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10 novembre 2019 7 10 /11 /novembre /2019 16:19

J’ai écrit assez souvent dans ce bloc sur les pays d’Amérique latine, subcontinent que je connais bien pour y avoir vécu et pour y être allé, à peu près partout, à de multiples reprises. J’ai décrit les problèmes et difficultés, les tares devrais-je dire, de cette partie du monde. J’ai fait part des espoirs suscités par les gouvernements de gauche qui semblaient enfin être en mesure de libérer les peuples de l’oppression des oligarchies et des ingérences étrangères. J’ai ensuite, plus récemment, relaté les échecs de ces pseudo-expériences. Ces dernières années, les élections ont souvent balayé ces pouvoirs qui ont déçu mais les nouveaux gouvernements, de droite, s’avèrent pires encore et ils sont à nouveau rejetés par les peuples. En fait, nombre de Latino-américains sont dans le doute, déboussolés, souvent désespérés. L’Amérique latine se libérera-t-elle un jour de ses fléaux que sont les inégalités abyssales, la violence, la corruption et l’incapacité à édifier des sociétés sereines et solidaires tournées vers un développement juste et durable ? Pour le principe, il faut l’espérer mais reconnaissons qu’on est prêt de perdre espoir.

1/ Il y a eu, d’abord, il y a bien longtemps, l’espoir d’un monde meilleur né à Cuba, avec Castro et Che Guevara. Expérience intéressante et contrastée. Pas que du mauvais à la différence de ce que nos médias du système tentent de nous faire croire : des réalisations remarquables, par exemple dans la santé et l’éducation. Mais, pour le reste, la médiocrité du quotidien. A cause de l’embargo nord-américain. Mais pas seulement.

2/ Plus récemment, l’expérience de Chavez au Venezuela. J’ai habité à Caracas, j’ai connu Hugo Chavez, homme exceptionnel, généreux, charismatique, cultivé, visionnaire. J’ai eu de longues conversations avec lui ; on en sort rasséréné et on croit à nouveau que l’homme peut être bon. Un saint homme que ce Chavez trop tôt emporté par un cancer. Il a créé plus de justice sociale et a donné aux pauvres à la fois de meilleures conditions de vie et surtout la dignité que l’oligarchie leur avait toujours niée. Mais Chavez avait oublié que l’économie ce n’est pas que le pétrole. Or, en dehors de son or noir, le Venezuela ne produit rien et, aujourd’hui, faute d’investissements, il n’arrive même plus à extraire le pétrole de son sol. Le pouvoir de Maduro est un fiasco complet. Quant à son opposition, la droite la plus bête et la plus égoïste du monde, elle est encore pire. Il ne reste aux Vénézuéliens que les yeux pour pleurer et l’exil pour tenter de vivre.

3/ Lula, autre homme honnête remarquable mais pas sans défauts, avait, aussi, suscité beaucoup d’espoirs. Il a commis deux fautes. La première est d’avoir pensé que les investissements étrangers allaient apporter argent et développement : à la première crise (la crise mondiale de 2008), ils sont repartis aussi vite qu’ils étaient venus. La seconde est de ne pas s’être attaqué aux structures du système : l’oligarchie est toujours en place ; un temps, elle a collaboré avec le régime de Lula parce qu’elle y a trouvé son compte (les 30 millions de Brésiliens pauvres sortis de la pauvreté grâce aux programmes sociaux étaient devenus de nouveaux consommateurs) mais, dès que cet intérêt s’est estompé (du fait de la crise), l’oligarchie a balayé par un coup d’état parlementaire (la majorité des députés sont corrompus) Dilma Roussef, successeur (bien moins charismatique) de Lula et a mis ce dernier en prison par un procès truqué monté de toute pièce en l’accusant, ironie venant de corrompus, de corruption. Cela a permis à Bolsonaro, une sorte de Franco aux petits pieds, d’être élu. Son gouvernement est déjà un désastre. Les rivalités internes de l’oligarchie viennent de se traduire par la libération conditionnelle, que je salue évidemment, de Lula. A quand le prochain épisode ? En attendant, le Brésil de Lula, de Roussef ou de Bolsonaro garde ses mêmes fléaux : inégalités, violence au quotidien (50 000 morts par homicide par an : on peut vivre dans ce pays mais il faut être très prudent en permanence car, en certains lieux et à certaines heures, on peut vous tuer avant de voir ce que vous avez dans la poche) et corruption généralisée (les derniers JO et le dernier « mondial » de foot ont été l’occasion de détournements massifs au détriment d’équipements bâclés ou sabotés).

4/ J’ai connu Evo Morales, le président de Bolivie, quelques mois avant son élection. Je m’étais entretenu trois heures avec lui en tête à tête dans l’enceinte du parlement : un homme qui m’avait paru sincère ; il a fait quelques réformes allant dans le bon sens mais, sans doute, lui ou son entourage sont retombés dans les vieux travers du subcontinent : détournements et magouilles ; la dernière élection, il y a deux semaines, s’est terminée par une farce et un bourrage d’urnes et Evo le libérateur envoie la police contre son peuple.

5/ Je pourrais encore citer d’autres exemples, qui vont du tragique au comique. Au Nicaragua, la révolution sandiniste, qui avait suscité aussi tant d’espoirs, se termine par un Ortega vieillissant qui fait tirer sur la foule mobilisée contre la hausse des tarifs des services publics. En Equateur, l’ancien président Correa (qui a fait quelques réformes plutôt bonnes mais qui n’a pas changé fondamentalement le système), réfugié à Bruxelles pour éviter les 30 mises en examen pour corruption (réelle ou imaginaire, je n’en sais rien) s’en prend aujourd’hui à son successeur, qui fut pourtant son vice-président mais qui, selon Correa, a complètement trahi son camp, son peuple et ses engagements. Ces règlements de comptes passent à des années-lumière au-dessus de la tête des Equatoriens, répartis entre Blancs, qui s’en sortent à peu près (ou très bien lorsqu’ils appartiennent à l’oligarchie), et Amérindiens, habitués à l’oppression et l’humiliation depuis les Incas (inclus) et leurs successeurs « conquistadors ».

6/ Et la droite, ce n’est pas mieux. Pire même. Piñera, au Chili, envoie, dans la tradition de Pinochet, les tanks pour tirer sur la foule qui proteste contre la hausse du prix du ticket de métro. Déjà plus de 20 morts depuis un mois. Et ce n’est pas fini. En Argentine, les époux Kirchner (lui, que j’ai connu, est mort de maladie ; sa femme Cristina, de moindre envergure, a pris le relai), avaient mis fin à une politique aberrante de droite inspirée par les « Chicago boys », cette idéologie ultra-« libérale » (j’emplois ce mot par habitude mais à contrecœur car l’oppression capitaliste est le contraire de la liberté) qui inspire les « recettes » dogmatiques sans imagination (toutes des fiascos) du FMI et qui se traduit invariablement par plus de chômage, plus de pauvreté et moins de croissance. Mais le mandat de Cristina s’était terminé dans les scandales de corruption et d’échec économique, ce qui a permis à la droite de revenir. Celle-ci a refait les mêmes erreurs qu’autrefois : à nouveau, le même fiasco économique et social, puis une nouvelle déroute électorale : Cristina revient, cette fois en vice-présidente. Ce serait comique si la vie de beaucoup d’Argentins n’était pas tragique.  

7/ Les gouvernements changent et les problèmes restent.

a/ L’Amérique latine est la championne du monde des inégalités (que les économistes mesurent avec l’ « indice de Gini »). Une petite minorité possède la majorité des richesses.

Cette minorité, c’est l’oligarchie, c’est-à-dire cette partie de la population qui, non seulement a le pouvoir économique, mais jouit de tous les passe-droits nécessaires à la pérennité de sa richesse. Cela commence à l’école : si on ne paye pas pour envoyer ses enfants dans les bonnes écoles privées, peu d’espoir qu’ils montent dans l’ascenseur social. Et ce n’est pas tout : une fois le diplôme en poche, il vaut mieux avoir de bonnes relations pour accéder aux bons postes : en Amérique latine, dis-moi de quel quartier tu es, à quelle famille tu appartiens et quelle école tu as fréquentée et je te dirai, mieux que Madame Soleil, quel sera ton avenir. Les mêmes familles se retrouvent à la tête des entreprises (quand ils sont entrepreneurs, beaucoup se contentent de vivre de leurs rentes sans travailler), dans les fonctions électives (il faut de l’argent pour financer une campagne électorale ; ensuite, on se rembourse au quintuple, mais tout le monde ne peut faire l’ « investissement » initial), dans la haute administration (je me souviens de consultations franco-péruviennes à Lima : l’ambassadeur qui était mon interlocuteur – un Blanc bon teint, pas d’Amérindiens et peu de métis dans ces postes : la rue est bronzée mais le pouvoir est monocolore, copie et descendance des conquistadors castillans -, sympathique au demeurant, ne pouvait s’empêcher (car c’était vrai) de dire que c’est son père ou son grand-père, ministre ou haut-dirigeant, qui avait fait ceci ou cela), dans la justice et dans les médias. Dans ces pays, les plus riches échappent à l’impôt (pratique d’avoir un cousin au ministère des finances ; je connais par exemple une famille qui a un domaine de 20ha dans le centre de Saint Domingue et qui ne paye aucun impôt local ; pratique, non ?) et, quand, ils en font un peu trop, la justice se montre clémente (pratique d’avoir un autre cousin magistrat ou d’en acheter un autre, avec la connivence d’avocats issus du même moule).

Bolsonaro est arrivé au pouvoir à Brasilia du fait du ras-le-bol des classes moyennes. Je connais des Brésiliens qui se sont privés pour envoyer leurs enfants dans les bonnes écoles et qui constatent qu’ils sont, eux, pressurés d’impôts et que leur niveau de vie, acquis par leur travail et leurs sacrifices, est en chute libre : ils en veulent à l’oligarchie parasite bien sûr mais aussi à certains « pauvres » qui, à leurs yeux, vivent de subventions payées par les impôts des classes moyennes, qui ne cherchent pas vraiment à travailler et qui fournissent l’essentiel de la délinquance. Justifié ou non, ce sentiment rappelle celui de nos propres classes moyennes (celles de niveau inférieur, trop riches pour recevoir des « allocs », trop pauvres pour vivre décemment du fruit de leur travail : nos « gilets-jaunes »). Le tort de Lula a été d’avoir donné l’impression à ces classes moyennes à la fois de ne pas s’attaquer aux privilèges de l’oligarchie parasite (et pour beaucoup de responsables du « Parti des Travailleurs », de l’avoir rejointe) et de ne s’intéresser qu’à ceux qui sont aux yeux des classes moyennes d’autres « parasites », les pauvres, ou réputés tels, dont une partie fournit le gros des troupes de la violence organisée, de la petite délinquance quotidienne (la plus insupportable, finalement), des trafiquants de drogue ou des paresseux structurels. Ces pauvres sont le plus souvent noirs (ou, dans les Andes et en Amérique centrale, Indiens) et les riches ou les classes moyennes blancs. Il n’y a pas de racisme au Brésil, pas plus qu’en République Dominicaine ou au Panama, mais la fracture sociale et sociologique recoupe beaucoup les différences de couleur de peau et on fait semblant de ne pas la voir.  

b/ La délinquance et la violence quotidienne qui l’accompagne sont un fléau encore pire aux yeux des citoyens ordinaires que l’accaparement des richesses par l’oligarchie. Il faut avoir vécu en Amérique latine pour apprécier à sa juste valeur ce fléau. Au Brésil ou au Venezuela, pays où j’ai vécu, toute résidence doit avoir obligatoirement ses gardiens privés 24h sur 24, en voiture, on ne circule que vitres toujours fermées, où qu’on aille il faut être sur le qui-vive. En Colombie, ceux qui en ont les moyens ont des voitures blindées et des gardes du corps. Et chacun peut vous raconter l’histoire d’un membre de sa famille ou d’un voisin qui s’est un jour fait agresser. J’en connais un à Recife qui s’est fait braquer à un feu rouge : il y a laissé sa voiture et s’est estimé heureux qu’on ne l’ait pas assassiné (comme cela est courant : on tue d’abord, et on vole ensuite). Bolsonaro avait promis de s’attaquer sérieusement à la racaille. Beaucoup l’ont élu sur cette promesse. Pour le moment, les résultats ne sont pas à la hauteur. Au Brésil, les cartes routières indiquent les routes qui sont notoirement dangereuses. Ceux qui vivent dans une ville savent où on peut aller (par exemple les zones les plus touristiques où opère efficacement la « police touristique », toujours présente dans ces lieux et qui a la réputation de ne pas être corrompue) ou ne pas aller. Par exemple à Rio-Copacabana, aucun danger à se promener ou aller dans un resto le soir le long de la promenade, protégée par la police, qui longe la plage, mais pas sur la plage elle-même car elle n’est pas éclairée (je conseille, de toute façon, au Brésil mais aussi dans les deux-tiers du pays du monde, d’être accompagné par un local ; cela minimise beaucoup le risque).

Au chapitre violence, celle des narcotrafiquants est l’un des grands fléaux. Ils achètent les politiciens locaux et terrorisent ceux qui pourraient s’opposer ou seulement parler (de nombreux journalistes ont été assassinés). La Colombie a un triste record (les narcos sont souvent associés à la violence criminelle des grands propriétaires mais aussi des guérillas au départ révolutionnaires et à l’arrivée grand banditisme). Le Mexique, depuis quelques années, tend à la rejoindre en haut du podium de la violence pourrie.          

c/ La corruption est le troisième fléau. Elle est présente partout, à commencer par les hautes sphères de l’Etat, mais aussi dans la justice (les juges sont « indépendants » du pouvoir politique, dont ils sont proches quand la droite est au pouvoir, mais pas des puissances d’argent qui peuvent les acheter d’autant plus facilement qu’ils sont inamovibles) et la police (les « flics » sont tellement mal payés, qu’ils se rémunèrent d’une autre façon). Evidemment, plus on monte haut, plus c’est « cher » et plus c’est « rentable » pour celui qui reçoit. L’Etat est ainsi une bonne vache à lait mais les grandes entreprises publiques ou semi-publiques encore davantage : les compagnies de pétrole du Venezuela et du Brésil sont particulièrement connues pour cela. Elles ne sont pas les seules. Malheureusement les privatisations au profit des entreprises étrangères ont accentué encore le phénomène : j’ai eu à connaitre des exemples très concrets, en Colombie, en Argentine et en Bolivie, d’entreprises françaises ayant bénéficié de privatisations scandaleuses qui n’ont pas rehaussé l’image de notre pays. Le racket, notamment des petits entrepreneurs, est un complément de la corruption : il faut payer pour être tranquille. Même dans un pays réputé calme mais très corrompu comme la République Dominicaine (autre pays que j’ai habité).       

Dans les élections, il y a deux catégories avec un système politique calqué sur celui des Etats-Unis (séparation des pouvoirs entre exécutif, législatif et judiciaire). Les juges ne sont pas élus, ce qui est le pire (cf supra). Les présidents le sont : ce sont les seules vraies élections qui ont un semblant de sens. Mais les présidents n’ont pas tous les pouvoirs : ils doivent compter avec le parlement et, dans les pays fédéraux, avec les Etats fédérés. Le pouvoir local est tenu par les oligarchies (petites ou grandes) qui peuvent acheter les votes, les influencer (par les médias, mais aussi toutes les structures clientélistes, qu’ils contrôlent ou achètent : dans ces pays, il n’y a pas de temps de parole institutionnels pour les candidats qui achètent en fonction de leurs moyens des espaces de « pub »), voire les truquer (dans certains pays mais pas tous). Au parlement brésilien, les trois-quarts des députés peuvent être considérés comme corrompus. Lula avait réussi à « acheter » leur collaboration car ils profitaient de la croissance économique. Avec la crise, ils sont devenus moins coopératifs : ils ont destitué Dilma et créé les conditions pour que la justice corrompue et partisane envoie Lula en prison. Mais Bolsonaro sera aussi impuissant et, les députés mais aussi l’armée, pourront, s’ils les dérangent, se retourner contre lui aussi.

L’armée (seule force organisée, finalement, avec l’Eglise catholique; l’influence de cette dernière reste forte mais en baisse du fait du recul de la pratique et de la montée des évangélistes), pour le moment, se tient à l’écart de la politique. L’expérience du passé l’a échaudée. Mais dans nombre de pays, au Brésil par exemple, les échecs successifs de tous les politiques et les scandales qui les accompagnent, pourraient l’inciter à reprendre le pouvoir, d’autant que la confiance (et donc l’adhésion) des peuples en la démocratie est en chute libre et que la notion de « droits de l’homme » a tellement été dévoyée au niveau international (avec des émotions à géométrie variable et dépendantes d’intérêts hypocrites) qu’elle en est devenue inopérante (on peut dire la même chose de la « défense de la planète », avec un Macron qui s’est ridiculisé dans son « combat » pour la défense de l’Amazonie où il y a toujours eu des incendies de forêts - que la nature répare en moins de cinq ans).          

XXX

Ce tableau est pessimiste. J’aimerais être optimiste pour ce continent qui a donné des personnages magnifiques, des chefs d’œuvre de la littérature ou de l’art, qui regorge de talents individuels. Sait-on, à titre d’exemple, que cette Colombie de mauvaise réputation (justifiée pour sa mauvaise face, mais qui cache une autre face, bien plus avenante) donne, parmi tous nos lycées français à l’étranger (une partie de l’élite colombienne continue à y scolariser ses enfants), les meilleurs résultats ? N’oublions pas les Gabriel Garcia Marquès, les  Oscar Niemeyer, les Pablo Neruda, les Mario Vargas Llosa, les Botero, les magnifiques mélodies de bossa nova ou de salsa ou le génie footballistique de Pelé.

L’Amérique latine a beaucoup apporté à la civilisation mondiale. Ces Latins sont nos cousins. Ils peuvent être géniaux et attachants individuellement. Espérons qu’un jour ils sauront collectivement chasser leurs démons séculaires.

Mais quand ? Pour le moment, cette terre d’espoir et de désespoir semble déboussolée, en mal de repères. Elle n’est certes pas la seule…  

Yves Barelli, 10 novembre 2019    

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24 janvier 2019 4 24 /01 /janvier /2019 17:13

Un président Maduro presque complètement démonétisé, un opposant qui s’autoproclame chef de l’état par intérim avec la bénédiction (et sans doute à l’initiative) des Etats-Unis, une situation économique catastrophique avec une population qui manque de tout et déjà un à deux millions de Vénézuéliens qui ont fui à l’étranger. La situation du Venezuela est tragique : entre une oligarchie égoïste qui n’a jamais accepté l’action en faveur des pauvres et même la légitimité du charismatique Hugo Chavez, emporté en 2013 par un cancer, et son piètre successeur, entouré d’incompétents et de corrompus, c’est de guerre civile qu’il convient de parler sur fond de violence « ordinaire » (le pays est l’un des plus dangereux au monde) et d’ingérence étrangère. Aucun compromis n’est en vue entre les protagonistes. C’est de l’intérieur du régime que pourrait venir la solution, sous la forme d’une reprise en main par l’armée, seule force (avec l’Eglise, susceptible aussi de jouer un rôle) encore organisée, qui pourrait calmer le jeu, rapprocher les moins dogmatiques du pouvoir « bolivarien » des plus raisonnables de l’opposition, composer avec les Etats-Unis et, surtout,  mettre le pays au travail (il ne l’a jamais beaucoup été).

