) et qu’on veut quand même réduire les déficits pour ne pas déplaire aux « marchés », on va tailler encore plus dans les dépenses publiques et imposer plus lourdement les classes moyennes. On mettra donc en place des plans de « redressement » ou d’« austérité ». Cela a déjà commencé dans les pays les plus atteints. On se retrouve alors dans la situation paradoxale et injuste où on fait payer aux salariés par l’impôt ou, pis, par des baisses de salaires (des fonctionnaires et, par ricochet, de beaucoup d’autres) les erreurs des capitalistes (qui, eux, voient leurs rémunérations maintenues : cf celles des dirigeants des banques renflouées).

 

Mais ce type de plans, en plus d’être moralement scandaleux, est rarement efficace. Les atteintes à la protection sociale accroissent la pauvreté qui s’accompagne, on le sait, d’une hausse de la délinquance (ce n’est pas la seule cause, mais c’est une cause aussi) ; la baisse du niveau de vie des classes moyennes fait arithmétiquement baisser la consommation. Lorsque l’impôt sur la consommation est la principale recette de l’Etat (cas de la France avec la TVA) on risque d’avoir l’effet contraire à celui recherché, un accroissement des déficits. C’est la spirale de la récession. Dans les années 1930, la récession prolongée a engendré l’arrivée au pouvoir d’Hitler et la seconde guerre mondiale.

 

L’exemple des Etats-Unis montre que l’établissement d’une société à deux vitesses qui accompagne le désengagement de l’Etat n’est pas nécessairement une solution viable sur le long terme. De plus, il n’est pas sûr que les Européens, habitués à autre chose, acceptent cette société à deux vitesses, celle des « riches » ou relativement riches, qui peuvent se loger décemment, payer les écoles privées de leurs enfants, les cliniques privées et leurs retraites par capitalisation, et celle des « pauvres » ou relativement pauvres, qui ne le peuvent pas.

 

Il faut donc trouver autre chose.

 

à suivre...

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Yves Barelli, le 14 août 2011

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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 22:27

1083678-13773252ème partie : un système injuste et inefficace. (Télécharger et/ou imprimer l'intégralité de cet article en pdf)


1/ L’ultracapitalisme mondialisé : un « modèle » injuste dans son fondement et illusoire dans son fonctionnement

Le capitalisme, dans sa forme « moderne » liée à l’industrie de masse, est né à la fin du 18ème siècle en Europe, s’est développé là et dans quelques lieux restreints d’outre-mer (Amérique du Nord, Japon) aux deux siècles suivants et se généralise aujourd’hui à l’ensemble du monde, d’autant plus facilement que, depuis la disparition du communisme au début des années 1990, il n’existe plus aucune alternative. Ce capitalisme a utilisé le capital préalablement accumulé dans les périodes précédentes et le travail rendu disponible grâce aux progrès de l’agriculture qui ont permis l’arrivée dans les villes de millions de ruraux, dans les pays du Nord d’abord, dans ceux du tiers-monde aujourd’hui.

 

Les débuts du capitalisme ont été particulièrement durs sur le plan social : salaires de subsistance, temps et conditions de travail épouvantables, y compris pour des enfants de huit ans employés au fond des mines, pas de protection sociale. Répartition très inégalitaire de la richesse créée entre une bourgeoisie nantie et un prolétariat misérable. C’est la situation actuelle, en schématisant, de la Chine et des pays du tiers-monde. S’y ajoutaient les effets des crises économiques récurrentes qu’aucun mécanisme étatique ne régulait.

 

Le système, peu à peu, s’est amélioré et humanisé grâce aux luttes sociales, à l’action des pouvoirs publics et à l’intérêt bien compris des plus éclairés des grands capitalistes (ainsi Ford, qui disait qu’il avait intérêt à mieux payer ses ouvriers afin qu’ils lui achètent des voitures). Le progrès économique, en améliorant considérablement la productivité, a rendu moins nécessaire l’exploitation inhumaine de la main d’œuvre tandis que la meilleure connaissance des mécanismes économiques a entraîné un début de régulation du système (cf par exemple la théorie de Keynes selon laquelle l’injection de revenus – politique de « relance » - permet, si certaines conditions sont réunies, de faire repartir une croissance atone) et une meilleure adéquation de la monnaie et du crédit aux besoins de l’économie.