1/ Le Venezuela a les défauts structurels de l’Amérique latine : fortes inégalités sociales (à Caracas, une sorte de mur invisible sépare les quartiers résidentiels de l’Est des quartiers populaires et bidonvilles de l’Ouest, deux mondes qui s’ignorent), violence quotidienne (16 000 morts par homicide chaque année ; chaque matin, les radios font état des plus spectaculaires intervenus dans la nuit ; en toutes circonstances il convient d’être prudent et même l’autoroute de l’aéroport n’est pas sans risque), gabegie et corruption endémiques. Le pays fait partie, avec le Brésil, la Colombie, le Mexique et plusieurs petits Etats centraméricains, du groupe le pire de ce point de vue.  

2/ Le paradoxe, à première vue, est que le Venezuela est un pays potentiellement très riche : avec un peu plus de 2 millions de barils/jour, en baisse par rapport aux années passées, le Venezuela est encore le douzième producteur mondial de pétrole et, en incluant les schistes du bassin de l’Orénoque, il dispose des plus grandes réserves mondiales prouvées. Il est loin d’être surpeuplé : 916 445 km2 pour un peu plus de 30 millions d’habitants et, à la différence des pays pétroliers du Moyen-Orient, ce n’est pas un désert : les vastes plaines, bien arrosées et bien irriguées par des cours d’eau abondants alimentés par les pluies et les neiges des Andes, pourraient être idéales pour l’agriculture et l’élevage.

Mais le pétrole, qui assure 95% des exportations et finance plus de la moitié  du budget de l’Etat, fait à la fois le bonheur et le malheur du pays : on a tellement vécu sur la rente pétrolière qu’on a été dans l’incapacité pratique de produire autre chose : comble, le pays importe même la plus grande partie des produits agricoles qu’il consomme. Son oligarchie s’est enrichie par le commerce, la spéculation, la finance (y compris ses placements à l’étranger) et pas par la production. Le régime chaviste est resté dans cette ligne : il a certes mis le pétrole au service du peuple en nationalisant la production (à laquelle sont néanmoins associées les grandes « majors » dont TOTAL) mais non seulement n’a rien développé d’autre mais n’a même pas été capable de sauvegarder l’outil de production, tellement négligé que le pays produit aujourd’hui moins de brut qu’avant.

3/ Hugo Chavez est certainement l’un des personnages les plus attachants qu’il m’est été donné de rencontrer (j’ai passé plusieurs mois au Venezuela il y a une dizaine d’années) : homme droit et honnête (exceptionnel sur le sous-continent), autodidacte d’origine modeste, et en même temps féru d’histoire et de culture (il m’a une fois parlé pendant deux heures de Bolivar, le grand « libertador » latino-américain qui, comme Chavez, avait pris les révolutionnaires, les « lumières » et les humanistes français comme modèles, et de tout ce que les Latinos doivent à notre pays) et, surtout, doté d’une vision pour son pays, fondée sur la Nation et sur la nécessité d’y associer les plus pauvres, par soucis à la fois de justice et d’efficacité (par opposition à l’oligarchie, égoïste et vendue à l’impérialisme yankee). Cette vision s’est concrétisée par la « Révolution bolivarienne », synthèse de socialisme, de nationalisme et de mysticisme (Chavez était très croyant).

Chavez a utilisé la manne pétrolière pour lutter contre la pauvreté. Pour cela, il a mis en place des programmes, les « misiones », d’alphabétisation, d’aide alimentaire et de soins gratuits faisant venir 40 000 médecins cubains dans des quartiers où les médecins locaux n’allaient pas (pas insolvabilité et insécurité). Grâce à lui, une nouvelle génération d’origine populaire a pu, pour la première fois, accéder à l’université. Tout cela a été positif (avec des réussites spectaculaires) mais a coûté très cher.  

Chavez n’était pas seulement un patriote social, mais aussi un démocrate. Elu pour la première fois président en 1998, il a affronté avec succès 13 scrutins, y compris en 2004 un référendum « révocatoire » (j’ai été envoyé à Caracas pour suivre l’opération), possibilité qu’il avait tenu à introduire dans la constitution (à l’initiative d’un nombre déterminé de citoyens, on vote pour savoir si le président peut poursuivre ou est destitué ; très peu de constitutions dans le monde ont un tel dispositif, notamment pas en France ; ce serait pourtant un bon moyen de révoquer ou confirmer un président contesté, tel le nôtre aujourd’hui ; de Gaulle, en remettant en jeu sa présidence par des référendums, a fonctionné de manière comparable, mais ces scrutins n’étaient pas d’initiative citoyenne). Chaque fois, dans des scrutins jugés honnêtes par les observateurs internationaux, Chavez a recueilli la confiance de 55 à 60% de ses compatriotes. Il est étonnant et choquant que nombre de nos médias et politiciens aient accusé Chavez d’être un « dictateur populiste ». S’ils s’étaient donné la peine de voir ce qu’il  était – seul Chirac a eu de la sympathie pour lui -, ce qu’il faisait et qui étaient ses opposants, antidémocrates sans scrupule, et si nos commentateurs avaient été honnêtes (lorsqu’on est au service du « système », on l’est rarement), ils auraient été moins critiques.

4/ Moins critiques quant à la démocratie, leurs critiques quant au système économique auraient été plus crédibles. Ce fut en effet le point faible du chavisme. Chavez n’était pas intéressé par l’économie et sans doute a-t-il eu le tort de croire que la manne pétrolière, don de Dieu pour lui le croyant, serait éternelle et suffisante pour subventionner le pays et ses pauvres, sans vraiment chercher à les mettre au travail.

Trois problèmes, pourtant prévisibles, sont en effet apparus les derniers temps du « règne »  de Chavez : a/ la dégringolade des cours du brut à la suite de la crise mondiale de 2008, b/le non-renouvellement de l’outil de production par négligence des investissements, la quasi-intégralité des revenus de la compagnie pétrolière ayant été « pompée » pour financer les programmes sociaux et c/ l’abandon complet de tous les secteurs plus traditionnels de l’économie : les PME ont été elles aussi rackettées au profit des programmes sociaux de l’Etat, le peu d’industrie hors pétrole (même la chimie a été négligée) et l’agriculture ont été sacrifiées, et les infrastructures souvent laissées en déshérence (voies ferrées, ports, mais aussi autoroutes, surchargées – avec le litre de super à moins de 10 centimes, on roule beaucoup) -. Et si Chavez était honnête, on ne saurait le dire de la masse de « sangsues » dans son sillage, tout aussi corrompues qu’ailleurs en Amérique latine.

5/ Pas étonnant que l’étoile de Chavez et de son régime ait commencé à pâlir avant même qu’il ne s’éteigne. Mais, au moins, conservait-il encore une forte popularité, en particulier chez les millions de gens qui, grâce à lui, sont sortis de la pauvreté et ont trouvé la dignité que l’oligarchie, qui les méprisait, leur refusait auparavant. La réalité était une opinion très clivée : j’ai rencontré des Vénézuéliens qui vouaient une haine qu’on a de la difficulté à même imaginer chez nous (j’ai lu un jour le titre qui barrait toute la une de l’un des grands journaux privés du pays : « tuez-le », à propos de Chavez ; rien de moins ; dans notre démocratie qui donnait des leçons au Venezuela, ce titre aurait entrainé un procès, pas là-bas) et d’autres considérant Chavez comme un Dieu (certains disaient « Jésus, Bolivar et Chavez !»).

6/ Avec Maduro, on est dans une toute autre configuration. Cet exalté sectaire qui n’a d’autre légitimité que d’avoir été intronisé par Chavez et est donc moins populaire, y compris chez les Chavistes, se comporte de la pire façon :

a/ Tel une voiture folle sans frein qui fonce sur le mur, Maduro ne change rien à sa feuille de route. La crise économique, déjà amorcée sous Chavez, a pris une ampleur considérable. Désormais, le pays non seulement ne produit presque rien hors pétrole mais la production elle-même d’or noir décline parce que nombre de puits ne fonctionnent plus. Le Venezuela n’a plus les moyens d’importer sa nourriture, ses médicaments et tous les autres produits de première nécessité. La monnaie s’est tellement dévaluée (avec une inflation à quatre chiffres) que, exprimées en dollars, les rémunérations sont devenues dérisoires. L’économie s’est entièrement « dollarisée », c’est-à-dire que les transactions se font le plus possible en dollars, ce qui entraine une inégalité scandaleuse entre ceux qui ont accès à la monnaie américaine (ceux, les plus riches, qui avaient déjà une épargne à l’extérieur, ceux qui y ont de la famille et les petits malins qui arrivent à vivre des trafics, y compris la drogue) et les autres. La détention de dollars et les programmes sociaux permettent encore plus ou moins de survivre (surtout pour les proches du régime) à une minorité mais la majorité manque désormais de tout. Le PIB s’est effondré de moitié en deux ans, plus rien ne fonctionne vraiment, même le pétrole. Selon les estimations, entre un et deux millions de Vénézuéliens ont fui à l’étranger : les moins désargentés surtout aux Etats-Unis et en Espagne, les autres plutôt vers les pays frontaliers (Colombie surtout, en fait des retours de nombreux Colombiens qui s’étaient installés au Venezuela, attirés à l’époque par de bien meilleures conditions de vie). Il n’est pas exagéré de parler d’effondrement et de chaos généralisé.

b/ Maduro est loin d’être le démocrate qu’était Chavez. Par divers artifices, il recule sine die la possibilité d’un nouveau référendum révocatoire. En 2015, l’opposition a remporté la majorité des sièges de l’Assemblée Nationale (le système politique est calqué sur celui des Etats-Unis : présidentiel, le parlement vote les lois et le pays est fédéral). Pour la contrer, Maduro a proposé une modification de la constitution et a fait élire en 2017 une assemblée constituante qu’il contrôle d’autant mieux que l’opposition a boycotté le scrutin.

5/ La situation, tant économique que politique est bloquée. Maduro ne respecte pas le jeu démocratique mais pas davantage l’opposition, que je qualifierais comme la plus « réactionnaire » et la plus « putschiste » du continent (elle n’a jamais reconnu ses défaites successives sous Chavez, pourtant incontestables, et elle rêve d’un Pinochet vénézuélien qui éradiquerait le régime « bolivarien » et mettrait au pas les pauvres qui ont eu l’outrecuidance de contester l’oligarchie autrefois aux affaires. Il me parait essentiel de garder cet aspect de la question en mémoire : Maduro n’est pas un démocrate mais l’opposition encore moins. On a au Venezuela une logique de guerre civile où, pour les protagonistes, tous les coups sont permis, pourvu qu’ils soient gagnants ou qu’ils aient une chance de l’être.

6/ Les deux dernières décennies étaient inédites en Amérique latine. Les Etats-Unis, obnubilés par le Moyen-Orient (Afghanistan, Iraq, Syrie), la lutte contre Ben Laden (qu’ils avaient pourtant installés en Afghanistan pour contre les Soviétiques) et les régimes progressistes (en s’appuyant sur le plus régressif, le saoudien) et le soutien inconditionnel à Israël (je vous renvoie aux nombreux articles sur le Moyen-Orient que j’ai mis en ligne sur ce blog), se sont désintéressés de leur « pré-carré », l’Amérique latine. Du coup ils ont laissé s’installer des pouvoirs variés de tendance socialisante et surtout « souverainiste » vis-à-vis de Washington, ce qui aurait été impensable avant et ce qui le redevient aujourd’hui. De Lula à Kirchner et de Chavez à Morales, des pouvoirs hostiles, ou, en tout cas, indépendants se sont installés un peu partout, pouvoirs qui ont bien réussi dans un premier temps en « surfant » sur la vague de l’augmentation des cours du pétrole et des matières premières.

Désormais, c’est différent. Le reflux de ces régimes a commencé au début de la présente décennie. Les défaites des pouvoirs en place en particulier en Argentine et au Brésil (par un coup d’état parlementaire et l’interdiction à Lula, arbitrairement incarcéré, de se représenter) ont été des coups durs pour tous ceux qui ont cherché à émanciper l’Amérique latine de l’impérialisme US (appelons les choses par leur nom sans circonvolutions diplomatiques !). La Colombie pro-américaine était une exception ; elle est devenue la norme. Le Mexique s’est doté l’année dernière d’un président de gauche, mais c’est plutôt à contre-courant. Le Venezuela apparait désormais résiduel (avec la Bolivie et la Nicaragua, de moindre importance, et l’indéboulonnable régime castriste de Cuba) et Donald Trump semble bien décidé à « aider », voire à précéder, les Latinos pour qu’ils rentrent dans le rang. Le Venezuela est un objectif de choix du fait de sa proximité (deux heures d’avion), de son pétrole et de la faiblesse de Maduro. Pour les Américains, c’est le bon moment pour « faire le ménage ».

7/ Y parviendront-ils facilement ? Pas sûr. L’armée vénézuélienne est chaviste parce que Chavez était l’un des leurs, qu’il a choyé cette armée et qu’il y a placé des fidèles à tous les niveaux. Cette armée est suffisamment solide et équipée pour que Washington hésite à se risquer dans une invasion militaire (directe ou en aidant la Colombie à attaquer son voisin).

8/ L’auto-proclamation de Juan Guaidó, jeune (35 ans, origine classe moyenne plutôt aisée, études de troisième cycle aux Etats-Unis, sa deuxième patrie en fait : il écrit beaucoup dans les journaux US et a fait d’Obama son modèle) politicien ambitieux et arriviste (il ne préside l’Assemblée Nationale que depuis le 5 janvier 2019), le 23 janvier est bien évidemment anticonstitutionnelle. On a donc affaire à une tentative de coup d’état. La reconnaissance du nouveau « président » par les Etats-Unis et leurs alliés (dont le Brésil et la Colombie) le jour même montre au minimum une coordination étroite avec le pouvoir de Washington et peut-être une ingérence plus directe. En face, le Mexique, Cuba, la Russie et la Chine ont, entre autres, renouvelé leur confiance en Maduro. Comme d’habitude, l’Union européenne s’est mise à la remorque de Washington sans, en général, reconnaissance formelle de l’usurpateur mais soutien plus ou moins appuyé (cas de Macron).

Toute ingérence supplémentaire de l’UE (celle des Etats-Unis est dans l’ordre des choses) et de la France me paraitrait mal venue, par principe mais aussi parce que, n’ayant sur place aucun pouvoir ni influence, (à part l’Espagne) elle ne nous grandit pas.

9/ Il me paraitrait plus judicieux de soutenir ceux qui au sein du régime bolivarien sont conscients de l’impasse actuelle et souhaitent sortir de la crise par le haut et sans violence.

Dans le camp chaviste, Maduro est loin de faire l’unanimité. Il a été lâché par sa ministre de la justice, Luisa Ortega. Dans la haute hiérarchie militaire, l’heure n’est pas à la contestation mais deux personnages ont des ambitions : l’amiral Ceballos, et le général Padrino Lopez, ministre de la défense. Si Maduro se démonétise encore (c’est en bonne voie), l’un des deux pourrait être une solution de remplacement, de préférence sans doute au numéro deux du régime, Diosdano Cabello, un civil.

Laissons donc les Vénézuéliens régler eux-mêmes leurs propres affaires (en espérant qu’ils le fassent vite parce qu’il y a urgence) plutôt que de jeter de l’huile sur le feu. Maduro a certes désormais peu de légitimité. Mais l’oligarchie, qui tente de se réapproprier le pouvoir, en a moins encore./.

Yves Barelli, 24 janvier 2019             

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4 juillet 2018 3 04 /07 /juillet /2018 13:42

L’élection du candidat de gauche Lopez Obrador le 1er juin à la tête du Mexique va à contre-courant de la tendance actuelle en Amérique latine où la droite est massivement de retour après deux décennies de pouvoirs populaires (voir mon article du 18 juin : « Amérique latine : les oligarchies reprennent le pouvoir ») mais renoue avec une tradition politique mexicaine autrefois bien ancrée. Elle intervient dans un pays marqué par la violence, les méfaits des cartels de la drogue et la corruption endémiques, la crise urbaine presque généralisée avec son cortège de problèmes sociaux et environnementaux qui l’accompagne et une montée des tensions avec le grand voisin américain due à la trop grande dépendance de l’économie mexicaine vis-à-vis des Etats-Unis et à l’émigration massive vers ce pays. Le nouveau président, qui n’est pas un inconnu (ancien maire de Mexico où son bilan économique, social et sociétal est positif ; battu de justesse aux deux dernières présidentielles) saura-t-il prendre les problèmes mexicains à bras le corps en évitant de reproduire les erreurs des expériences de gauche d’autres pays latino-américains ? On ne peut que le souhaiter pour cette grande nation à la forte identité forgée par l’ancienneté et la richesse de son histoire et de sa culture.   

1/ Le Mexique, avec 1 973 000 km2, 130 millions d’habitants et un PIB de 1 300 milliards de dollars, est le second pays d’Amérique latine (après le Brésil) et compte parmi les quinze principales puissances économiques et démographiques du monde. Il dispose notamment de grandes réserves en pétrole et en minerais. Son histoire est l’une des plus anciennes et originales : civilisations précolombiennes (Aztèques et Mayas en particulier), colonie espagnole la plus vaste et riche (elle allait de l’isthme centraméricain au Texas et à la Californie inclus), puis république marquée par les révolutions et des traditions de pouvoirs de gauche. Le Mexique est le pays de langue espagnole le plus peuplé et l’un des plus prestigieux (il servit de refuge à l’intelligentsia espagnole durant la dictature franquiste).

Le système politique mexicain est à la fois classique latino-américain et original. C’est un système présidentiel limité à un seul mandat de six ans. Etat fédéral, chacune des 32 entités fédérées dispose de compétences étendues. Le district fédéral de Mexico, à la fois ville et Etat, a un statut particulier, limitant son autonomie politique mais pas ses prérogatives  économiques et sociales.