 

Après la grande crise économique des années 1930 et de la seconde guerre mondiale qui en fut, partiellement, la conséquence, les sociétés occidentales, aiguillonnées en outre par la concurrence du système des pays communistes, sont reparties sur des bases radicalement nouvelles. On a désormais considéré partout (en Europe, mais aussi aux Etats-Unis) que l’Etat avait vocation à la fois à corriger les trop fortes inégalités (par l’impôt et la redistribution sous forme de prestations sociales et de services gratuits tels l’éducation ou la santé) mais aussi à réguler l’économie pour éviter les crises du passé.

 

Cette idée a recueilli le consensus des opinions publiques, des partis et des partenaires sociaux (patronat et syndicats). Cela a été la base du programme du Conseil National de la Résistance en France, des social-démocraties nord-européennes, du capitalisme « rhénan » en Allemagne ou du « compromis historique » en Italie. Les alternances politiques n’ont jamais remis en cause ce consensus.

 

Cela a plus ou moins bien fonctionné, certaines sociétés étant davantage portées à la recherche de consensus (celles de l’Europe du Nord) que d’autres (l’Europe du Sud, pour l’essentiel, où les différences d’intérêts se réglaient davantage par la grève et l’inflation - on augmente les prix pour compenser les hausses de salaires et vice-versa et, lorsque la hausse était telle que la compétitivité extérieure était affectée, on dévaluait la monnaie pour compenser -), mais dans l’ensemble le système a fonctionné. C’est ce qu’on a appelé les « trente glorieuses » (décennies 1950, 1960 et 1970), période au cours de laquelle le niveau de vie de la grande majorité de la population occidentale a fortement augmenté tandis que le temps de travail était réduit et que les enfants des classes populaires commençaient à accéder à l’université. D’aucuns en ont conclu que le modèle marxiste était définitivement périmé, d’autant que le spectacle donné par l’Europe de l’Est n’allait pas vraiment à l’encontre de leur affirmation.

 

Mais à partir des années 1980, l’état d’esprit a évolué. Le progrès technique, celui des transports et de l’information avaient favorisé l’émergence de grandes entreprises multinationales ainsi que d’institutions financières ayant elles aussi le monde pour horizon. Bercés par l’illusion que l’ouverture des frontières et l’accès à des marchés de plus en plus globalisés créaient des synergies, des baisses de coûts et une meilleure allocation des ressources (pourquoi produire sur place ce qu’on peut importer moins cher ?), les Etats se sont engagés dans la réduction des barrières douanières, puis leur disparition totale, plus seulement en Europe, mais dans le monde entier. Le nouveau dogme était que le commerce mondial crée la croissance.

 

Les capitalistes se sont engouffrés dans la brèche (qu’ils ont contribué à ouvrir en faisant pression sur les pouvoirs publics – pour beaucoup, cela était nouveau car, longtemps, les producteurs nationaux avaient tendance à s’abriter derrière des frontières protégées -). Le capital est rapidement devenu mondial, opérant simultanément sur toutes les bourses de la planète. Non seulement, il a pu vendre plus librement ses produits et services, mais s’est aperçu que désormais, il pouvait aussi produire où cela était le plus avantageux (d’où les délocalisations de productions) et vendre n’importe où où il y avait des acheteurs. Production et consommation n’ont plus été couplées.

 

Pourquoi, dès lors, s’embarrasser de hauts salaires, de protection sociale et de services publics dispendieux qui contribuaient au maintien du pouvoir d’achat des salariés-consommateurs si on pouvait produire ailleurs avec des salariés moins exigeants et vendre également ailleurs si le pouvoir d’achat local, dont on avait moins besoin, était trop faible ?

 

Ce changement de donne a été initié par les années Thatcher-Reagan, dont les politiques de dérégulation (moins de règles imposées par les pouvoirs publics), de privatisations (« l’Etat n’a pas vocation, disait-t-on, à produire »), d’ouverture des frontières et de détricotage de la protection sociale, ont ensuite été adoptées partout par adhésion (les droites) ou par résignation (gauche social-démocrate) lorsqu’on estimait que le marché mondial s’imposait et que l’on pensait que les opinions publiques étaient favorables au nouveau système du fait que les avantages à court terme (baisse des prix due à la concurrence et aux importations, mise plus rapide sur le marché de produits nouveaux, tels l’électronique) pouvaient l’emporter sur les effets à plus long terme (délocalisations, désindustrialisation, chômage, détérioration des conditions de travail, mais aussi – nous y sommes – dysfonctionnement généralisé du capitalisme financier mondialisé).

 

Après les trente « glorieuses » (1950-1980), ce que j’appelle les trente « honteuses » (1980-2010) car elles sont marquées par l’explosion concomitante d’une richesse étalée et d’une pauvreté désespérée.

 

Aujourd’hui, le capital est roi (la part qui va au capital, c’est-à-dire aux actionnaires est passée de l’ordre du 1/3 des revenus nationaux de l’ensemble des pays occidentaux à 2/3) et jamais les inégalités ont été aussi criantes. On s’est consolé des délocalisations en disant que si l’on ne fabriquait plus de tee-shirts chez nous, désormais fabriqués en Asie par des ouvriers payés moins d’un dollar de l’heure, cela avait été remplacé par les produits et les services à haute valeur ajoutée : on fait fabriquer « là-bas », mais les produits sont conçus ici ; le savoir-faire et la technologie continuent de nous appartenir, avec, nous-dit-on, les emplois bien rémunérés qui vont avec.

 

Ce n’est même plus vrai : « nos » multinationales fabriquent ailleurs les produits sophistiqués qu’elles vendent chez nous : ainsi la France est importatrice nette de voitures, des Renault et des Peugeot souvent. Les Chinois, désormais, bientôt les Indiens et les autres, ont des ingénieurs performants, des ouvriers très qualifiés, un grand savoir-faire économique, que nous leur avons souvent fourni. Dans moins de dix ans, ils produiront tout, y compris les avions, les fusées et tout le haut de gamme. Ce qui n’est pas fourni est adapté, ce qui n’est pas inventé est copié. Même les services, qui nécessitent des travailleurs éduqués, sont délocalisés parce que, désormais, Inde et Chine ont des millions d’actifs qui sont passés par l’université.

 

« Nos » entreprises, présentes partout, continueront de prospérer, mais ni les travailleurs, au chômage, ni les Etats (Total, la plus grosse entreprise française, ne paye aucun impôt en France), endettés, ne s’y retrouveront. Nous sommes condamnés, si rien n’est fait, à la stagnation, sauf pour le pouvoir d’achat des actionnaires. Du moins, s’agissant de ces derniers, jusqu’à ce qu’on gigantesque krach boursier les touche eux aussi (mais, rassurons-nous pour eux, ils auront eu le temps de diversifier leurs avoirs).

 

2/ Comment ce système a-t-il pu fonctionner pendant trente ans ?

 

Le régime économique et social décrit par Marx au 19ème siècle dans « Le Capital », fondé sur l’exploitation du travail par le capital, mais aussi caractérisé par la concentration du capital du fait que les gros « mangent » les petits et que, compte tenu de la concurrence, les marges bénéficiaires tendent à baisser (pas partout et en permanence mais cela est une tendance qui se confirme sur le long terme), ce que le philosophe allemand appelait le « baisse tendancielle du taux de profit », n’a pu fonctionner qu’au prix de réajustements douloureux permettant de « purger » l’économie.

 

Le mécanisme est celui des « cycles » économiques ainsi caractérisés : on produit toujours plus car il faut compenser la baisse unitaire des profits et produire en grande série afin de rentabiliser les investissements induits par des innovations de plus en plus coûteuses (le pétrole et l’électricité ont remplacé la machine à vapeur, tout s’est automatisé ; aujourd’hui, l’énergie est plus chère et la nouvelle révolution du numérique a un coût). La production s’accroit mais la consommation ne suit pas car une forte partie des revenus est confisquée par la classe capitaliste dont la capacité de consommation n’est pas illimitée. Résultat : en système capitaliste pur (pas d’intervention de l’Etat) et fermé (pas de nouveaux débouchés extérieurs), tous les dix ans en moyenne une crise économique et financière « casse » le fonctionnement du système. On repart un peu après quand de nouveaux besoins solvables apparaissent, dus le plus souvent au progrès technique (dans la période moderne, internet, l’électronique ou la téléphonie portable ont été de formidables moteurs de croissance). Dans l’intervalle, le chômage et la misère créent leur cortège de malheurs.

 

Ce système « naturel » avait été corrigé « artificiellement » par les politiques volontaristes des trente « glorieuses », les politiques redistributives, les investissements publics et le « filet social ». La croissance favorisait le consensus (plus ou moins) social et ce dernier était en lui-même un facteur de stabilité (les inégalités sont plus faciles à accepter quand chacun a le minimum et que ce minimum est en augmentation).

 

Aujourd’hui, dans le système ultracapitaliste mondialisé, le processus décrit par Marx a repris tout son sens : toujours plus pour les actionnaires et des salaires rééls écrasés, précarisation du travail, chute dans la misère absolue de millions de gens, prolétarisation des classes moyennes et émergence concomitante d’une nouvelle classe d’hyper riches. La baisse tendancielle des profits reste par ailleurs une réalité : globalement, les profits n’ont certes jamais été aussi élevés, mais au prix d’une mondialisation et d’une globalisation de la production avec un nombre restreint de grands groupes financiers : la concentration du capital s’accroît fortement, même si elle ne saute pas toujours aux yeux (les marques présentes sans les supermarchés ou les concessionnaires automobiles sont innombrables, mais les groupes qui les produisent peu nombreux).