Ce qui précède est classique sur le continent américain où les institutions sont largement calquées sur celles des Etats-Unis. Plus original fut le système politique issu de la Révolution de 1910 qui a longtemps régi le pays : régime de quasi-parti unique avec le PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel), membre de l’Internationale socialiste. Ce système n’a pas empêché les alternances politiques, décidées au sein du parti : la politique intérieure a oscillé entre gauche révolutionnaire et droite dure (on se souvient de la terrible répression contre les étudiants en 1968, avec le massacre de la Place des Trois Cultures), avec une constance en politique extérieure, marquée par un tiers-mondisme affiché (bien que hors Mouvement des Non-Alignés) et des relations avec Cuba à une époque où les Etats-Unis et leurs satellites des dictatures militaires avaient placé l’île au ban du continent.       

Ce système s’effondra en 2000 dans un contexte de crise interne du PRI : pour la première fois depuis 1910, le PRI perdit les élections. Depuis, la droite était au pouvoir et le Mexique presque totalement aligné sur les Etats-Unis, tant pour sa politique extérieure que pour ses options en matière économique et sociale (intégration au système de libre-échange nord- américain – l’ALENA -  avec pour conséquence l’édification d’une industrie de sous-traitance des entreprises US qui profitent des bas salaires mexicains et du recul de la protection des travailleurs).   

2/ Andrès Manuel Lopez Obrador a remporté l’élection du 18 juin avec 53% des voix. Comme d’habitude, la campagne électorale a été marquée par la violence (plus de 100 assassinats) et des irrégularités. Mais cette fois, l’ampleur de la victoire est sans appel. EN 2006 et 2012, Lopez Obrador avait été battu d’extrême justesse dans des conditions suspectes, ce qui avait fragilisé le président sortant, Enrique Peña Nieto, qui, en dépit de ses promesses et d’une indéniable bonne volonté, n’a jamais réussi à vaincre les maux endémiques du Mexique, violence, puissance des cartels de la drogue, corruption, inégalités, chômage, qui se sont aggravés pendant son mandat, marqué en outre par l’enveniment des relations, traditionnellement difficiles, avec le voisin « yankee ».

Le nouveau président, âgé de 64 ans, est originaire du petit Etat de Tabasco, l’un des plus pauvres du Mexique (sud-est, pays Maya, en bordure du Yucatan et du Guatemala) mais il a fait l’essentiel de sa carrière à Mexico, d’abord professionnelle (fonctionnaire) puis politique. Il est issu d’une famille de classe moyenne originaire d’Espagne (Cantabrie, où son grand-père était né).

Lopez Obrador a toujours milité à gauche. D’abord l’aile gauche du PRI puis le PRD (Parti de la Révolution Démocratique) qu’il a fondé en 1989.

C’est à partir de l’an 2000 qu’il a acquis une envergure nationale, et même internationale,  en devenant maire-président du district fédéral de Mexico (9 millions d’habitants ; la zone urbaine va au-delà, avec 22M).

Son bilan à la tête de la capitale est considéré comme positif : politique sociale ambitieuse (subvention des transports publics, aide aux personnes âgées, efforts pour le logement), recul de l’insécurité (qui reste élevée bien que moins que dans le nord du pays) et progressisme en matière sociétale (l’avortement a été légalisé à Mexico, ce qui est une exception au Mexique).

3/ Les problèmes auxquels Obrador devra s’attaquer sont multiples :

- d’abord la violence et l’insécurité qui se sont considérablement aggravées depuis une décennie. Le Mexique est devenu l’un des pays les plus dangereux du continent américain (et donc du monde car ce continent bat les records d’homicides).

- cette violence est en grande partie liée à la puissance des cartels de la drogue qui ont placé certaines régions du pays en coupe réglée et qui terrorisent ou achètent tous ceux qui pourraient s’y opposer : élus municipaux corrompus ou assassinés lorsqu’ils le refusent, journalistes tués – record mondial - pour avoir enquêté, police souvent de mèche avec les trafiquants, juges achetés.

- inégalités sociales aggravées par la politique d’ultra-capitalisme menée depuis près de vingt ans par la droite au pouvoir, encouragée et même poussée par les Etats-Unis.

- une économie déséquilibrée par l’intégration à l’économie nord-américaine. Les régions du Nord, les plus proches des Etats-Unis (la grande métropole nordiste de Monterrey en est l’exemple emblématique), ont connu un grand développement économique. Mais cette croissance est artificielle car elle repose essentiellement sur les délocalisations des entreprises états-uniennes attirées par la main d’œuvre bon marché et les facilités fiscales consenties par le gouvernement fédéral et la surenchère des pouvoirs locaux. Cette politique d’accueil par tous les moyens des entreprises étrangères se heurte désormais à la politique protectionniste qu’est en train de mettre en place Donald Trump.

- une croissance démographique qui reste trop forte due aux pratiques traditionnelles (encouragée par l’Eglise catholique, hostile à l’avortement et à la contraception), à l’arrivée à l’âge de la procréation des générations pléthoriques précédentes (à supposer qu’on veuille la mettre en place, il faut plus de vingt ans avant qu’une politique antinataliste produise des effets) et à l’amélioration des conditions sanitaires, notamment dans les zones rurales.

- l’émigration vers les Etats-Unis, traditionnelle soupape à la pression démographique et à la pauvreté, en passe d’être stoppée par le pouvoir de Washington (il y aurait plus de 20 millions de Mexicains aux Etats-Unis, dont plusieurs millions de clandestins).

- les inégalités, tant sociales qu’ethniques (30 à 40M d’Indiens pauvres, alors que l’oligarchie est blanche et que les classes moyennes sont souvent métisses) et régionales (Mexico et le Nord concentrent la richesse).

4/ S’il veut réellement améliorer les choses, Lopez Obrador peut s’appuyer sur des atouts non négligeables :

- le pétrole, dans un contexte, à nouveau de hausse durable du prix du baril.

- une population relativement éduquée et formée : le Mexique est un pays intermédiaire, pas vraiment développé mais néanmoins sorti du sous-développement ; il peut être comparé à des pays comme le Brésil, la Turquie, l’Iran ou ceux du Maghreb.

- une identité forte assise sur une histoire ancienne et prestigieuse mais aussi sur une volonté collective d’exister à côté et même contre les Etats-Unis, fondement de la politique mexicaine de 1910 à 2000, les années qui ont suivi pouvant être considérée comme une parenthèse dans la mesure où Obrador aura le courage politique de renouer avec la volonté d’indépendance nationale d’antan.

- paradoxalement, la politique de Trump, apparemment anti-mexicaine, peut être un atout pour Obrador s’il veut réellement changer les choses. Le pays peut y trouver plus de cohésion face à l’adversité extérieure. Il peut aussi (il doit en fait) réviser totalement ses options économiques, trop dépendantes des Etats-Unis.

5/ On ne peut évidemment préjuger de ce que fera Obrador.

S’il veut réussir, il doit rompre avec la politique de ses prédécesseurs tout en évitant les erreurs des gouvernements de gauche ailleurs en Amérique latine (et pas seulement : si la social-démocratie a échoué presque partout en Europe, ce n’est ni un hasard, ni une question de compétence mais un problème de choix politiques et économiques erronés).

Avant tout, évidemment, s’attaquer à la violence et à la corruption. Ne rêvons pas, ce ne sera pas facile : dans les sociétés latino-américaines, la violence est endémique et la corruption n’a pas de couleur politique.

Plus facile devrait être, s’il y a une volonté politique, d’effectuer un virage économique à 180°. En finir avec la sous-traitance et l’accueil des entreprises en mal de délocalisation et des capitaux spéculatifs qui peuvent repartir (comme au Brésil) aussi vite qu’ils sont venus. Rompre avec l’intégration économique nord-américaine, véritable carcan qui empêche un développement économique sain et durable. Rechercher au contraire des facteurs internes de croissance : ils ne manquent pas, tant les besoins en hausse du niveau de vie et en infrastructures sont grands. Une croissance assise sur le marché intérieur, le volontarisme et l’utilisation des capitaux intérieurs (privés et, plus encore, publics), disponibles grâce au pétrole mais aussi à l’industrie et à l’agriculture.

La tendance mondiale est à la fin de cette économie artificielle basée sur une mondialisation catastrophique pour les peuples et dangereuse car assise sur la finance et non sur la production.

Si les Etats-Unis se convertissent durablement (comme on peut le souhaiter) au protectionnisme, cette tendance se transformera en nouveau système économique mondial, plus équilibré, moins dangereux et plus utile pour les peuples comme pour l’environnement de la planète.

Les nations, mieux protégées par des frontières et renforcées par la valorisation de leurs identités, pourront alors retrouver plus de solidarité, plus de fierté et plus de cohésion.

Dans ce cadre, le Mexique pourra apporter une contribution au monde à la mesure de sa taille et de son immense histoire.   

Rien n’est joué. Pour assez bien connaitre ce pays, je ne crois pas au miracle. Mais il y a un espoir raisonnable d’amélioration. Et je n’exclue pas une vraie bonne surprise. Le Quetzalcoatl, ce dieu mythique aztèque capable de multiples réincarnations, peut à nouveau transcender l’âme mexicaine. Un peuple fier comme le volcan Popocatepetl, qui a su édifier les pyramides de Teotihuacan et de Chichen Itsa, ne peut être condamné à la médiocrité.

Lopez Obrador sera-t-il un nouveau Pacho Villa, artisan d’une nouvelle Révolution ?        

Yves Barelli, 4 juillet 2018

   

 

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18 juin 2018 1 18 /06 /juin /2018 16:18

L’élection en Colombie le 17 juin d’Ivan Duque, candidat de la droite dure, marque le retour de la ligne incarnée par Alvaro Uribe, l’ancien président (2002-2010) lié aux grands propriétaires et aux paramilitaires et hostile à l’accord de paix signé en 2016 par son successeur Juan Manuel Santos avec la guérilla des FARC. Cette élection va dans le sens de ce qui est constaté en Amérique latine où, après deux décennies de gouvernements de gauche (la Colombie était l’une des rares exceptions), la droite oligarchique reprend le pouvoir, avec ou sans élections démocratiques, et avec l’aval des Etats-Unis, qui s’étaient désintéressés pour un temps (d’où les victoires électorales de la gauche auxquelles ils ne se sont pas opposés) du subcontinent car focalisés militairement sur le Moyen-Orient et économiquement sur l’Asie.

1/ Ivan Duque a remporté le deuxième tour de la présidentielle colombienne avec 54% des voix contre 42% (les bulletins blancs constituent le reste) au candidat de gauche, Gustavo Pedro. Participation faible (environ 50%), comme d’habitude.

Outre la progression de la gauche (surtout influente à Bogota et dans les autres grands centres), présente pour la première fois dans un deuxième tour, c’est surtout la victoire de la droite dure qui doit être notée.

Cette droite est traditionnellement forte dans ce pays marqué depuis ses origines par l’extrême violence et une démocratie dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est très imparfaite : achat de votes, intimidations, médias à sens unique et désintéressement des élections d’un grand nombre de Colombiens, notamment les plus pauvres (ceux-là, dans les zones rurales, ont plutôt eu tendance à faire confiance aux guérillas d’extrême-gauche, du moins tant que celles-ci n’ont pas été atteintes de dérives mafieuses responsables d’autant de crimes aveugles que les groupes « paramilitaires » liés aux grands propriétaires, et, dans les bidonvilles urbains, aux bandes de narcotrafiquants dont ils espèrent quelques miettes).

Le nouveau président était encore inconnu du grand public il y a un an. C’est l’homme d’Alvaro Uribe, président pendant près d’une décennie qui avait fait de la lutte sans merci (en couvrant les pires crimes) contre les guérillas d’extrême-gauche (son père avait été tué par les FARC) une affaire personnelle et qui s’était estimé trahi par son successeur, qu’il avait lui-même adoubé (il avait été ministre de la défense et avait participé de manière zélée  à la guerre anti-FARC), lorsque celui-ci changea totalement d’orientation dans son second mandat en signant la paix avec les FARC (ce qui lui avait valu le prix Nobel de la Paix, sur lequel il y aurait néanmoins beaucoup à dire) en 2016.

Les milieux les plus réactionnaires de Colombie avaient jugé cet accord de paix trop généreux avec les FARC (amnistie, transformation de la guérilla en parti politique) mais aussi, en le disant moins mais en le pensant très fort, trop généreux avec les paysans pauvres (auxquels une réforme agraire avait été promise), victimes de spoliations de terres, achetées à vil prix par de grands propriétaires en utilisant les intimidations (assorties d’assassinats pour les récalcitrants) des « paramilitaires », milices payées par les possédants et liées au pouvoir. L’ancien président Uribe avait mené la fronde contre l’accord de paix en remportant une première victoire en faisant rejeter l’accord de paix par référendum (à une courte majorité) et, maintenant, en faisant élire Ivan Duque.

Ce dernier, ami d’enfance d’Uribe, est un ancien de la Banque Mondiale qui avait participé dans les années 1990 aux privatisations très généreuses pour les entreprises étrangères (je l’ai moi-même constaté sur place en Colombie en m’intéressant aux activités de Véolia), assorties, comme on s’en doute, de pots de vins pour les hommes de pouvoir qui les ont favorisées. Plus récemment, il avait été élu sénateur sur une liste dirigée par Uribe.

Le nouveau président est lié, comme son mentor Uribe, aux grands propriétaires, aux milieux d’affaires et aux paramilitaires, en un mot à l’oligarchie qui dirige la Colombie depuis le 19ème siècle (et même avant si on remonte aux premiers « conquistadores »).

S’en échappera-t-il, comme Santos, en manant un jeu plus personnel ? Tout est possible dans ce pays. Je ne formulerai donc aucun pronostic.

2/ Cette victoire confirmée de l’oligarchie colombienne (la gauche n’y a jamais été au gouvernement) va dans le sens du retour de la droite dure au pouvoir dans la quasi-totalité des pays latino-américains.

Depuis le début des années 2000, la gauche avait marqué des points presque partout. Elle avait accédé au pouvoir dans la majorité des pays. Gauche révolutionnaire « bolivarienne » ou « sandiniste » au Venezuela, en Bolivie, en Equateur, en Uruguay ou au Nicaragua, gauche social-démocrate au Chili, gauche entre les deux  au Brésil, gauche de type péroniste en Argentine.

Partout, les droites oligarchiques, traditionnellement hégémoniques sur ce continent « champion » du monde des inégalités, qui avaient remportés des élections biaisées ou qui avaient été imposées par des coups d’état téléguidés par la CIA, et qui, sans doute pour remercier leurs protecteurs américains, avaient décidé des privatisations scandaleuses (le cas de l’Argentine ou de la Bolivie, où j’ai eu aussi l’occasion d’aller enquêter, est particulièrement édifiant), assorties de programmes économiques aussi irréalistes que dogmatiques (inspirés par l’ « école de Chicago », économistes ultra-capitalistes à la solde des banques), avaient été balayées par des élections pour une fois démocratiques. Là où la gauche ne l’avait pas emporté, elle avait failli le faire (au Mexique notamment). La Colombie était en fait l’exception qui confirmait la règle du passage de l’Amérique latine à la gauche au pouvoir, gauche, rappelons-le, pas révolutionnaire partout (Cuba redevenait fréquentable mais n’était pas forcément le modèle pour autant).

Ce fut la belle période où tous les espoirs furent permis : Lula au Brésil, les romantiques Chavez au Venezuela et Morales en Bolivie (je les ai personnellement connus tous les deux), l’un peu moins charismatique, mais respecté, Kirchner en Argentine, et tous les autres dont la liste serait trop longue. L’Amérique latine parlait alors quasiment d’une même voix et, dans les forums internationaux, d’égal à égal avec les Américains du Nord qui les avaient si longtemps exploités et humiliés.

Les prolétaires des « ranchos » (bidonvilles) de Caracas ou les indigènes de l’Altiplano avaient alors l’impression que, pour la première fois, leur sort misérable pouvait changer. Chavez ou Morales leur avaient rendu, tout simplement, la fierté (en même temps que le minimum vital). Ce dernier point me semble capital pour comprendre la psychologie des intéressés. Lula, par une politique jugée particulièrement habile par nos dirigeants et nos capitalistes, avait, en tirant profit des revenus générés par la hausse, très forte sur la période, des prix des matières premières, réussi à concilier les intérêts des pauvres (30 millions de personnes tirées de la pauvreté au Brésil) et des capitalistes, les anciens pauvres devenant de nouveaux consommateurs.

3/ Mais l’euphorie a cessé un peu après le début des années 2010 à la fois pour des raisons internes et externes.

Erreurs économiques (Chavez a beaucoup distribué mais sans chercher à produire autre chose que du pétrole), corruption endémique (un mal latino sous tous les régimes), infrastructures négligées (au Brésil notamment), absence de réformes de structures, se sont conjuguées au retournement de la conjoncture mondiale (la crise bancaire de 2008 s’est traduite par la récession, cause d’une demande plus faible d’énergie et de matières premières qui a fait chuté le prix du baril de pétrole, divisé par quatre, et de la plupart de ceux des minerais et produits agricoles qui avaient permis des excédents commerciaux confortables et attiré sur place les capitaux étrangers. Le cercle vertueux (excédents, afflux de capitaux, revenus accrus, marchés en expansion, nouveaux capitaux extérieurs) s’est alors transformé en cercle vicieux (déficits, fuite des capitaux extérieurs, repartis aussi vite qu’ils étaient venus, revenus en baisse, mécontentement social et contestation des pouvoirs de gauche, attisée par ceux qui, désormais, n’en voulaient plus parce qu’ils n’en avaient plus besoin).

Ce retournement s’est symboliquement matérialisé par le fiasco du « mondial » de football au Brésil (survenu deux ans avant la gabegie des JO de Rio)  en 2014. Je me suis trouvé au Brésil un peu avant ce « mondial » et j’ai décrit dans mon article du 22 mai 2014 (« Brésil, le mondial sous haute surveillance »), auquel je renvoie le lecteur, la lourde atmosphère qui pesait sur ce géant austral aux pieds d’argile. En résumé, infrastructures de transports mais aussi sportives, insuffisantes ou inexistantes, malfaçons, coûts envolés du fait de la corruption et tout cela dans un contexte de violence (30 000 morts violentes par an), d’inégalités sociales considérables et de mécontentement généralisé. Au Venezuela, c’était (c’est toujours) encore pire avec des caisses vides du fait de la chute des cours de pétrole (mais aussi de l’insuffisance de sa production car les investissements avaient été négligés), une inflation galopante et une population manquant désormais de tout.

4/ Aujourd’hui, c’est le reflux partout de la gauche latino-américaine.

Tout se conjugue : des gouvernements incompétents, corrompus, de plus en plus coupés de leurs peuples et leurs ennemis prêts à tout pour les éliminer.

Prêts à tout, cela signifie des campagnes électorales avec mobilisation massive de tous les moyens restés au service du capital (télévisions privées, presse, mobilisation de sommes considérables pour financer les publicités payantes à la TV pour les campagnes électorales, voire pour acheter les votes). Cela signifie aussi, la guerre économique. Au Venezuela par exemple. Mais cela signifie aussi, lorsque c’est nécessaire coup d’état : c’est ce qui s’est passé en Brésil avec la destitution scandaleuse de la présidente Dilma Roussef, accusée de « corruption » par des députés eux-mêmes plus que corrompus et, plus encore, par le procès fait à l’ancien président Lula, lui aussi accusé de corruption imaginaire et condamné à douze ans de prison afin de l’empêcher de se présenter à la prochaine élection présidentielle prévue à l’automne.