 

La mondialisation et l’endettement ont masqué un temps une réalité pourtant inéluctable : si la propriété est de plus en plus concentrée, si le pouvoir d’achat réel de la majorité de la population diminue, se pose tôt ou tard la question des débouchés des produits et services fabriqués. La mondialisation, qui a permis l’apparition de nouveaux marchés en apparence illimités dans les pays émergents, le recours à l’endettement des ménages et des pays, qui a permis de contourner l’obstacle de la solvabilité des acheteurs, le progrès technique, enfin, avec son corollaire, l’apparition de besoins nouveaux, ont permis, un temps, de trouver de nouveaux débouchés. C’est moins vrai aujourd’hui, d’autant que le problème principal n’est plus celui des débouchés industriels mais celui de la crise financière qui résulte, pour l’essentiel, de la dérégulation et de la généralisation de techniques économiques et financières déconnectées de la réalité.

 

à suivre...

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Yves Barelli, le 14 août 2011

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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 22:17

 

1083678-1377325.jpg1ère partie : un système qui ne fonctionne plus 

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Crise de l’euro depuis des mois, quasi banqueroute de la Grèce, dégradation de la note économique américaine par l’agence de notation Standard & Poor’s le 5 août 2011, lundi « noir » trois jours après, venant après une semaine continue de chute boursière dans presque toutes les places financières mondiales, reprise des cours ensuite, puis nouvelle dégradation, dettes « faramineuses » des Etats, plans d’austérité, adoptés dans plusieurs pays européens du sud, en vue ailleurs.

 

Manifestement, la crise financière et économique initiée en 2007-2008 par la crise des « subprimes », n’est pas terminée. Elle tendrait même à s’aggraver.

 

Que se passe-t-il ? Crise conjoncturelle dont on sortira bientôt, crise structurelle plus profonde qui appelle des changements de grande ampleur, crise finale du capitalisme ou d’un certain capitalisme, le capitalisme financier ?

 

Si les commentateurs et un nombre croissant de politiques ne masquent plus l’ampleur de la crise, bien peu en cherchent les causes profondes. Les dirigeants nationaux, notamment européens, multiplient les réunions et les annonces. Malheureusement, leurs décisions se limitent presque toujours à parer au plus pressé, toujours dans le court terme. On tente de colmater les brèches sans s’interroger sur l’origine de l’eau qui inonde le navire, on administre cachets, compresses et antibiotiques au malade, on s’en prend au thermomètre (les agences de notation) sans se soucier de la cause de la fièvre. On peut certes mettre du plâtre sur les fissures de l’immeuble et le consolider plus ou moins. Cela fait gagner du temps mais n’apporte aucune solution durable au problème.

 

Il faudra bien, pourtant, un jour, se poser enfin les bonnes questions sur la nature de la maladie et sur l’état des fondations sur lesquelles fonctionne, ou essaie de fonctionner, l’économie mondiale.

 

Et pour commencer, quelques rappels simples

 

1/ L’économie, comment ça marche ?

 

(Ceux qui le savent déjà peuvent passer directement au §2)

Comparons à une automobile. Il y a un moteur qui permet d’avancer, un carburant qui alimente le moteur, des lubrifiants qui facilitent son fonctionnement, un conducteur qui, à moins de s’en remettre au hasard, est maître de l’itinéraire et utilise frein, accélérateur et bon rapport de la boite de vitesses. Il y a une finalité, la satisfaction du besoin de déplacement. Il y a aussi la mobilisation de techniques appropriées au fonctionnement de l’automobile et leur amélioration grâce à l’innovation, ce qui suppose la formation d’ingénieurs et de mécaniciens non seulement dans le secteur de l’automobile mais aussi dans d’autres secteurs comme la pétrochimie, l’électronique, les matériaux, l’électricité. Parallèlement, les déplacements en automobiles nécessitent un réseau routier, une réglementation, une police et un service de secours pour prendre en charge les accidents. Le tout est financé soit par le propriétaire du véhicule, soit par les passagers (cas des taxis et autocars), soit par la collectivité (financement, par exemple, des routes par l’impôt), ou une combinaison des trois. En complément, le système bancaire et financier est partie prenante : crédit, assurance.