On n’en est pas encore au retour des bons vieux coups d’état militaires et des sanglantes dictatures des Pinochet et consorts. Mais ce n’est qu’une question de temps. Si c’est nécessaire, les sinistres képis étoilés seront bientôt de retour.

Les oligarchies ont en effet eu peur de perdre leurs revenus, leurs patrimoines et leurs pouvoirs. C’est d’ailleurs la grande faute de Lula de ne pas s’y être attaqué. Il a cru qu’en ménageant la propriété, il pourrait assurer la croissance économique et affecter une partie du surplus en l’affectant à la lutte contre la pauvreté, bref bien traiter à la fois les riches et les pauvres. Mais cela n’a eu qu’un temps.

Si des présidents de gauche ont pu s’installer provisoirement au pouvoir en utilisant la fenêtre d’opportunité pour le faire, cela semble maintenant terminé : l’oligarchie est de retour, elle ne reculera devant rien pour y rester et les Etats-Unis, qui ont laissé jouer un temps la démocratie parce que occupés ailleurs, sont désormais bien décidés à reprendre le contrôle de l’Amérique latine où leurs intérêts ont été entravés par les politiques protectionnistes adoptées partout mais aussi par des postures internationales moins serviles (par exemple cette sorte de nouvel axe politico-économique constitué par ce qu’on a appelé le groupe des « BRIC » (Brésil-Russie-Inde-Chine) qui s’est souvent opposé à Washington dans les forums internationaux (ce groupe est devenu le groupe de Shanghai – voir mon article du 11 juin : « l’axe Moscou-Pékin-Delhi se renforce » - mais Brasilia n’y est plus).

XXX

La crise de la gauche n’est pas seulement latino-américaine et la reprise en main par l’impérialisme (n’ayons pas peur des mots) américain ne se limite pas au « nouveau monde ». Ceux qui aspirent à un monde plus juste et plus solidaire et à la libre expression et administration des peuples (j’hésite à utiliser le mot « gauche », tant celui-ci a été dévoyé, notamment en France) doivent évidemment analyser sereinement les échecs et réfléchir aux voies et moyens à mettre en œuvre pour enfin se libérer de ce capitalisme mondialisé qui nous opprime et qui est en train de mener notre planète à sa perte.

Ceci est mon « appel du 18 juin ». Après la défaite, le redressement./.

Yves Barelli, 18 juin 2018                  

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8 avril 2018 7 08 /04 /avril /2018 16:02

Dans mon précédent article sur le Brésil (mis en ligne le 6 avril), j’ai dénoncé les manœuvres de l’oligarchie brésilienne qui ont abouti au coup d’état parlementaire, avec la destitution d’une présidente démocratiquement élue, et à la parodie de justice envers l’ex président Lula, condamné à douze ans de prison pour « corruption » (il aurait bénéficié d’un appartement mis à sa disposition dans des conditions peu claires), condamnation cocasse lorsque l’on sait le degré de corruption de la classe politique mais aussi de la justice brésiliennes, corruption pour des montants sans commune mesure avec l’appartement de Lula. Il y a en fait une dictature au Brésil au service de l’oligarchie (quelques grandes familles au pouvoir non seulement économique mais aussi politique, médiatique et judiciaire), la même qui autrefois prit la forme de la dictature militaire et qui, cette fois, s’habille d’une apparence de démocratie et d’état de droit, en fait son droit, en l’occurrence le contraire du droit. Cynisme et hypocrisie. J’ai également dénoncé la complicité des Etats-Unis et des autres « démocraties » au service du capitalisme mondialisé.

Je ne retire absolument rien à ce que j’ai écrit, à la différence près que je parlais des chances infimes de Lula de rester en liberté d’ici à l’élection présidentielle d’octobre prochain pour laquelle les sondages prédisent sa victoire, peut-être dès le premier tour. Le pouvoir n’a pas perdu de temps : Lula a été incarcéré dès hier.

Mais à la relecture de mon article, je m’aperçois qu’il y a un aspect de la situation brésilienne sur laquelle je n’ai pas assez insisté, celui de l’état d’esprit de la classe moyenne du pays. J’y reviens donc par souci d’objectivité, non pour atténuer ce que j’ai écrit (le scandale du déni de justice et la réalité d’une dictature cynique et hypocrite) mais pour l’expliquer en partie.

Qu’entend-on par « classe moyenne » (on devrait en fait parler plutôt de couches moyennes tant cette « classe » est une addition de situations diverses) ?

Ce sont des gens qui n’ont aucune fortune personnelle ni relations (ou très peu) dans les sphères du pouvoir, ce qui les différencie de l’oligarchie héréditaire (pour l’essentiel ; on peut faire fortune en partant de rien, mais, en dehors des romans à l’eau de rose construits pour donner l’illusion que chacun a sa chance, c’est rare). Ils se sont souvent sacrifiés pour envoyer leurs enfants dans de bonnes écoles (privées et payantes, seule solution pour échapper à la misère de l’enseignement public) et pour habiter des quartiers et lotissements plus sûrs que le commun (au Brésil, la délinquance est telle qu’il faut, si on veut vivre en sécurité minimale, habiter dans des lotissements sécurisés par de hautes clôtures et des gardiens 24h sur 24). Ayant fait des études, ils ont un travail aux salaires corrects (tout en restant modestes au regard des standards internationaux) comparés à ceux du bas de l’échelle, ce qui leur assure un certain confort (il est facile là-bas d’employer à bon compte une femme de ménage, voire un chauffeur privé et toutes sortes de services infiniment moins coûteux que dans les pays les plus développés), comme cadres moyens dans l’industrie ou le commerce ou comme fonctionnaires.

Je connais bien cette « classe » moyenne brésilienne car je suis souvent allé au Brésil ces dernières années et c’est parmi ses membres que, pour l’essentiel, j’ai vécu (plus qu’avec des familles plus hautes dans l’échelle sociale, familles que je connais aussi, notamment les diplomates de haut niveau). Je connais donc leur mode de vie, leurs problèmes et leurs aspirations.

S’agissant des facilités mentionnées plus haut dues à la main d’œuvre bon marché et aux « services » qui vont avec (ceux qui ont connu l’Espagne d’il y a trente ans ont expérimenté la même chose), cela rend la vie objectivement facile (je parle matériellement), d’autant qu’il y a un bon réseau commercial au Brésil et qu’on peut y acheter tout ce que l’on veut, avec néanmoins un bémol : la politique protectionniste (que je trouve bonne car elle assure des emplois sur place) entraine des prix relativement élevés pour les produits étrangers, importés, bien sûr, mais même ceux produits sur place : exprimé en pouvoir d’achat d’un cadre moyen du privé ou du public, une voiture, par exemple est beaucoup plus chère qu’en Europe ou en Amérique du Nord. Idem pour un ordinateur ou un I-phone.

Pourtant, au-delà du prix des voitures, les classes moyennes ont de sérieuses raisons de se plaindre et, ces derniers temps, leur situation s’est considérablement dégradée.

Il y a d’abord l’insécurité. Elle est une psychose au Brésil. La délinquance est considérable. Se faire voler n’est pas le pire : on risque souvent sa vie et j’ai personnellement entendu des tas de témoignages qui font froid dans le dos. A titre d’exemple, quelqu’un que je connais s’est fait agresser un soir alors qu’il circulait en voiture à la périphérie d’une grande ville du Nord-Est, pas spécialement dans un quartier « difficile » : il a été arraisonné par des individus qui l’ont forcé à descendre et ils sont partis avec sa voiture. Cette victime considère avoir eu beaucoup de chance car, souvent, on tue et on prend la voiture ensuite.

Le résultat est que beaucoup sortent la peur au ventre. On doit en permanence s’informer sur les endroits dangereux et ceux réputés à peu près sûrs. Les cartes routières indiquent par exemple les tronçons de route déconseillés, même de jour (la nuit, toutes les routes le sont). A Recife, le métro arrive à proximité de l’aéroport, mais personne ne le prend car le demi-kilomètre à faire à pied pour arriver à la station est trop dangereux. A Rio, le soir, on peut se promener le long de la plage de Copacabana. C’est très vivant, convivial et il y a beaucoup de restaurants. Mais il faut rester sur le trottoir, bien sécurisé par une police omniprésente. En revanche, il serait risqué de s’aventurer sur la plage elle-même (100 mètres de large) car il y a toujours des loubards qui rodent. D’une façon générale, au Brésil, il vaut mieux circuler en voiture qu’à pied et il faut toujours garder les vitres fermées, avec la clim, et les portières condamnées.

Il n’y a pas que l’insécurité, ce qui est pourtant déjà beaucoup. Depuis cinq ans, l’inflation a fortement augmenté. Elle « mange » une bonne partie de salaires, et plus encore des retraites, insuffisamment réajustés. De sorte que le niveau de vie de la classe moyenne a assez fortement baissé.

En outre, la fiscalité sur les revenus du travail est forte au Brésil alors que les revenus du capital y échappent presque complètement. Corruption + impôts injustes + inflation qui frappe essentiellement les salaires, on comprend que nombre de « classes moyennes » se sentent grugés. Tout ça pour ça ? Des sacrifices pour avoir une qualification ou pour la donner aux enfants et des rémunérations médiocres et en baisse réelle.

Venons-en aux conséquences politiques de cette situation. Les Brésiliens n’ont aucune confiance ni aucune considération pour leur classe politique. On pourrait penser que cela devrait se traduire par un rejet du système, en tout cas par une acrimonie envers l’oligarchie. C’est en partie vrai mais pas seulement. La lutte des classes existe. Mais c’est plutôt celle de la classe moyenne contre les classes populaires.

Lula est très populaire chez ceux du bas de l’échelle et dans une partie, une partie seulement, de la classe moyenne. Une autre partie, ou ne l’a jamais aimé, ou s’en est écartée depuis le début de la crise économique (2010). Quant à la présidente qui lui a succédé, c’est un rejet massif. On l’accuse en fait de tous les maux : inflation, insécurité, crise, corruption. Sa destitution n’a pas vraiment fait pleurer dans les chaumières des quartiers résidentiels même si, aujourd’hui, les récriminations envers son successeur (Temer l’usurpateur, jamais élu par personne) sont au moins aussi fortes.

Le sentiment courant dans cette « classe » moyenne est qu’elle travaille et elle paye à la fois pour l’oligarchie et pour des assistés qui ne le méritent pas.

Ce dernier sentiment est très fort. On assimile (ce qui n’est pas entièrement faux) délinquance et classe populaire, qu’on considère souvent comme facilement portée à la délinquance, l’oisiveté, la paresse et les combines de toutes sortes (y compris le trafic de drogue). Tant que la croissance était là, on n’a pas trop trouvé à redire aux largesses de Lula envers les pauvres. Maintenant qu’on a la crise, la classe moyenne, au pouvoir d’achat déjà très entamé, ne veut plus payer pour les « fainéants », les « délinquants » et ceux qui ne pensent qu’à « faire des gosses » au lieu de travailler.

Et puis il y a le non-dit. Les pauvres sont presque tous noirs et les classes moyennes surtout blanches (l’oligarchie aussi : au Brésil, environ 60% de Blancs, 20 à 30% de Noirs, le reste métis). Regardez à la télévision les quelques images de manifestations et contre-manifestations qui nous viennent du Brésil : les pro-Lula sont majoritairement foncés et les antis surtout clairs. On n’en parle pourtant jamais, mais tout le monde le sait et le voit.

La montée de cette réaction qu’on peut qualifier d’anti-pauvres est attisée par le jeu même pas subtil tant il est grossier, mais qui a une influence sur des gens pas nécessairement politisés, des médias. Il faut savoir que ces médias sont la propriété de capitalistes qui sont les porte-voix de l’oligarchie. Le groupe « Globo » a une position dominante à la télévision : 60% de part d’audience et 70% des recettes publicitaires (la pub est permanente et, pour moi, insupportable). Dans certains Etats, il est en quasi-monopole. Ne parlons même pas de ses programmes de divertissement, insipides pour un esprit normal, avec des « telenovelas » (séries) pas du tout neutres idéologiquement (le culte de l’argent, de la réussite, marquée par les grosses berlines et les maisons de « rêve », et de la beauté artificielle car trop fardée pour les femmes). Les informations, sous couvert, évidemment, d’objectivité (la dictature de l’oligarchie au pouvoir n’annonce jamais la couleur) ont « matraqué » le public depuis des mois sur les détournements dans l’entourage de Lula, sur le train de vie des députés du Parti des Travailleurs, sur l’ « incompétence » de Dilma Roussef (accusée, de plus, d’être favorable à l’avortement, toujours interdit au Brésil : l’ordre moral et une partie de la hiérarchie ecclésiastique sont appelés à la rescousse pour combattre la gauche).

Pour la presse écrite, c’est encore pire que la télévision. J’ai ainsi été abonné pendant deux ans à « Veja », hebdo qui s’adresse surtout aux cadres (le prix de la revue est relativement élevé, surtout si on considère que la pub occupe plus de place que les articles). Le contenu de l’hebdo est le prototype de ce qu’est une propagande de droite : au moins un article par semaine sur des « révélations » sur des affaires de corruption, toutes dans le camp Lula, mais aussi des articles faisant l’apologie du libre-échange économique (je me souviens d’un gros titre : « pourquoi vous payer votre I-phone deux fois plus cher qu’à New-York »), expliquant que le protectionnisme et l’étatisme sont responsables de la crise, démontant tous les exemples étrangers allant dans le même sens (Venezuela, Argentine, Equateur, etc).

Une mise en condition bien emballée. On a ainsi préparé le terrain pour le « ménage » : Dilma dans le cadre, évidemment, de la Constitution et de l’état de droit, et Lula, « justement » condamné par une justice « indépendante » (évidement !).

Si j’ai développé tout cela aujourd’hui, ce n’est ni pour condamner l’ « égoïsme » et l’aveuglement des classes moyennes, ni, encore moins, pour les justifier et même les excuser. Je veux seulement témoigner que la vie de ces classes moyennes n’est pas facile tous les jours. Ce ne sont pas des monstres « fascistes » mais ils ont leurs raisons que je n’approuve pas mais que je peux comprendre. Et quand on leur explique que leur ennemi, ce devrait être le système de l’oligarchie qui les utilise à leur insu, ils ont des difficultés à l’admettre. Il est si facile de condamner Dilma l’ « incompétente » et l’ « avorteuse », et Lula, « l’ami des délinquants et des fainéants », Lula le « corrompu ».

Heureusement qu’ils ne pensent pas tous comme cela. La preuve, ce sont les bons sondages pour Lula (qui ne sont pas dus au fait que les classes populaire seraient les plus nombreuses : le pays est devenu massivement un pays de classes moyennes). Mais beaucoup, trop, ont une vision assez primitive des choses.

Ma conclusion est une réflexion plus générale. Le sous-développement, ce n’est pas seulement un PIB par habitant relativement faible (le Brésil, pays « émergent », est dans une position moyenne mais il suffit de voir les ornières dans les trottoirs des rues et la défaillance des services publics pour constater qu’on est encore loin du développement), c’’est un ensemble de comportements. Le sous-développement, il est en fait dans les têtes. De ce point de vue, le Brésil est un pays sous-développé, même si la croissance économique de la précédente décennie a pu faire illusion.

Pays sous-développé, assurément. Pays antidémocratique aussi. Là aussi, les quelques années de ce qui avait l’apparence d’un « état de droit » ont pu faire illusion.

Un commentateur inspiré a pu dire il y a quelques années que la Brésil, c’est le pays du futur. Un futur radieux, peut-être. Mais, en attendant, un présent lamentable (au sens premier du terme : il y a de quoi se lamenter). Et ce futur, hélas, il est comme l’horizon : on croit s’en approcher, mais il s’éloigne toujours. Aujourd’hui, avec le retour d’une dictature cynique et hypocrite, plus que jamais./.

Yves Barelli, 8 avril 2018                                                                          

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6 avril 2018 5 06 /04 /avril /2018 00:43

Lorsqu’une dictature méprise le peuple et l’empêche de s’exprimer, c’est du cynisme. Lorsqu’une dictature se pare des habits de la démocratie mais continue à se comporter en dictature, elle ajoute l’hypocrisie au cynisme. C’est le cas du Brésil où, après avoir destitué par un coup de force parlementaire une présidente démocratiquement élue, l’oligarchie au pouvoir empêche l’ancien président Lula de se représenter en le faisant condamner à douze ans de prison sous une fallacieuse accusation de corruption qui prêterait à sourire, si ce n’était tragique, tant les accusateurs nagent dans la corruption. Après des décennies de dictature militaire sanguinaire, on pouvait espérer (en tout cas on en avait l’illusion) que le Brésil serait définitivement devenu un pays « normal ». Ce n’est pas le cas : le régime ancien est de retour, mêlant cynisme et hypocrisie. Ce n’est hélas pas un cas unique. Plus près de chez nous, d’autres exemples existent, en particulier l’Espagne, qui foule aux pieds les droits de l’homme les plus élémentaires (notamment le droit de choisir son destin et de l’exprimer, fut-ce en contradiction avec des lois et des constitutions liberticides) en Catalogne avec la complicité active de l’Union européenne, mais aussi la Corse (moins dramatique, pour le moment). Face à ces dénis de démocratie, où sont nos donneurs de leçons si prompts à dénoncer les « dérives » dès qu’il s’agit de la Russie, de la Pologne ou de la Hongrie (pour s’en tenir à l’Europe), nos défenseurs à géométrie variable des droits de l’homme ? Aux abonnés absents. Silence radio. Oui, vraiment, à tout prendre, je préfère encore une bonne vraie dictature à ces parodies de démocratie qui salissent les notions même de droits de l’homme et de démocratie. Je vis dans un pays qui se dit démocratique. Aujourd’hui, je n’en suis pas fier.

1/ La Cour Suprême du Brésil vient de confirmer la condamnation à douze ans de prison de l’ancien président Lula pour « corruption ». Ses recours étant quasiment épuisés, il est probable qu’il soit rapidement incarcéré. En tout cas à temps pour l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle d’octobre prochain pour laquelle les sondages le donnent gagnant peut-être dès le premier tour.

Le président Lula a exercé deux mandats entre 2003 et 2011. Ne pouvant briguer un troisième mandat consécutif, le Parti des Travailleurs de Lula a investi Dilma Rouseff, qui avait été ministre et chef de cabinet de Lula. Elue en 2010, elle a exercé un premier mandat de 2011 à 2014, et, réélue (de justesse), elle a entamé un second mandat avant d’être destituée par le parlement en 2016 pour « maquillage de comptes publics ». Après ce qui n’est qu’un coup d’état à apparence légale, elle a été remplacée par son vice-président, Michel Temer, qui appartient à un petit parti qui était allié au Parti des Travailleurs.

2/ Pour comprendre ce qui se passe au Brésil, il faut en rappeler le contexte. Ce géant austral (220 millions d’habitants, seize fois plus vaste que la France, huitième économie mondiale) est le pays le plus inégalitaire au monde avec des différences abyssales de revenus et surtout de patrimoines entre son oligarchie et son prolétariat (avec entre les deux une classe moyenne nombreuse). C’est aussi l’un des pays les plus violents de la planète (30 000 morts par homicide par an). La corruption de ses dirigeants est endémique et à un niveau qu’on a peine à imaginer en Europe. Celle des députés, des ministres, des juges et des plus hauts fonctionnaires est de notoriété publique. Elle explique par exemple les dérives et les malfaçons qui ont entouré les JO de Rio et le mondial de foot de 2014 (j’ai beaucoup écrit sur le Brésil dans ce blog ; je vous y renvoie). Il est évidemment cocasse de constater que la majorité absolue des députés qui ont voté la destitution de Rousseff sont fortement soupçonnés d’être corrompus et que plus que des soupçons de corruption pèsent sur celui qui a pris sa place. On peut sans doute en dire autant des juges qui ont condamné Lula.

Que l’entourage de Lula, peut-être lui-même, et de Roussef aient « touché », cela est probable. S’agissant de Lula, il a été au moins éclaboussé par le scandale de Petrobras, la grande compagnie brésilienne publique de pétrole au sein de laquelle il est avéré que des détournements massifs de fonds publics ont eu lieu. On n’a, semble-t-il, rien trouvé de plus à reprocher à Lula que d’avoir reçu un appartement de luxe à Rio : broutilles au regard d’autres détournements d’une tout autre ampleur.

Dans un pays lorsque la corruption atteint le niveau du Brésil, les corrompus et les corrupteurs sont évidemment coupables à titre personnel. Mais le plus coupable est certainement le système. Au Brésil, pour faire de la politique il faut beaucoup d’argent (il n’y a pas de financement public des partis et, comme aux Etats-Unis, les campagnes électorales se font à coup de publicités payantes sur les chaines de télévision). Rester « propre », c’est n’avoir aucune chance de faire de la politique dans ce pays. Tout le monde est donc, plus ou moins, « sale ». Lula comme les autres.

Il faut savoir aussi que le système politique brésilien, en grande partie calqué sur celui des Etats-Unis, mêle un président élu au suffrage universel qui dispose de pouvoirs importants mais qui doit en permanence composer avec un parlement formé de députés largement liés aux intérêts privés qui financent leurs campagnes électorales, équilibre des pouvoirs auquel s’ajoutent les pouvoirs des Etats fédérés (le Brésil est un Etat fédéral et la plus grande partie de la vie politique et de la vie tout court se passe au niveau de chaque Etat fédéré). Les députés (tant au niveau fédéral que dans les Etats) appartiennent souvent à des petits partis qui, de fait, se « vendent » au plus offrant. C’est notamment le cas du parti du président actuel qui, après avoir servi de force d’appoint à la présidente, a retourné sa veste et s’est allié avec la droite en réussissant un « beau coup » puisque Temer, quasiment inconnu auparavant, a réussi à vendre sa trahison contre le poste de président de la république, poste d’ailleurs sans pouvoir tant il est prisonnier de ceux qui l’ont fait roi.

3/ Comment et pourquoi le « coup d’état légal » et la condamnation de Lula ont-ils pu se faire?

Il faut remonter relativement loin dans l’histoire du Brésil pour le comprendre.

Depuis son indépendance (19ème siècle), le Brésil, comme le reste de l’Amérique latine, avait été gouverné par des représentants de l’oligarchie (l’oligarchie, c’est un ensemble de grandes familles qui possèdent l’essentiel de la richesse nationale et qui, au pouvoir économique, ajoutent celui de l’Etat (fédéral et fédérés), des médias mais aussi de la justice, de la police et de l’armée, ce qui lui assure impunité et, de fait, absence d’impôt, celui-ci frappant surtout les classes moyennes).

Dans les années 1960, le président João Goulart fit passer quelques timides lois sociales. On était aussi dans le contexte de la guerre froide et de la contagion dans le sous-continent des idées issues de la Révolution cubaine. C’est fut trop tant pour l’oligarchie que pour ses protecteurs américains. Comme en Argentine, au Chili ou en Uruguay (et quelques autre pays), l’armée, encouragée par les Etats-Unis, renversa le pouvoir civil par un coup d’état en 1964. Une dictature marquée par la violation massive des droits de l’homme et l’émigration de nombreux démocrates (au moins ceux qui n’avaient été assassinés), gouverna la Brésil de 1964 à 1985. Lula, syndicaliste, fut, entre autres, incarcéré et Dilma Rousseff en outre torturée.

Dans les années 1980, les temps avaient quelque peu changé. Le capitalisme international souhaitait offrir désormais un visage plus présentable. Ce fut le retour à la démocratie en Espagne, au Portugal, en Grèce et, un à un, dans les pays d’Amérique latine. Les militaires passèrent donc la main aux civils au Brésil. Des élections à peu près libres (sans être toutefois vraiment honnêtes tant l’argent et les médias restaient aux mains de l’oligarchie) purent à nouveau se dérouler. En 1989, première élection présidentielle au suffrage universel, Fernando Collor de Mello  fut élu, battant un jeune syndicaliste encore peu connu, un certain Luis Inacio Lula da Silva (qu’on appellera désormais simplement « Lula »). Collor fit ce qu’il put pour faire face à une situation économique catastrophique. Sans doute dérangea-t-il certains intérêts : il fut destitué en 1992 pour « corruption » (déjà!). Fernando Enrique Cardoso, qui avait été ministre des finances sous le pâle successeur de Collor, se fit élire en 1994 et réélire en 1998, les deux fois contre Lula. Son plan de lutte contre l’inflation avait eu un certain succès mais sous son deuxième mandat, la pauvreté des classes populaires empira encore et même les classes moyennes furent touchées.

Lula l’emporta finalement en 2002 à sa quatrième tentative. Ce n’est sans doute pas un hasard si la gauche réussit à gagner non seulement au Brésil mais dans la plupart des autres pays d’Amérique du Sud (notamment Chili, Uruguay, Bolivie, Venezuela). Après les attentats contre les tours jumelles de New-York, les Etats-Unis avaient désormais les yeux tournés ailleurs, en l’occurrence le Moyen-Orient et, le « danger » communiste ayant désormais disparu en Europe de l’Est, et Cuba étant très affaiblie, on se désintéressa à Washington de l’Amérique latine. Dès lors, la CIA ne recevait plus l’ordre de favoriser les dictatures et d’empêcher la gauche d’accéder au pouvoir.

4/ Le bilan de Lula et de Dilma est contrasté. A l’actif, à la fois de grandes avancées sociales et (sauf vers la fin) une vigoureuse croissance économique. Par ses lois sociales généreuses, Lula fit passer 30 millions de personnes de la pauvreté à la classe moyenne. Ces anciens pauvres (qui continuent à être des supporteurs inconditionnels de Lula) furent de nouveaux consommateurs et un cercle vertueux s’enclencha, favorisé de surcroit par la forte hausse des prix du pétrole et des denrées agricoles (la grande spécialité du Brésil) : plus de consommation, marché en expansion, afflux d’investissements étrangers (que le protectionnisme obligeait à produire sur place) et donc forte croissance : le Brésil devint le nouvel eldorado et, les profits y étant garantis et peu taxés, on peut comprendre que même l’oligarchie soutint Lula.

A son passif, pourtant : on n’a pas touché à la propriété et l’oligarchie resta maitresse de l’essentiel de la richesse et de l’économie. En outre, le début des années 2010 fut marqué par un retournement de la conjoncture internationale : les prix du baril de pétrole et de la plupart des produits agricoles exportés par le Brésil s’effondrèrent, l’inflation commença à miner les salaires (des plus pauvres, mais aussi des classes moyennes), de sorte que la consommation s’effondra. Conséquence : les capitaux étrangers sont repartis aussi vite qu’ils étaient venus, en route vers de nouveaux « eldorados ».

Dans n’importe quel pays, on peut supporter les maux endémiques lorsque la croissance est là. Dès qu’elle part, soudain, les maux sont insupportables. Au Brésil, ces maux s’appellent inégalités sociales, violence, corruption, magouilles permanentes d’une classe politique complètement coupée du peuple (d’autant plus que Brasilia est une capitale relativement petite et fermée, loin de la vie réelle), mais aussi infrastructures déficientes (peu de transports publics, routes dans un état lamentable, aéroports saturés, entre autres). Grèves, manifestations, mécontentement généralisé ont accompagné la récession et l’inflation, dans un contexte de violence des gangs de la drogue.

Je me suis trouvé au Brésil en 2014 un peu avant le « mondial » de foot. Le pays était en effervescence. Même la police fit grève pendant plusieurs jours (ce qui se traduisit par encore plus de crimes que d’habitude – dans une ville de « province » comme Recife, où je me trouvais, c’est en moyenne 50 morts violentes par week-end – et des commerces pillés). La construction des stades avait pris du retard et le coût des équipements s’était envolé du fait de la corruption. Pas étonnant que, bien que dans ce pays le foot soit roi, les gens aient eu d’autres préoccupations et que le mécontentement soit monté en flèche : j’ai ainsi constaté que les boutiques vendant des tenues sportives étaient délaissées par les supporters. Pas étonnant aussi que l’équipe du Brésil ait été « sortie » d’une façon humiliante sur son propre terrain dès les premiers tours de la compétition. Elle non plus n’était pas entrée dans le jeu.

Si on ajoute le fait que Dilma n’a jamais eu le charisme de Lula, on comprend qu’elle ait fait l’objet d’un rejet massif. En 2014, elle ne fut réélue de justesse que parce que littéralement portée à bout de bras par Lula.

A nouveau, le balancier avait tourné en Amérique latine. Le pouvoir chaviste était mal en point au Venezuela, miné par un prix du baril au plus bas. En Argentine, la gauche, elle aussi embourbée dans des affaires de corruption et de népotisme, fut elle aussi malmenée.

Pour l’oligarchie brésilienne (et ses sœurs latino), le « lulisme » avait fait son temps. On s’en était accommodé tant que la croissance garantissait les profits (même s’il fallait payer un peu plus les ouvriers ; mais, au moins, consommaient-ils). Sans croissance, Dilma était un poids mort. On a donc inventé cette histoire de « comptes publics trafiqués » (même s’il y avait une part de vrai) pour la virer.

Quant à Lula, il restait dangereux. Alors, on a employé les grands moyens : 9 ans de prison, augmentés à 12 ans et 1 mois en appel et confirmation par la Cour Suprême. Et, bien entendu, on ressort la fable de la justice « indépendante ». Indépendante du pouvoir politique sans doute. Mais pas de l’oligarchie (dont dépend aussi le pouvoir politique, Lula n’ayant été qu’une parenthèse).

L’affaire n’est pas tout à fait terminée. Mais les chances que Lula soit remis en liberté et puisse se présenter à l’élection d’octobre prochain sont infimes (pas nulles : il y a parfois de bonnes surprises dues au hasard, à des fautes d’inattention ou, plus vraisemblablement, à des dissensions au sein même de l’oligarchie ; mais, en l’occurrence, c’est peu probable car Lula, pauvre au départ et président des pauvres, a accumulé un maximum de haine chez les possédants).

Ma conclusion est double.

D’abord la tristesse. Il y a des pays et des peuples qui semblent condamnés à un certain déterminisme. Le Brésil sera-t-il (et je pense la même chose pour un autre pays plus proche, l’Espagne) un jour une véritable démocratie, pas seulement dans ses institutions mais aussi et surtout dans la tête des gens, et en particulier chez les plus riches qui s’arc-boutent sur leur richesse par un égoïsme d’autant plus navrant qu’en partageant un peu ils seraient à peine moins riches, et qui sont prêts à tout dès qu’ils sentent leurs privilèges menacés ?

Je n’ai pas la réponse. Je me contente de déplorer ce qui s’y passe.

Mon second sentiment est d’être scandalisé par l’hypocrisie de nos dirigeants et de nos médias. A titre d’illustration, je viens de voir un sujet au JT de France 2 ce soir sur la Hongrie, qui s’apprête à voter dimanche en reconduisant probablement la majorité « populiste » de  Victor Orban, évidemment accusés de tous les maux habituels du « populisme » : information dirigée, opposition muselée, chasse aux migrants, etc. On a eu droit à peu près aux mêmes commentaires sur Poutine. Et je ne parle même pas de la Syrie (dont l’armée et celle de Poutine « massacrent » des civils, alors que, c’est bien connu, nos avions et ceux des Américains devaient probablement lancer des roses sur Mossoul et sur Raqqa).

En revanche, sur le scandale de la dictature qui revient au grand galop au Brésil, rien. Pas un commentaire négatif, ni des médias, ni des gouvernements occidentaux. Et sur le président démocratiquement élu en Catalogne, Carles Puigdemont, obligé de fuir son propre pays et arrêté comme un voleur en Allemagne et menacé d’être livré aux néo-fascistes de Madrid ? Rien non plus.

Et on pourrait citer d’autres exemples.

Oui, une dictature qui s’assume, c’est cynique. Une dictature qui se déguise en démocratie, c’est non seulement cynique mais hypocrite.

Et un pays comme le nôtre (je parle de la France, mais je pourrais dire la même chose pour l’Allemagne et quelques autres pays) qui en est le complice, c’est plus que cynique et hypocrite, c’est abject.

Yves Barelli, 5 avril 2018                                                   

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1 septembre 2017 5 01 /09 /septembre /2017 19:00

 

J’ai visité le célèbre site du Machu Picchu, dans les Andes péruviennes, il y a quelques années. Après avoir séjourné à Lima, je m’étais rendu en avion à Cusco, l’ancienne capitale des Incas, magnifique ville qui mérite un voyage à elle seule. C’est de là qu’on va au Machu Picchu. Voici mon journal de voyage.   

 

J’avais réservé par l’intermédiaire de l’ambassade [de France à Lima] et de l’Alliance Française [de Cusco] une excursion au Machu Picchu. Prix 130 $. C’est pas donné, mais il faut bien vivre ! Le tourisme est la seule ressource de Cusco. Ce forfait comprend l’entrée au site (prix sur place 10$), le train pour aller au pied du site (120 km de Cusco) et le car pour monter de la gare au Machu Picchu (2x6$ sur place), plus une voiture pour m’accompagner à la gare et venir m’y reprendre. Ça fait donc assez cher du train qui est d’un bon rapport pour ceux qui l’exploitent car c’est la ligne la plus fréquentée du Pérou.

 

Le train du Machu Picchu : 4 heures pour 120 km

 

On vient me chercher à l’hôtel à 5h45 du matin. Le train part à 6h15. C’est bien organisé. J’ai le numéro de mon wagon et de mon siège. En face du wagon, sur le quai, des pancartes portent le numéro de la voiture. On ne peut pas se tromper. Que des touristes dans le train (pour les autochtones, il y a des trains un peu moins rapides et sans doute moins confortables, mais certainement infiniment moins chers). C’est paraît-il la « basse saison », car c’est une période où il peut pleuvoir (été austral). Pourtant, le train est complet. Les sièges, disposés, quatre par quatre, ne sont pas de reste larges. Les wagons semblent tout droit sortir d’un musée. Ce train a du être moderne en 1940. Ça ne va pas être une partie de plaisir. La durée du trajet est d’un peu plus de quatre heures. Pour faire 120 km, ça ne fait pas une grosse moyenne. En face de moi et à côté un couple de deux Brésiliens accompagnés d’un enfant. Pas spécialement des faméliques des « favelas » : la femme est obèse et son fils pareil ; seul l’homme est un peu plus normal. Mais cela est rien : ces braves gens ne vont pas s’arrêter de parler pendant tout le voyage. Arrivé à destination, j’avais, comme on dit, la tête comme un tambour. L‘enfant devait être habitué à cette logorrhée verbale de ses parents, il a préféré dormir pendant tout le voyage. Heureusement que je suis assis à la fenêtre. Je vais pouvoir essayer de m’échapper un peu de leur verbiage en regardant le paysage.

 

Nous quittons la gare à vitesse réduite. On monte tout de suite sur les hauteurs qui entourent Cusco, nous élevant péniblement vers un col situé à plus de 3 600 m d’altitude, avant une longue et progressive descente jusqu’à notre destination.

 

La petite voie ferrée que nous empruntons traverse des quartiers populaires situés sur les hauteurs. On est à quelques mètres des maisons. On croise quelques rues et on longe des épiceries et autres petits commerces. Des gens marchent le long de la voie et nous saluent. Pas mal de chiens assis ou couchés.

 

Les ingénieurs qui ont construit la voie ferrée ont résolu le problème de la pente en organisant, à trois reprises, des va et viens. Le train passe un aiguillage, s’arrête un peu plus loin, puis part à reculons pour bifurquer vers le haut. Au bout de quelques km, il effectue la manœuvre inverse pour se remettre dans le bon sens. Tout cela, on s’en doute, n’est pas rapide. On a largement le temps d’admirer la belle vue sur Cusco dont on aperçoit, comme en avion, mais plus longtemps, la Place d’Armes et ses églises qui en émergent. 

 

On finit par passer le col. On est définitivement sorti de l’agglomération cusqueña. On traverse désormais la campagne, parfois verdoyante, d’autres fois un peu plus pelée. On traverse des villages à grands coups de sifflets pour prévenir les habitants. Dans l’un d’eux un marché indien est visible sur notre droite ; les femmes sont en costume typique et elles portent de longues tresses. Les animaux sont assez nombreux : ânes, vaches, chèvres, animaux de basse-cour, gros cochons aussi, noirs ou bruns. En revanche, quasiment pas de lamas. Coïncidence ou réalité représentative, dans mes trois voyages récents effectués en Equateur, en Bolivie et au Pérou, j’ai vu très peu de lamas. Habitent-ils des zones où je ne suis pas allé ou, tout simplement et plus probablement, tendent-ils à disparaître du paysage, remplacés par des animaux plus pratiques tels les ânes ? Moi qui pensait en voir de partout, j’ai été étonné, et même déçu.