 

On l’a compris : le système est complexe. L’économie, dans son ensemble, l’est encore davantage.

 

Le moteur de l’économie, c’est la création de richesses. Celle-ci s’accompagne de la distribution de revenus. Le carburant est fourni par les deux facteurs de production : le travailet le capital, qui participent à la création des richesses et qui se partagent les revenus ; en économie monétaire, ils utilisent les revenus pour consommeret/ou pour épargner(épargne de « précaution » ou épargne destinée à investir, c’est-à-dire à fournir le capital).

 

Le conducteur est constitué, dans le cas le plus simple, par les Etatsqui utilisent la création monétaire, qui lèvent des impôts, assurent diverses dépenses, peuvent favoriser la croissance lorsque cela est nécessaire ou, au contraire, la freiner s’il y a un risque d’emballement. L’Etat peut jouer le rôle principal. Il se peut aussi, et c’est ce qui se passe depuis trente ans, que les grandes entreprises multinationales, les grands groupes financiers mondialisés et les « marchés » aient un rôle majeur. Dans ce dernier cas, c’est plus compliqué.

 

La finalité de l’économie est la satisfaction des besoins solvables de biens et services. On répond à ce besoin par la production, qui combine le travail (qui procure des salaires) et la mobilisation de capitaux (eux-mêmes rémunérés, à moins que la collectivité fournisse elle-même le capital). Le progrès économiquese caractérise par l’utilisation de plus en plus intensive du capital (par exemple, on fabrique avec des machines plutôt qu’à la main : cette économie est dite plus « capitalistique »), qu’on peut considérer comme du travail différé.

 

On améliore le dispositif par l’innovationet la hausse de la productivité, ainsi qu’en étendant le champ des débouchés par l’apparition de produits nouveaux, la recherche de débouchés extérieurs (exportations), le crédit et la publicité pour inciter les consommateurs à acheter plus. La monnaie, le crédit, le système bancaire et les produits financiers qui mobilisent l’épargne constituent le lubrifiant qui permet à l’économie de mieux fonctionner.

 

Lorsque les produits financiers financent l’économie, ils sont utiles ; lorsqu’ils deviennent une fin en soi et sont complètement déconnectés de la réalité, il y a danger(c’est souvent le cas aujourd’hui lorsqu’on mobilise des produits financiers virtuels et non des ressources réelles). La spéculation est le contraire d’une économie saine : on achète des biens et services non pour les consommer mais pour les revendre, ce qui fausse les mécanismes car le spéculateur ne profite pas seulement des variations de prix, mais, par son action même, il contribue à les faire varier. Aujourd’hui, des masses énormes de capitauxdits flottantsparcourent la planète (par de simples jeux d’écriture ; il n’y a aucun mouvement physique) achetant et vendant tout ce qui se présente, depuis les actions d’entreprises industrielles (40% du capital investi, de façon volatile, dans les bourses européennes proviennent de fonds de pension américains) jusqu’au blé et au cuivre en passant par l’immobilier. Ces mouvements sont d’autant plus faciles que les frontières sont ouvertes et que les Etats ne les contrôlent plus(davantage par volonté dogmatique, renforcée par des engagements internationaux, de « ne pas fausser » les « marchés » que par manque de moyens).

 

2/ Une économie qui ne fonctionne plus

 

Aujourd’hui, où en est-on ? Ceux qui ont étudié l’économie il y a trente ans constatent que leurs manuels leur sont de peu d’utilité. Les plus grands économistes sont dépassés : il suffit d’écouter leurs commentaires contradictoires sur les chaînes de TV d’information pour s’en convaincre. Quant aux politiques, au-delà de quelques effets de communication (« on se réunit », « tout est sous contrôle », « on lance un plan de sauvetage », « on va résorber les dettes ») destinés à calmer les « marchés » et à endormir les peuples, pas grand-chose, que du court terme ; jamais d’analyse de fond. Seulement quelques vieilles recettes et des certitudes ressassées qui s’apparentent plus à la récitation de dogmes qu’à une analyse réfléchie et à une véritable politique.

 

Bref, après trente ans d’affirmations dogmatiques (jamais démontrées, ce qui est le propre des dogmes), telles l’utilité de la mondialisation, de la libre concurrence, de la dérégulation, du moins d’Etat et donc de la prééminence du privé sur le public, de la « construction » européenne avec ses frontières ouvertes, intérieures mais aussi extérieures, et sa monnaie unique gérée par une banque indépendante des Etats, on s’aperçoit que ça ne marche plus.

 

Pourquoi ?

à suivre...

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Yves Barelli, le 14 août 2011

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