 

En descendant la montagne, on atteint, après avoir effectué un dernier va et vient, le fond d’une vallée. On ne va plus quitter la rive d’une rivière qui, de kilomètre en kilomètre, est de plus en plus large et impétueuse. C’est le rio Urumbamba, déjà si puissant alors qu’il n’est qu’un petit affluent qui va se jeter une centaine de kilomètres plus loin dans une rivière plus forte encore, elle-même obscur affluent d’un affluent du rio Marañon, l’une de ces rivières-fleuves qui alimentent l’Amazone dans le Nord-Est du Pérou, encore à 5 000 km de l’océan Atlantique. On dit que les petits ruisseaux forment les grands fleuves. En l’occurrence, il y a des centaines de rios Urumbamba, des centaines de ces grosses rivières qui  en d’autres terres seraient des fleuves, qui vont alimenter le macro-fleuve géant. Je n’ai encore jamais vu l’Amazone, mais je l’imagine. L’été dernier, je suis allé sur l’Orénoque, au Vénézuéla. Son cours est un Amazone en taille réduite. A 500 km de son embouchure, l’Orénoque a 7 km de large et le car-ferry qui le traverse a besoin d’une demi-heure pour atteindre péniblement l’autre rive. Alors, j’imagine l’Amazone ! [Depuis la rédaction de ce texte, je suis allé en Amazonie et ai navigué sur le fleuve : impressionnant, en effet, une véritable mer intérieure]

 

Cette puissante rivière que nous longeons se creuse une vallée de plus en plus profonde entre les montagnes abruptes. Par endroits, on en aperçoit des sommets lointains enneigés. Lorsque le soleil perce, cette neige étincelle d’une lumière vive qui contraste avec les pentes sombres qui plongent parfois en à pics sur la rivière.

 

La place entre la rivière et les falaises qui la bordent est si étroite que la voie ferrée y semble accrochée. Elle perce les parties les plus resserrées par des tunnels. Ce pauvre train tangue de virage en virage. On a parfois l’impression qu’il est prêt à tomber dans le vide.

 

Il n’y a pas d’autre possibilité pour aller au Machu Picchu que ce tortillard. Ce site se mérite ! On pourrait gagner une heure en se rendant par la route, et ensuite une mauvaise piste, jusqu’à la moitié du trajet, mais ensuite, il n’y a que ce train. Autrefois, on pouvait aller jusqu’au pied du site en hélicoptère, mais le service a été interrompu il y a quatre ans.

 

On arrive enfin à la gare d’Aguas Calientes vers 11h20. On descend du train et on fait cinq cent mètres à pied jusqu’à la station des cars. On ne peut pas se tromper. Tous les touristes sont à la queue leu le. Il n’y a qu’à les suivre.

 

Une montée vertigineuse

 

Les cars sont les uns derrière les autres. On n’attend pas. Sitôt sorti du village, on attaque une route non revêtue où seuls passent les cars. Les virages en épingle à cheveu vont se succéder sur la dizaine de kilomètres de la montée. On est au dessus du vide. Il n’y a pas de barrières de sécurité. Ceux qui croient en Vichnou prient ; ils seront peut-être réincarnés en lamas ou en Incas. Pour les autres, ou on ferme les yeux ou on fait confiance au conducteur, en espérant qu’il n’a pas abusé à midi de « pisco » cet alcool local. En espérant aussi que les véhicules sont en bon état et qu’un pneu ne va pas éclater, ce qui nous enverrait à coup sûr quelques centaines de mètres plus bas. En bas, on voit le village de plus en plus petit, ainsi que la rivière puissante longée tout à l’heure et qui, maintenant, a l’allure d’un mince filet d’eau. Et tout autour, des montagnes avec des falaises vertigineuses. En pays tropical, l’érosion taille souvent des cônes abrupts, style le Pain de Sucre de Rio. Nous sommes entourés de plusieurs « pains de sucre » recouverts d’une abondante végétation vert foncé. C’est impressionnant. On a l’impression d’être loin de tout, en un lieu étrange, étrangeté encore accrue par tout ce qu’on a pu lire auparavant sur le Machu Picchu, lieu magique emprunt de mystère.

 

Aguas Calientes est à 2 050 mètres d’altitude. Le Machu Picchu à 2 800 mètres. La différence est ce que nous venons de monter à flanc de coteau.

 

Dans un dernier virage, on aperçoit enfin le site tant attendu.

 

Il y a des lieux dans le monde où je rêve d’aller depuis que je suis enfant, depuis que je sais qu’ils existent. Lorsque j’étais au cours préparatoire, on m’appelait déjà « le géographe ». Je connaissais toutes les capitales du monde, il est vrai moins nombreuses qu’aujourd’hui. Je n’ignorais rien de « nos » colonies, y compris celle que j’appelais « madame Gaspard » (Madagascar). Parmi les « prix » de géographie que j’avais reçus, je me souviens que l’un décrivait la « mystérieuse île de Pâques ». Je l’ai visitée en 1991. Un autre décrivait les « chemins inca »  de la cordillère des Andes. Il y a longtemps que le Machu Picchu me fascinait. Il y a longtemps que je voulais y aller. J’y suis enfin ! 

 

Machu Picchu fascinant et mystérieux

 

Le Machu Picchu, autrement dit la « vieille montagne » en quechua, est un site exceptionnel. Les ruines, étendues sur un kilomètre de long et cent à deux cent mètres de large, se visitent assez vite. On y voit de remarquables illustrations de l’architecture inca. Les murs sont  constitués de grosses pierres, en général de 30 à 40 cm de large, qui sont si bien taillées et polies, si bien ajustées, qu’on serait bien en peine d’y découvrir le moindre interstice. Tout cela, rappelons-le, sans ciment ni mortier.

 

Mais les ruines ne sont pas le plus intéressant. Ce qui est fascinant, c’est le site grandiose et ce que représente cette ancienne cité.

 

Sitôt entré dans le site, je prends un sentier escarpé qui m’éloigne un peu des troupeaux de touristes et qui me permet de grimper de 100 à 200 mètres au dessus des ruines. J’arrive en fait au débouché d’un sentier appelé « chemin inca » qui fut longtemps le seul lien de la cité avec le reste du monde. Cette ascension essouffle vite car à presque 3 000 mètres d’altitude, l’oxygène est déjà rare. Il faut savoir s’arrêter et récupérer, sinon c’est l’asphyxie assurée.

 

De mon perchoir, le plus haut du site, je domine l’ensemble de Machu Picchu et son environnement. C’est fantastique. A mes pieds, la cité, étirée en longueur entre deux montagnes, celle où je me trouve, et un énorme pain de sucre qui figure sur toutes les photos du site. J’en fais moi aussi, même si c’est pas très original. On se dit toujours que la sienne sera la meilleure. Sur la droite et sur la gauche, des à pics vertigineux de près de 1 000 mètres, avec la rivière décrite plus haut, la même de part et d’autre, car elle contourne aussi le pain de sucre.                

 

Je reste ainsi un bon moment à contempler ce site grandiose. J’essaie d’imaginer comment c’était « avant ». Je rêve aussi aux sensations que je ressentirais si je me trouvais là tout seul, sans ces hordes de visiteurs contre lesquels je n’ai rien à reprocher de particulier si ce n’est de se trouver ici en même temps que moi. Je les vois, en bas, comme des fourmis processionnaires qui porteraient des appareils photos à la place de mies de pains. Mais comment fera-t-on dans vingt ans quand des dizaines de millions de Chinois et d’Indiens viendront visiter le monde (ils commencent déjà). Devra-t-on acheter le billet d’entrée aux pyramides de Gizeh, au Colisée et au Machu Picchu vingt ans à l’avance ? Ou, une fois de plus, fera-t-on une sélection par l’argent avec l’entrée au Louvres au prix d’un repas chez Maxim’s ? A moins que, comme pour les grottes de Lascaux, on ne réserve ces sites à quelques spécialistes, le commun des mortels se contentant de reproductions grandeur nature. Je ne sais, mais sans doute faudrait-t-il commencer à y penser.

 

Un air de mystère se dégage de ce lieu. Je pense, en m’en imprégnant, à Montségur et aux Cathares. Les derniers Incas n’y ont pas été brûlés comme les derniers « parfaits », mais ils ont, eux-aussi, irrémédiablement disparus. Leur âme doit hanter ces ruines la nuit, une fois les derniers touristes partis, ils doivent pleurer sur un monde perdu à jamais. Ils peuvent pleurer sur tous les génocides culturels perpétrés de par ce monde. Et je ne peux m’empêcher, parce que ce lieu me fait penser à Montségur, de rêver à ce qu’aurait pu devenir l’Occitanie si les croisés du pape et du roi ne l’avaient anéantie au 13ème siècle, deux siècles avant l’assassinat du dernier Inca. L’inquisition fut inventée pour juger les Cathares (et ceux qui ne l’étaient pas, mais qui auraient pu l’être, suivant en cela les tristes paroles de Simon de Montfort lorsqu’il mit Béziers à sac: « tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »). Elle servit ensuite en Espagne pour éradiquer l’islam et le judaïsme. On lui fit ensuite traverser l’Atlantique et sévit dans toute l’Amérique. Autre point commun entre Machu Picchu et Montségur.

 

Comme pour Montségur et les Cathares, toutes sortes d’histoires ont circulé sur le Machu Picchu. De fait, le mystère reste entier, porte ouverte à toutes les suppositions, même les plus fantaisistes. On y a vu un point d’arrivée d’extraterrestres. On a spéculé sur les formes des constructions et de la montagne qui pourraient avoir des significations ésotériques.

 

Mais qu’était en réalité Machu Picchu ? Probablement une cité funéraire et un lieu de culte. Peut-être aussi, un point d’observation astronomique, fonction d’ailleurs étroitement associée chez les précolombiens au culte du Soleil et de la Lune. Mais dans ce monde sans écriture, rien ne permet de savoir exactement à quoi servait ce site.

 

L’aspect mystérieux est renforcé par le fait que le Machu Picchu avait probablement été abandonné avant la conquête des Espagnols. Ces derniers n’y sont jamais allés et, semble-t-il, n’en soupçonnèrent même pas l’existence. Le site a, en fait, été découvert par hasard par un Américain, Hiram Bingham, en 1911. Il mit plusieurs années avant de le dégager d’une abondante végétation (que l’on ne soupçonne absolument pas aujourd’hui) et il faudra attendre encore longtemps avant que le site ne soit rendu accessible par la construction de la voie ferrée (je n’ai pas l’année de sa construction) et de la route depuis Aguas Calientes. L’existence de ces ruines était connue depuis toujours par les paysans de la région, mais ils n’en avaient pas parlé, et d’ailleurs personne ne leur avait jamais rien demandé. De telles cachotteries ne sont pas si rares. Des chercheurs qui s’intéressent au domaine occitan ont découvert que des histoires cathares se racontent encore dans certains coins de l’Ariège sept siècles après la fin des « Albigeois ». Des chansons, qui font partie du folklore local, comme « lo boier vèn de laurar» (le bouvier vient de labourer) ont un sens caché grâce à des mots à double sens. On peut imaginer qu’il en va de même dans la région de Cusco. Cette recherche dans le folklore local est une piste que je suggère aux étudiants quechuaphones de l’université de Cusco. Je ne serais pas étonné que par ce biais on perce quelques mystères du Machu Picchu.

 

Mais le Machu Picchu n’est pas un cas unique chez les Incas, comme Montségur n’était pas la seule forteresse cathare. On a découvert dans les environs d’autres sites plus ou moins comparables. L’employée de l’agence de voyage qui m’a vendu l’excursion et qui est venue me rechercher le soir au train m’a dit qu’elle avait récemment fait une expédition de plusieurs jours jusqu’à un site grandiose complètement isolé dans la montagne et découvert il y a peu. Elle m’a dit avoir eu l’émotion de sa vie en contemplant ce lieu aussi mystérieux et plus sauvage encore que le Machu Picchu. Voici la solution pour les dizaines de millions de futurs touristes chinois : leur proposer dix Machu Picchu.

 

Le début de ma visite était sous le signe du beau temps, avec même un beau soleil. Mais, en montagne, le temps peut changer rapidement. Au bout d’une heure, le ciel s’assombrit et la pluie se mit à tomber. J’ai terminé la visite sous une pluie battante. J’avais heureusement pensé à emporter un parapluie. J’ai pourtant dû m’abriter sous une ruine au plus fort de l’orage.

 

Retour à Cusco

 

Vers 14 heures, je décide de redescendre. J’ai encore le temps, mon train n’est qu’à 16h30. mais j’ai vu l’essentiel. Faire la queue leu le derrière les touristes n’est déjà pas drôle. Le faire sous les parapluies et au milieu des flaques l’est moins encore. Je reprends un car qui me redescend dans la vallée. Le temps de trajet est d’environ une demi-heure.

 

En bas, le soleil ressort.  Je passe les deux heures qui me restent à manger un morceau dans un restaurant, puis à déambuler au milieu des boutiques de souvenirs d’Aguas Calientes. Je commence à être blasé. Le Pérou ressemble à la Bolivie et, par rapport à l’Equateur, c’est du pareil au même. Il y a beaucoup de choses, mais rien d’original et, quand il s’agit d’acheter des souvenirs, je ne suis jamais très fort. Entre la pacotille et la qualité, je fais rarement la différence. Alors, je n’achète rien. J’ai besoin de rien. Je n’aime pas acheter à Paris. Pourquoi serait-ce différent au Pérou ?

 

Je reprends le train à 16h30. Aussi bourré qu’à l’aller. Je revois sur le quai mes Brésiliens. Je crains que nous n’ayons les mêmes places qu’à l’aller. Heureusement que nous montons dans des wagons différents. Le mien est cette fois quasiment plein de Coréens. En face de moi, l’un d’eux se met, sans que je lui demande rien, à me poser des questions ; « Do you speak English ? – yes, I do », « Where are you from ? ». Moi, j’ai vraiment envie de parler avec personne ; je suis encore dans le mystère du site et dans mon rêve irréalisable d’y être seul. Alors, ses questions, qui ressemblent à un interrogatoire de police, m’énervent et je lui réponds : « I’m a citizen of the World » et me replonge dans mon guide touristique. Il me fichera ensuite la paix.

 

Divine surprise. Dans une gare intermédiaire (il y en a deux), l’ensemble du groupe coréen descend. Pour les trois heures qui restent, nous ne serons plus qu’une dizaine de personnes dans le wagon. Ça change tout. En avion pareil. Plein c’est un supplice, aux trois-quarts vide ça devient le bonheur. Le train mène son allure de sénateur pépère au bord des flots impétueux de la rivière qu’on voit de moins en moins parce qu’il commence à faire nuit, petite allure rythmée de grands coups de sifflets lorsqu’on traverse des villages. Je traverse ce Pérou profond issu du fond des âges, terre des Incas et des Conquistadores, terre aussi, il n’y a pas si longtemps, du « Sentier Lumineux », ce groupe terroriste maoïste qui a dénaturé par sa violence stupide une cause qui aurait pu être juste, terre de contrastes et d’espoirs déçus, terre aussi d’espérance, peut-être, en un avenir meilleur.

 

Les derniers zigzags de ce petit train me donnent une magnifique vue nocturne sur les lumières de Cusco et de sa cathédrale. J’y parviens à 21 heures. On m’amène à l’hôtel. Je suis plutôt fatigué, mais satisfait. J’ai vu le Machu Picchu. C’est un peu long pour y aller. C’est fait, c’est plus à faire. Reste le souvenir que ce récit m’aidera à conserver vivant dans ma tête.

 

Yves Barelli, janvier 2005

 

Mis en ligne sur mon blog le 1er septembre 2017

 

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30 juillet 2017 7 30 /07 /juillet /2017 23:29

Les Vénézuéliens étaient appelés aux urnes ce dimanche 30 juillet pour désigner une Assemblée Constituante, chargée, en proposant une nouvelle Constitution (qui devra être ratifiée par le peuple), de sortir le pays de l’impasse dans laquelle il est enfermé compte tenue de la difficulté d’établir un dialogue entre gouvernement et opposition. On a encore peu d’informations sur le taux de participation et sans doute n’en aura-t-on jamais de fiables tant le cynisme du pouvoir n’a d’égal que la mauvaise foi de l’opposition.

J’ai passé plusieurs mois dans ce pays, en mission diplomatique, il y a une dizaine d’années. Cela me permet de le connaitre plutôt bien, une ambassade étant un excellent poste d‘observation. Mais au cours des dernières années, beaucoup de choses se sont passées, Hugo Chavez, l’un des personnages les plus charismatiques et les plus visionnaires qu’il m’ait été donné de côtoyer, est mort d’un cancer en 2013, son successeur n’a pas la même aura et surtout le pays a sombré dans le chaos du fait que le prix du baril de pétrole (sa mono-activité) s’est effondré et que le Venezuela paye aujourd’hui au prix fort à la fois ses problèmes structurels (des inégalités considérables, même si Chavez les a réduites, l’égoïsme des riches, l’absence généralisée d’esprit démocratique - Chavez était une exception - et de consensus, un taux de délinquance effrayant (16 000 morts violentes par an) que le président défunt n’a pas, ou seulement partiellement, résolu et une erreur stratégique affligeante (l’économie n’était pas le fort de Chavez et la population s’était habituée à l’assistanat sans chercher à s’en sortir par elle-même) : croire que la manne d’un pétrole à 100$ le baril serait éternelle et permettrait (ce qu’elle fit un certain temps) de financer à fonds perdus de magnifiques programmes sociaux.

Aujourd’hui, je veux être prudent dans mon appréciation (c’est pourquoi je n’avais plus rien écrit sur le Venezuela dans ce blog depuis longtemps). J’aurais tendance à renvoyer dos à dos un pouvoir qui s’accroche dans ses certitudes et sa défense sans imagination des « acquis » du chavisme, et une opposition (d’ailleurs divisée) dont une bonne partie n’a jamais renoncé à son comportement de type fasciste et à sa défense égoïste de ses intérêts de classe. Comme la plupart de nos médias donnent, par ignorance ou pour plaire à leurs propriétaires, systématiquement raison aux forces les plus réactionnaires, je vais tenter de rétablir l’équilibre.

1/ Hugo Chavez est décédé en 2013. Il avait présidé le pays depuis 1999. Je l’ai connu personnellement (voir mes articles sur ce blog : « Hugo Chavez, une vie au service du peuple et de la dignité », 6 mars 2013, et « Chavez, héros et fierté de l’Amérique latine », 9 mars 2013) : il avait quatre qualités qui ont conquis ses compatriotes (du moins la majorité ; pour d’autres, la haine envers sa personne était aussi forte que l’amour chez les premiers) : c’était un autodidacte, un grand patriote, un visionnaire et il était honnête (qualité exceptionnelle en Amérique latine). De plus, c’était un démocrate : il a remporté une dizaine d’élections en quatorze ans, dont, un « référendum révocatoire », disposition qu’il avait tenu à ajouter dans la Constitution. J’étais à Caracas lorsque le scrutin a eu lieu, à l’initiative d’une opposition « bête et méchante », obstinée à en découdre tant sa haine des pauvres était grande (en employant ce mot « haine », je suis encore en dessous de la vérité. Une illustration pour décrire l’ambiance, le titre d’un journal de droite appartenant à un riche propriétaire, à propos de Chavez, étalé à la une : « tuez-le ! »). Lorsque certains de nos médias ont traité Chavez de « dictateur » et de « populiste » (pour eux être pour le peuple est une tare), je ne puis qu’être scandalisé. Imaginez un journal français appeler au meurtre du président et imaginez, en sens inverse, que nos dirigeants de la 5ème République se soumettent à un référendum révocatoire ! Sarkozy et Hollande n’auraient pas tenu deux ans.

2/ Mais Chavez, c’est le passé. Son successeur, Nicolas Maduro, est loin d’avoir les mêmes qualités. Le prix du baril est au plus bas et les programmes sociaux (« las misiones ») coûtent toujours aussi cher. Ils ne sont plus finançables, ce qui s’explique aisément quand on sait que le pétrole représente 95% des exportations, 25% du PIB et plus de la moitié des recettes budgétaires. Le pays vivait dans l’illusion d’une manne tombée du ciel (Chavez était croyant, en Dieu et dans le Venezuela ; sans doute pensait-il que le pétrole, était un don du ciel). Lorsque j’étais à Caracas, je faisais le plein d’essence pour ma voiture avec 2€ (oui, deux euros !). Et pour continuer à financer, on a fait marcher la planche à billets. Aujourd’hui, l’inflation est galopante, le bolivar se négocie pour presque rien au marché noir face au dollar (qui tend à devenir la véritable monnaie usuelle, établissant une incroyable inégalité entre ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas), le pays n’a plus les moyens d’importer (c’est-à-dire presque tout : dans ce vaste pays bien arrosé, l’agriculture est presque inexistante) et les pénuries de presque tout (y compris, hélas, des médicaments pour les hôpitaux) se sont installées. On gère la pénurie par des décisions hasardeuses prises par des incompétents et des corrompus (parfois les deux en même temps).

En décembre 2015, Maduro a perdu la majorité au parlement, désormais dominé par la « Mesa de Unidad Democratica » - « table d’unité démocratique » - , conglomérat sans unité et sans autre programme que le retour à l’avant-Chavez, « heureux» temps où les riches pouvaient tranquillement consommer dans les quartiers résidentiels ou aller s’aérer à Miami, pendant que les pauvres croupissaient dans leurs « rachos » de la partie ouest de la ville (où ceux de l’Est ne mettaient jamais les pieds, et réciproquement).

Poussant son avantage, l’opposition a tenté de lancer un nouveau référendum révocatoire (il faut recueillir un nombre donné de signatures). Mais Maduro n’est pas du genre, comme Chavez, à se plier au verdict d’un scrutin aléatoire. Il a donc trouvé tous les prétextes pour renvoyer à plus tard la consultation. Il a même trouvé une astuce pour la remplacer par un scrutin à première vue plus facile à gagner : l’élection d’une assemblée constituante (scrutin d’aujourd’hui) avec représentation directe et socio-professionnelle. On peut imaginer que les chavistes y auront la part belle. Elle sera d’ailleurs d’autant plus belle que l’opposition a appelé à son boycott.

Ce scrutin sera une victoire pour Maduro si la participation est massive. Beaucoup vont se déplacer parce que la droite les révulse encore plus que le pâle Maduro. On ne connaitra sans doute jamais les chiffres réels de participation.

3/ Le lecteur l’aura compris. Aujourd’hui, le rapport de forces ne se joue pas dans les urnes. Pouvoir comme opposition veulent gagner par tous les moyens, dans les urnes mais aussi dans la rue et dans les casernes.

Quel est le rapport des forces ?

Pour le pouvoir, le fait qu’il y est et que, probablement, il a le soutien de l’armée. Chavez était un militaire. Il était adulé par ses troupes. J’ai ainsi assisté à une parade militaire avec 40 000 participants (3500 le 14 juillet sur les Champs-Elysées), à l’occasion de la célébration d’une victoire du temps de Bolivar. Le discours de Chavez était magnifique et de nature à motiver l’armée (bien soignée aussi dans le budget avec des soldes réévaluées). Je pense que Maduro peut, lui aussi, compter sur l’armée.

60% des Vénézuéliens, en général les anciens pauvres, étaient des inconditionnels de Chavez. L’enthousiasme s’est évidemment émoussé compte tenu de la situation économique catastrophique. Mais il doit rester un bon 40% qui ne veut en aucun cas de la droite au pouvoir.

De l’autre côté, les riches, reclus dans leurs maisons hérissées de fils de fer barbelés et ayant un pied à Caracas et l’autre à Miami. Mais pas seulement. Les classes moyennes en ont aussi assez de Maduro. Affectées par la baisse drastique de leur pouvoir d’achat, par les pénuries et par l’impossibilité, en pratique (à moins de se faire offrir des billets depuis l’étranger), de voyager. J’ai pratiqué cette classe moyenne, composée de gens sans fortune familiale, qui ont fait des études et qui sont aigris par le double fait que les capitalistes, eux, s’en sortiront toujours (ils ont de l’argent en Floride) et que nombre de parasites peu tournés sur le travail encaissent des prestations sociales sans rien faire (quelque analogie avec la France, non ?) et, pour certains qui sont devenus des permanents du système chaviste, vivent de la corruption. Parmi ces déçus du chavisme nouvelle manière (celle de Maduro), beaucoup n’ont aucune confiance dans les extrémistes dogmatiques de droite. Un sentiment de désespoir règne en fait au Venezuela. Beaucoup de cadres sont déjà partis à l’étranger (en général aux Etats-Unis ou en Espagne) et d’autres vont les rejoindre. Le pays perd de plus en plus de sa substance.

En faveur de l’opposition, aussi, la soit disant « communauté internationale », Etats-Unis, bien sûr, leurs relais et satellites européens et, parce que le vent a tourné en Amérique latine, les pays les plus importants du subcontinent : le voisin colombien (la droite au pouvoir inféodée à Washington y a toujours été hostile à Chavez), mais aussi, fait nouveau, le Brésil et l’Argentine, où la gauche a été chassée du pouvoir, par les urnes à Buenos-Aires, par un coup d’état de fait à Brasilia.

Et à l’intérieur des deux camps ?

Dans le camp chaviste, Maduro est loin de faire l’unanimité. Il a été lâché par sa ministre de la justice, Luisa Ortega. Dans la haute hiérarchie militaire, l’heure n’est pas à la contestation mais deux personnages ont des ambitions : l’amiral Ceballos, et le général Padrino Lopez, ministre de la défense. Si Maduro se démonétise encore, l’un des deux pourrait être une solution de remplacement, de préférence sans doute au numéro deux du régime, Diosdano Cabello, un civil.

En face, l’opposition est divisée entre jusqu’au-boutistes (ils organisent des manifestations quotidiennes violentes et stériles : déjà plus de 100 morts depuis un an, pas seulement des manifestants ; des chavistes ont été assassinés) et politiciens un peu plus responsables, tels Henrique Capriles ou Angel Oropesa, mais qui sont de plus en plus dépassés (d’autant plus que le pouvoir est intransigeant).

4/ En attendant, le Venezuela s’enfonce dans le chaos. A la catastrophe économique s’ajoute l’insécurité. Je l’ai moi-même expérimenté quand j’étais à Caracas. Il faut toujours rouler vitres fermées, ne jamais s’arrêter la nuit aux feux rouges, faire très attention en arrivant chez soi (les appartements ont en général une double porte blindée qui s’ajoute à la grille d’entrée de l’immeuble ; mais on peut se faire braquer en attendant qu’elle s’ouvre), ne pas aller n’importe où (même l’autoroute de l’aéroport n’est pas sûre), avoir toujours sur soi une somme d’argent à donner à un braqueur car, dans ce pays, souvent, on tue d’abord avant de faire les poches. 16 000 morts violentes par an, le troisième taux mondial (après le Honduras et le Guatemala).

Certes, si on prend des précautions, on peut survivre. J’y suis parvenu pendant quatre mois bien que je n’ai pas toujours circulé en voiture blindée.

L’avenir ? Franchement, je n’en sais rien.

Yves Barelli, 30 juillet 2017                                

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26 novembre 2016 6 26 /11 /novembre /2016 11:49

La mort de Fidel Castro tourne une page importante de l’histoire non seulement de Cuba mais du monde. Le « lider maximo », qui dirigea la grande île caraïbe pendant plus de cinquante ans avant de passer le pouvoir à son frère Raul en 2006 incarna, et continue largement à incarner, la Révolution, la libération des peuples et la résistance à l’impérialisme. Il suscita un espoir immense dans tout le subcontinent latino-américain et continue de forcer le respect même chez nombre de ceux qui l’ont combattu. Son œuvre contient quelques zones d’ombre, notamment en matière de droits de l’homme et de gestion de l’économie, mais le bilan          est globalement positif, faisant de Cuba un modèle en matière de santé et d’éducation, et bien sûr de fierté du peuple, ce qu’atteste le culte dont il continue de faire l’objet à Cuba, en Amérique latine et ailleurs. Aujourd’hui, les Cubains sont orphelins. Un géant de la politique mondiale vient de nous quitter. Il a écrit une page glorieuse de l’histoire de l’humanité.

1/ Fidel Castro, qui s’est éteint hier soir 25 novembre à l’âge de 90 ans, s’est illustré en 1959 en prenant le maquis, puis en chassant le dictateur Batista qui régnait sur une ile transformée en tripot de drogue, de jeux, de prostitution et de corruption entre les mains des mafias nord-américaines.

Castro n’était pas communiste au départ. Issu d’un milieu catholique, ayant été scolarisé chez des religieux, il n’y était pas spontanément porté. C’est la réaction à courte vue des Etats-Unis, concrétisée par un embargo économique implacable, puis par une tentative d’invasion (épisode de la « baie des cochons ») qui l’a poussé vers l’Union soviétique, seul pays à aider Cuba dans sa résistance économique et militaire, et vers l’idéologie communiste.

L’échec américain à renverser le nouveau pouvoir a fait de Castro un héros mythique pour Cuba et l’Amérique latine, soumise au même impérialisme yankee et aux mêmes dictatures réactionnaires. Castro et les révolutionnaires latinos ont alors voulu non seulement promouvoir la révolution à Cuba mais aussi dans toute l’Amérique latine. Des émules de Castro fleurirent dans tous les maquis du continent et parmi eux, le plus prestigieux, le grand Che Guevara, médecin argentin venus se placer auprès de Fidel et parti ensuite diriger la révolution contre le dictateur local en Bolivie, terre où il y laissa la vie.

Ce combat de l’Amérique latine contre les oligarchies et leur protecteur américain constitue un aspect romantique et généreux de la révolution cubaine mue par l’idéal de l’internationalisme prolétarien.

Mais ce fut un échec. Les révolutions furent écrasées à peu près partout. Là, comme au Nicaragua, où les révolutionnaires réussirent à libérer le pays (les sandinistes à Managua), la réaction américaine fut telle (aide en argent et en armes aux « contras », interventions directes même) qu’elle rendit la vie impossible à tous les pouvoirs qui contestaient l’hégémonie yankee, à commencer par Cuba elle-même, totalement encerclée et asphyxiée par un embargo économique implacable et menacée sur son sol même par la présence de la base de Guantanamo, occupée en vertu d’accords léonins arrachés à l’ancien régime.

Cuba ne fut pas envahie par les Etats-Unis grâce à la protection des fusées soviétiques (ce qui déboucha vers une tension américano-soviétique qui faillit se transformer en conflit armé en 1960). Mais son économie en fut durablement affectée, et même paralysée.           

2/ L’incapacité à exporter la révolution cubaine en Amérique latine fut le premier échec de Castro. Son obstination à refuser tout compromis avec les Etats-Unis fut une erreur qui se transforma en échec économique, d’autant que quelques erreurs de gestion l’amplifièrent.

Il est vrai que la structure économique de Cuba n’était pas favorable. Pas de pétrole. Des minerais néanmoins et surtout le sucre, quasi mono-activité de l’île avec pour débouché les marchés captifs de l’Europe orientale. Mais dans un pays où le manque de véhicules, de tracteurs et d’essence pour les faire rouler était criant, augmenter sensiblement la production de canne à sucre était un défi mal relevé. Malgré les campagnes de mobilisation de la population, la production se maintint cahin-caha à un niveau inférieur à ceux espérés.

Dès le départ, cela empêcha le niveau de vie de la population d’augmenter sensiblement. Après la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS et de l’aide à Cuba qui allait avec, l’île traversa une période très difficile avec de lourds sacrifices consentis par la population.

Les médias occidentaux, toujours prompts à faire preuve d’un anticommunisme primaire, anticipèrent l’écroulement du régime castriste. Il ne se produisit pas parce que la population, en dépit des sacrifices, continua à soutenir massivement le régime. Celui-ci fit en outre preuve de pragmatisme en ouvrant le pays aux capitaux étrangers qui s’investirent dans  le tourisme, ce qui compensa la fin de l’aide soviétique, d’autant que de nouveaux partenaires commerciaux affluèrent : pays latino-américains étant passés à la démocratie (Brésil, Venezuela, Argentine, etc), davantage d’Occidentaux, notamment l’Espagne, mère-patrie de tous les Latinos, et, bien sûr, Chine communiste et plus tard la nouvelle Russie.

Il faudra néanmoins attendre le rapprochement avec les Etats-Unis en 2014, opéré par le frère de Fidel, pour voir enfin l’espoir de la fin de l’embargo devenir une réalité (pas encore totalement complète aujourd’hui).

Mais cela m’amène à une réflexion générale. Pour un petit pays, il est irréaliste et contre-productif de prétendre s’opposer à un puissant voisin. Dans l’affrontement, c’est toujours le plus gros qui gagne. Certes, les Etats-Unis n’ont pas pu renverser Castro, mais ils ont réussi à faire durablement souffrir Cuba et les Cubains. Castro aurait dû chercher des accommodements avec Washington plutôt que de cultiver un combat certes glorieux, romantique, admirable, sans doute populaire mais, en définitive, stupide, contre l’impérialisme yankee.

D’autres ailleurs dans le monde devraient en méditer la leçon. A titre d’exemple, l’attitude antirusse de l’Ukraine actuelle constitue un suicide national. Croire que parce qu’on est allié à l’autre hyperpuissance est une garantie d’invulnérabilité est une vue de l’esprit. Une hyperpuissance sait exactement jusqu’où elle peut aller et jusqu’où elle doit ne pas aller quand elle « titille » l’autre hyperpuissance. En 1960, les Soviétiques ont reculé dans la « crise des fusées » et, plus récemment, les Américains n’ont rien fait après l’annexion de la Crimée par la Russie. Moralité : les crises entre grandes puissances se terminent souvent par le sacrifice de leurs petits alliés. Munich a sacrifié la Tchécoslovaquie en 1938 sur l’autel de  la paix. Il y eut d’autres Munich ensuite et il y en aura encore beaucoup d’autres. La sagesse pour un petit pays consiste à être réaliste et à savoir limiter ses ambitions au niveau de ses possibilités. Pour ne pas l’avoir fait, Cuba paye encore aujourd’hui la facture.

3/ La tension permanente dans l’ile du fait de l’embargo et de la menace militaire américaine a eu des effets négatifs sur la démocratie. Castro a eu un pouvoir de plus en plus personnel. Non seulement l’opposition n’a pas été tolérée, ce qu’on peut comprendre dans un pays à ce point menacé (de ce point de vue, les anticastristes ont plutôt été bien traités puisqu’on a autorisé des centaines de milliers de gens à émigrer aux Etats-Unis), mais, et cela est plus qu’une faute, un crime, Castro a fait emprisonner et même fusiller (peu, mais un crime est un crime et Castro a donc été un criminel) des militaires injustement accusés de trahison alors que ceux-ci l’avaient toujours servi.

4/ Tous ces faits sont connus et généralement largement mentionnés par les médias occidentaux. Ils constituent le passif du castrisme.

Mais il est aussi un actif qu’il me plait à souligner parce que le plus souvent passés sous silence.

Il est de deux ordres.

Le premier est celui de l’adhésion de la majorité des Cubains au régime de Castro. J’ai visité Cuba, dont j’ai fait le tour en voiture en logeant chez l’habitant. Ayant la chance de bien maitriser la langue espagnole, j’ai beaucoup parlé avec les Cubains. Certes, ceux qui sont autorisés à ouvrir des chambres chez l’habitant sont triés. Mais il y a tous les autres rencontrés un peu partout. Cuba est un pays latin où on parle facilement et librement.

J’ai pu constater que la vie est difficile dans l’île. Avoir une voiture coûte si cher que ce n’est pas à la portée des gens ordinaires. Ou alors, on achète ces vieilles grosses limousines américaines qu’on rafistole comme on peut. Elles sont devenues des pièces de collection photographiées et filmées par les touristes car même aux Etats-Unis il n’y en a plus.

Même les motos sont peu nombreuses, ne serait-ce que parce que l’essence coûte cher. Le quotidien des Cubains est donc plutôt le vélo, les transports en commun dans des bus (ou sur des camions) surchargés et hors d’âge, ou le cheval, très populaire à la campagne.

Et tout le reste à l’avenant. Le moindre bien de consommation courant chez nous est un luxe là-bas.

Malgré ces privations, les Cubains acceptent leur sort (ceux qui refusaient les sacrifices ont émigré depuis longtemps). Ils savent qu’ils vivent difficilement mais il y a une immense fierté collective à l’accepter. Pour eux, c’est le prix à payer pour ne pas être les esclaves de l’impérialisme, et cela fait à peu près consensus. Pour les Cubains, si la vie est difficile, ce n’est pas la faute à Castro, mais à l’impérialisme américain. Dire que les Cubains préfèrent vivre mal mais libres, ce n’est pas de la propagande, c’est une réalité que j’ai pu constater et que tous les observateurs honnêtes constatent.

Le deuxième point à mettre à l’actif du régime castriste est la réussite en matière d’éducation et de santé.

Ces deux secteurs constituent la plus grande réussite de Cuba. L’éducation est généralisée et de bonne qualité.

La santé est la plus grande victoire et la plus grande fierté des Cubains. Les médecins sont nombreux, bien formés et motivés parce qu’ils sont vus comme des héros. Le niveau technique est bon (les médicaments importés qui peuvent faire défaut sont remplacés par la médecine traditionnelle), ce qui explique que Cuba compte parmi les meilleurs résultats, peut-être même le meilleur, sur le continent américain. A titre d’exemple, la mortalité infantile est à un niveau inférieur à celui des Etats-Unis. Les dispensaires sont présents dans tout le pays et la prévention poussée.

Cuba est d’ailleurs devenu exportateur de médecins. Au Venezuela, par exemple, 50 000 médecins cubains exercent en vertu d’un accord intergouvernemental. Ils ont permis de relever considérablement le service de santé du pays. Ils exercent en particulier dans les quartiers pauvres, là où les médecins vénézuéliens n’allaient pas par manque de rentabilité et à cause de l’insécurité. On a aussi beaucoup de médecins cubains en Afrique.

XXX

Une page de l’histoire du monde se clôt avec la disparition du dernier révolutionnaire romantique qui était encore en vie. Pour juger l’œuvre de Castro, il faut éviter de regarder avec des lunettes européennes de 2016. Son pouvoir était à une autre époque et sur un autre continent. Il faut avoir connu la misère et l’humiliation des peuples latinos autrefois pour comprendre que ce que Castro leur a apporté, c’est avant tout la dignité et la fierté d’être cubain. On peut toujours dire qu’il aurait mieux valu qu’il s’y prenne autrement, qu’il compose avec l’Amérique et que cela aurait épargné bien des souffrances au peuple. Mais prenons l’héritage comme un tout. Globalement, il est positif. Parfois l’histoire de l’Humanité ne se résume pas à des histoires de PIB, de croissance économique et d’équilibres budgétaires. L’Homme a besoin d’autre chose. Il ne vit pas seulement de pain (certes indispensable), de bagnole ou de smartphones. Il est aussi d’autres valeurs, d’autres aspirations. Identité, dignité, solidarité, convivialité, sacrifice pour un idéal commun sont au moins aussi importants que de consommer toujours plus.

Cela est vrai pour Cuba. Cela l’est aussi pour nos sociétés occidentales désorientées et livrées au seul culte du fric.

En cette période électorale propice aux débats de société cette réflexion me parait d’actualité.

Yves Barelli, 26 novembre 2016       

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30 août 2016 2 30 /08 /août /2016 17:12

L’accord de paix qui vient d’être signé à La Havane entre le gouvernement colombien et la guérilla marxiste des FARC est important. Les modalités détaillées consignées dans le texte conjoint et les garanties internationales qui l’accompagnent laissent espérer une paix durable après 52 ans d’affrontements et 300 000 morts. Toutefois, la victoire du oui au référendum soumis au peuple colombien le 2 octobre n’est pas assurée. En outre, d’autres groupes révolutionnaires, certes moins importants que les FARC, ou simplement de narcotrafiquants (qui gangrènent tous les camps), continueront d’occuper des maquis. La violence est si ancrée dans l’histoire et la sociologie de la Colombie que, si l’on peut être désormais un peu plus optimiste pour ce pays qui dispose d’atouts remarquables (la réalité de la Colombie est beaucoup plus positive que l’image qu’elle en a à l’étranger), on peut craindre que rien ne soit définitivement réglé. Non seulement les séquelles de la guérilla seront longues à surmonter, mais la paix, si paix il y a, ne fera pas disparaitre par enchantement les problèmes structurels de ce pays-clef d’Amérique latine.

1/ A moins que vous ne soyez déjà un spécialiste de l’Amérique latine (dans ce cas-là, vous en savez autant que moi et cet article ne vous sert pas à grand-chose), une petite présentation de la Colombie et de son histoire mouvementée me parait utile avant d’analyser plus avant l’accord de paix.

Avec près de 50 millions d’habitants, la Colombie est le troisième pays le plus peuplé d’Amérique latine après le Brésil et le Mexique et l’un des plus vastes (deux fois la France). L’économie colombienne est diversifiée : riche sous-sol (pétrole, charbon, or, émeraudes – premier producteur mondial -), agriculture à forte valeur ajoutée grâce au climat tempéré de montagne (café, fleurs – exportées dans le monde entier -), industries manufacturières (Renault y a une importante usine), commerce et services. Avec un PIB de près de 300 milliards de dollars en 2015 (370 en 2013, mais, depuis, le dollar s’est apprécié, ce qui, mécaniquement a réduit les PIB de nombreux pays) la Colombie est une puissance émergente, encore moyenne certes, mais qui commence à compter (notamment, si on la compare à son éternel rival et voisin, le Venezuela, en pleine déconfiture économique),

Au-delà de ses performances économiques, la Colombie jouit d’un grand prestige en Amérique latine. Bogota fut la capitale de la vice-royauté espagnole de Nouvelle Grenade (qui s’étendait aussi sur le Venezuela, l’Equateur et le Panama actuels). Simon Bolivar, dont Hugo Chavez ambitionnait d’être le successeur, tenta de conserver l’unité du territoire mais sans succès (on imagine la puissance de cette Grande Colombie – 100M d’habitants, PIB de près de 1 000Mds$, souveraineté sur le canal de Panama – si l’unité en avait été conservée!). Il reste de cette gloire passée, le prestige intellectuel de Bogota (on dit que, en dehors de l’Espagne, c’est le meilleur espagnol parlé au monde, du moins dans les beaux quartiers de la capitale, ville par ailleurs magnifique), avec ses prix Nobel (voir mon article du 18 avril 2014 : « Gabriel Garcia Marquez, voix de l’Amérique latine ») et ses universités (et son lycée français, dont les résultats sont parmi les meilleurs au monde).

Ceci pour l’actif de ce pays.

Au passif, hélas, le pays a la tradition la plus violente du continent américain et l’un des records mondiaux en matière d’homicides (de l’ordre de 20 à 30 000 par an ; en baisse mais qui reste à un niveau élevé) : narcotrafic, « industrie » de l’enlèvement, guérillas, exactions policières, militaires et paramilitaires, banditisme et délinquance plus classiques.

Depuis l’indépendance, au début du 19ème siècle, la violence n’a quasiment pas cessé (elle était déjà présente avant). Elle fut particulièrement terrible à la fin des années 1940 et dans les années 1950 (300 000 morts sur une population à l’époque de 15M au cours de la guerre civile nommée tout simplement « la Violencia »), pour reprendre de plus belle à partir des années 1980 avec les guérillas des FARC (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia) et de l’ELN (Ejercito de Liberación Nacional).

J’ai eu à connaitre la situation de ce pays lorsque, il y a une dizaine d’années, j’ai été responsable de l’Amérique du Sud au ministère français des affaires étrangères. Je me suis rendu en Colombie. Des récits terribles m’ont été faits par des témoins ou des victimes de crimes abominables.

Les révolutionnaires en ont souvent été les auteurs et, parmi les guérillas, on ne savait plus s’il s’agissait encore de mouvements politiques ou de simples bandes de narcotrafiquants (l’argent de la drogue est le nerf de la guerre, mais il finit souvent par en être la seule motivation).

Mais le gouvernement et les grands propriétaires qui lui étaient liés ont eu, sans doute davantage encore que les guérillas, une lourde responsabilité dans le drame colombien. Des groupes de « paramilitaires », plus ou moins liés au pouvoir, aux grands propriétaires (qui achetaient pour des bouchées de pain les terres des petits exploitants terrorisés) et qui, par la corruption, s’assuraient le soutien de secteurs entiers du parlement et de l’administration, ont joué un rôle particulièrement néfaste en sabotant toutes les tentatives de négociations pour mettre fin aux conflits.

Les interférences étrangères ont encore compliqué la donne : guérillas avec des liens avec Cuba, aide massive aux autorités en retour des Etats-Unis qui n’ont pas hésité à couvrir les pires crimes du pouvoir et de ses acolytes. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont ainsi péri depuis trente ans dans ces conflits où on ne savait plus qui était qui (révolutionnaires, « narcos » – les fameux cartels de Medellin et de Cali, entres autres -, militaires, « paras », etc. Il y a dix ans, tout déplacement par la route à l’extérieur de Bogota était très risqué et ceux qui le pouvaient circulaient dans des voitures blindées. Ce fut mon cas.

Lorsque le prédécesseur du président actuel Santos, Alvaro Uribe, fut élu en 2002, il se lança dans une guerre sans merci contre les guérillas (il en fit une affaire personnelle : son père avait été tué par les maquisards). Il enregistra quelques succès, mais au prix de violations massives des droits de l’homme (au cours du premier mandat d’Uribe, la Commission colombienne des droits de l’homme – une autorité plutôt fiable et à peu près impartiale – estima à 11 300 le nombre des civils exécutés pour motifs politiques, dont 15% directement par les forces armées et 60% par des groupes de « paramilitaires » « tolérés » par l’Etat ou même agissant avec sa complicité active). La situation sécuritaire du pays s’en trouva améliorée, mais les guérillas ne furent pas éradiquées. De plus, les incursions des forces colombiennes au-delà des frontières engendrèrent une situation de quasi-conflit avec le Venezuela et l’Equateur.

L’un des personnages clé de la lutte antiguérillas fut le ministre de la défense Juan-Manuel Santos, l’actuel président.

Ce personnage est certes ambigu (s’il ne l’était pas, il n’aurait pas été élu). Issu d’une riche et influente famille (comme la quasi-totalité du personnel politique colombien), propriétaire notamment du principal quotidien du pays, El Tiempo, Santos a eu un parcours politique sinueux. C’est en fait un centriste sans idéologie initiale particulière, naviguant de gauche à droite et de droite à gauche au grès des vents dominants. Diplômé de Harvard et mettant son talent au service d’une ambition sans limite, il sut plaire à Uribe au point d’en devenir le dauphin, ce qui lui permit de gagner l’élection présidentielle de 2010.

Mais sitôt élu, il tourna le dos à Uribe, devenu depuis son pire ennemi (ces retournements sont fréquents en Amérique latine ; ainsi, la présidente brésilienne est déchue par l’action de ses anciens alliés). Il sut flairer le désir de paix et de réconciliation des Colombiens. Dès sa prise de pouvoir, alors que le pays était au bord du conflit armé avec le Venezuela, il rencontra Hugo Chavez grâce à la médiation du président brésilien Lula. L’inimitié se transforma en amitié, sous le regard circonspect des Américains, pour lesquels la Colombie est le principal partenaire en Amérique du Sud (et même alors le seul, tous les autres gouvernements étant jusqu’à il y a peu, de gauche), notamment face au « turbulent » et hostile Chavez.

Ce fut le premier acte vers la reprise du dialogue avec la guérilla des FARC. On pouvait être sceptique sur le désir réel de paix des uns et des autres (d’un côté des politiciens au passé sulfureux, de l’autre des chefs de guerre souvent paranoïaques engagés dans le trafic de « narco »). L’accord qui vient d’être signé montre qu’il était. C’est en tout cas, ce qu’il y parait.

2/ Cet accord de paix avec les FARC signé le 24 août à La Havane après quatre ans de discussions menées sous l’égide de Cuba et de la Norvège (l’ONU, le Venezuela du temps de feu Hugo Chavez, le Brésil, le Mexique, l’Espagne, l’Eglise catholique de Colombie et diverses ONG ont également joué un rôle ; les Etats-Unis, qui financeront à hauteur de 450M$ une partie du processus pratique de mise en œuvre, ont donné leur feu vert).

Un texte de 300 pages fixe les modalités pratiques de la fin de la guérilla. Les armes devront être déposées dans les six mois, les FARC se transformeront en parti politique et participeront à la gestion des zones qu’elles avaient « libérées » (un territoire équivalent à plusieurs départements français), les responsables des crimes de guerre les plus graves, tant du côté de la guérilla que de l’armée gouvernementale, devront, en principe, être jugés et les autres amnistiés.

Ce texte a été signé par les représentants personnels du chef des FARC et du Président de la République de Colombie. Ce dernier, dans un discours à la Nation, a nommé les FARC (ce qui équivaut à une reconnaissance, fait rare s’agissant d’une rébellion armée interne à un pays) et a appelé ses compatriotes à voter oui au référendum du 2 octobre.

Les Etats étrangers, les organisations internationales et les autorités morales garantes de l’accord ajoutent au sérieux de l’opération (on est habitué sur ce continent aux belles envolées lyriques sans lendemains).

3/ Il serait prématuré de dire que, désormais, la page est tournée et que la Colombie a enfin retrouvé (ou plutôt trouvé car elle ne l’a jamais eue) le chemin de la paix.

Quand on a passé toute sa vie dans les maquis, la reconversion à la vie civile est toujours problématique. Les chefs des FARC, à la tête d’un trésor de guerre considérable, feront de la politique (pour en faire, en Colombie, il faut beaucoup d’argent, investissement avant d’en gagner davantage) ou se lanceront dans les affaires privées (où ils feront comme les autres : dans ce pays, il vaut mieux ne pas être regardant sur les origines des fortunes). Les « petits », eux, risquent de tomber dans le banditisme ordinaire (employés par les cartels).

Idem, pour tous les groupes paramilitaires ou les milices formées pour lutter contre les guérillas.

Cette difficulté et ces risques de dérapage ne sont pas propres à la seule Colombie. Partout où il y a eu de longues guerres civiles, la reconversion a toujours été difficile, parfois impossible (exemples actuels : le Sud Soudan ou l’Erythrée).

Ajoutez à cela, les vendettas familiales ou personnelles avec des règlements de compte maquillés en affrontements politiques, et vous avez un tableau qui est loin d’être idyllique.

Le référendum du 2 octobre ne sera pas une simple formalité. Selon des sondages (peu fiables), le oui et le non seraient au coude à coude.

Juan-Manuel Santos a dérangé tant d’intérêts qu’il s’est fait beaucoup d’ennemis. Il a été réélu en 2014 (voir mon article sur ce blog du 16 juin 2014 : « élections présidentielles en Colombie ») pour quatre ans, mais de justesse (51% des voix). Contre lui, et en faveur de son adversaire Oscar Zuluaga : les secteurs les plus conservateurs de la société colombienne, les grands propriétaires, l’Eglise Evangélique (près de 10M de fidèles ; elle a mené une campagne active contre Santos), les Républicains des Etats-Unis mais aussi beaucoup d’électeurs qui, se souvenant du rôle passé de Santos dans la répression, soit ne lui faisaient toujours pas confiance, soit ne lui pardonnaient pas sa « trahison ». Pour lui : ceux qui aspirent à la paix. Ils sont heureusement nombreux.

Le rapport de forces n’a pas fondamentalement changé, bien qu’il ait évolué à la marge. Nombre de Colombiens, certes échaudés par les désillusions passées, veulent cette fois y croire ; l’Eglise catholique, qui avait laissé liberté de vote en 2014, va faire, cette fois, campagne pour le oui et les Evangélistes seront moins impliqués qu’il y a deux ans. Cela peut faire pencher la balance, d’autant que les Américains poussent aussi pour solder définitivement le passé.

4/ Ma conclusion se trouve largement dans mon introduction. Je crois que le référendum va être gagné (mais je reste modeste : à la différence du temps où les fonctions que j’exerçais me permettaient d’être bien informé, je le suis moins aujourd’hui n’ayant plus accès aux mêmes sources et n’ayant plus séjourné en Colombie depuis plusieurs années).

Je pense que la Colombie est enfin engagée sur le chemin du redressement national. J’espère ne pas me tromper.

Certes, les maux dont souffre le pays, communs à l’ensemble de l’Amérique latine, restent là. A commencer par le classique trio violence-corruption-inégalités.

a/ Violence-insécurité : comme à Caracas ou à Rio, il faut toujours prendre des précautions avant d’aller où que ce soit, et, si on est accompagné par des gens du pays, c’est mieux : les risques sont, un peu comme la météo, prévisibles même si les prévisions ne sont pas toujours bonnes ; au Brésil, par exemple, il y a des cartes routières où on indique les routes à priori plutôt sûres et celles qui ne le sont pas et il est, de toute façon, déconseillé de circuler la nuit ; j’ai vécu à Caracas, ville très dangereuse en certains endroits, où on peut néanmoins parfaitement avoir des activités normales en sécurité suffisante, si on prend des précautions élémentaires.

b/ Corruption. Pas facile, à moins que vous ne soyez diplomate étranger avec un passeport diplomatique qui vous protège, de vivre sans un portefeuille bien garni quand vous savez que l’honnêteté n’est pas la qualité première des policiers et autres fonctionnaires, sans même parler des commerçants véreux, des juges, indépendants du pouvoir mais pas de l’argent, et des politiciens. On est souvent à la merci des abus de pouvoir et du racket.

c/ Inégalités sociales et de patrimoines qui atteignent le record mondial et qui sont héréditaires : les écoles privées, les seules de qualité acceptable, sont chères ; idem pour les cliniques privées si on veut être bien soigné ; sans argent et sans relations, même diplômé, beaucoup de portes vous sont fermées ; il y a certes une classe moyenne forgée au seul mérite, mais c’est elle qui paye des impôts, pas les riches.

Ces défauts typiquement « latino » ne vont pas disparaitre du jour au lendemain (si un jour ils disparaissent). Mais on s’habitue à tout. De même que nous prenons notre voiture sans l’obsession d’un possible accident, à Bogota ou à São Paulo on sort sans peur particulière, mais toujours vitres fermées en voiture et on habite, lorsqu’on en a les moyens, dans des immeubles parfaitement sécurisés grâce à de nombreux gardiens privés.

Ces villes ont des centres commerciaux, de bons restaurants, des spectacles de bon niveau et une vie culturelle intense. A Bogota, il y a même un système remarquable de bus qui se suivent à la queue-leu-le et des taxis fiables (pour les voitures individuelles, il faut en avoir deux car la circulation est alternée, compte tenu des embouteillages, entre numéros pairs et impairs). Là, comme à Rio, à Mexico ou même à Caracas, si on évite les mauvais quartiers et les mauvaises heures, ça va. On peut même marcher sans escorte dans la plupart des quartiers centraux le jour sans problème. Je l’ai fait à Bogota et je ne suis pas un « casse-cou ».

Tout cela se paye, mais, pour un étranger ou un membre des classes supérieures, c’est bon marché car la main d’œuvre l’est). En dehors des « ranchos » (équivalents des favelas), on peut aller à peu près partout et on a vraiment l’impression de vivre normalement (si on n’oublie pas d’être prudent) : j’y ai vécu et souvent voyagé. S’agissant de Bogota, proche de l’équateur, mais nichée à près de 3000m, le climat est celui d’un printemps permanent. Ce n’est donc pas l’enfer. Il y a beaucoup de morts, mais on ne les voit pas et les risques encourus, si soi-même on ne touche pas à la drogue, et si on est prudent, sont raisonnablement limités.

Ceci pour Bogota et les autres capitales des pays voisins. Sorti des grandes villes, c’est variable, mais on considère que, désormais, les principaux axes de la Colombie sont sécurisés (au moins le jour). C’est un soulagement pour les Colombiens.

La chance supplémentaire de la Colombie est son identité forte grâce à son passé et à sa culture et son économie diversifiée (tout le contraire des mono-activités des républiques « bananières » et du tout-pétrole vénézuélien).

Alors que la Brésil est en pleine crise économique et incertitude politique, que le Mexique a encore plus de « narcos » que la Colombie, que l’Argentine ne sait pas, non plus, où elle va, et que le Venezuela est dans le chaos, la Colombie réussira peut-être à tirer son épingle du jeu. Elle a en outre de bonnes relations avec les Etats-Unis. Ça aide !

Bref, optimisme modéré. Très modéré néanmoins.

Yves Barelli, 30 août 2016

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